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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10480/2023

ACPR/480/2024 du 27.06.2024 sur ONMMP/1838/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON;REDDITION DE COMPTES;PÉREMPTION;PERSONNE PROCHE;E-MAIL;DÉLAI ABSOLU;PRESCRIPTION;SUBSIDIARITÉ
Normes : CPP.310; CP.31; CP.97; CP.110

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10480/2023 ACPR/480/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 27 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Benjamin GRUMBACH, avocat, Étude GRUMBACH Sàrl, rue Saint-Léger 6, case postale 181, 1211 Genève 4,

recourante

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 26 avril 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 8 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 26 avril 2024, notifiée le 29 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 15 mai 2023 contre B______.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Elle a versé les sûretés, en CHF 2'000.-, qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 14 mai 2018, A______ a confié une procuration générale à B______, son mari, dont elle est séparée de biens, aux fins de « régir, gérer et administrer, de la façon la plus large et discrétionnairement, tant activement que passivement, tous ses biens et affaires quelconques présents et à venir ».

B______ était ainsi autorisé à se livrer toute opération en vue d’acquérir ou vendre des immeubles (page 1), contracter tout emprunt, recueillir toute succession ou tout legs, liquider, aliéner ou partager toute succession, se livrer à la gestion de fortune en signant à cet effet tout mandat et tout document d’ouverture de compte, retirer toute valeur patrimoniale des mains de tout banquier (page 2).

b.        Le 3 mars 2022, A______ a révoqué cette procuration (pièce n° 70 annexée à la plainte). Dans la plainte, elle explique ne pas en avoir avisé B______, par crainte de sa réaction.

c.         Le 14 février 2023, sous la plume d’un avocat (pièce n° 71 annexée à la plainte), A______ a « réitéré » à l’attention du défenseur de son mari la « résiliation orale » qui était intervenue un an plus tôt et a demandé une « réédition » (recte : reddition) de comptes.

d.        Le 23 février 2023, sous la plume du même avocat (pièce n° 72), A______ a exigé toute documentation utile d’une banque où elle détenait des avoirs à son nom.

e.         Le 15 mai 2023, elle a déposé plainte pénale, avec cent-vingt-deux annexes, contre B______ pour abus de confiance, accès indu à un système informatique, menaces et faux dans les titres (voire escroqueries au préjudice de banques, à raison de l’utilisation de ceux-ci).

En bref, en 2018, elle avait signé la procuration en faveur de B______ à l’initiative de celui-ci, parce qu’elle était alors à bout de forces en raison d’un certain nombre de difficultés personnelles (maladie de son père, charge de cinq enfants dont un nouveau-né, décès dans sa parenté collatérale, successions complexes et litigieuses). Par la suite, B______ ne l’avait pas tenue informée de sa gestion, notamment en ordonnant des virements dont les trois quarts lui avaient été celés, et avait même détourné de l’argent à son profit (« l’équivalent de plusieurs millions de francs suisses »), le cas échéant en se faisant passer pour elle en utilisant ses adresses de messagerie électronique (à elle). Elle n’avait découvert ces faits que depuis le début de l’année 2023, mais, dès l’année précédente, elle s’était mise à douter des explications qu’il lui donnait, raison pour laquelle elle avait révoqué la procuration, ce dont il n’avait été informé qu’en date du 14 février 2023.

En outre, B______ l’avait menacée le 22 février 2023 (« Je vais te désosser »).

f.          Depuis le courant 2023, les époux plaident, à Genève, en mesures protectrices de l’union conjugale, à la requête de B______ (qui réclame notamment une pension alimentaire), et, simultanément, en reddition de comptes, à la demande de A______. En audience de comparution personnelle, le 21 juin 2023, B______ a déclaré que cette dernière avait supprimé « les » procurations auprès de deux banques, en juin 2022, laissant subsister les autres jusqu’en février 2023.

g.        Le 13 octobre 2023, A______, sur la foi de documents issus de la même banque qu’elle a interpelée le 23 février 2023, a pointé deux versements en faveur de B______, en 2016 et en 2017, ainsi qu’un message signé de ses nom et prénom (à elle), en 2017, demandant un paiement en faveur des Douanes suisses et transmis depuis une adresse électronique de son mari. Elle mettait aussi en évidence l’accroissement, par des bonifications depuis son compte personnel, de la fortune imposable de B______ pendant l’année 2019.

h.        Entendu par la police le 7 février 2024, B______ a contesté toutes les accusations portées contre lui. La procuration du 14 mai 2018 lui avait été conférée pour qu’il puisse représenter A______ dans le cadre des successions de son père et de son oncle. Les liquidités bancaires de A______ avaient servi à l’acquisition de plusieurs biens immobiliers en 2018 et 2022, ainsi qu’à financer les dépenses personnelles de cette dernière.

Il a produit une copie de son mémoire de réponse à la demande en reddition de comptes, du 29 septembre 2023, à laquelle il déclarait se soumettre sans objection (ch. 219).

i.          Le même jour, A______ a fait parvenir au Ministère public des pièces, supplémentaires, remontant à 2006, 2012, 2013, 2015 et 2022 ; elle les aurait découvertes dans le cours du procès civil. Sur ce fondement, elle demandait des mesures conservatoires et une demande d’entraide aux États-Unis, ainsi que l’expertise informatique des connexions sur une de ses adresses électroniques aux dates de certaines opérations qu’elle impute à B______.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public estime que l’accusation d’abus de confiance entre conjoints était soulevée au-delà du délai de plainte applicable entre proches ; que l’accusation de gestion déloyale relevait d’un litige à caractère civil ; que les accusations de menaces – « proférées de part et d’autre » – et « d’utilisation d’un appareil d’écoute » n’étaient pas objectivées.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d’avoir refusé d’entrer en matière sur l’intégralité des « plus de deux cents » actes délictueux décrits dans sa plainte, et ce, pour des motifs incompréhensibles et erronés, voire insoutenables.

La décision attaquée ne mentionnait pas ses réquisitions de preuve et ne se prononçait pas sur toutes les infractions alléguées. Elle se fondait sur un raisonnement « abusif » au sujet du délai de plainte, dès lors que la connaissance des faits le déclenchant ne remontait pas au-delà du 23 février 2023, mais commençait en réalité ce jour-là, à partir duquel son avocat s’était adressé aux banques pour vérifier le bien-fondé de ses doutes et avait commencé à obtenir leurs réponses.

Par ses centaines de transactions frauduleuses, B______ accumulait désormais une fortune de plus d’un million de francs, la laissant endettée. Il avait menti par-devant le Tribunal de première instance. La procuration de 2018 faisait de lui un gérant. La référence au principe de subsidiarité du droit pénal ne correspondait pas à la jurisprudence, et, contrairement à ce qu’affirmait l’ordonnance querellée, la procédure parallèle en mesures protectrices de l’union conjugale ne visait pas à trancher « un litige d’ordre contractuel ».

Les menaces du 23 février 2023 n’avaient pas été lancées « entre quatre yeux ».

Le Ministère public ne pouvait pas se fonder uniquement sur les dénégations de B______, à qui elle aurait dû être confrontée.

Pour le surplus, A______ ne critique pas la décision du Ministère public sur l’« utilisation d’un appareil d’écoute », qu’elle estime traitée sous l’angle de l’art. 143bis CP (mémoire p. 21). Elle ne demande pas l’ouverture d’une instruction du chef de violation de cette disposition légale, ni d’aucune infraction du titre 3 de la partie spéciale du CP (cf. mémoire pp. 15 et 22).

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP). À cet égard, la recourante ne réitère pas dans son recours – à juste titre – son soupçon que des banques auraient été escroquées par son mari, puisqu’elle n’aurait pas eu qualité pour ce faire.

2.             À titre liminaire, il faut concéder à la recourante qu’en dépit d’un intitulé de chapitre visant expressément l’accès indu à un système informatique, le faux dans les titres et les menaces, la décision du Ministère public n’a, en réalité, traité que la dernière de ces infractions.

Peu importe, cependant : pour les raisons développées plus bas, l’absence de toute motivation sur les infractions d’accès indu à un système informatique et de faux dans les titres n’implique exceptionnellement pas – alors qu’elle l’aurait dû (parmi d’autres : ACPR/349/2024) – l’annulation, d’office et d’emblée, de la décision attaquée et le renvoi de la cause au Ministère public.

3.             Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Le ministère public ne peut pas rendre une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 CPP) après avoir ouvert une instruction. Une telle ordonnance doit ainsi être rendue à réception de la plainte et ceci avant qu'il ne soit procédé à de plus amples actes d'enquête et qu'une instruction soit ouverte, sous réserve de quelques opérations simples de la part du ministère public au préalable (L. MOREILLON / A. PAREIN‑REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, n. 4 ad art. 310; arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2.). Ainsi, le ministère public peut demander des compléments d'enquête à la police, non seulement lorsqu'il s'agit de compléter un précédent rapport au sens de l'art. 307 CPP, mais aussi lorsque la dénonciation elle-même apparaît insuffisante (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2012 du 13 mai 2013 consid. 3.2). Lorsqu'il agit ainsi, le ministère public n'ouvre pas d'instruction, et l'enquête se poursuit ou est entamée dans le cadre de l'investigation policière (art. 306 CPP ; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 22 ad art. 309).

Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2).

Le ministère public rend également une ordonnance de non-entrée en matière en cas d'empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple lorsque le délai pour déposer plainte prévu par l'art. 31 CP n'a pas été respecté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_848/2018 du 4 décembre 2018 consid. 1.5).

4.             Sur ce dernier point, la recourante se plaignant d’avoir été menacée le 22 février 2023, il y a lieu d’examiner ce grief, puisque les faits remonteraient à moins de trois mois avant le dépôt de plainte (cf. art. 31 CP), et ce, quand bien même elle ne requiert pas l’ouverture d’une instruction pour violation de l’art. 180 CP (cf. mémoire pp. 15 et 22).

La recourante fait valoir que les menaces de ce jour-là n’avaient pas été formulées entre quatre yeux, « alors que » le Ministère public détenait un témoignage écrit montrant que son conjoint était coutumier de ce genre de propos et que, « dès lors », il pourrait exister d’autres preuves objectives, telles qu’un faisceau d’indices.

Elle ne peut être suivie.

En premier lieu, comme toute menace antérieure au 15 février 2023 ne pourrait plus être poursuivie (art. 31 CP), la possibilité que de pareils propos eussent été tenus dans le passé n’est d’aucun secours probatoire à la recourante. On ne se trouve pas dans le contexte d’un harcèlement injurieux et haineux répété, à la différence de la jurisprudence à laquelle elle se réfère (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1428/2016 du 3 octobre 2017 consid. 2.2.2.).

Certes, la recourante semble se référer à une déclaration de sa fille (annexe n° 11 à la plainte pénale). Mais, dans les événements du 23 février 2023, elle ne s’est prévalue d’aucun témoignage de quiconque (plainte p. 32). Par ailleurs, la déclaration susmentionnée, qui n’est pas datée, porte sur les relations d’une enfant avec son beau-père ; on n’y trouve pas la phrase incriminée (« Je vais te désosser »).

Quoi qu’il en soit, on ne saurait considérer que cette phrase, prononcée entre quatre yeux, ait été concrètement de nature à alarmer ou effrayer la recourante. Dans la mesure où celle-ci affirme que son mari était coutumier de propos analogues, mais qu’elle n’a jamais jugé utile de déposer plainte après qu’ils eurent été tenus, on ne voit pas – et elle n’explique pas non plus – pourquoi la phrase du 23 février 2023 revêtirait un caractère plus alarmant ou plus effrayant que ces devancières (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2 ; 6B_820/2011 du 5 mars 2012 consid. 3).

Or, le contexte dans lequel des propos sont émis est un élément permettant d'en apprécier le caractère menaçant ou non (arrêts du Tribunal fédéral 6B_593/2016 du 27 avril 2017 consid. 3.1.3 et 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 5.2). 

À cet égard, la recourante a précisé dans sa plainte (p. 32) que la phrase incriminée exprimait la réaction de son mari après qu’elle l’eut « confronté » à ses « découvertes ». On ajoutera que celui-ci venait aussi d’apprendre qu’elle avait révoqué la procuration générale en sa faveur. Dans ces circonstances, il est plus que vraisemblable que les termes relatés par la recourante aient été une réaction excédée à ces événements, plutôt que la prédiction d’un sort auquel elle devait s’attendre de façon crédible et qui eût directement ou indirectement dépendu du mis en cause (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1428/2016 du 3 octobre 2017 consid. 2.1 et les références).

Le grief est rejeté.

5.             La recourante estime, d’une part, que le délai de plainte applicable aux infractions patrimoniales entre proches n’avait pas commencé à courir avant le 23 février 2023, non plus que pour se plaindre d’infractions à l’art. 143bis CP, et, d’autre part, qu’elle avait fourni suffisamment d’indices de leur commission, ainsi que de faux dans les titres, pour que le Ministère public ne puisse pas refuser d’entrer en matière.

5.1.       Il est constant que les deux infractions patrimoniales visées se poursuivent uniquement sur plainte lorsqu'elles ont été commises au préjudice de proches (art. 138 al. 3 et 158 ch. 3 CP) et que l’auteur concrètement soupçonné est un proche de la recourante (art. 110 al. 1 CP), dont il n’est pas divorcé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_525/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.4). Par ailleurs, l'art. 143bis al. 1 CP institue également une infraction nécessitant une plainte préalable du lésé, mais sans égard à une qualité personnelle de l’auteur.

5.2.       Selon l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai pour porter plainte ne commence à courir que lorsque le lésé a connu l'infraction – soit les éléments de fait qui la constituent (ATF 126 IV 131 consid. 4.3) – et l'auteur de celle-ci (ATF 130 IV 97 consid. 2). La connaissance par l'ayant droit doit être sûre et certaine, de sorte qu'il puisse considérer qu'une procédure dirigée contre l'auteur aura de bonnes chances de succès (ATF 142 IV 129 consid. 4.3 ; 126 IV 131 consid. 2a ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_42/2021 du 8 juillet 2021 consid. 4.2.1 et 6B_1079/2020 du 4 février 2021 consid. 2.4.2). Le délai ne court pas aussi longtemps que la commission d'une infraction demeure incertaine en raison de la situation factuelle (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1356/2021 du 9 juin 2023 consid. 2.1.3.). En cas de doute, il convient d'admettre que le délai de plainte a été respecté lorsqu'aucun indice sérieux n'indique que le plaignant aurait pu avoir connaissance plus tôt de l'acte ou de l'auteur (ATF 97 I 769 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1356/2021, loc. cit.). Un justiciable ne peut pas se prévaloir d'un dies a quo correspondant au moment où son conseil a eu connaissance des faits constitutifs de l'infraction et de leur auteur (cf. ATF 130 IV 97 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1255/2019 du 23 décembre 2019 consid. 2.4).

5.3.       À cette aune, n’est pas pertinent l’argument de la recourante, suivant lequel le délai de plainte n’aurait commencé à courir qu’à partir du 23 février 2023, lorsque son avocat s’était adressé « aux divers établissements bancaires » – en réalité, à un seul (pièce n° 72 annexée à la plainte ; let. B.d. supra) –. La question n’est pas de savoir si la recourante avait besoin de pièces confirmatoires de ses soupçons, mais si ceux-ci étaient déjà existants et suffisants plus de trois mois auparavant.

En premier lieu, la recourante n’a jamais prétendu avoir eu d’autre motif que ces soupçons pour mettre fin – le 4 mars 2022 déjà – aux pouvoirs conférés à son mari depuis 2018. En d’autres termes, on ne peut croire qu’elle aurait pris une décision aussi radicale en 2022 sans avoir disposé, déjà à l’époque, de suffisamment d’indices probants que sa situation patrimoniale sous l’égide de son mari s’était frauduleusement dégradée, mais qu’elle aurait attendu encore une année pour agir, qui plus est en reddition de comptes seulement après que son mari lui eut demandé en justice une contribution alimentaire, prenant le risque de laisser se perpétuer, voire s’aggraver, l’évolution prétendument défavorable de son patrimoine.

Au demeurant, la recourante ne s’en explique pas, et il ne ressort d’aucune des cent-vingt-deux pièces annexées à sa plainte que des documents déterminants à l’appui de deux cents actes délictueux allégués lui auraient été connus seulement après la révocation.

Le contenu de la lettre d’avocat du 14 février 2023 le corrobore (let. B.c. supra). On n’y lit aucune assertion sur des faits que la recourante aurait découverts dans cet intervalle. Ce pli ne fait, en réalité, que confirmer la résiliation de 2022 (et, apparemment, la porter pour la première fois à la connaissance du mis en cause). Qui pis est, la recourante a déposé plainte sans attendre la réponse de la banque à sa lettre du 23 février 2023 (let. B.d. supra), alors qu’elle invoque la nécessité de recueillir suffisamment de preuves avant d’agir au pénal.

Quelle que soit la forme sous laquelle elle a été exprimée à l’époque – par écrit, le 4 mars 2022, ou par oral, à la même époque, voire sous ces deux formes, cumulatives ou successives –, la décision de révocation montre, au contraire, que la recourante disposait en 2022 d’assez d’informations pour saisir l’autorité pénale plus tôt qu’elle ne le fit, le 15 mai 2023. Il n’était pas nécessaire qu’elle disposât, en sus, de moyens de preuve (L. MOREILLON / N. QUELOZ / A. MACALUSO / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2e éd., Bâle 2020, n. 8 ad art. 31 et les nombreuses références citées). C’est la tâche de l’autorité de poursuite pénale et d’instruction de collecter les preuves.

En conclusion, le délai pour déposer plainte à raison des art. 138, 143bis et 158 CP était périmé à la date à laquelle la recourante a agi.

6.             Reste à examiner si la recourante a rendu vraisemblable la commission de faux dans les titres, puisque cette infraction se poursuit d’office.

6.1.       L'art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, d'une part, la confiance particulière placée dans un titre ayant valeur probante dans les rapports juridiques et, d'autre part, la loyauté dans les relations commerciales (ATF 142 IV 119 consid. 2.2). Toutefois, le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels. En particulier, une personne peut être considérée comme lésée par un faux dans les titres lorsque le faux vise précisément à lui nuire
(ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3 ; 119 Ia 342 consid. 2b). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine; la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint a alors la qualité de lésé (ATF 119 Ia 342 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_446/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.3). Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait ; l’enregistrement sur des supports de données et sur des supports-images est assimilé à un écrit s’il a la même destination (art. 110 al. 4 CP). Un courriel falsifié et transmis à des tiers est un titre relevant du faux matériel (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 27 ad art. 110).

6.2.       En l’espèce, il faut relever, à titre liminaire, que le simple rejet par la recourante, en bloc et forfaitairement, des opérations et transactions entreprises par son mari sur son patrimoine n’est pas, déjà, l’indice que celles-ci reposaient sur des faux. Ces opérations et transactions peuvent à tout le moins être justifiées par la procuration générale de 2018.

Certes, la recourante a étendu ses accusations par la production, au mois d’octobre 2023, de pièces bancaires portant sur des instructions qu’aurait passées le mis en cause avant même qu’elle ne l’eût mis au bénéfice de cette procuration, puis par la production, au mois de février 2024, de pièces issues du procès civil en cours.

Cependant, les pièces produites en octobre 2023 (let. B.g. supra) n’ont aucune valeur de titre. Les unes sont constituées de fiches d’entretiens téléphoniques unilatéralement rédigées par la banque interpellée ; il ne s’agit pas de documents émanant du mis en cause. Quant au courriel expédié en mars 2017, la recourante n’a pas expliqué en quoi l’utilisation, non dissimulée, par le mis en cause de son adresse électronique (à elle), mais avec en toutes lettres ses nom et prénom (à lui), était apte à tromper la banque (art. 251 ch. 1 al. 3 CP).

Pour leur part, les pièces produites en février 2024 (let. B.h. supra) qui portent pour signataire le nom imprimé du mis en cause datent de 2006, soit au-delà du délai de prescription applicable au faux dans les titres (art. 97 al. 1 let. b CP), de sorte qu’il est vain de s’interroger sur leurs contenus. Les autres documents, postérieurs, n’ont pas valeur de titre, au sens de l’art. 110 al. 4 CP – ce que la recourante ne prétend d’ailleurs pas – ; ils comportent la réclamation par une banque d’une signature personnelle de la recourante ou sont destinés à payer des frais d’écolage des enfants. Ainsi, dans aucun, on ne discerne de falsification ou de dessein d’avantage illicite de la part du mis en cause.

Rien ne montre, enfin, que les adresses électroniques personnelles de la recourante étaient des adresses électroniques certifiées, dont l’utilisation par le mis en cause dans les relations avec les banques aurait eu pour but de leurrer les destinataires sur leur auteur réel.

Quant aux instructions transmises aux banques par d’autres canaux qu’une messagerie électronique, on ne voit pas, à vrai dire, quelle était leur utilité. Comme on l’a vu, le mis en cause disposait de toute façon – pour la période relative aux opérations dont les détails sont annexés à la plainte – de la procuration générale de 2018. Il pouvait donc sans autre agir sur ce fondement. En d’autres termes, la contre-signature ou l’aval de la recourante – qui ne prétend pas que sa signature autographe ait jamais été imitée ou contrefaite – était superflu(e). À supposer que les banques, ou le mis en cause – voire la recourante elle-même –, aient tenu, çà et là, comme on l’a vu aussi, à l’apposition de la signature autographe de la recourante, il n’en résulterait aucun faux non plus, mais la preuve que, dans ces cas, la recourante n’ignorait rien des opérations ou transactions qu’on lui demandait d’approuver ou ratifier – et que celles-ci n’auraient pas pu être exécutées si elle n’y avait pas consenti –.

Par parenthèse, ce constat – soit celui d’actes couverts par la procuration conférée ou par l’acceptation expresse de la recourante – suffirait aussi à écarter l’abus de confiance et la gestion déloyale, s’il fallait considérer, à l’inverse du considérant précédent, que le délai de l’art. 31 CP n’était pas échu à la date du dépôt de plainte.

Pour le surplus, on ne voit pas quelle investigation serait susceptible d’infirmer ce qui précède. De façon significative, la demande d’expertise formulée par la recourante (let. B.i. supra) porte sur des connexions électroniques, mais non sur l’authenticité des documents portant sa signature autographe.

7.             Indépendamment des considérations qui précèdent, l’ensemble des griefs soulevés par la recourante semble se confondre avec l’action en reddition de comptes qu’elle a intentée contre le mis en cause. Cette action s’inscrit typiquement parmi les effets d’une fin de mandat par suite de la révocation de la procuration du 14 mai 2018 (cf. art. 400 al. 1 CO). Or, une non-entrée en matière s’impose lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285 consid. 2.3).

De surcroît, dans la mesure où la procédure pourrait être reprise en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux (art. 323 al. 1 CPP, applicable par renvoi de l'art. 310 al. 2 CPP), l’évolution de l’instance en reddition de comptes – à laquelle le mis en cause ne s’oppose pas – protège en l’état suffisamment les droits patrimoniaux de la recourante.

C’est d’autant plus vrai que le Tribunal fédéral n’a, encore récemment, pas rejeté l’application du principe de subsidiarité du droit pénal lorsque des relations contractuelles avaient pré-existé entre les parties (arrêt 6B_20-21/2020 du 31 août 2020 consid. 2.4.), comme ce fut le cas en l’espèce sous le régime de la procuration du 14 mai 2018.

Dans un tel contexte, une confrontation des parties au pénal (comme évoquée dans le recours) n’amènerait rien de plus que la confirmation de positions qu’elles ont déjà prises au civil.

6.             Le recours doit par conséquent être rejeté, et la Chambre de céans pouvait décider d'emblée de le traiter sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

7.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10480/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00