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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19808/2019

ACPR/375/2023 du 24.05.2023 sur OCL/132/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;RESPONSABILITÉ(DROIT PÉNAL);AFFECTION PSYCHIQUE;DÉFENSE OBLIGATOIRE;PARTICIPATION À LA PROCÉDURE;APTITUDE
Normes : CPP.114; CPP.130; CPP.319; CP.19

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19808/2019 ACPR/375/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 24 mai 2023

 

Entre

A______, ayant son siège sis ______ [GE],

B______, domiciliée ______, France,

comparant toutes deux par Me C______, avocate,

recourantes

contre l'ordonnance de classement rendue le 1er février 2023 par le Ministère public,

et

D______, p. a. Service de protection de l'adulte, boulevard Georges-Favon 28, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 13 février 2023, l'association A______ et sa directrice, B______, recourent contre l'ordonnance du 1er février 2023, notifiée le 3 suivant, par laquelle le Ministère public a classé la procédure ouverte contre D______ (chiffre 1 du dispositif), laissé les frais de la procédure à la charge de l'État (ch. 2), donné acte à D______ de ce qu'elle renonçait à toute indemnité (ch. 3) et rejeté leur demande d'indemnité (ch. 4).

Les recourantes concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public « pour qu’il procède dans le sens des considérants ».

b. Les recourantes ont versé les sûretés en CHF 1'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Depuis le mois de mai 2019, D______, née en 1952, a publié sur le réseau social Faceboook d’innombrables textes consacrés à l’association A______ (ci-après, l'association) et à B______ et leur a envoyé une multitude de messages électroniques.

b.        Les 10 et 25 septembre 2019, l’association, se déclarant victime par-là d’un harcèlement attentatoire à son honneur et à celui de son comité, a déposé plainte contre D______, qui se serait fait passer pour une journaliste et qui semblait présenter des troubles psychiques et égotiques obsessionnels, « nuisibles à l’association ».

c.         D______ n’a pu être auditionnée par la police que le 9 janvier 2020, après une hospitalisation à la clinique E______ (selon elle, six semaines à dater de la fin octobre 2019, dans un isolement qui ne l’avait pas importunée, puisque « moines et ermites » se ressourçaient de cette façon).

Elle a contesté s’être fait passer pour une journaliste ou avoir agi en tant que journaliste « camouflée ». Elle avait proposé à l’association d’écrire un article sur Facebook. Elle avait publié sur ce réseau social, sans mauvaise intention, ce qui était accessible au Registre du commerce ou dans la presse, ainsi que des « preuves ». Selon elle, l’association manquait de transparence, pour avoir créé la confusion entre une fondation, une association et une organisation non gouvernementale (ONG) et pour ne pas disposer d’un organe de révision ; l’association devait y mettre bon ordre. Telle était la raison de ses nombreux courriels. Elle avait été surprise que l'association demande de l'argent plutôt que des logements, d'autant plus qu'elle-même lui en avait proposé. Elle disposait d'un réseau qui archivait tout, mais ne pouvait pas en dire plus.

d.        Lors de l'audience contradictoire du 9 juillet 2020 par-devant le Ministère public, D______ a été prévenue d’emblée de diffamation.

Puis B______ a expliqué que D______ l’avait contactée en se prétendant journaliste, peu avant une émission de télévision consacrée à l’association, en juin 2019, et que, après la diffusion dudit programme, elle s’était répandue en propos erronés et diffamatoires sur les réseaux sociaux.

À la demande de la Procureure, B______ a mis en évidence quels messages (ou passages de messages) publiés par D______ jusqu’en septembre-octobre 2019 seraient diffamatoires. Elle a ajouté qu’il arrivait en outre à D______ d'envoyer jusqu'à vingt courriels par jour à l’association et de contacter les autorités politiques au nom de celle-ci. Le comportement de la prévenue, qui souffrait de troubles psychologiques, avait eu un impact direct sur la confiance des donateurs. Ses messages avaient pris fin au dépôt de la plainte pénale.

D______ a contesté les faits reprochés. Elle avait pris contact avec B______ et lui avait proposé d'écrire un article pour faire de la publicité. Elle en était venue à s’interroger sur l'association, sur une fondation portant le même nom et sur le mélange des deux désignations sur le site internet de A______. Elle avait constaté que les dons devaient être faits sur un compte au nom de l’ONG A______ et que l'association n'était pas enregistrée au Registre du commerce. Considérant que ce manque de transparence représentait un problème pour les donateurs, elle avait suggéré à B______ de clarifier la situation ; son but n'était pas de lui nuire.

Elle avait aussi constaté que la fondation n'avait pas d'organe de révision. B______ lui avait assuré que tout serait en règle avec la loi, mais, après dix jours, elle avait constaté que rien n'avait été fait auprès du Registre du commerce. Elle avait donc décidé de publier ces informations, considérant avoir une responsabilité morale et éthique vis-à-vis du public.

S’il lui était arrivé de contacter des membres d’autorités politiques, elle ne l’avait jamais fait au nom de l’association.

e.         Le 6 octobre 2020, l’association a produit des pièces visant à compléter ses plaintes et ses explications en audience, se limitant toutefois aux faits postérieurs au 25 septembre 2019, dès lors que les faits antérieurs seraient « prescrits ». Elle affirme que, pris dans leur globalité, les termes utilisés pour la dépeindre étaient propres à atteindre son honneur, par la calomnie, « voire la diffamation ».

f.         Le 9 octobre 2020, l'association et B______ ont déposé une nouvelle plainte contre D______, pour les infractions susmentionnées, subsidiairement pour injures, et pour menaces.

Elles exposent que, après l'audience du 9 juillet 2020, D______, usant de deux identités (« profils »), avait publié sur Facebook un grand nombre de textes attentatoires à leur honneur, alors qu’elle connaissait la fausseté de ses accusations ; elle avait agi dans le dessein de leur nuire.

D______ avait également proféré des menaces par écrit envers B______.

À l'appui, les plaignantes ont produit des captures d'écran de près de 200 publications, partages et commentaires sur Facebook, entre les 9 juillet et 12 août 2020.

g.        Lors de l'audience du 22 janvier 2021, B______ a confirmé la plainte du 9 octobre 2020. Elle a relevé que, depuis lors, D______ continuait de publier des messages sur les réseaux sociaux.

D______ a reconnu être l'utilisatrice d’un profil sous pseudonyme, ce qui n'était toutefois plus le cas depuis plusieurs mois. Elle a reconnu être l'auteure de certains messages, mais contesté l'être pour d'autres, expliquant ceux-ci par une « usurpation provisoire » de ses comptes Facebook. Elle ne pouvait pas dire à qui elle faisait référence dans ses publications parlant de « ______ [prénom] », dès lors qu'elle connaissait plusieurs personnes de ce prénom.

Depuis la dernière audience, elle avait « délégué le problème » à la Cour des comptes et ne souhaitait plus s’en occuper.

h.        Par pli reçu au Ministère public le 26 janvier 2021, D______ a affirmé qu'après vérification, ses publications ne concernaient pas B______, mais « un certain ______ [prénom] qu'elle connai[ssai]t bien », et notamment [les personnalités publiques] F______ et G______.

i.          Au mois de septembre 2022, le Service de protection de l'adulte (ci-après, SPAd) a transmis au Ministère public, en réponse à une demande de renseignements de celui-ci du 30 novembre 2021 relative à l’existence d’une curatelle de représentation et de gestion en faveur de D______ :

·         une ordonnance du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE) du 13 juillet 2022, dont il ressort que : D______ présentait « une psychose non organique, correspondant à un trouble psychique au sens de la loi », était placée à des fins d'assistance, sur décision médicale prise pour une durée indéterminée le 6 juillet 2021, et se trouvait hospitalisée à la clinique E______ depuis le 1er avril 2022, après une phase de placement dans un EMS – transfert que le TPAE a ratifié – ;

·         un certificat médical du 29 juillet 2022, à teneur duquel D______ présentait des « idées délirantes de persécution et mystiques, se montr[ait] particulièrement interprétative dans ses échanges relationnels et adopt[ait] une attitude de toute puissance et par moment oppositionnelle qui empêchait le maintien du lien thérapeutique », avec « troubles du jugement dans un contexte de convictions erronées et de fausses interprétations » : elle ne disposait pas de la capacité de discernement pour défendre ses intérêts ni pour comparaître par-devant un tribunal.

Le SPAd a confirmé exercer un mandat de curateur (sans autre précision) sur l’intéressée. En revanche, il n’a pas répondu à la question de savoir si une expertise avait été menée.

j.          Après s’être enquis auprès des plaignantes (qui n’ont pas répondu) si des faits nouveaux s’étaient produits depuis la dernière audience, le Ministère public, par avis de prochaine clôture du 7 novembre 2022, a informé les parties de son intention de classer la poursuite.

k.        Cet avis a été notifié au SPAd, pour la prévenue, qui n’a pas pris position.

l.          Les plaignantes ont réaffirmé que les propos tenus par D______ attentaient à leur honneur. Ses problèmes psychologiques, attestés par son placement à des fins d'assistance, n'étaient pas propres à établir son irresponsabilité. Elles sollicitaient une indemnité, à la charge de la prévenue.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les éléments constitutifs des infractions de diffamation, voire de calomnie, et de menaces ne sont pas réunis, faute d'intention. Rien ne permettait d'établir que D______, qui souffrait d’importants problèmes psychiques et n’était pas audible, eût agi intentionnellement dans le but de diffamer, voire de calomnier, les plaignantes et ce, même sous la forme du dol éventuel. La prévenue avait voulu soumettre à ces dernières et au public ses doutes quant à des dysfonctionnements au sein de l'association, doutes qu'elle estimait légitimes selon sa propre conviction. Les preuves libératoires devraient le cas échéant être soumises au Tribunal de police. De même, D______ avait contesté avoir eu l'intention d'effrayer B______. Enfin, vu son état de santé psychique, sa responsabilité était vraisemblablement diminuée.

D. a. À l’appui de leur recours, l’association et B______ se plaignent d'une violation de l'art. 319 CPP cum art. 173, 174 et 180 CP. Les propos litigieux étaient attentatoires à leur honneur. Le Ministère public ne pouvait pas retenir d'emblée que D______ n’avait pas agi intentionnellement ni qu'elle n'était pas fautive ou punissable, au sens de l’art. 19 CP. Elle avait agi avec conscience et volonté. Ses propos en audition n’avaient été ni délirants ni paranoïaques. Elle n'avait pas nié avoir tenu des propos attentatoires à leur honneur, mais avait expliqué s'être exprimée de bonne foi et pour dire la vérité. Or, elle ne pouvait pas se prévaloir de la preuve de la vérité, car aucune des recourantes n'avait jamais été condamnée pour les infractions qu'elle leur reprochait. Elle ne pouvait pas non plus ignorer qu'en continuant à publier des messages elle violait les normes pénales, dès lors qu'elle avait été mise en prévention pour des faits similaires. Qu'elle ait cru être de bonne foi ne suffisait pas à apporter la preuve de la vérité.

Cependant, aucune publication n'avait plus été constatée depuis le placement à des fins d'assistance de D______.

S'agissant des menaces, D______ avait reconnu être l'utilisatrice des comptes sur lesquels celles-ci avaient été formulées. Une demande auprès de Facebook aurait permis de confirmer qu'elle en était l'auteure.

Il convenait donc d'instruire l'état de santé psychique de D______ afin de déterminer si elle avait agi en état d'irresponsabilité, respectivement de responsabilité restreinte, ou si une mesure était nécessaire.

Les frais de la procédure, ainsi qu’une indemnité sur le fondement de l’art. 433 al. 2 CPP devaient être mis à la charge de D______.

Une indemnité de CHF 2'506.75 était requise pour la procédure de recours.

b. Le Ministère public concède que seule une expertise psychiatrique permettrait de déterminer clairement la capacité de D______ à prendre part aux débats, ainsi que son éventuelle irresponsabilité pénale. Cela étant, vu l'impossibilité concrète d'entendre la prévenue et vu la prescription de quatre ans pour les infractions en cause, lancer une telle expertise serait disproportionné, sauf avis contraire de l’autorité de recours.

c. Les recourantes répliquent que la prescription serait acquise dans plus d’une année, alors que le Ministère public avait interpellé le SPAd après avoir attendu une année et sept mois depuis la dernière audience. Procéder à une expertise rapprocherait d’autant l’échéance de la prescription, à moins que le rapport d’expert ne soit déposé avant la fin de l’année courante, et la « prise de décision pénale » rendue dans la foulée.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 1, 322 al. 2, 384 let. b et 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignantes qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

La conclusion en renvoi « au sens des considérants » (lesquels ne peuvent être que ceux de la décision à rendre par l’autorité de recours, c’est-à-dire le présent arrêt) doit se comprendre en lien avec la motivation à l’appui, puisqu’on y lit (p. 9 de l’acte de recours) que la cause devrait être renvoyée au Ministère public pour « instruction sur l’aspect psychique de la prévenue, à tout le moins ».

2.             Les recourantes estiment que la procédure contient des soupçons suffisants que la prévenue avait agi contre elles avec conscience et volonté, mais que sa responsabilité exacte devrait être déterminée par expertise. Dans ses observations, le Ministère public ne le conteste pas vraiment.

2.1.       Lorsque le ministère public arrive à la conclusion que le prévenu est irresponsable et doit être considéré comme tel sans que, notamment aux dires d'expert, aucune mesure ne soit nécessaire, il peut classer la procédure en application de l'art. 319 al. 1 let. d CPP (ACPR/364/2021 du 3 juin 2021 consid. 3.7. ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Code de procédure pénale, 2e éd., Bâle 2016, n. 7 ad art. 374 ; Y. JEANNERET / A. KUHN, Précis de procédure pénale, Berne 2018, n. 18016 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 808 ; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizeriche Strafprozessordnung - Praxiskommentar, Zurich/St-Gall 2018, n. 5 ad art. 374 CPP).

Il en va de même si le prévenu est durablement incapable de prendre part aux débats, au sens de l’art. 114 al. 3 CPP (ACPR/395/2020 du 15 juin 2020 consid. 3.1.), sous la réserve de mesures à prendre par la voie de l’art. 374 al. 1 CPP en cas d’irresponsabilité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 16 s. ad art. 114).

En revanche, on ne voit pas que, même pour des motifs d’opportunité (art. 8 CPP), la loi autoriserait l’abandon de poursuites pénales au motif que le prévenu présenterait une responsabilité diminuée – ou présumée telle –. En cas de responsabilité restreinte, l'infraction reste en effet punissable, et la diminution de responsabilité n'a d'incidence que sur la quotité de la peine (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 4 ad art. 374).

2.2.       En l’espèce, les recourantes estiment ne pas devoir revenir sur les faits objets de leurs plaintes du mois de septembre 2019. Par conséquent, il y a lieu de s’attacher uniquement aux événements visés dans la plainte du 9 octobre 2020, et ce, non pas sous l’angle de leurs éléments constitutifs objectifs – le Ministère public n’en a nié aucun –, mais sous l’angle de l’élément constitutif subjectif de l’intention, au sens de l’art. 12 al. 2 CP, et de la responsabilité pénale de l’auteur présumé, au sens des art. 19 s. CP.

Il est en effet constant que toutes les infractions visées sont intentionnelles (pour les atteintes à l’honneur : arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2 ; 6B_820/2011 du 5 mars 2012 consid. 3; pour les menaces, arrêt du Tribunal fédéral 6B_135/2021 du 27 septembre 2021 consid. 3.1).

Du point de vue subjectif, il suffit que l'auteur ait eu conscience du caractère attentatoire à l'honneur de ses propos et qu'il les ait néanmoins proférés ; peu importe que l'auteur tienne l'allégation pour vraie, qu'il ait exprimé des doutes (ATF 102 IV 176 consid. 1) ou qu'il n'ait pas eu la volonté de blesser la personne visée (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47) ; pour les menaces, l’auteur doit avoir l'intention non seulement de proférer des menaces graves, mais aussi d'alarmer ou d'effrayer le destinataire (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1314/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.2.1; 6B_787/2018 du 1er octobre 2018 consid. 3.1)

2.3.       Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté.

Selon l'art. 19 al. 1 CP, l'auteur n'est pas punissable si, au moment d'agir, il ne possédait pas la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Le juge atténue la peine si, au moment d'agir, l'auteur ne possédait que partiellement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation (al. 2). Les mesures prévues aux art. 59 à 61, 63, 64, 67, 67b et 67e CP peuvent cependant être ordonnées (al. 3).

Un auteur irresponsable est inapte à la faute et, partant, n'est pas punissable (ATF 145 IV 94 consid. 1.3).

2.4.       L'art. 20 CP dispose que l'autorité d'instruction ou le juge ordonne une expertise s'il existe une raison sérieuse de douter de la responsabilité de l'auteur.

L'autorité doit ordonner une expertise non seulement lorsqu'elle éprouve effectivement des doutes quant à la responsabilité de l'auteur, mais aussi lorsque, d'après les circonstances du cas particulier, elle aurait dû en éprouver, c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en présence d'indices sérieux propres à faire douter de la responsabilité pleine et entière de l'auteur au moment des faits (ATF 133 IV 145 consid. 3.3). La ratio legis vise à ce que le juge, qui ne dispose pas de connaissances spécifiques dans le domaine de la psychiatrie, ne cherche pas à écarter ses doutes lui-même, fût-ce en se référant à la littérature spécialisée, mais que, confronté à de telles circonstances, il recoure au spécialiste. Constituent de tels indices, une contradiction manifeste entre l'acte et la personnalité de l'auteur, le comportement aberrant du prévenu, un séjour antérieur dans un hôpital psychiatrique, une interdiction prononcée sous l'empire des anciennes dispositions du code civil, une attestation médicale, l'alcoolisme chronique, la dépendance aux stupéfiants, la possibilité que la culpabilité ait été influencée par un état affectif particulier ou l'existence de signes d'une faiblesse d'esprit ou d'un retard mental (ATF 133 IV 145 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_245/2021 du 2 août 2021 consid. 3.1).

2.5.       En l'espèce, il est vraisemblable que la prévenue souffre de troubles dans sa santé mentale. Les recourantes l’alléguaient d’ailleurs en termes semblables dès leur première plainte pénale.

Sans s’attarder, par exemple, sur la manière dont la prévenue a voulu illustrer sa connaissance personnelle d’autres « ______[prénom] » que la recourante ainsi prénommée, il doit être constaté que : la prévenue fut hospitalisée à la clinique E______ en automne 2019 ; a été placée à des fins d’assistance, pour une durée indéterminée, dès le 6 juillet 2021 ; séjournait à nouveau à la clinique E______ depuis le printemps 2022 (et en tout cas au-delà du 13 juillet 2022) ; et voit sa capacité civile restreinte par la désignation d’un curateur, apparemment de représentation (art. 381 et 394 CC).

De surcroit, la teneur du certificat médical du 29 juillet 2022 est éloquente. Le médecin relève chez la prévenue – qui « se montr[ait] particulièrement interprétative dans ses échanges relationnels et adopt[ait] une attitude de toute puissance et par moment oppositionnelle [empêchant] le maintien du lien thérapeutique » – des « idées délirantes de persécution et mystiques », avec « troubles du jugement dans un contexte de convictions erronées et de fausses interprétations » ; elle avait perdu sa capacité de discernement pour défendre ses intérêts.

Aussi les recourantes, s’en tenant exclusivement aux dépositions de la prévenue, sont-elles malvenues d’affirmer tout de go que celles-ci ne révéleraient ni « délire » ni « paranoïa » (tout en demandant que l’état psychique de l’intéressée soit élucidé par un complément d’instruction).

Il faut conclure de ce qui précède qu’existent des raisons sérieuses de douter de la responsabilité de la prévenue, à tout le moins sous l’angle de sa capacité de prendre part aux débats d’une autorité de jugement, voire déjà aux auditions de l’autorité d’instruction.

À cet égard, le raisonnement du Ministère public s’avère boiteux.

D’une part, il estime que la responsabilité pénale de la prévenue est « vraisemblablement » diminuée. Cette simple conjecture devait le conduire non pas à abandonner la poursuite, mais à clôturer la procédure d’une autre façon que par un classement (art. 299 al. 2 let. a et b CPP, voire art. 374 s. CPP) – puisqu’il retient tacitement que les éléments constitutifs objectifs des infractions sont réalisés –. D’autre part, il nie toute forme d’intention aux actes reprochés à la prévenue, ce qui présupposait, en dépit des éléments qu’il avait réunis, que celle-ci avait toute conscience et pleine volonté de les commettre.

Cette contradiction impose que la décision attaquée soit annulée.

3.             Cette ordonnance doit l’être pour une autre raison encore.

La situation dépeinte ci-dessus évoque à tout le moins un cas de défense obligatoire (cf. art. 130 let. c CPP).

En d’autres termes, parce qu’il était nanti des renseignements pertinents au plus tard au mois de septembre 2022, si ce n’est déjà à l’occasion de son intervention auprès du SPAd (comme tendent à le montrer les indications qu’il donne dans sa missive du 30 novembre 2021), le Ministère public ne pouvait pas se contenter de notifier l’avis de prochaine clôture aux curateurs, au nom et pour le compte de la prévenue. Il eût fallu préalablement nommer à celle-ci un défenseur d’office. Peu importe que ledit avis laissât augurer un classement. En effet, l’avocat eût, par exemple, pu prendre position sur la demande des recourantes qui s’est exprimée sur ces entrefaites, à savoir (comme le formule la décision attaquée) la condamnation de la prévenue à leur payer des dépens et à assumer les frais de l’État, voire interjeter recours suivant la réponse apportée par le Ministère public à ces questions.

4.             Le souci de la prescription – surtout avec la restriction temporelle donnée par la recourante elle-même, à savoir l’exclusion des faits survenus avant le 25 septembre 2019 – ne saurait faire obstacle à un renvoi de la cause au Ministère public.

En premier lieu, la proximité de la prescription ne concernerait que les atteintes à l’honneur, dès lors qu’un délai plus bref s’applique à elles (cf. art. 178 al. 1 CP) ; mais tel n’est pas le cas des menaces, soumises au délai ordinaire de l’art. 97 al. 1 let. c CP.

En outre, on ne voit pas ce qui permet de supputer à ce stade que les éventuelles atteintes à l’honneur commises encore en automne 2020 ne pourraient pas être jugées en première instance avant l’échéance de quatre ans prévue à l’art. 178 al. 1 CP, soit avant l’automne 2024. La volonté de célérité du Ministère public peut d’autant moins être soupçonnée que c’est le SPAd qui a pris onze mois pour fournir les renseignements qui lui étaient demandés et que, dans l’intervalle, les recourantes ne sont pas intervenues auprès du Ministère public pour le presser de clore son enquête.

5.             Il reviendra par conséquent au Ministère public, après avoir complété l’état de fait relatif à la responsabilité pénale de la prévenue, de reprendre l’examen des éléments constitutifs subjectifs des infractions et de statuer à nouveau.

Comme le certificat médical du 29 juillet 2022 est sans ambiguïté sur l’incapacité, au moins temporaire, de la prévenue à défendre ses intérêts, la nomination d’un défenseur obligatoire devra être examinée pour cette phase de reprise de la procédure.

6.             L’issue du recours dispense la Chambre de statuer sur les frais et indemnités pour la procédure de première instance, d’autant plus que, si elles y ont consacré des développements dans leur acte de recours, les recourantes n’ont formellement pris aucune conclusion sur ce point.

7.             Compte tenu de la délimitation procédurale du renvoi au Ministère public, même moyennant un complément et une clarification de l’état de fait relatif à la responsabilité de la prévenue, il se justifie, exceptionnellement, de statuer sans avoir recueilli des observations de cette dernière (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 p. 296) ni lui avoir nommé un défenseur d’office à cette fin, au sens de l’art. 133 al. 1 CPP.

8.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

9.             Représentées par avocat, les plaignantes ont chiffré leur indemnité à
CHF 2'506.75 TTC, correspondant à 6h.20 d'activité d'avocat au tarif horaire de CHF 350.-, plus débours. Dite indemnité, qui parait raisonnable et conforme aux principes retenus par la Cour pénale (cf. ACPR/131/2022 du 25 février 2022 consid. 6.1.), leur sera allouée, à la charge de l’État.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours, annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public, pour qu’il procède conformément au considérant 5.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______ et à B______, créanciers solidaires, une indemnité de CHF 2'506.75 TTC à la charge de l'État, pour leur frais de défense en instance de recours.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ et à B______ les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourantes, soit pour elles leur conseil, au Ministère public et à D______ (soit, pour elle, le Service de protection de l'adulte, réf. Adultes EMS/______/MAI).

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).