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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10331/2022

ACPR/203/2023 du 21.03.2023 sur OPMP/11845/2022 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Recours TF déposé le 15.05.2023, 6B_609/2023
Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;ASSISTANCE JUDICIAIRE;INFRACTIONS CONTRE LA VIE ET L'INTÉGRITÉ CORPORELLE;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;INFRACTIONS CONTRE LA LIBERTÉ;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION
Normes : CPP.310; CPP.136; CP.123; CP.173; CP.180; Cst.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10331/2022 ACPR/203/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 21 mars 2023

 

Entre

A______, domiciliée c/o B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

recourante,

contre les ordonnances pénales et de non-entrée en matière partielle ainsi que de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendues le 7 décembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par actes expédiés le 19 décembre 2022, A______ recourt contre les deux ordonnances du 7 précédent, communiquées par pli simple, par lesquelles le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre D______ et E______.

La recourante conclut, avec suite de frais, préalablement, à être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours; principalement, à l'annulation des ordonnances précitées et à l'ouverture d'une instruction; en tout état de cause, à l'allocation d'une indemnité pour la procédure de recours.

b. Par acte expédié le même jour, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 décembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public lui a refusé l'assistance judiciaire.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'elle soit mise au bénéfice de l'assistance judiciaire avec effet rétroactif au 21 mars 2022.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 29 décembre 2021, A______ a déposé plainte contre D______ et son mari, E______, pour agression.

Depuis plusieurs mois, elle vivait dans leur studio. Le jour précédent, vers 18h00, alors qu'elle quittait définitivement le logement, un désaccord était survenu avec les prénommés concernant une somme d'argent. Lors de leur dispute, E______ lui avait crié dessus en lui disant "fuck you", l'avait menacée de la jeter par la fenêtre et d'appeler la police pour qu'elle soit renvoyée dans son pays d'origine. D'un coup, D______ était devenue "folle" et elle lui avait également crié dessus en lui demandant de lui rendre les clés de l'appartement. Alors qu'elle [A______] s'était baissée, D______ l'avait jetée à terre et frappée dans le dos. Elle avait eu très mal. En se relevant, la prénommée l'avait poussée au niveau des épaules, ce qui l'avait projetée dos au mur. D______ avait ouvert la porte d'entrée du logement et, avec l'aide de son mari, ils l'avaient poussée dehors, avec leurs mains dans son dos. Ils l'avaient ensuite suivie dans le corridor en lui criant de "dégager". Alors qu'elle attendait l'ascenseur, D______ l'avait menacée d'appeler la police. Une fois à l'extérieur, elle avait appelé son ami, B______, et ils étaient allés aux HUG. Au moment des faits, elle avait eu peur et tremblait "de partout". Elle pensait que ses logeurs allaient la tuer, en particulier, lorsque E______ lui avait dit qu'il allait la jeter par la fenêtre.

À l'appui de sa plainte, elle a produit un constat médical établi le 28 décembre 2021, à teneur duquel elle souffrait d'un stress post-traumatique et d'une "contracture para vertébrale droite T4-T7"; ainsi que deux photographies couleurs de son dos sur lesquelles des rougeurs étaient visibles sur la partie supérieure; et une ordonnance médicale.

b. Entendue le même jour, par la police, en qualité de prévenue pour avoir séjourné illégalement en Suisse et être démunie de moyen de subsistance, A______ a reconnu les faits.

c. Entendu par la police le 9 février 2022, sur la plainte de la précitée, E______ a contesté les faits reprochés. Les problèmes avec A______ avaient commencé fin juin 2021, lorsqu'avec sa femme, ils avaient appris qu'elle n'avait pas de papiers. Ils avaient essayé de la faire partir, en vain. Le soir des faits, A______ avait menacé sa femme de la dénoncer à la régie pour avoir hébergé une clandestine, et ainsi lui faire perdre l'appartement. A______ avait hurlé comme une furie sur elle et l'avait poussée. Il s'était interposé pour protéger son épouse mais A______ avait essayé à plusieurs reprises de sauter sur cette dernière. À un moment donné, il avait ouvert la porte et demandé à A______ de partir, ce qu'elle avait fait; lorsqu'elle avait voulu "revenir à la charge", il avait rapidement fermé la porte. Il ne l'avait jamais injuriée ou menacée mais lui avait dit "qu'en passant juste un coup de fil, elle pouvait être renvoyée au[x] Philippines".

d. Entendue par la police le même jour, D______ a contesté les faits reprochés. Le 28 décembre 2021, afin de discuter calmement avec A______, qui était "folle furieuse", elle lui avait fait "une tape" dans le dos. Après qu'elle lui avait demandé de payer une facture d'électricité, A______ avait perdu la tête et l'avait agressée. Son mari avait essayé de s'interposer. Le soir en question vers 18h37, A______ l'avait menacée et injuriée par message, en langue tagalog, de "fils de pute", "sale porc", "vous êtes des putes", "ton jour viendra", "un jour on va se revoir", "votre karma va arriver parce que vous m'avez battue", "on va se voir face à face, vous êtes des salopards", "l'argent que vous me devez, je vais vous le donner comme donation pour le jour de votre mort" et "je vais poster vos têtes sur Facebook". Elle avait également reçu des messages, en anglais, via FACEBOOK de la part du compte "B______" où il était écrit "vous ne savez pas ce dont je suis capable" et "j'espère que vous passerez une bonne nuit, concernant demain, vous et votre partenaire devrez répondre de vos actes et vous aurez des nuits sans sommeil".

À cette occasion, elle a déposé plainte contre A______ pour diffamation, calomnies, injures et menaces. À l'appui de celle-ci, elle a également produit des photographies d'extraits d'une publication FACEBOOK dont A______ serait l'auteure, expliquant en langue tagalog la situation entre les deux femmes. Sans qu'elle ait donné son autorisation, la publication était accompagnée de photographies de sa personne.

e. Par courrier du 21 mars 2022, adressé au Ministère public, A______ a requis l'assistance judiciaire et la nomination d'office de Me C______ en sa faveur.

f. Par courriel du 24 mars 2022, elle a fait parvenir au Ministère public une attestation écrite du 23 mars 2022, de la Dre F______, selon laquelle elle était suivie par l'unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence (UIMPV) des HUG depuis le 2 février 2022. Elle présentait un état de stress post-traumatique. La symptomatologie restait floride et l'état psychique précaire.

g. Le 1er novembre 2022, A______ a été entendue, à la police, en qualité de prévenue, pour notamment avoir tenu des propos diffamatoires et calomnieux à l'égard de D______, et l'avoir injuriée et menacée.

Elle a maintenu ses précédentes déclarations quant à l'altercation survenue le 28 décembre 2021. D______ l'avait poussée, à deux reprises, et frappée dans le dos, E______ l'avait poussée au front avec son index, ce qui l'avait fait reculer. Il lui avait dit que son frère était un ancien policier et qu'il allait appeler la police afin qu'elle la renvoie dans son pays. Elle-même n'avait pas agressé D______. Elle n'avait pas non plus crié. Elle avait effectivement envoyé, sous le coup de la colère, des messages à D______ et son mari tels que "fils de putes", sales porcs" et "putes" ou des termes semblables en langue tagalog, ainsi que "vous pensez que j'ai peur de vous", "un jour nous nous verrons face à face". B______ était un ami à qui elle s'était confiée. Ce n'était que plus tard qu'elle avait appris qu'il avait envoyé des messages à D______.

Elle a présenté une facture de pharmacie d'un montant de CHF 89.55.- du 30 décembre 2021 correspondant aux médicaments prescrits dans l'ordonnance produite à l'appui de sa plainte.

h. À la suite des actes d'instruction menés, la police a, le 15 novembre 2022, rendu un rapport de renseignements. Figure notamment dans celui-ci la mention selon laquelle "d'entente" avec le conseil de A______, ce dernier avait demandé à ce qu'il puisse poser ses questions dans la suite de la procédure et non à la fin de l'audition de sa mandante le 1er précédent.

i.a. En parallèle aux décisions querellées, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière contre A______ pour les infractions de menaces et de diffamation.

Les messages adressés à D______ ne faisaient pas état de menaces de mort et il ne ressortait pas des échanges entre les intéressées que la prénommée avait eu peur à réception de ceux-là.

En outre, les extraits produits en lien avec la publication FACEBOOK expliquant la situation entre les deux femmes ne permettaient ni d'en déterminer l'auteur ni la date.

Enfin, bien que A______ avait fait part de l'altercation du 28 décembre 2021 à B______, les parties ne s'accordaient pas sur le déroulement des faits. Dès lors, par gain de paix et dans un esprit d'apaisement, la culpabilité de la prénommée et les conséquences de son acte étaient de peu d'importance (art. 52 CP).

i.b. Le même jour, le Ministère public a, par ordonnance pénale, reconnu A______ coupable d'injure pour avoir traité D______ notamment de "fils de pute", "vous êtes des putes" et "salopards" via des messages FACEBOOK et d'infractions à la LEI pour avoir pénétré, séjourné et travaillé sur le territoire suisse alors qu'elle était démunie des autorisations nécessaires.

Elle y a fait opposition.

C. a. Dans ses décisions querellées, le Ministère public retient qu'une altercation avait eu lieu le 28 décembre 2021 entre les parties mais que leurs versions divergeaient quant au déroulement des faits et qu'aucune preuve objective ne permettait de retenir une version plutôt qu'une autre. Au surplus, compte tenu de l'ensemble des circonstances, "par gain de paix et dans un esprit d'apaisement", la culpabilité tant de D______ que de E______ ainsi que les conséquences de leurs actes, s'ils devaient être établis, étaient peu importants (art. 52 CP).

b. Dans l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire, le Ministère public considère, au vu des ordonnances de non-entrée en matière partielle rendues, que l'action civile paraissait vouée à l'échec.

D. a.a. Dans ses recours contre les ordonnances de non-entrée en matière partielle, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé son droit à une procédure équitable et une enquête effective et diligente [art. 6 CEDH et 5 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (ci-après : Convention d'Istanbul, RS 0.311.35)]. Après avoir délégué l'instruction de divers actes à la police, le Ministère public aurait dû lui offrir la possibilité de prendre connaissance du dossier, de produire de nouvelles pièces, et de se déterminer. En outre, le contexte – violences faites à l'égard d'une femme migrante sans statut légal – obligeait les autorités suisses à faire preuve dans leur enquête d'une diligence particulière, telle que celle exigée par la Convention d'Istanbul. Or tel n'avait pas été le cas. De plus, malgré le rapport de police du 15 novembre 2022 selon lequel "d'entente" avec elle, son conseil lui poserait des questions dans la suite de la procédure, ce droit lui avait été nié.

Au fond, il existait des soupçons suffisants pour ordonner l'ouverture d'une instruction. Elle avait donné des explications détaillées et crédibles des faits subis et produit un certificat médical attestant du coup porté et d'un stress post-traumatique, alors que les déclarations des autres parties n'étaient pas compatibles avec les constatations médicales. De plus, E______ avait partiellement reconnu les faits de menaces. Ainsi, le Ministère public aurait dû procéder à une audience de confrontation et à l'audition de B______.

En outre, concernant la qualification juridique retenue, les faits dénoncés devaient être qualifiés, à tout le moins, de tentative de lésions corporelles simples et de menaces de mort.

Enfin, les conditions d'application de l'art. 52 CP n'étaient pas remplies, les éléments dénoncés démontrant qu'il ne s'agissait aucunement d'un cas bagatelle.

Quant à sa demande d'assistance judiciaire pour la procédure de recours, elle devait être approuvée. Elle travaillait dans l'économie domestique pour un faible salaire et l'action civile ne paraissait pas vouée à l'échec dans la mesure où elle demandait le remboursement de l'intégralité de ses frais médicaux et l'indemnisation du tort moral subi.

a.b. Dans son recours contre l'ordonnance de refus de l'octroi de l'assistance judiciaire, la recourante reprend les mêmes arguments que ceux invoqués à l'appui de sa demande d'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

Les difficultés de la cause justifiaient l'intervention d'un conseil. Elle se trouvait dans une situation de net désavantage par rapport à ses agresseurs. Elle ne parlait pas la langue, n'avait pas de compétence juridique et se trouvait entravée dans la possibilité de prendre contact avec les autorités judiciaires, vu son statut légal. De plus, le Centre LAVI avait reconnu son statut de victime et la nécessité qu'elle soit assistée d'un avocat. La situation était d'autant plus complexe qu'elle avait la qualité de partie plaignante mais également de prévenue dans la procédure.

a.c. Pour l'ensemble de ses recours, elle produit une note d'honoraires d'un montant de CHF 2'682.81 correspondant à une activité d'associé de 2h20 à CHF 200.- de l'heure – soit 1h00 pour la rédaction du recours contre "refus d'AJ"; et 1h20 pour la rédaction "d'un recours contre ONEM" – et de collaborateur de 13h30 à CHF 150.- de l'heure – soit 1h30 de "travail sur dossier", de 9h00 de rédaction du recours "contre ONEM"; 0h30 pour la rédaction contre "refus d'AJ"; 1h30 pour "finalisation des recours"; et 1h00 pour la prise de connaissance du dossier au Ministère public.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet des recours et se réfère à ses ordonnances.

Tant D______ que E______ avaient contesté les faits décrits par A______ et ce, sans que des contradictions n'apparaissent à ce propos.

La défense de A______ ne nécessitait pas un conseil juridiquement qualifié et le fait que le centre LAVI avait reconnu sa qualité de victime n'y changeait rien.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses recours.

Le coup au dos donné par D______ et les menaces formulées par E______ avaient expressément été reconnus. Le certificat médical, dont les constatations étaient parfaitement compatibles avec son récit, avait été ignoré par le Ministère public, sans aucune explication permettant d'expliquer le diagnostic proposé par l'experte. D'ailleurs, même en cas de doute s'agissant du lien entre les gestes admis par D______ et les lésions constatées, le comportement reproché demeurait constitutif, à tout le moins, de voies de fait et justifiait l'ouverture d'une instruction.

L'administration de preuves supplémentaires, telles que l'audition de l'intervenante LAVI ayant recueilli son récit, de la Dre F______ et la production de son dossier médical complet aux HUG, permettraient de clarifier tout doute.

EN DROIT :

1.             La recourante a déposé trois recours, dirigés contre trois décisions distinctes. Ceux-ci émanant de la même personne et concernant la même procédure, pour le même complexe de faits, il se justifie, par économie de procédure, de les joindre et de les traiter par un seul arrêt, aucun intérêt ne s'opposant à une telle jonction (art. 30 CPP).

2.             Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner des ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

II. Recours contre les ordonnances pénales et de non-entrée en matière partielle

3.             La jurisprudence admet la production de faits et de moyens de preuve nouveaux devant l'instance de recours au moment du dépôt du recours, que le recourant ait été en mesure de les produire en première instance ou non (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2020 du 19 novembre 2022 consid. 2.1).

4.             La recourante invoque notamment l'art. 5 de la Convention d'Istanbul.

Selon la jurisprudence, les dispositions de cette Convention ne créent toutefois pas de droits subjectifs en faveur des particuliers, mais seulement des obligations à l'égard des Etats parties. Cela ressort clairement du libellé de l'art. 5 al. 2 selon lequel "les Parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires…" et des dispositions générales des art. 4 à 6 (Message du Conseil fédéral concernant l'approbation de la Convention d'Istanbul FF 2017 163, 237; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2021 du 19 août 2021 consid. 2.3 et 6B_1015/2019 du 4 décembre 2019 consid. 5.5.7).

Cette convention n'est dès lors d'aucun secours à la recourante. Partant, il convient d'analyser si les ordonnances querellées respectent les droits procéduraux invoqués, conformément au droit fédéral suisse.

5. 5.1. Si le ministère public considère qu'une ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue, il n'a pas à informer les parties de son choix puisque l'art. 318 CPP n'est pas applicable dans une telle situation; le droit d'être entendu des parties sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière (arrêts du Tribunal fédéral 6B_138/2021 du 23 septembre 2021 consid. 3.1; 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 et 6B_892/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1.; 6B_93/2014 du 21 août 2014 et 6B_43/2013 du 11 avril 2013 consid. 2.1). Cette procédure permet aux parties de faire valoir tous leurs griefs – formels et matériels – auprès d'une autorité disposant d'une pleine cognition en fait et en droit. Inversement, faute d'ouverture d'instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas, et ce y compris en cas d'investigations policières diligentées à titre de complément d'enquête requis par le ministère public en vertu de l'art. 309 al. 2 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_496/2018 précité consid. 1.3).

5.2. En l'espèce, on comprend des griefs invoqués, d'une part, que la recourante reproche au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière alors qu'en raison des actes délégués à la police, un classement aurait dû être rendu et, d'autre part, qu'en rendant une telle décision, son droit d'être entendu – impossibilité de prendre connaissance du dossier, de produire de nouvelles pièces, de se déterminer sur les éléments du dossier – avait été violé.

Or, les auditions des mis en cause ont été effectuées dans le cadre des investigations policières, sans qu'une instruction ne soit ouverte. Dans ces circonstances, la procédure n'a pas dépassé le stade des premières investigations, ce qui permettait au Ministère public de rendre une ordonnance de non-entrée en matière et, partant, le dispensait d'interpeller la recourante. En tout état, cette dernière a pu faire valoir devant la Chambre de céans les arguments qu'elle estimait pertinents, de sorte que son droit d'être entendu a été pleinement respecté.

Au regard de ce qui précède, le grief tiré d'une violation de l'art. 6 CEDH est privé de fondement.

Pour le même motif, le grief selon lequel le conseil de la recourante a été empêché de poser des questions dans la suite de la procédure contrairement à ce qui avait été convenu avec la police et protocolé dans le rapport du 15 novembre 2022 sera également rejeté.

6.             La recourante considère qu'il existe des soupçons suffisants à l'encontre des prévenus des chefs de lésions corporelles, à tout le moins de tentative, d'injure et de menaces.

6.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

6.2. Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. Le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

6.3. En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait qu'une dispute est survenue le soir des faits mais divergent sur le déroulement de celle-ci, sans qu'aucun élément de preuve objectif ne permette de privilégier une version plutôt qu'une autre. En particulier, les mis en cause sont restés constants dans leurs dénégations des faits reprochés – pour D______: avoir poussé à plusieurs reprises la recourante dans le dos et au niveau des épaules afin notamment de la faire sortir de l'appartement; et pour E______: avoir dit à la recourante "fuck you", qu'il allait la jeter par la fenêtre et poussée dans le dos afin de la faire sortir de l'appartement –.

Tout au plus, la mise en cause a reconnu avoir donné "une tape" dans le dos de la recourante pour la calmer. Cette dernière conteste avoir été "folle furieuse". Les messages qu'elle a envoyés à la mise en cause tendent cependant à corroborer les déclarations de cette dernière et de son époux quant à son état d'agitation.

En revanche, aucun élément ne permet de confirmer le déroulement des faits tel que décrit par la recourante. Si le certificat médical et les photographies produits permettent certes d'attester d'une contracture para vertébrale droite et d'un stress post-traumatique, il ne renseigne pas sur leur origine et ne fait état ni d'hématomes ni d'ecchymoses.

Dans ce contexte et en l'absence d'autre élément de preuve objectif, on ne voit pas quel acte d'enquête supplémentaire serait pertinent. En particulier, les auditions de B______, de la Dre F______ et de l'intervenante LAVI n'apparaissent pas utiles, les personnes en question n'ayant pas assisté aux faits reprochés. En outre, s'agissant de B______, son témoignage est, dans tous les cas, sujet à caution compte tenu de ses liens d'amitié avec la recourante et des messages que lui-même avaient adressé à la mise en cause. La production du dossier médical de la recourante n'est pas non plus nécessaire, des photographies couleurs figurant déjà au dossier. Enfin, une confrontation ne semble pas non plus probante, dès lors que les parties se sont déjà exprimées lors de leurs interrogatoires respectifs par la police et que tout porte à croire que les mis en cause maintiendraient leurs précédentes déclarations en cas de nouvelle audition.

Partant, faute d'éléments probants au dossier, il n'existe pas de prévention suffisante à l'égard des mis en cause des chefs de lésions corporelles simples, même sous la forme de la tentative, ni, au vu des faits ci-dessus, d'injure ou de menaces de sorte que la décision de non-entrée en matière est à cet égard justifiée.

7.             La recourante reproche au Ministère public de n'avoir pas poursuivi le mis en cause pour menaces.

7.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 134 I 83 consid. 4.1; 133 III 439 consid. 3.3; 130 II 530 consid. 4.3). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée.

7.2. En l'occurrence, le mis en cause admet avoir dit à la plaignante "qu'en passant juste un coup de fil, elle pouvait être renvoyée au[x] Philippines". Or, l'ordonnance querellée est muette à ce sujet. Dès lors, on ne saurait priver la recourante d'un degré de juridiction, ce d'autant que la violation du droit d'être entendu n'a pas été réparée par les observations du Ministère public, qui ne mentionne pas non plus ce fait.

Partant, le recours sera admis sur ce point et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il statue sur cet élément de la plainte.

II. Recours contre la décision de refus de l'assistance judiciaire

8. 8.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

Le législateur a ainsi sciemment limité l'octroi de l'assistance judiciaire aux cas où le plaignant peut faire valoir des prétentions civiles (Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057, p. 1160 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_522/2020 du 11 janvier 2021 consid. 5.1 et les références citées).

8.2. En l'espèce, le Ministère public était fondé à refuser l'octroi de l'assistance judiciaire à la plaignante vu l'issue de sa plainte qui s'est soldée par le prononcé de deux ordonnances de non-entrée en matière partielle. De surcroît, la procédure – qui se résume au dépôt d'une plainte à la police et à la transmission d'une attestation médicale au Ministère public – n'a nécessité aucune activité particulière de la recourante justifiant l'assistance d'un conseil. Que la cause soit renvoyée au Ministère public pour un fait éventuellement constitutif de menaces, voire de contrainte, n'y change rien, la recourante ne formulant aucune prétention civile à cet égard.

Partant, l'assistance judiciaire ne peut lui être octroyée pour cet aspect.

Le recours sera ainsi rejeté et l'ordonnance querellée confirmée.

9. Le recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière concernant E______ est donc partiellement admis; et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

10. Bien que la recourante n'ait obtenu que très partiellement gain de cause, les frais de la procédure de recours seront intégralement laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

11.         La recourante sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

11.1. Pour juger de la nécessité de la désignation d'un conseil juridique au lésé, il faut que le concours d'un avocat soit objectivement ou subjectivement nécessaire. Dite nécessité peut découler des conséquences que l'issue de la procédure pourrait avoir pour le justiciable, de la complexité de la cause quant aux faits ou au droit, ou encore de circonstances personnelles. De manière générale, un recours contre une ordonnance de classement - respectivement de non-entrée en matière (les principes applicables à celle-là valant pour celle-ci, en vertu de l'art. 310 al. 2 CPP) - ne nécessite pas de connaissance juridique particulière, un citoyen ordinaire devant être en mesure de faire valoir ses droits en contestant simplement ladite ordonnance (ATF 123 I 145 consid. 2b/bb et 2b/cc; arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3 et 4.1).

11.2. En l'espèce, il ressort des éléments au dossier que la recourante ne dispose pas des autorisations nécessaires pour séjourner et travailler sur le territoire helvétique, faits pour lesquels une ordonnance pénale a été rendue à son encontre. Elle explique travailler dans l'économie domestique et recevoir un faible salaire, ce que le Ministère public ne conteste pas. Ainsi, quand bien même, elle n'a pas démontré, par pièces, sa situation financière, son indigence peut être admise.

Compte tenu de ces circonstances personnelles et du fait que la recourante obtient très partiellement gain de cause, il sera donné droit à sa requête d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours et Me C______ sera désigné comme conseil juridique gratuit (art. 133 al. 1 cum art. 137 CPP).

12.         Le conseil précité produit un état de frais faisant état d'une activité totale de 15h50 pour la procédure de recours.

12.1.   Le conseil juridique gratuit est rétribué conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP; 16 al. 1 let. c RAJ let. c).

Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

12.2.   En l'occurrence, la recourante n'obtient que très partiellement gain de cause, sur un point qui ne fait l'objet que d'un paragraphe de quatre lignes dans son recours; d'autre part, la note d'honoraire produite ne permet pas de différencier les activités déployées pour chacun des recours, en particulier contre les ordonnances de non-entrée en matière partielle.

Ainsi, une activité nécessaire de deux heures, au tarif horaire de CHF 200.-, apparaît amplement adéquate et sera rémunérée. L'indemnité sera dès lors arrêtée à CHF 430.80 TVA au taux de 7.7% comprise.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Ordonne la jonction des recours.

Admet partiellement le recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière concernant E______ et renvoie la cause au Ministère public, pour qu'il procède au sens des considérants.

Rejette les recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Met A______ au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours et désigne Me C______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Alloue à Me C______, à la charge de l'État, pour l'activité déployée en seconde instance, une indemnité de CHF 430.80 (TVA à 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).