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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3222/2012

ATA/290/2014 du 29.04.2014 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 18.06.2014, rendu le 03.09.2015, REJETE, T 472/2014
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3222/2012-FPUBL ATA/290/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 avril 2014

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Marcel Bersier, avocat

contre

COMMUNE DE CHÊNE-BOUGERIES
représentée par Me Thomas Barth, avocat



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1962, a été engagée en qualité d’assistante administrative au sein des services de l’état civil et de la sécurité municipale de la commune de Chêne-Bougeries (ci-après : la commune) dès le ______ 2004. A l’issue d’une période probatoire de trois ans, elle a été nommée fonctionnaire avec effet au ______ 2007, conformément à l’art. 9 du statut du personnel du 17 avril 1975 (ci-après : le statut).

2) Dès le 1er septembre 2009, Mme A______ a été affectée en qualité de secrétaire auprès du service de sécurité municipale avec un taux d’activité à 100 %.

3) Dans le courant de l’année 2010, le service de sécurité municipale a fait l’objet d’une restructuration et a été intégré au sein du service prévention et sécurité.

4) Les relations de travail entre Mme A______ et la nouvelle cheffe du service prévention et sécurité se sont dégradées dès l’automne 2010, l’intéressée se plaignant de harcèlement psychologique et produisant plusieurs attestations de troubles médicaux pouvant être liés à ses conditions de travail. Dès le 14 avril 2011, elle a été en incapacité complète de travail.

5) Le 1er juin 2011, Mme A______ a sollicité de la commune qu'elle examine la possibilité d'une médiation afin de trouver une issue aux tensions apparues depuis la restructuration du service et l'arrivée de sa nouvelle responsable. Aucune suite n'ayant été donnée à cette demande, elle a saisi le secrétaire général de la commune le 6 septembre 2011 d'une plainte pour harcèlement à l'encontre de la cheffe de service.

6) Par courrier du 28 septembre 2011 adressé au médecin traitant de Mme A______ ainsi qu’en copie à cette dernière et à la commune, l’assurance perte de gain (ci-après : l'assurance) de la commune a indiqué que suite à un examen médical pratiqué par un tiers médecin dont le résultat lui était remis en annexe sous pli confidentiel, son médecin-conseil recommandait de prendre en considération une capacité de travail nulle du 11 avril au 14 octobre 2011, de 50 % du 15 octobre au 14 novembre 2011 et de 100 %, sans diminution de rendement, dès le 15 novembre 2011. Sans éléments nouveaux et motivés de la part du médecin traitant, ce cadre de reprise serait appliqué.

7) Le 13 octobre 2013, le secrétaire général de la commune a entendu Mme A______ au sujet de sa plainte pour harcèlement.

8) Le 15 octobre 2011, Mme A______ n’a pas repris le travail.

9) Le 21 octobre 2011, le secrétaire général de la commune a classé la plainte pour harcèlement du 6 septembre 2011, faute d'éléments. Cette décision a fait l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) (A/3960/2011). La procédure est suspendue.

10) Le 2 novembre 2011, le médecin traitant de Mme A______ s’est déterminé sur le courrier de l’assurance du 28 septembre 2011. Il n'avait pas réagi plus tôt, tant son contenu paraissait prématuré au vu de la procédure (sic), qui n'avait fait qu'empirer. Sa patiente était toujours en incapacité complète de travail, une reprise l’exposant à un stress dangereux et « sans utilité pour le règlement de la situation ». Ce courrier ne mentionnait pas avoir été adressé en copie à Mme A______ ni à la commune.

11) Le 14 novembre 2011, le médecin-conseil de l'assurance a confirmé au médecin traitant de Mme A______, au vu de la situation médicale de celle-ci, le cadre de reprise progressive défini dans le courrier du 28 septembre 2011, soit dans son emploi antérieur, soit, si le conflit devait se prolonger, dans un autre poste. Ce courrier n’a pas été adressé en copie à Mme A______ ni à la commune.

12) Par décision du 17 novembre 2011, la commune a informé Mme A______ qu’elle envisageait de mettre fin avec effet immédiat aux rapports de service. L’intéressée ne s’était pas présentée à son poste le 15 octobre 2011, refusant ainsi de se conformer aux prescriptions du médecin-conseil de l’assurance. Il y avait ainsi abandon de poste. Une enquête administrative était ouverte. Dans l’attente de son résultat, Mme A______ était suspendue provisoirement de ses fonctions, avec suspension immédiate de toutes prestations à la charge de la commune. Cette décision ne comportait aucune mention de voie ni de délai de recours.

13) Le 24 novembre 2011, le médecin traitant de Mme A______ a indiqué au médecin conseil de l'assurance que l'état de santé de sa patiente excluait toute reprise de travail, étant précisé que son employeur ne lui avait pas proposé un autre poste. Ce courrier n’a pas été adressé en copie à Mme A______ ni à la commune.

14) En date du 19 décembre 2011, Mme A______ a recouru contre la décision de suspension susmentionnée auprès du Tribunal administratif de première instance, qui le 23 décembre 2011 s’est déclaré incompétent et a transmis la cause à la chambre administrative. Mme A______ concluait principalement à l’annulation de la décision attaquée et, préalablement, à l’octroi de l’effet suspensif.

15) Le 18 janvier 2012, la commune a confié l'enquête administrative à un avocat.

16) Par arrêt du 24 avril 2012 (ATA/240/2012), après avoir relevé que la décision en cause était entachée d'une irrégularité formelle sans conséquence pour les droits de l'intéressée et que le recours avait effet suspensif de plein droit, la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours du 19 décembre 2011 car la décision querellée était une décision incidente dont il n'avait pas été démontré qu'elle pouvait causer un préjudice irréparable ou pour laquelle l’admission du recours pouvait conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

17) Le 31 août 2012, après avoir tenu trois audiences entre le 26 mars et le 11 juillet 2012 et pris connaissance des écritures et pièces produites par Mme A______ et la commune, l'enquêteur a rendu son rapport. Il en ressort en substance, que, d'une part, ni Mme A______ ni ses mandataires n'avaient informé la commune que la première contestait le cadre de reprise de travail fixé par le courrier de l'assurance et, d'autre part, la commune n'avait pas adressé à Mme A______ d'injonction formelle de reprendre son travail. Les éléments du rapport seront détaillés par la suite dans la mesure utile.

18) Le 12 septembre 2012, Mme A______ a fait part à la commune de sa détermination sur le rapport susmentionné. L'enquête s'était déroulée avec une lenteur injustifiée. L'enquêteur n'avait pas tenu compte de certaines pièces par elle produites ou les avait mal appréciées. Il n'était pas parvenu à démontrer l'existence de l'abandon de poste qui lui était reproché à tort. Elle demandait à être entendue par la commune.

19) Le 25 septembre 2012, Mme A______ a été entendue par le maire et le secrétaire général de la commune. Aucun procès-verbal de cette audition n'a été communiqué.

20) Par courrier recommandé du 27 septembre 2012, la commune a mis terme avec effet immédiat à l'engagement de Mme A______ en le faisant rétroagir à la date de l'ouverture de l'enquête administrative, soit le 17 novembre 2011, vu la gravité des faits. Selon le rapport du 31 août 2012, elle était l'auteure d'un abandon de poste intervenu le 15 octobre 2011, à tout le moins à 50% puis à hauteur de 100% dès le 15 novembre 2011, dates auxquelles elle aurait dû se présenter à son poste de travail selon le médecin conseil de l'assurance, ce qu'elle n'avait pas fait, sans raison valable. Son certificat de travail lui parviendrait prochainement.

21) Le 26 octobre 2012, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision de suspension du 17 novembre 2011 prononçant sa suspension provisoire de ses fonctions, avec suspension immédiate de toutes prestations à la charge de la commune et contre la décision de licenciement susmentionnée. Elle a conclu à l'annulation avec effet au 17 novembre 2011 de la décision de suspension et de la décision de licenciement et à ce qu'il soit ordonné à la commune de la réintégrer. A défaut de réintégration, la commune devait être condamnée à lui verser une indemnité égale à vingt-quatre mois de son traitement brut et à établir un certificat de travail conforme à la réalité, selon un projet joint.

Les conditions pour prendre la décision de suspension du 17 novembre 2011 n'étaient pas réunies car elle était alors en arrêt maladie depuis le 14 avril 2011 et avait été remplacée dans ses fonctions depuis le mois de mai 2011. Elle ne risquait donc pas d'entraver la bonne marche du service. Elle s'en était tenue à l'avis de son médecin et n'avait commis aucune faute. La décision était arbitraire, avait été prise en violation de son droit d'être entendue et du principe de la proportionnalité.

La décision de licenciement était illégale, arbitraire et violait les principes de la proportionnalité et de célérité. Le rapport d'enquête auquel elle se référait souffrait d'une appréciation inexacte ou incomplète des faits et il ne permettait pas de retenir un abandon de poste à charge de l'intéressée. Elle n'avait à aucun moment refusé de poursuivre son activité au service de la commune. Elle était en incapacité de travailler et n'était pas autorisée par son médecin traitant à reprendre son travail. Le courrier de l'assurance du 28 septembre 2011 n'était pas une injonction mais une recommandation. La commune ne l'avait, quant à elle, pas mise en demeure de le faire.

22) Le 30 novembre 2012, la commune a conclu à l'irrecevabilité du recours en ce qu'il portait sur la décision de suspension du 17 novembre 2011, la chambre administrative ayant déjà statué dans un arrêt définitif le 24 avril 2012.

Elle a conclu au rejet du recours contre la décision de licenciement du 27 septembre 2012. L'enquête administrative s'était déroulée avec célérité et elle concluait que Mme A______ avait abandonné son poste en ne se présentant pas à son travail le 15 octobre 2011 comme elle aurait dû le faire. Il s'agissait d'une non-entrée en service. Sous cette forme, l'abandon de poste était réalisé sans mise en demeure préalable de l'employeur. Mme A______ ne pouvait ignorer que la teneur du courrier de l'assurance du 28 septembre 2011 lui imposait de reprendre le travail le 15 octobre 2011.

La commune a en outre demandé à la chambre administrative de retirer l'effet suspensif au recours de Mme A______.

23) Entre novembre 2012 et avril 2013, le juge délégué et les parties ont eu un échange de correspondance au sujet de l'effet sur le cours de la procédure d'un audit mené par la Cour des comptes au sein de l'administration de la commune et couvrant les principaux processus de gestion en matière de ressources humaines. A l'issue de cet échange, il n'a pas été donné suite à la demande de la commune de suspendre l'instruction de la procédure.

La Cour des comptes a rendu public en août 2013 son rapport d'audit de la gestion des ressources humaines de la commune. La fin des rapports de service de de Mme A______ n'apparaît pas y être évoquée.

24) Le 17 décembre 2012, Mme A______ s'est opposée à la demande de retrait d'effet suspensif.

25) Le 20 décembre 2012, Mme A______ a persisté dans les termes de son recours.

26) Le 23 janvier 2013, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties. La commune était représentée par son secrétaire général.

Mme A______ a indiqué qu'elle ne considérait pas avoir abandonné son poste. Après avoir reçu le courrier du 28 septembre 2011, elle a vu son médecin, ce dernier n'était pas d'accord avec une reprise, estimant qu'elle n'était pas rétablie. Il allait répondre à l'assurance. Le rapport du tiers médecin allait dans le même sens puisqu'il préconisait une reprise à certaines conditions qui n'étaient pas réalisées. Lors de l'entretien du 13 octobre 2011 avec le secrétaire général dans le cadre de sa plainte pour harcèlement, la question d'un changement d'affectation n'avait pas été évoquée. Son avocat, présent, avait en revanche précisé qu'il n’était pas question qu'elle reprenne le travail sous la responsabilité hiérarchique de sa cheffe de service. La décision de classement de cette plainte, rendue le 21 octobre 2011, ne mentionnait pas d'indication de reprise de travail.

La commune a persisté dans sa décision de licenciement. Elle ne réintégrerait pas l'intéressée en cas succès de son recours et rejetait ses prétentions pécuniaires. L'unique motif de licenciement était l'abandon de poste. La commune avait appris par le courrier de Mme A______ du 23 novembre 2011 que les conditions de reprise du travail étaient contestées. Le classement le 21 octobre 2011 de la plainte pour harcèlement avait été pris dans un contexte où le retour de Mme A______ était prévu à 100%. Ce n'était que lorsque l'intéressée ne s'était pas présentée à son travail le 15 novembre 2011 que la commune avait décidé de la licencier pour abandon de poste.

27) Le 8 avril 2013, le vice-président de la chambre administrative a retiré l'effet suspensif au recours de Mme A______ (ATA/209/2013).

28) Les 23 avril et 6 septembre 2013, Mme A______ a transmis des pièces relatives à sa situation auprès de la caisse d'assurance chômage et à une candidature à un poste dans l'administration de la commune, postulation écartée par cette dernière. La commune a été informée de ces transmissions sans être invitée à se déterminer sur leur contenu.

29) Le 20 septembre 2013, le juge délégué a fixé un délai au 15 octobre 2013 à Mme A______ pour formuler toute requête complémentaire, la cause apparaissant en état d'être jugée.

30) Le 2 octobre 2013, la commune a demandé à ce que les pièces transmises par Mme A______ le 6 septembre 2013 concernant sa candidature refusée à un poste dans son administration soient écartées du dossier.

31) Le 15 octobre 2013, Mme A______ a persisté dans son recours, en reprenant son argumentation antérieurement développée.

32) Le 16 octobre 2013, ces écritures ont été transmises à la commune et les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), en tant qu'il porte tant sur la décision de licenciement du 27 septembre 2012 que sur la décision incidente de suspension du 17 novembre 2011, dès lors que la recourante n'a pas été autorisée à contester cette dernière immédiatement, faute de préjudice irréparable ou de possibilité de mettre fin à la procédure (ATA/240/2012).

2) La chambre administrative statue sur recours contre des décisions au sens de l'art. 4 LPA ou un acte attaquable au sens de l'art. 4A LPA (art. 57 LPA). Les conclusions de la recourante tendant à ordonner à la commune d'établir un certificat de travail en sa faveur selon le projet établi ne sont ainsi pas recevables, en l’absence de décision préalable de la commune.

3) Il ne sera pas donné suite à la demande de la commune d’écarter de la procédure les pièces transmises par la recourante le 6 septembre 2013. Leur contenu est en lien avec le litige et les conclusions de cette dernière puisqu'il confirme la volonté de la commune affirmée en cours d'instruction, de ne pas la réintégrer.

4) Collaboratrice de la commune depuis mars 2004 et fonctionnaire communale nommée depuis mars 2007, la recourante est soumise au statut (art. 1 et ss statut).

Selon l'art. 12 du statut, les fonctionnaires sont tenus, en toutes circonstances, d'agir conformément aux intérêts de la commune et doivent, en particulier, consacrer à leur fonction tous le temps prévu par les statuts et règlements de l'administration, remplir leurs obligations avec diligence, fidèlement et consciencieusement et se montrer dignes de la considération et de la confiance que leur situation officielle exige.

La commune peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service d'un fonctionnaire, moyennant un délai de licenciement de trois mois pour la fin d'un mois (art. 77 al. 1 statut). Est considéré comme objectivement fondé tout motif dûment constaté démontrant que la poursuite des rapports de service est rendue difficile en raison de l'insuffisance des prestations, du manquement grave ou répété aux devoirs de service ou encore de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 77 al. 2 statut). Le licenciement ne peut être prononcé qu'après une enquête administrative au cours de laquelle le fonctionnaire est entendu et à l'issue de laquelle il peut demander à prendre connaissance du dossier, a la possibilité de s'exprimer par écrit et peut demander à être entendu par la commune. Dans l'attente du résultat de l'enquête administrative, le fonctionnaire peut être suspendu provisoirement, avec maintien ou suppression des prestations à charge de la commune (art. 77 al. 3 à 5 statut). La décision de résiliation des rapports de service avec effet immédiat peut rétroagir au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (art. 77 al. 6 statut). Elle peut faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative (art. 77 al. 7 du statut). Si la chambre administrative retient que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l’autorité compétente la réintégration. En cas de décision négative de l’autorité compétente, elle fixe une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois et supérieur à vingt-quatre mois du dernier traitement brut à l’exclusion de tout autre élément de rémunération (art. 77 al. 8 statut).

5) Le seul motif de la résiliation des rapports de service est l'abandon de poste reproché à la recourante.

L’abandon d’emploi volontaire, comme la non entrée en service, est un cas de résiliation avec effet immédiat (Ullin STREIFF/Adrian VON KAENNEL, Arbeitsvertrag : Praxiskommentar, 6ème éd., 2006, ad art. 337d CO n. 2). Il présuppose un refus conscient, intentionnel et définitif du travailleur de commencer ou de poursuivre l’exécution des obligations découlant de son contrat de travail, de telle sorte que ce refus puisse être indubitablement interprété comme une résiliation (ATA/386/2011 du 21 juin 2011 ; ATA/261/1997 du 22 avril 1997 consid. 4 et références citées).

  Il appartient à l’employeur de prouver la volonté du travailleur d’abandonner définitivement son emploi, par exemple par une lettre de mise en demeure restée sans réponse. Si l’employeur a clairement mis en demeure, sans effet, le travailleur de réintégrer son poste, il revient alors à ce dernier de prouver qu’il n’a pas eu la volonté de mettre fin au contrat par son absence, cette dernière se justifiant par une maladie, une libération de la part de l’employeur ou le fait que le contrat avait déjà été résilié (Manfred REHBINDER, Arbeitsvertrag : Berner Kommentar, 2ème éd., 1992, ad art. 377d CO n. 1).

L’employé qui ne remet pas en question le maintien de ses relations de service, mais ne donne pas suite à l’injonction qui lui est faite de reprendre ses fonctions à une date donnée, n’abandonne pas son poste au sens exposé ci-dessus, mais commet une violation de ses devoirs de fonction s’il le fait de manière fautive (ATA/386/2011 déjà cité).

Le cas d'espèce ne laisse aucune place à cette hypothèse. La recourante n’a en effet jamais abandonné son poste au sens décrit ci-dessus. Elle est demeurée en arrêt de travail conformément aux indications de son médecin traitant, en désaccord avec l'appréciation du médecin conseil de l'assurance. En l'absence de toute intervention de l'employeur, seul habilité à lui enjoindre de reprendre son poste, à l'exclusion de l'assureur qui n'est pas lié par un rapport de service avec la recourante, celle-ci ne peut se voir reprocher d'avoir simplement suivi les prescriptions du praticien qui la suivait depuis plusieurs mois. Le manque de réactivité de ce dernier à réception du courrier du 28 septembre 2011 dont il était le destinataire ou l'absence de communication de copie des échanges de correspondance entre l'assurance, son médecin conseil, le médecin traitant et la commune sur ces modalités contestées de reprise ne peuvent lui être imputés à faute. La recourante n'a jamais signifié, par ses dires ou par ses actes, un refus conscient, intentionnel et définitif de poursuivre son activité. Les démarches – demande vaine de mise en place d'une médiation puis plainte pour harcèlement - qu'elle a entreprises pour tenter de trouver une issue au litige l'opposant à sa cheffe de service démontrent au contraire sa volonté de demeurer au service de son employeur. Ce dernier, alors même qu'elle n'avait pas repris le travail à 50 % après le 15 octobre 2011, n'a pas réagi. Il a même statué quelques jours après le 21 octobre 2011, sur sa plainte pour harcèlement, dans l'optique d'une reprise à 100 %. Il s'est de la sorte accommodé de l'absence de sa collaboratrice durant un mois, sans se préoccuper de savoir pour quelle raison elle n'avait pas repris son activité à la date où il s'attendait à ce qu'elle revienne et sans lui demander de reprendre son activité. Il ne pouvait ainsi prétendre qu'il y avait abandon de poste.

Il s'ensuit que la décision de licenciement est contraire au droit.

6) La commune n'entendant pas réintégrer la recourante, il y a lieu de procéder à la fixation de l’indemnité à laquelle elle a droit, à la lumière de la jurisprudence dégagée pour l’application de l’art. 31 al. 3 loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), dont la formulation est identique (ATA/196/2014 du 1er avril 2014).

7) Dans ses derniers arrêts en matière de licenciement d’agents publics cantonaux, la chambre administrative a régulièrement rappelé que l’indemnité prévue à l’art. 31 al. 3 LPAC n’avait pas pour but de réparer un éventuel tort moral ou de sanctionner un licenciement abusif mais de pallier le refus de l’employeur de réintégrer une personne licenciée à tort. Il n’y avait dès lors pas lieu d’entrer en matière sur le paiement d’une telle indemnité que si la réintégration du collaborateur licencié pouvait encore intervenir.

C’est ainsi que la chambre de céans n’est entrée en matière sur l’indemnisation d’une fonctionnaire licenciée en violation de son droit d’être entendu qu’en rapport avec les deux mois durant lesquels celle-ci n’avait pas retrouvé de travail (ATA/525/2011 du 30 août 2011) et qu’elle a appliqué le même principe dans des arrêts ultérieurs relatifs à la fixation d’une indemnité consécutive à un licenciement contraire au droit (ATA/161/2013 du 20 mars 2013 ; ATA/787/2012 du 20 novembre 2012) et qu’elle a refusé toute indemnité dans deux autres arrêts portant sur un licenciement pour suppression de poste parce que les recourants avaient retrouvé immédiatement du travail (ATA/336/2012 et ATA/335/2012 du 5 juin 2012). L’ATA/525/2011 précité est en fait consécutif à un arrêt de la chambre de céans portant sur le licenciement d’un fonctionnaire communal dans lequel les mêmes principes ont été appliqués après constat que le statut du personnel communal ne prévoyait le versement d’une indemnité que pour « pallier la possibilité de réintégrer la personne licenciée à tort » (ATA/413/2011 du 28 juin 2011).

8) Le principe de l’indemnisation de l’agent public licencié à tort en cas de refus par la collectivité publique de le réintégrer n’est pas nouveau. Il était déjà énoncé à l’art. 30 de la loi relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 15 octobre 1987 (ci-après : l’ancienne loi) remplacée depuis le 1er mars 1998 par la LPAC, le texte de l’ancienne disposition légale précitée ne différant pas dans son principe de celui de l’art. 31 al. 3 LPAC.

Dans les arrêts rendus depuis l’entrée en vigueur de la LPAC par la juridiction de céans jusqu’à l’ATA/525/2011, les restrictions jurisprudentielles actuelles à l’indemnisation d’un agent public n’apparaissent pas, ou ne sont pas prises en considération (ATA/78/2011 du 8 février 2011 ; ATA/793/2010 du 16 novembre 2010 ; ATA/569/2008 du 4 novembre 2008 ; ATA/676/2001 du 30 octobre 2001 ; ATA/256/2000 du 18 avril 2000). De même ne sont-elles pas prises en compte dans un arrêt postérieur (ATA/604/2012 du 11 septembre 2012).

9) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 138 II 557 consid. 7.1 p. 565-566; 138 V 445 consid. 5.1 p. 451; 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 130 V 479 consid. 5.2 p. 484 ; 130 V 472 consid. 6.5.1 p. 475).

Dans le cas de l’art. 31 al. 3 LPAC ou de la disposition antérieure, les travaux préparatoires n’apportent pas d’information permettant de mieux appréhender le but poursuivi par cette indemnité. En revanche, il ressort clairement des débats parlementaires la volonté de prévoir des procédures de résiliation des rapports de service qui protègent les agents publics contre l’arbitraire, en échange d’un certain assouplissement du droit du licenciement (MGC 1997 IX 9641).

10) Par ailleurs, une application trop stricte de la jurisprudence récemment développée par la chambre de céans au sujet du lien entre droit à une indemnité et absence d’emploi reviendrait à écarter l'aspect sanctionnateur, rappelé par le Tribunal fédéral dans un arrêt concernant le canton de Genève du 28 novembre 2006 dans la cause 2P.181/2006, de ce moyen d'obtenir réparation du caractère infondé d’un licenciement. Une telle restriction dans l’application du droit à l’indemnité pourrait par trop conduire l’employeur étatique à ne pas respecter ses obligations légales lorsqu’il entend licencier un fonctionnaire dès lors que le risque d’avoir à payer des indemnités n’existe plus si son collaborateur a retrouvé du travail ou n’est plus « réintégrable » pour un autre motif. Elle peut même être susceptible de diminuer la volonté de la personne licenciée de retrouver un emploi le plus rapidement possible, même moins bien rémunéré, puisque cela aurait un effet négatif sur l'indemnisation en cas de succès du recours, voire sur la recevabilité même de son recours.

C'est le lieu de relever également que la jurisprudence de la chambre de céans selon laquelle l'absence d'interruption entre la fin des rapports de service résiliés et un nouvel emploi entraînait la perte de l'intérêt au recours et, partant, son irrecevabilité, ne peut plus être appliquée sans nuance, au vu de l'évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral qui a, par exemple, admis, dans une espèce genevoise, qu'un fonctionnaire révoqué conservait un intérêt au contrôle de la légalité de la sanction qui lui avait été infligée indépendamment du fait qu'il ait retrouvé ou non un emploi en cours de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 8C_897/2012 du 2 avril 2013).

11) Ainsi, dans la fixation de l'indemnité, il y a lieu désormais de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, et de les apprécier sans donner une portée automatiquement prépondérante à certains aspects, comme le fait d'avoir ou non retrouvé un emploi en cours de procédure.

12) Dans le cas particulier, au vu de l'ensemble des circonstances, notamment de la durée des rapports de service, du parcours professionnel de l'intéressée, du contexte de tensions avec sa cheffe de service – sans qu'il y ait lieu d'établir et de répartir les responsabilités à cet égard – ayant conduit à son incapacité totale de travailler, du fait que la commune n'a pas entendu réintégrer la recourante alors que cette dernière était disponible, l'indemnité sera fixée à douze mois du dernier traitement brut, à l'exclusion de tout autre élément de rémunération, perçu par la recourante.

13) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement, dans la mesure où il est recevable. La décision querellée sera déclarée contraire au droit.

L'indemnité pour refus de réintégration sera fixée à douze mois du dernier traitement brut de Mme A______, à l'exclusion de toute autre rémunération.

Vu l'issue du litige sur la décision de licenciement, le recours contre la décision incidente de suspension du 17 novembre 2011 n'a plus d'objet et sera en conséquence déclaré irrecevable.

Aucun émolument ne sera mis à la charge de la commune, ni de la recourante, qui obtient l'essentiel de ses conclusions (art. 87 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 3'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de la commune.

Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, qui succombe et ne peut du reste, en tant que collectivité publique de plus de 10'000 habitants et conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans, s'en voir allouer (ATA/511/2013 du 27 août 2013 consid. 13 et les arrêts cités).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 29 octobre 2012 par Madame A______ contre la décision de la commune de Chêne-bougeries du 17 novembre 2011 ;

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 29 octobre 2012 par Madame A______ contre la décision de la commune de Chêne-bougeries du 27 septembre 2012 ;

dit que la résiliation des rapports de service de Madame A______ est contraire au droit ;

constate que la commune a refusé la réintégration de Madame A______ ;

fixe l'indemnité pour refus de réintégration à douze mois du dernier traitement brut de Madame A______, à l'exclusion de toute autre rémunération ;

condamne en tant que de besoin la commune de Chêne-Bougeries payer à Madame A______ l'indemnité correspondant à douze mois de son dernier traitement brut ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 3'000.-, à la charge de la commune de Chêne-Bougeries ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure à la commune de Chêne-Bougeries ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marcel Bersier, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Thomas Barth, avocat de commune de chêne-bougeries.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :