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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2922/2020

ATA/1158/2020 du 17.11.2020 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2922/2020-PRISON ATA/1158/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 novembre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le ______ 2020.

2) a. Par décision datée du 20 août 2020, signée du directeur de la prison, M. A______ a été sanctionné de cinq jours de cellule forte à compter du même jour à 14h30 pour possession d'objets prohibés.

b. Il ressort du rapport établi par les agents de détention le 20 août 2020 à 8h45 qu'un détenu avait indiqué, à plusieurs reprises déjà, à un gardien que « l'espagnol » de la cellule n° ______ détenait un téléphone portable.

Il ressort d'un complément audit rapport, établi à 9h30, qu'à la suite de la libération d'un détenu le 19 août 2020 au matin, M. A______ avait demandé, par écrit, à pouvoir rester seul dans sa cellule. Il la partageait depuis six mois, ce qui avait nécessité qu'il prenne des somnifères. Il souhaitait arrêter ledit traitement. Si toutefois un codétenu devait intégrer sa cellule, il désirait pouvoir choisir une personne qui se trouvait sur le même étage et qui ne fumait pas.

Selon le complément au rapport, un détenu avait sollicité de pouvoir intégrer la cellule n° ______, car son propre codétenu ronflait.

Selon un troisième rapport du même jour, à 13h30, il avait été procédé à une fouille complète avec démontage de la cellule n° ______. Un téléphone de marque Unihertz avec un chargeur bricolé étaient dissimulés dans un enceinte radio Sony. M. A______ avait été placé en cellule forte.

c. M. A______ a été entendu, le 20 août 2020 à 16h40. Selon le rapport de l'agent de détention, le détenu avait reconnu avoir utilisé le téléphone.

3) Par acte du 17 septembre 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de sanction précitée.

Le téléphone portable ne lui appartenait pas. La mini-chaîne hifi appartenait à son codétenu libéré le jour précédent, lequel la lui avait léguée, ce qui avait impliqué qu'elle soit inscrite à son nom juste avant qu'il ne parte. Il contestait avoir été le détenteur du téléphone. Lorsqu'il était arrivé dans cette cellule, le codétenu s'y trouvait déjà, à l'instar du téléphone. En réponse aux questions des gardiens, il avait expliqué que son codétenu avait envoyé un ou deux messages « à ma famille, au plus fort de la crise sanitaire pour m'assurer qu'elle allait bien et du fait que je n'avais pas d'appels téléphoniques prévus à ce moment-là ». Il n'avait pas dénoncé son codétenu par crainte de représailles.

4) La prison de Champ-Dollon a conclu au rejet du recours.

À la suite de la libération de son codétenu, le recourant avait décidé de garder le téléphone portable et en était ainsi devenu le détenteur. Il s'agissait d'une violation grave du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) dans la mesure où un tel moyen de communication permettait le contact avec l'extérieur, et donc la réalisation d'un éventuel risque de collusion qu'entendait justement éviter la détention préventive.

5) Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions. Ne travaillant pas et ne bénéficiant d'aucun soutien financier de ses proches, il n'avait pas la capacité financière suffisante d'assumer les charges liées à l'utilisation du téléphone. Il avait craint des représailles, l'ancien détenu ayant coutume d'envoyer des SMS pour le compte de plusieurs autres codétenus. Celui qui avait signalé la présence de ce téléphone avait espéré obtenir l'appareil lors de la libération du précédent propriétaire, ce qui n'avait finalement pas été le cas.

6) Les parties ont été informées le 30 octobre 2020 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que la sanction de cinq jours de cellule forte ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que sa peine aurait pris fin et qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire (ATA/774/2020 du 18 août 2020 consid. 3b ; ATA/637/2020 du 30 juin 2020 consid. 1).

2) Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le RRIP et l'art. 1 al. 3 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l'égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP).

Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de détenir d'autres objets que ceux qui leur sont remis (let. e) ou d'introduire ou de faire introduire dans l'établissement d'autres objets que ceux autorisés par le directeur (art. 45 let. f RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives (let. b), la suppression des activités sportives (let. c), la suppression d'achat pour quinze jours au plus (let. d), la suppression de l'usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. e), la privation de travail (let. f), le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g). Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

Le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours est impérativement prononcé par le directeur ou, en son absence, par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence (art. 47 al. 8 RRIP).

d. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

e. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 1er septembre 2015 consid. 7b).

3) a. En l'espèce, la sanction a été décidée et signée par le directeur de l'établissement. Elle a en conséquence été prise par l'autorité compétente.

b. En l'espèce, le recourant ne conteste pas que le téléphone soit resté dans la cellule après le départ de son codétenu et qu'il en ait été en conséquence à tout le moins le possesseur. Il invoque un risque de représailles qui l'aurait empêché de s'en ouvrir aux gardiens, l'existence du moyen de communication étant connu d'autres détenus. Cette allégation n'est pas démontrée à l'instar du fait qu'aucune autre solution alternative, conforme au règlement, n'ait été possible.

Ce faisant, le recourant à enfreint les dispositions du RRIP en détenant un objet prohibé (art. 45 let. e RRIP).

Le principe d'une sanction est donc fondé.

c. Reste à examiner si celle consistant en cinq jours de cellule forte est proportionnée.

Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP. Elle peut être prononcée pour dix jours au plus (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de la mise en cellule forte demeure dans la fourchette autorisée.

La détention d'un téléphone portable en prison constitue une violation grave du RRIP dans la mesure où un tel moyen de communication permet le contact avec l'extérieur - et donc, notamment, la réalisation d'un éventuel risque de collusion qu'entend justement éviter la détention préventive, voire d'évasion ou d'émeute - et n'est pas un objet autorisé en prison. Dès lors, la sanction de cinq jours de cellule forte respecte le principe de proportionnalité. Elle est par ailleurs conforme à la jurisprudence constante de la chambre de céans. En effet, une sanction de cinq jours de cellule forte pour la détention d'un téléphone portable a déjà été jugé proportionnée (ATA/183/2013 du 19 mars 2013). A également été jugée proportionnée la sanction de cinq jours de cellule forte pour la détention d'un téléphone portable par une détenue sanctionnée deux fois pour détention d'un téléphone portable, respectivement de cinq jours de cellule forte la première fois et de la même peine, cumulée avec une autre sanction la seconde fois (ATA/442/2013 du 30 juillet 2013).

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 septembre 2020 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 20 août 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :