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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24863/2021

ACPR/368/2023 du 17.05.2023 sur OCL/1696/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;RECEL;PRÉVENU;FRAIS DE LA PROCÉDURE;DÉPENS;IMPUTATION;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);FAUTE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI
Normes : CPP.319; CPP.426; CC.3.al2; CP.160

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24863/2021 ACPR/368/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 17 mai 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, Allemagne, comparant par Me L______, avocat, ______, Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 20 décembre 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 2 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 20 décembre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public, après avoir classé la procédure pénale dirigée contre lui, a refusé de lui allouer des indemnités au sens de l'art. 429 CPP (ch. 6 du dispositif), et l'a condamné aux frais de la procédure (ch. 7).

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation des chiffres 6 et 7 du dispositif de l'ordonnance précitée et à ce que l'État de Genève soit condamné à lui verser des indemnités conformément à l'art. 429 al.1 let. a et b CPP.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 25 mai 2018, la police a été informée que la montre B______, modèle 1______ – annoncée volée le 15 novembre 2015 – avait été déposée par A______ auprès de la boutique de cette marque à Genève, pour réparation.

Le lésé a déposé plainte pénale.

b. Le 26 juin 2018, la police a été avertie que la montre de marque C______, volée à D______ le 10 avril 2016, avait réapparu lors d'une vente aux enchères chez E______ à Genève, le 13 mai 2018.

Selon le rapport de renseignements de la police du 4 septembre 2018, le vendeur de la montre en question se prénommait A______.

Le lésé a déposé plainte pénale.

c. Sur demande de la police, A______ a exposé par écrit, le 26 novembre 2018, avoir acquis les montres précitées "en parfaite" bonne foi. Il était un "bon connaisseur" du marché des montres de luxe. En 2015, il avait acquis 50% des parts de la société F______ GmbH, qui avait pour but le commerce, l'acquisition et la vente d'objets de luxe, et y travaillait depuis lors en tant que responsable des activités dans le secteur des montres de grande valeur, respectivement de luxe. Dans le cadre de ses fonctions, il était membre et participait régulièrement à la foire des montres de la G______, à H______ [Allemagne].

En mai 2016, durant les journées réservées aux professionnels, il avait rencontré, pour la première fois, I______, exposant, qui s'était présenté comme commerçant et membre de la G______. Après un premier examen de la montre B______, il l'avait estimée à EUR 30'000.- et finalement achetée au prix d'EUR 21'000.-, montant conforme aux usages et "parfaitement" dans la norme compte tenu de l'absence de boîte d'emballage et de certificat. De tels manques n'étaient pas exceptionnels sur le marché de l'occasion et concernaient 60% des ventes aux enchères de J______. Le cas échéant, il était généralement possible de se faire délivrer des certificats, ultérieurement, par le fabricant. Il n'avait pas eu de doute sur le fait que la montre était exempte de droits de tiers, les parties ayant signé un contrat dans lequel le vendeur le confirmait. Après avoir constaté qu'elle ne fonctionnait plus, il l'avait envoyée auprès de J______, puis chez le fabricant, pour réparation. Il avait alors été informé qu'elle était volée.

Le 15 octobre 2016, lors d'une autre foire G______, à H______ , il avait acheté la montre C______, pour un montant d'EUR 13'000.-, à K______, expert réputé, expérimenté et très actif dans le domaine des montres de luxe. Il avait fait sa connaissance six ans auparavant, au cours d'un évènement similaire. Il le [K______] consultait régulièrement. Il avait entièrement confiance en lui et n'avait eu aucun doute sur la provenance de ladite montre, même si celle-ci ne disposait ni de ses certificats, ni de son emballage. Fort de leurs relations et expériences passées, ils n'avaient pas conclu de contrat de vente écrit. Le 5 juin 2018, après avoir remis la montre à E______ en vue de sa vente, l'hôtel des ventes l'avait informé qu'à la suite de vérifications usuelles auprès du fabricant, elle avait été signalée comme volée en avril 2016. À la suite de ces deux évènements, il s'était distancé des évènements organisés par G______ et avait résilié son affiliation.

Il a produit la photographie de la carte de membre G______ de I______ et le contrat de vente, non daté, de la montre B______ sur lequel est inscrit que "der Verkäufer ist Eigentümer des Vertragsgegenstands. Der Gegenstand ist frei von Rechten und Ansprüchen Dritter. Der Verkäufer erklärt, dass die o.g. Uhr nicht als gestohlen gemeldet ist oder wird".

d. Lors de son audition ultérieure, A______ a contesté avoir recelé les deux montres. Il les avait acquises de bonne foi et n'avait aucune raison de douter d'une provenance délictueuse. Pour devenir membre de la G______, il fallait disposer du statut de professionnel certifié et faire une demande, qui devait être acceptée. Il avait dû présenter un extrait du registre du commerce et prouver qu'il représentait une société ayant notamment pour but la vente de montres. Au moment de leur achat, il n'avait pas demandé la provenance des montres litigieuses car cette question n'était pas pertinente. L'anonymat était extrêmement important dans ce milieu et cette question ne se posait pas entre commerçants. Concernant l'achat de la montre B______, même si c'était la première fois qu'il faisait affaire avec ce vendeur, il l'avait déjà vu lors de foires précédentes.

e. Devant le Ministère public, A______ a confirmé ses précédentes déclarations. Lorsqu'il achetait une montre d'occasion, la source, soit le vendeur, était très importante. Il n'achetait qu'auprès de personnes qu'il connaissait depuis longtemps ou qui travaillaient au travers de "sociétés certifiées comme la société G______, soit les sociétés organisatrices", et auprès desquelles il fallait signer un code de conduite pour participer aux évènements organisés. Ces précautions étaient suffisantes, étant donné que l'échange devait s'effectuer rapidement. En effet, lors de foires, les transactions s'effectuaient en dix à quinze minutes. À l'époque, il était en confiance de procéder à des achats lors d'évènements organisés par G______. Pour la revente, il travaillait principalement avec des maisons de vente aux enchères, qui retraçaient également les montres.

f. À la suite de l'avis de prochaine clôture par lequel le Ministère public a informé les parties qu'il entendait classer la procédure s'agissant de l'infraction de recel reprochée à A______, ce dernier a sollicité des indemnités conformément à l'art. 429 al. 1 let. a et b CPP.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que A______ avait acheté deux montres d'occasion dépourvues de leur certificat de fabrication et d'authentification ainsi que de leur emballage et sans questionner les vendeurs sur leur origine. En revanche, il n'était pas établi que le prénommé savait ou aurait dû savoir que les deux montres provenaient d'une infraction préalable – vol –, notamment compte tenu du prix raisonnable auquel il avait dit les avoir acquises et ce, quand bien même elles étaient dépourvues de leurs certificats de fabrication et d'authentification et de leur emballage. Les éléments constitutifs de l'infraction de recel n'étaient pas réalisés, faute de preuves suffisantes notamment s'agissant de l'intention. Les soupçons qui justifiaient une mise en accusation n'étaient pas suffisamment établis à l'égard de A______.

Le Ministère public considère toutefois que le prénommé avait provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure pénale. Il avait en effet adopté un comportement négligent en achetant deux montres dépourvues d'emballage et de certificats, ainsi qu'en ne se renseignant pas au sujet de leur origine, alors qu'il était un professionnel actif dans le domaine, depuis de nombreuses années. Le comportement ainsi adopté était en relation de causalité adéquate avec la plainte déposée par les lésés, l'ouverture de la présente procédure pénale et des frais en découlant.

Partant, il n'y avait pas lieu d'indemniser A______.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le Ministère public était parvenu à tort à la conclusion qu'aucune indemnité ne lui était due et que les frais de la procédure devaient être mis à sa charge. D'une part, aucun manque de collaboration ne lui était reproché; d'autre part, le Ministère public n'invoquait la violation d'aucune règle juridique ni d'aucune norme de comportement, mais se limitait à invoquer une négligence. Or, l'achat de montres dépourvues d'emballage et de certificat de fabrication et d'authentification était très fréquent pour les professionnels dans le commerce d'occasion. Cette pratique était d'autant plus répandue que, depuis plusieurs années, un tel marché ne constituait pas un marché noir ou gris, mais, au contraire, était "plus sûr que jamais". Ainsi, compte tenu des circonstances dans lesquelles il avait acquis les montres, il était de bonne foi et son comportement ne pouvait être qualifié de négligent.

En outre, il n'existait aucun rapport de causalité adéquat entre le comportement qu'il avait adopté et l'ouverture de la procédure pénale. Selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait d'acheter une montre d'occasion dépourvue d'emballage et de certificats n'était pas propre à entraîner l'ouverture d'une procédure pénale.

À l'appui de son recours, il a notamment produit un article publié le 17 juillet 2020 sur le site internet www.chrono24.fr intitulé "Le coffret et les papiers d'une montre sont-ils vraiment importants", et à teneur duquel 30.4 % des montres vendues par le biais de ce site l'étaient sans l'emballage d'origine ni documents. Selon l'auteur de l'article, l'importance du coffret et des papiers dépendait des préférences personnelles de chacun. L'absence de tels accessoires avait une incidence sur le prix des montres, mais également sur la demande ou la valeur en tant que pièce de collection.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, A______ ayant omis de respecter les principes découlant de l'art. 3 al. 2 CC. Le prix demandé ainsi que les circonstances dans lesquelles le prénommé les avait achetées nécessitait un examen approfondi pour lever tout soupçon quant à une origine douteuse des objets vendus. La seule remise par les vendeurs des deux montres, sans certificats ni boîte d'emballage n'était pas suffisante. Il incombait à l'acheteur de procéder à des recherches au sujet des objets et d'établir une traçabilité de leur origine. Faute de telles vérifications, A______ avait commis une faute de comportement de nature à éveiller le soupçon de la commission d'une infraction pénale justifiant qu'une enquête et des actes d'instruction soient menés.

c. A______ a répliqué.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1, 90 al. 2 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites à l'appui du recours sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2. 2.1. Aux termes de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu au bénéfice d'un classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) ainsi que pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale (let. b).

2.2. La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2; 137 IV 352 consid. 2.4.2).

2.3. Selon la jurisprudence relative à l'art. 426 al. 2 CPP, mais applicable par analogie à l'art. 430 al. 1 CPP (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_77/2013 du 4 mars 2013 consid. 2.3), la condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique entre en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_300/2012 du 10 juin 2013 consid. 2.4).

Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO (ATF 119 la 332 consid. 1 b ; 116 la 162 consid. 2c). Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1176/2015 du 23 novembre 2016 consid. 1.1 ; 6B_203/2015 du 16 mars 2016 consid. 1.1). Tel est le cas lorsque le prévenu a violé des prescriptions écrites ou non écrites communales, cantonales ou fédérales - qui tendent à protéger le bien juridique lésé si ce comportement ne viole pas uniquement une obligation contractuelle - et qu'il a fait naître, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le soupçon d'un comportement contraire au droit pénal justifiant l'ouverture d'une enquête.

Toute violation contractuelle, comportement contraire à l'art. 20 CO ou atteinte au principe de la bonne foi au sens de l'art. 3 CC n'est pas nécessairement déjà suffisant pour justifier que les frais soient mis à la charge du prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_803/2016 du 20 juillet 2017 consid. 3.3.3 et les références citées). La faute exigée doit s'apprécier selon des critères objectifs : il ne suffit pas que l'attitude du prévenu contrevienne à l'éthique (ATF 116 la 162 consid. 2d). L'acte répréhensible n'a pas à être commis intentionnellement. La négligence suffit, sans qu'il y ait besoin qu'elle soit grossière (ATF 109 Ia 160 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_184/2013 du 1er octobre 2013 consid. 7.1). Par ailleurs, la notion de faute visée par l'art. 41 CO peut consister, notamment, dans le fait de créer ou de laisser subsister un état de choses dangereux pour autrui sans prendre toutes les mesures commandées par les circonstances afin d'empêcher un dommage de se produire (ATF 124 III 297 consid. 5b ; 123 III 306 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_156/2017 du 22 décembre 2017 consid. 5 et les références citées).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_429/2017 du 14 février 2018 consid. 5.1 ; 6B_1176/2015 du 23 novembre 2016 consid. 1.1 ; 6B_380/2016 du 16 novembre 2016 consid. 5.2). La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 116 Ia 162 consid. 2c).

2.4. En droit civil, la bonne foi est présumée lorsque la loi en fait dépendre la naissance ou les effets d'un droit (art. 3 al. 1 CC). L'acquéreur d'une chose est en principe considéré comme étant de bonne foi. Cependant, la protection de la bonne foi est refusée non seulement en cas de mauvaise foi, mais également si l'acquéreur de bonne foi ne connaît pas le défaut juridique parce qu'il n'a pas fait preuve, lors de l'acquisition de la chose, de l'attention que les circonstances permettaient d'exiger de lui (art. 3 al. 2 CC). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, il n'existe pas d'obligation générale de l'acquéreur de se renseigner sur le pouvoir de disposer de l'aliénateur ; ce n'est qu'en présence de soupçons concrets que les circonstances doivent faire l'objet d'un examen plus approfondi (ATF 122 III 1 consid. 2 a/aa); 131 III 418 c. 2.3.2). Il faut poser des exigences plus élevées dans les branches d'activité où l'acquéreur est particulièrement exposé à des offres de marchandises dont la provenance est douteuse et par conséquent de choses entachées d'un défaut juridique, comme c'est le cas dans le commerce des choses usagées de toute nature (ATF 113 II 397 c. 2b). Même si cela ne crée pas un devoir général de se renseigner, ces cas entraînent l'obligation de clarifier la situation et de procéder à des recherches relatives au pouvoir de disposer de l'aliénateur non seulement en présence de soupçons concrets quant à un défaut juridique mais déjà lorsque les circonstances incitent à la méfiance. La mesure de l'attention exigée par les circonstances, au sens de l'art. 3 al. 2 CC, est une notion soumise à l'appréciation du juge (cf. art. 4 CC). À cet égard, le juge doit prendre en considération l'ensemble de la situation concrète et appliquer des critères objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2019 du 4 septembre 2019 consid. 2.3 et les références citées).

Le Tribunal fédéral a ainsi jugé qu'un acquéreur, brocanteur de métier, avait violé son obligation d'attention accrue déduite de l'art. 3 al. 2 CC en achetant plusieurs montres de luxe sans certificats, ni boîte d'emballage, compte tenu du caractère insolite de l'offre soit : à un prix largement inférieur à la valeur des objets et alors que le nom figurant sur les factures présentées ne concordait pas avec celui du vendeur – lequel était d'un jeune âge –. Le fait, pour l'acheteur, d'avoir demandé au vendeur les boîtes et les certificats d'authenticité des montres ou encore d'avoir "insisté sur le fait qu'il ne voulait pas que ce soit des montres volées" ne constituaient pas une précaution concernant le pouvoir d'aliénation du vendeur. De même, le fait d'avoir conservé une trace de l'identité de ce dernier pouvait servir à "se protéger en cas de mauvaise intention" de celui-ci, mais ne lui permettait pas d'inférer que l'intéressé était bien le propriétaire des montres prétendument reçues en héritage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2019 précité).

2.5. En l'espèce, le Ministère public a classé la procédure considérant que l'infraction de recel, faute d'éléments suffisants, n'était pas réalisée. Il a cependant condamné le recourant aux frais de la procédure au motif qu'il avait été négligent en omettant, dans les circonstances d'espèce, de se renseigner sur l'origine des montres.

Or, le Ministère public n'a pas remis en cause les explications du recourant, à teneur desquelles l'achat de montres d'occasion sans certificats ni emballage serait relativement fréquent. Les montres litigieuses ont été achetées lors de foires spécialisées, manifestations fréquentées par des professionnels et membres de l'association organisatrice. Elles ont ainsi été acquises au sein d'un circuit de confiance. Si le recourant n'avait jamais traité auparavant avec le premier vendeur, il a pris son identité, son numéro de membre et conclu un contrat de vente, sur lequel celui-ci atteste être le propriétaire de l'objet, qui n'était pas volé. S'agissant du second vendeur, le recourant affirme qu'il serait une personnalité reconnue dans le domaine, avec laquelle il entretiendrait des relations d'affaires de longue date.

Dans les circonstances du cas d'espèce, soit celles de transactions "rapides" lors d'évènements organisés par une association professionnelle, pour des professionnels, on peut considérer que le prévenu ne se trouvait pas en présence de soupçons concrets devant susciter des doutes sur le pouvoir de disposer de l'aliénateur ou même dans des circonstances incitant à la méfiance, même en l'absence de certificats. Le prix de vente est, comme l'a retenu le Ministère public dans sa décision querellée, raisonnable au regard de l'absence des accessoires – certificats et coffret –. À cet égard, on ne voit pas pour quelle raison, faute d'explications, l'autorité précédente a, dans ses observations sur recours, finalement considéré que le prix constituait un des éléments qui auraient nécessité un examen approfondi de la part du prévenu.

Ainsi, dans cette configuration, on ne peut pas reprocher au recourant de ne pas s'être renseigné sur l'origine des montres. On ne voit d'ailleurs pas quelle démarche il aurait dû entreprendre. Il apparait en effet peu vraisemblable que les vendeurs, même questionnés, auraient émis des doutes sur l'origine des objets mis en vente. Le recourant apparaît d'autant plus de bonne foi que lui-même traite ensuite principalement avec des maisons de vente aux enchères et que celles-ci retracent l'origine des montres, comme ce fut le cas in casu.

Les circonstances du cas d'espèce diffèrent donc de celles de l'affaire précitée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_666/2019 précité), au regard du contexte d'achat, du statut des vendeurs et du prix de vente. Il n'y a pas, ici, de caractère insolite des offres.

Partant, on ne peut valablement considérer que le recourant a violé l'art. 3 al. 2 CC.

Les frais de l'ordonnance querellée seront par conséquent laissés à la charge de l'État.

2.6. Le sort des frais préjugeant celui des indemnités au sens de l'art. 429 CPP, le Ministère public se doit, compte tenu de ce qui précède, d'examiner les prétentions émises par le recourant en indemnisation de ses dépenses raisonnables occasionnées par la procédure et de l'éventuel dommage économique.

Afin de permettre au recourant de bénéficier du double degré de juridiction, la présente cause sera renvoyée au Ministère public (art. 397 al. 2 CPP) pour qu'il statue sur la demande d'indemnité et qu'il en détermine le montant.

3.             Fondé, le recours doit être admis.

4.             L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP)

5.             Le recourant, prévenu, obtient gain de cause et a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

5.1. Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2). À Genève, la Cour de justice retient un tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, lorsque ce conseil chiffre sa rémunération à ce taux, CHF 350.- pour un collaborateur et CHF 150.- pour un avocat stagiaire (ACPR 889/2021 du 16 décembre 2021, consid. 3.3 et ACPR/320/2018 du 6 juin 2018 consid. 8.2).

5.2. En l'occurrence, le recourant conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 2'045.85 correspondant à 7h35 d'activité soit 7h05 pour l'écriture de recours (6h05 pour l'avocat-stagiaire à CHF 250.- de l'heure et 1h pour le collaborateur à CHF 400.- de l'heure) et 0h30 pour le courrier au client (avocat-stagiaire à CHF 250.- de l'heure).

Ce montant apparaît toutefois excessif compte tenu des écritures (recours de douze pages, dont une de garde, une de dispositif de l'ordonnance querellée, une et demi de conclusions et sept pages de développements juridiques, ainsi qu'une page et demi de réplique), de sorte que l'indemnité sera ramenée à CHF 1'325.- TTC (la TVA ne s'applique pas au vu du domicile du recourant à l'étranger) correspondant à 5h d'activité pour l'avocat-stagiaire (CHF 750.-), 1h pour le collaborateur (CHF 350.-), ainsi que 0h30 pour l'associé (CHF 225.-), au tarif précité appliqué par la Cour de justice, pour la procédure de recours.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule les chiffres 6 et 7 de ladite ordonnance.

Dit que les frais de la procédure de première instance sont laissés à la charge de l'État.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur la demande d'indemnité en faveur de A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'325.- TTC, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).