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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3651/2020

ATA/1186/2020 du 24.11.2020 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3651/2020-EXPLOI ATA/1186/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 24 novembre 2020

sur mesures provisionnelles

dans la cause

 

M. A______

B______ Sàrl
représentés par Me Romain Canonica, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



Vu l'art. 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : chambre administrative) du 26 mai 2020 ;

vu le recours interjeté le 13 novembre 2020 devant la chambre administrative par M. A______ et B______ Sàrl contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du 4 novembre 2020 ordonnant la fermeture immédiate de l'établissement à l'enseigne « C______ » au ______, rue de D______, avec apposition de scellés, jusqu'au 17 décembre 2020 inclus, en application de l'art. 62 al. 2 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), décision déclarée exécutoire nonobstant recours, et réservant une éventuelle prolongation de la fermeture ;

vu que le recours conclut à l'annulation de la décision entreprise, et préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, ainsi qu'à la comparution personnelle des parties et l'audition de deux témoins ;

vu la requête en mesures superprovisionnelles déposée par ailleurs par les recourants le 16 novembre 2020 à 15h20 à la chambre administrative, tendant à la restitution immédiate de l'effet suspensif au recours, sans échange d'écritures, vu le « péril en la demeure », la fermeture de l'établissement menaçant de condamner sa survie économique ;

vu le rejet de la requête en mesures superprovisionnelles le 17 novembre 2020, au motif notamment que l'établissement avait déjà été fermé dix jours entre le 6 et le
16 novembre 2020 ;

attendu, en fait, que la décision attaquée se fonde sur un rapport établi le 30 octobre 2020 par la police de proximité du poste de Cornavin, au terme duquel un contrôle effectué le même jour à 19h30 en lien avec le respect des mesures de prévention de la pandémie de Covid-19 avait révélé que les cuisiniers présents dans l'établissement, identifiés comme MM. E______ et F______, ne portaient pas le masque de protection conformément aux directives fédérales, et qu'aucune liste de clients n'était tenue à jour, le responsable étant M. E______, agissements constitutifs d'une infraction aux chiffres 12E (« Employé. Ne pas respecter l'obligation de porter le masque d'hygiène ») respectivement 13.1 (« Responsable d'une installation ou d'un établissement offrant des consommations, à l'exclusion des bars, omettre de collecter l'identité et/ou un moyen de contact fiable des clients ou d'au minimum une personne par groupe- de clients ») du « Catalogue des infractions Covid » ;

que la décision relève que les agissements constatés lors du contrôle étaient constitutifs de graves troubles à la santé publique, dès lors qu'ils favorisaient activement la circulation de la Covid-19 et étaient d'une gravité particulière, ce que les recourants ne pouvaient ignorer, lesdits comportements étant prohibés par l'arrêté du Conseil d'État du 29 octobre 2020 modifiant l'arrêté du 14 août 2020 relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, et prévoyant notamment que le personnel de service doit porter un masque dans les cafés restaurants, terrasse comprise, que l'exploitant de l'établissement ou son remplaçant sur place s'assurent que son personnel porte le masque correctement (art. 9 al. 6 et 7), et que les responsables des cafés restaurants ont l'obligation de collecter l'identité et un moyen de contact fiable de tous les clients ou d'au minimum une personne par table (art. 9 al. 9) ;

que les recourants exposent dans leurs écritures du 13 novembre 2020 que le soir du contrôle, l'établissement était tenu par M. G______ ; que dans l'établissement se trouvaient deux autres personnes, soit son frère M. E______ ainsi qu'un autre client dont ils ignoraient l'identité ; qu'un troisième client, M. F______, se trouvait quant à lui à l'extérieur de l'établissement ; que M. G______ s'était absenté quelque minutes de l'établissement afin de se rendre à la Migros de la gare Cornavin pour acheter du pain pour le restaurant, et avait demandé à son frère Mohammed de surveiller l'établissement ; que le contrôle de police était survenu dans les minutes qui avaient suivi ; que c'était à tort que les policiers avaient constaté que MM. E______ et F______ ne portaient pas de masque, puisque ceux-ci portaient bien des masques de protection mais en laissant chacun leur nez découvert, ce qui n'était certes pas conforme aux exigences sanitaires, mais qu'ils s'étaient exceptionnellement permis car ils étaient les seuls clients dans l'établissement ; que M. F______ se trouvait à l'extérieur de celui-ci ; que les agents de police les avaient considérés de manière totalement arbitraire comme employés de l'établissement, sans procéder à aucune vérification ; que les agents de police avaient par ailleurs retenu à tort que la liste des clients n'était pas tenue ; que celle-ci était bel et bien tenue mensuellement, mais que M. E______, faute d'être employé de la société et de maîtriser le français, en ignorait l'existence et n'avait évidemment pas été à même de la remettre aux policiers ; que les conclusions arbitraires prises après le contrôle avaient donné lieu à un malheureux quiproquo, occasionnant de manière totalement injustifiée la fermeture de l'établissement, laquelle, dans une période économique particulièrement troublée, entraînerait à tout le moins la perte d'une grande partie du stock de l'établissement demeurant sur place sans que les recourant n'aient pu le conditionner au moment de l'apposition des scellés par les
autorités ;

que les recourants ont produit l'attestation des salaires 2019 à l'office cantonal des assurances sociales désignant pour seuls employés MM. H______ et G______, la liste des clients pour le mois d'octobre 2020 (comportant vingt-deux noms sur deux pages, avec mention d'heures mais sans mention de dates et s'étendant apparemment sur plusieurs jours vu la succession des horaires), ainsi qu'un avis de taxation établissant que M. H______ était le seul soutien économique de sa famille et avait pour unique revenu son salaire d'employé de l'établissement ;

que les recourants ont encore indiqué qu'ils n'avaient jamais fait l'objet de constats d'infraction durant le premier pic de la pandémie au printemps 2020 et observaient et observeraient constamment et scrupuleusement les directives en matière de prévention ;

que le juge délégué a imparti le 16 novembre 2020 au PCTN un délai échéant au 18 novembre 2020 à midi pour se déterminer sur la requête de mesures provisionnelles ;

que le PCTN s'est opposé le 18 novembre 2020 à la restitution de l'effet suspensif ; les constats avaient été établis par des agents de police assermentés ; la liste des clients aurait dû être présente dans l'établissement, à disposition des clients ; la liste remise ne contenait pas de dates et rien ne prouvait que ce fût celle d'octobre ; si MM. E______ et F______ avaient été des clients leurs noms auraient dû y figurer, à défaut de quoi la liste n'était pas à jour ; si le troisième client était inconnu des recourants, c'était que son nom n'avait pas non plus été inscrit ; la liste remise n'était d'aucune utilité pour le traçage car elle ne permettait pas de comprendre quels clients avaient été en même temps dans l'établissement ; porter le masque à nez découvert constituait également une infraction ; l'argument de l'absence de clients était contredit par la présence d'un client inconnu dans l'établissement, selon les recourants eux-mêmes ; les recourant n'avaient pas allégué que les prétendus clients étaient assis ; la petite taille de l'établissement (8 m2) n'était pas un argument car elle augmentait le risque de distance inappropriée ; la fermeture était fondée dans son principe et proportionnée dans sa quotité ; renseignement pris, lors de la pose des scellés, le 6 novembre 2020, les recourants avaient pu emporter toute la marchandise périssable ;

que les recourants ont répliqué sur effet suspensif le 20 novembre 2020 ; les pièces démontraient que MM. E______ et F______ n'étaient que des clients ; M. F______ était à l'extérieur, ce qui expliquait qu'il ne portait pas de masque ; les recourants demandaient à être entendus, et proposaient également l'audition de M. F______ ; ils communiquaient un nouvel exemplaire de la liste, daté (« octobre 2020 ») et signé par M. H______, et invitaient la chambre administrative à prendre contact avec les signataires pour s'assurer qu'ils avaient bien fréquenté l'établissement en octobre 2020 ; on peinait à imaginer pour quelle raison les recourants auraient abandonné des denrées si un temps suffisant leur avait été laissé pour les récupérer ; l'effet suspensif devait être restitué ;

que le 23 novembre 2020 la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles, ce dont les parties ont été informées ;

considérant, en droit, qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

qu'en vertu de l'art. 21 LPA, l'autorité peut d'office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (al. 1) ; que ces mesures sont ordonnées par le président s'il s'agit d'une autorité collégiale ou d'une juridiction administrative (al. 2) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2) ; qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, spéc. 265) ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018) ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu'un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités ; ATA/812/2018 du 8 août 2018) ;

que la chambre de céans dispose dans l'octroi de mesures provisionnelles d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 précité consid. 5.5.1 ; ATA/941/2018 précité) ;

qu'en l'espèce, au stade des mesures provisionnelles, l'audition des parties ne sera pas ordonnée, pas plus que celle des tiers, et la chambre administrative n'interpellera pas les clients dont les noms figurent sur la liste ; ces mesures d'instruction ne sont en effet pas nécessaires, la décision pouvant être prise sur la base des pièces à disposition et des écritures ;

qu'en l'espèce, l'autorité invoque à l'appui de sa décision de graves troubles à la santé publique imposant la fermeture immédiate de l'établissement, ce que les recourants réfutent ;

que de jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/1158/2020 du 17 novembre 2020 ; ATA/502/2018 du 22 mai 2018), sauf si des éléments permettent de s'en écarter ;

que le rapport de police a procédé à l'identification de M. E______, l'a identifié comme étant l'un des cuisiniers, l'a domicilié chez M. H______ au boulevard I______ ______, lui a attribué un téléphone mobile avec un numéro d'opérateur suisse, l'a décrit ne portant pas correctement le masque et a constaté qu'il était incapable de remettre la liste des clients, ce qui indique à tout le moins que l'identification a été accomplie de manière complète et interactive sur place ; qu'il en a été de même avec M. F______ ; que le PCTN soutient que les denrées périssables ont pu être emportées lors de l'apposition des scellés ;

que les recourants réfutent la qualité d'employés de MM. E______ et F______, indiquent qu'ils portaient le masque à nez découvert car ils étaient seuls dans l'établissement, respectivement que M. F______ se trouvait dehors, produisent une liste, munie dans un second temps d'une date et d'une signature, et maintiennent que les denrées périssables n'ont pu être emportées ;

que sans se prononcer sur le fond, la chambre administrative constatera que les recourants admettent qu'au moins un client ne portait pas, en l'occurrence pas correctement, le masque ; que la liste qu'ils produisent, même signée et datée a posteriori, ne permet pas, prima facie, de comprendre quels jours du mois d'octobre les clients ont fréquenté l'établissement, et ne permet donc pas le traçage en cas de contagion ; que la même liste, comportant vingt-deux noms, pourrait, alternativement, établir une fréquentation très faible durant le mois d'octobre (un client ou une table par jour en moyenne), ou indiquer qu'elle est incomplète ;

que les chances du recours n'apparaissent ainsi pas évidentes à première vue s'agissant de la réalisation des infractions ;

que s'agissant des intérêts en présence, les recourants maintiennent que des denrées périssables se trouveraient dans leur établissement, sans en détailler ni la nature, ni la quantité, ni la valeur ; que dix-sept jours se sont toutefois écoulés depuis la pose des scellés ; que les scellés ont pour objectif d'exécuter la décision d'interdire l'exploitation de l'établissement, mais pas d'empêcher l'exploitant d'éteindre la lumière, fermer le gaz ou prendre toute autre mesure urgente, visant par exemple la préservation de denrées ; que le recourant peut à tout moment interpeller le PCTN pour demander la levée temporaire des scellés, le temps de prendre des mesures, suivie d'une nouvelle apposition, la question des frais demeurant réservée ;

que pour le surplus, l'atteinte portée par la fermeture à la liberté économique, si elle ne doit pas être niée, peut à ce stade être de prime abord relativisée au vu de la très faible fréquentation de l'établissement, telle qu'elle résulte des déclarations des recourants et de la liste qu'ils ont remise ;

qu'ainsi la mesure du danger allégué par l'autorité à l'appui du caractère exécutoire nonobstant recours de sa décision ne peut en l'état être infirmée ou même relativisée sur la seule base des affirmations et des pièces des recourants, pas plus, à première vue, qu'un éventuel intérêt de ces derniers à la reprise de l'exploitation ne peut à ce stade être établi comme prévalant sur l'intérêt public ;

que la requête de mesures provisionnelles sera rejetée ;

que le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu'à droit jugé au fond ;

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Canonica, avocat des recourants, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :