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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1896/2008

ATA/95/2011 du 15.02.2011 sur DCCR/671/2010 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : ASSUJETTISSEMENT(IMPÔT); DOUBLE IMPOSITION; SIÈGE; ÉTABLISSEMENT STABLE; ÉTABLISSEMENT(PERSONNE MORALE); IMPÔT
Normes : LCP.301.al.1.letc ; LHID.21.al1.letb ; Cst.127.al3
Résumé : Rappel de la notion d'établissement stable. Confirmation de la soumission à la taxe professionnelle communale de deux sociétés ayant leur siège à Zürich et exerçant une partie de leur activité de support administratif et de gestion des dossiers à Genève pour laquelle elles emploient environ 150 personnes. Pour le surplus, le cumul d'impôts sur le même bien au plan fédéral, cantonal et communal n'est pas contraire à l'interdiction de la double imposition intercantonale.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1896/2008-ICC ATA/95/2011

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

CHAMBRE ADMINISTRATIVE

du 15 février 2011

 

en section

dans la cause

 

 

A______ S.A.

B______ S.A.

représentées par Me Myriam Nicolazzi, avocate

 

contre

VILLE DE GENÈVE

soit pour elle le service de la taxe professionnelle communale

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 10 mai 2010 (DCCR/671/2010)


EN FAIT

1. Le litige concerne l’assujettissement à la taxe professionnelle communale (ci-après : TPC).

2. A______ S.A. (ci-après : la société 1) déploie ses activités dans le domaine de l’assurance-vie. Le siège de la société se trouve à Zurich.

B______ S.A. (ci-après : la société 2) possède également son siège à Zurich, à la même adresse que la société 1. Son activité principale couvre la prestation d’assurances de toutes sortes et la réassurance, à l’exception de l’assurance-vie. Elle dispose d’une succursale qui est inscrite au registre du commerce de Genève, à l’adresse 2, avenue Y______.

3. Le 24 mars 2006, le service de la TPC de la Ville de Genève (ci-après : le service ou l’intimé) a adressé à chacune des deux sociétés précitées une déclaration pour la taxation 2002. Les sociétés ont contesté leur assujettissement. Elles ne travaillaient qu’avec des agents indépendants, actifs pour leur propre compte. L’activité du bureau qu’elles entretenaient à Genève se limitait au support administratif, leurs collaborateurs n’intervenant pas sur le marché et ne réalisant aucun chiffre d’affaires.

4. Répondant à des correspondances des deux sociétés, le service a pris acte par courrier du 24 avril 2007 qu’elles ne possédaient pas de for fiscal à Genève durant les années 2000 à 2002. Aucun bordereau ne serait émis pour ces périodes. Le service estimait en revanche qu’elles étaient assujetties à la TPC à partir de la période fiscale 2003, puisqu’elles avaient à nouveau un for fiscal dans le canton. Cette décision était justifiée notamment par la présence d’une quote-part d’exploitation dans la répartition intercantonale de l’impôt sur le bénéfice et le capital attribuée au canton de Genève pour la période fiscale 2003.

En annexe au courrier figuraient les bordereaux TPC des deux sociétés pour les années 2003, 2004 et 2005. Les bordereaux étaient calculés sur la base des comptes 2003 de chacune des deux sociétés, conformément à l’art. 310A al. 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05), lors d’un début d’assujettissement. La taxation était définitive pour les années 2003 et 2004, reconduite pour l’année 2005.

Pour la société 1, la taxe était basée sur un chiffre d’affaires annuel de CHF 177'037'353.-, au taux du groupe 11b, applicable aux primes brutes d’assurances et autres produits. Le montant brut de chaque bordereau s’élevait à CHF 151'195.-. Pour la société 2, la taxe était basée sur un chiffre d’affaires annuel de CHF 154'966'325.-, également au taux du groupe 11b. Le montant brut de chaque bordereau s’élevait à CHF 132'099.-.

5. Le 24 mai 2007, la société 1 et la société 2 ont saisi la commission de réclamation en matière de TPC (ci-après : la commission TPC). Reprenant leur argumentation antérieure, elles affirmaient ne posséder aucun établissement stable à Genève, les collaborateurs du bureau genevois n’intervenant pas sur le marché et ne réalisant pas de chiffre d’affaires. Leurs activités ne présentaient qu’un caractère accessoire et secondaire. Leurs produits d’assurance étaient distribués exclusivement par des agents indépendants, travaillant pour leur propre compte.

6. La commission TPC a rejeté les deux réclamations le 24 avril 2008, en se fondant sur des motifs identiques. L’imposition du capital et du bénéfice étant liée à l’existence d’un établissement stable, la commission TPC a souligné que les sociétés indiquaient disposer d’une direction à Genève parallèlement à celles de Zurich et de Berne, ce qui démontrait l’importance de l’unité genevoise. Leur site internet exprimait leur enracinement traditionnel en Suisse, mettant notamment en avant leur direction genevoise. Le fait qu’une direction soit établie à Genève était un élément supplémentaire prouvant la présence d’un établissement stable dans le canton.

Depuis 2003, les sociétés étaient assujetties tant sur leur bénéfice que sur leur capital à Genève. Compte tenu des loyers versés, soit plus de CHF 1'700'000.- pour la société 1 et CHF 1’400'000.- pour la société 2, de l’emploi de près de septante collaborateurs par la société 1 et de plus de cent par la société 2, il ne faisait aucun doute qu’elles possédaient un établissement stable à Genève. Elles étaient, de ce fait, pleinement assujetties à la TPC.

7. Le 23 mai 2008, les deux sociétés ont, par écriture séparée, saisi la commission cantonale de recours en matière d’impôts, remplacée par la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission) et devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance. Invoquant les règles applicables à l’interdiction de la double imposition intercantonale, elles ont nié exercer à Genève une partie quantitativement et qualitativement importante de leur activité commerciale et conclu à l’annulation des bordereaux qui leur avaient été notifiés le 24 avril 2007.

8. Le service a conclu le 28 novembre 2008 au rejet des recours. Les activités déployées par les recourantes sur sol genevois émanaient de l’exploitation d’un établissement stable au sens tant de la jurisprudence que du droit fiscal intercantonal. Même relativement accessoires par rapport à leur activité principale, ces activités ne présentaient pas un caractère mineur, l’antenne genevoise occupant une place importante au sein de l’entreprise. Les activités des recourantes s’exerçaient en outre dans le cadre d’un d’établissement stable, au sens de la circulaire n° 23 de la Conférence suisse des impôts, relative à la répartition fiscale des éléments imposables des compagnies d’assurance du 21 novembre 2006. A teneur de ce document, l’établissement stable se définit comme une unité organisationnelle, composée de plus de trois collaborateurs à plein temps, constituée d’une entité locale administrative propre, indépendamment du fait que l’agent général y exerce son activité sur la base d’un contrat d’agence ou d’un contrat de régie.

9. Les sociétés ont répliqué le 11 février 2009 et déclaré maintenir leur recours. La circulaire n° 23 de la Conférence suisse des impôts n’était pas conforme aux principes dégagés par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’interdiction de la double imposition intercantonale. L’activité déployée par les recourantes à Genève n’était par ailleurs ni quantitativement, ni qualitativement importante au sens de la notion d’établissement stable.

10. Le service a dupliqué le 16 mars 2009 et confirmé sa position relative au caractère quantitativement et qualitativement important de l’activité des deux sociétés, lesquelles possédaient bien un établissement stable à Genève.

11. Après avoir prononcé leur jonction, la commission a rejeté les recours par décision du 10 mai 2010, notifiée le 14 suivant. Les sociétés avaient été soumises à la TPC par la Ville de Genève non pas parce qu’elles disposaient d’agents dans le canton, mais de salariés. A l’issue de la restructuration subie par la société 1 à la fin des années 1990, l’assujettissement de cette dernière à la TPC avait été confirmé par le Tribunal administratif par un arrêt rendu le 13 septembre 2005 (ATA/604/2005). Cet arrêt ne traitait pas de la notion d’assujettissement, mais de la fin de l’activité principale dans le cadre de la restructuration de la société contribuable, la cause ayant été en la circonstance renvoyée à la Ville de Genève pour déterminer la nouvelle assiette fiscale. Les recourantes ne pouvaient par conséquent tirer argument de ce précédent. Leur assujettissement à l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) n’étant pas attaqué, leur soumission à la TPC ne pouvait l’être. L’assiette et le calcul de la TPC au sens de bordereaux n’étaient, pour le surplus, nullement contestés.

12. Le 15 juin 2010, la société 1 et la société 2 ont, par écriture commune, saisi le Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la section administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elles concluent à l’annulation de la décision rendue par la commission le 10 mai 2010, ainsi qu’à l’annulation des bordereaux TPC 2003, 2004 et 2005. La décision attaquée était entachée d’un vice de fond : à l’issue de la jonction qu’avait prononcée la commission, seule la société 2 était mentionnée. La société 1 n’était nommée ni dans le corps de la décision, ni dans son dispositif et la décision ne lui avait pas été notifiée. Sur le fond, contestant entretenir un établissement stable à Genève, les deux sociétés ont indiqué ne pas être assujetties à la TPC, sur la base des mêmes arguments que ceux qu’elles avaient développés antérieurement.

13. Le 30 août 2010, le service intimé a conclu, sous suite de frais et dépens, à la confirmation de la décision attaquée et des bordereaux 2003, 2004 et 2005. Il a renoncé à se prononcer sur le grief relatif à la jonction des recours. Sur le fond, les recourantes contestaient à tort ne pas entretenir d’établissement stable à Genève.

14. Les deux sociétés ont indiqué, par courrier du 13 septembre 2010, maintenir leur recours.

15. La commission a déposé son dossier le 15 octobre 2010 et persisté dans les considérants et le dispositif de sa décision. Invitée à se prononcer sur le grief relatif à la jonction des recours, elle a renoncé à faire connaître sa position.

16. Les parties ont été entendues le 2 décembre 2010. Les recourantes ont indiqué exploiter un immeuble à l’avenue Y______. Environ cent cinquante personnes y travaillaient. Une cinquantaine de personnes était active dans l’assurance vie. Les autres employés œuvraient au service du volet non vie de l’assurance, la plupart de ces derniers travaillant au traitement des sinistres. Le centre de sinistres s’occupait des dossiers de la Suisse romande et, plus largement, de ceux concernant la clientèle de langue française. Les collaborateurs recevaient les avis de sinistre, ouvraient les dossiers et s’occupaient du paiement. L’ordre de paiement était donné depuis Genève, puis exécuté automatiquement à Zurich.

Les deux branches d’activité d’A______ et B______ étaient localisées à la même adresse genevoise. A Zurich, l’adresse était la même pour les deux composantes du groupe A______ et B______, vie et non vie. S’il existait, à teneur de l’annuaire téléphonique, trois agences générales d’A______ et B______ à Genève, celles-ci constituaient des agences indépendantes, la distribution des produits d’assurance étant gérée depuis Zurich. Les exploitants étaient indépendants d’A______ et B______, car ils étaient au bénéfice d’un contrat d’agence, sans être employés par cette dernière. Ils étaient taxés de façon indépendante à Genève, y compris pour la taxe professionnelle communale.

L’intimé a déclaré se baser, pour fonder l’assujettissement et la taxation des contribuables soumis à la TPC, sur les décisions que prenait l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) en matière de détermination du for fiscal. Dans le cas d’espèce, l’AFC avait admis l’existence d’un for fiscal d’exploitation à Genève depuis 2003, à travers les quotes-parts d’exploitation attribuées au canton de Genève permettant une répartition intercantonale du bénéfice réalisé par les sociétés recourantes. Celui-ci avait été répercuté sur les deux sociétés.

A l’issue de l’audience, un délai a été imparti aux parties pour faire part de leur détermination après instruction, la cause étant ensuite gardée à juger.

17. Par écriture du 20 décembre 2010, les parties ont persisté dans leurs moyens et dans leurs conclusions.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l’ensemble des compétences jusqu’alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative de la Cour de justice, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable (art. 56A aLOJ ; art. 63 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 dans sa teneur au 31 décembre 2010).

3. a. Les recourantes considèrent que la décision attaquée est entachée d’un « vice de fond ». Après avoir prononcé la jonction des deux recours – chaque société ayant saisi la commission par une écriture distincte –, celle-ci n’a plus évoqué la société 1 et les éléments qui concernent cette dernière n’apparaissent nulle part dans la décision. La société 1 n’est nommée ni dans le corps, ni dans le dispositif de la décision. Son cas n’aurait ainsi pas été considéré.

Le service intimé n’a pas pris position sur l’argument des recourantes, déclarant s’en remettre à l’appréciation de la chambre administrative. Invitée à s’exprimer sur ce moyen, la commission a renoncé à déposer des observations.

b. Conformément à l’art. 70 al. 1 LPA l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des causes qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune. L’objectif de la jonction consiste à grouper dans la même procédure, par souci d’économie, deux ou plusieurs requêtes présentées de manière distincte (B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 173 ; ATA/578/2010 du 31 août 2010 consid. 1 ; ATA/428/2010 du 22 juin 2006 consid. 1).

Les recourantes ne critiquent pas, à bon droit, le principe de la jonction, pas plus que le respect des conditions posées par l’art. 70 al. 1 LPA. Il n’est en effet pas douteux que la cause repose sur des éléments factuels similaires, présentant de surcroît une simultanéité temporelle. Son objet se pose par ailleurs dans des termes identiques pour les deux sociétés, lesquelles ont développé les mêmes arguments, en sorte que la jonction à laquelle la commission a procédé est justifiée. De l’avis des recourantes, ce sont les conséquences de la jonction qui posent problème, les intérêts de la société 1 n’apparaissant pas, selon elles, de manière suffisamment claire dans la décision de la commission.

c. Il est certes exact que la décision attaquée ne mentionne, au titre de la qualité des parties, que la société 2 et que l’énoncé des faits auquel elle procède n’opère pas de distinction entre les deux recourantes. L’historique de chacune des deux procédures ayant conduit à la saisine de la commission n’est par ailleurs pas retracé de manière systématique. Les moyens que développent les recourantes sur ce point sont toutefois insuffisants à conduire à l’annulation de la décision.

Le raisonnement de la commission mentionne en effet distinctement les deux recours dont celle-ci a été saisie. Les faits à l’origine des deux procédures n’étant pas contestés, la commission a centré son analyse sur la question de l’assujettissement à la TPC. Or, cette question se pose dans des termes identiques pour la société 1 et la société 2, chacune d’elles ayant constamment avancé les mêmes arguments et formulé les mêmes conclusions. De surcroît, le dispositif de la décision attaquée mentionne explicitement les deux recours, en sorte que l’autorité qui lui est attachée concerne effectivement les deux sociétés.

Si la notification de la décision attaquée mentionne uniquement la société 2, cette inadvertance procède d’une assimilation rédactionnelle liée à la jonction des causes qui n’a occasionné aucun préjudice à la société 1. Les recourantes ont en effet leur siège à la même adresse et elles ont, de surcroît, élu domicile auprès du même conseil au sens des art. 9 al. 1 et 46 al. 2 LPA. Elles ont toutes deux été en mesure de prendre connaissance de la décision attaquée et de recourir en temps utile, ainsi que l’atteste la formulation de l’écriture qu’elles ont déposée en commun le 15 juin 2010. Les recourantes n’ont ainsi subi aucun préjudice au sens de l’art. 47 LPA susceptible de conduire à l’annulation de l’acte attaqué (ATA/10/2010 du 12 janvier 2010 consid. 4c et les références citées).

d. Le grief tiré de la violation des règles entourant la jonction doit par conséquent être rejeté.

4. a. L’objet du litige concerne l’assujettissement des recourantes à la TPC, à travers le concept d’établissement stable auquel se réfère l’art. 301 al. 1 let. c LCP. Se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’interdiction de la double imposition intercantonale, les recourantes soutiennent que leur assujettissement à l’ICC est insuffisant à démontrer qu’elles sont également soumises à la TPC, en l’absence d’élément prouvant la présence d’un établissement stable à Genève.

b. La décision attaquée retient que la société 1 et la société 2 sont assujetties à Genève aux impôts directs depuis 2003. La commission s’est fondée pour ce faire sur l’absence de contestation de cet élément, les recourantes ayant admis avoir été taxées par l’administration fiscale cantonale sur une quote-part de leur bénéfice dans le canton de Genève. Les bordereaux ICC relatifs aux exercices fiscaux 2003 à 2005 n’ont toutefois pas été produits.

Lors de l’audience de comparution personnelle, l’effectivité de la taxation ICC des recourantes a également été admise. Le service intimé a pour sa part expliqué, sans être contredit, s’être fondé sur les quotes-parts d’exploitation attribuées au canton de Genève permettant une répartition intercantonale du bénéfice d’exploitation réalisé par les sociétés recourantes. Les avis de répartition intercantonale de l’impôt sur le bénéfice et le capital qu’il a produits concernent les deux sociétés. Ces documents démontrent que la quote-part fiscale qui revient au canton de Genève résulte des activités économiques qu’y exercent les recourantes, et non des biens immobiliers qu’elles sont susceptibles d’y posséder.

c. Tout comme la commission, il sied d’admettre cet élément. L’affirmation des recourantes selon laquelle la répartition intercantonale serait, en l’absence d’établissement stable, uniquement fondée sur le fait qu’elles possèdent des immeubles à Genève ne résiste pas à l’examen et ne peut par conséquent être retenue. Au reste, dût-on admettre que l’assujettissement d’une entreprise à l’ICC repose sur la présence d’immeubles, cet élément ne dispenserait nullement d’examiner l’existence d’un établissement stable au regard des critères fondant l’assujettissement à la TPC.

5. a. Aux termes de l’art. 301 al. 1 let. c LCP, toutes les sociétés anonymes qui ont dans le canton leur siège ou un établissement stable sont assujetties à la TPC.

A teneur des écritures et des éléments du dossier, les recourantes contestent que les tâches qu’accomplit le personnel qu’elles emploient dans l’immeuble de l’avenue Y______ représentent une partie quantitativement et qualitativement importante de leur activité. Le service intimé est de l’opinion contraire.

b. La TPC est une taxe annuelle que les communes du canton de Genève peuvent prélever à certaines conditions auprès des personnes physiques ou morales (art. 301 al. 1 LCP). Il s’agit d’un véritable impôt et non d’une taxe ou d’une charge de préférence, mais il est distinct de l’impôt sur le chiffre d’affaires (ATA/372/2005 du 24 mai 2005 consid. 2a ; ATA/106/2005 du 1er mars 2005 consid. 3a ; RDAF 1987, p. 363 ; RDAF 1980, p. 106 ; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 3ème éd., Bâle 2007, p. 256). Cette taxe se calcule sur la base de coefficients qui s’appliquent aux chiffres annuels des affaires du contribuable, à ses loyers professionnels et à l’effectif de son personnel (art. 302 LCP ; art. 12A à 12C du règlement d’application de diverses dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 30 décembre 1958 - RDLCP - D 3 05.04).

Conformément à la jurisprudence, la notion d’établissement, au sens de l’art. 301 al. 1 let. c LCP, concerne toute installation fixe et permanente dans laquelle s’exerce une partie quantitativement et qualitativement importante de l’activité technique ou commerciale de l’entreprise (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.9/1994 du 6 juin 1995, publié in SJ 1996, p. 100 consid. 3a p. 102). Le Tribunal administratif a jugé que toutes les compagnies, qu’elles aient à Genève leur siège, une succursale ou simplement un établissement stable sont assujetties à la TPC (Arrêt du 13 février 1985, publié in RDAF 1987 consid. 4 p. 364). Ces critères rejoignent la position de la doctrine selon laquelle toutes les installations permanentes dont l’entreprise peut se servir dans le cadre de son exploitation, à l’exemple de succursales ou de bureaux distincts de leur siège, constituent un établissement stable au regard du droit fiscal. Il est à cet égard indifférent que l’activité en cause contribue directement à augmenter le chiffre d’affaires ou qu’elle produise un bénéfice (J.-M. RIVIER, La fiscalité de l’entreprise, Lausanne 1994, p. 384). Ces notions sont conformes à l’interprétation que la jurisprudence a conférée à l’art. 21 al. 1 let. b de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). A teneur de cette disposition, les personnes morales dont le siège ou l’administration effective se trouve hors du canton sont assujetties à l’impôt lorsqu’elles exploitent un établissement stable dans le canton (ATF 134 I 303 consid. 2.2 p. 307).

En l’espèce, il n’est pas contesté que les recourantes exercent une partie de leur activité sur sol genevois. Leur personnel actif dans l’immeuble de l’avenue Y______ accomplit des travaux d’administration et de gestion des dossiers dans le domaine de l’assurance, vie et non vie. Environ cent cinquante personnes sont employées par les deux sociétés, leurs activités se concentrant sur le support de distribution informatique et, pour ce qui est de la branche de l’assurance non vie exploitée par la société 2, sur le traitement et le règlement des sinistres. Le centre de sinistres s’occupe des dossiers de la Suisse romande et, plus largement, de ceux qui concernent la clientèle francophone, comme indiqué lors de l’audience de comparution personnelle.

Au vu de ces éléments de fait, il ne saurait être contesté que les tâches accomplies par les recourantes à Genève constituent une activité commerciale quantitativement et qualitativement significative. C’est à cet égard que celles-ci soutiennent à tort que l’activité déployée dans leur bureaux genevois ne présenterait qu’une importance accessoire ou secondaire, au motif que leurs employés n’interviennent pas sur le marché et qu’ils ne réalisent pas de chiffre d’affaires.

D’une part, l’augmentation du chiffre d’affaires ou la production d’un bénéfice sont des critères dépourvus de pertinence au regard de la notion d’établissement stable, comme indiqué précédemment (cf. RIVIER, op. cit., p. 384). D’autre part, le nombre de personnes qu’emploient les recourantes à Genève est loin d’être négligeable. Il ne saurait à cet égard être sérieusement soutenu que l’administration d’un ensemble de dossiers et l’exploitation d’un centre de règlement des sinistres couvrant la Suisse romande et, plus largement, la clientèle francophone d’une société d’assurance ne constituent que des volets d’importance secondaire. Il s’agit au contraire d’activités centrales, indispensables à la gestion de portefeuilles d’assurance.

De même, la présence d’agents indépendants commercialisant les produits des recourantes à Genève n’est pas de nature à occulter l’importance des activités accomplies dans l’immeuble de l’avenue Y______. Le fait que ces activités présentent, selon les recourantes, un caractère accessoire par rapport aux autres tâches accomplies à leur siège zurichois ne saurait conduire à la conclusion que leur bureau genevois présenterait une importance mineure.

c. Le raisonnement de la commission, selon lequel l’exploitation d’un bureau de plus de cent personnes dans des installations fixes et permanentes représente incontestablement une activité qualitativement significative, essentielle au bon fonctionnement de l’entreprise et visible de l’extérieur, doit par conséquent être confirmé.

6. a. Les recourantes font état de l’arrêt rendu le 13 septembre 2005 par le Tribunal administratif (ATA/604/2005). Comme l’a relevé la commission, ce précédent ne traite nullement de l’assujettissement à la TPC au sens de l’art. 301 al. 1 let. c LCP, mais de la notion de fin de l’activité principale au sens de l’art. 310A al. 4 LCP. A l’issue de la restructuration de la société 1, entreprise en 1997 et qui possédait alors la raison sociale Elvia Vie, l’assujettissement de cette société à la TPC a bien été confirmé. La cause a toutefois été renvoyée à la Ville de Genève afin de déterminer la nouvelle assiette fiscale englobant les activités effectivement déployées par l’intéressée durant la période de taxation pertinente.

b. Le cas d’espèce est différent, en tant qu’il porte sur les éléments fiscaux nouveaux portés à la connaissance de l’intimé sur la base de l’assujettissement des recourantes à l’ICC depuis l’année 2003 aux fins de fixer la TPC à leur charge. Ces dernières ne sauraient par conséquent tirer argument de l’arrêt précité pour prétendre ne pas être assujetties à la TPC.

7. a. Les deux sociétés consacrent de longs développements à la circulaire n° 23 de la Conférence suisse des impôts relative à la répartition fiscale des éléments imposables des compagnies d’assurance et affirment que ce document ne saurait constituer une base d’interprétation pour la TPC. Elles considèrent que leur assujettissement à la TPC n’est pas fondé sur l’exploitation d’un établissement stable à Genève, mais sur un « accord particulier » entre la Conférence suisse des impôts et l’association suisse d’assurances et trouve sa raison d’être du fait de la présence d’immeubles à Genève. Cette opinion ne saurait être suivie.

b. L’assujettissement des recourantes à la TPC ne résulte, en premier lieu, nullement d’un quelconque accord, contrairement à ce qu’elles prétendent dans leurs écritures. Comme indiqué précédemment (supra, consid. 5), il se fonde sur l’art. 301 al. 1 let. c LCP, dont les exigences sont réalisées en l’espèce. En second lieu, la taxation litigieuse n’évoque aucunement la circulaire précitée. La décision attaquée ne mentionne, pour sa part, ce document que marginalement. La circulaire n’est en effet citée qu’à la fin de la décision, en lien avec les développements qu’a consacrés la commission au grief tiré de la double imposition intercantonale. Si la commission a ainsi fait référence à ce document, elle n’en a pas moins souligné de manière explicite que l’assujettissement des recourantes à la TPC découlait d’autres circonstances. Le grief doit par conséquent être écarté.

8. a. Les recourantes font valoir le grief tiré de l’interdiction de la double imposition intercantonale. Elles soulignent que l’assujettissement à l’ICC ne suffit pas à établir, en soi, leur assujettissement à la TPC.

L’intimé relève que, pour fonder la taxation des deux sociétés, il a pris en compte le chef d’assujettissement de ces dernières à l’ICC tel que l’AFC le lui a communiqué. Compte tenu de l’établissement stable qu’exploitent les deux sociétés à Genève et de la quote-part qui revient au canton au titre de l’ICC, l’interdiction de la double imposition intercantonale n’est, selon l’intimé, nullement violée.

b. Conformément à l’art. 127 al. 3 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la double imposition par les cantons est interdite. Ce principe s’oppose à ce qu’un seul et même contribuable (identité du sujet fiscal) soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet (identité de l’objet fiscal), pendant la même période (identité de la période fiscale), à des impôts analogues (similarité des impôts). Ces quatre conditions sont cumulatives (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_619/2010 du 22 novembre 2010 consid. 2.1 et les références doctrinales et jurisprudentielles citées). Il est admis que, en sa qualité d’impôt, la TPC est soumise aux règles posées par la jurisprudence en matière de double imposition intercantonale (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.9/1994 du 6 juin 1995, publié in SJ 1996, p. 100 consid. 2b p. 102 ; X. OBERSON, La compatibilité des impôts cantonaux et communaux au regard de la LHID : l’exemple de la taxe professionnelle communale du canton de Genève, RDAF 2003 II, p. 295).

En principe, le droit d'assujettir un contribuable de manière intégrale et exclusive appartient au canton du domicile fiscal principal de celui-ci (cf. art. 3 LHID). Un droit limité d’assujettissement est cependant reconnu à d’autres cantons pour certaines matières (P. LOCHER, Einführung in das interkantonale Steuerrecht, 3ème éd., Berne 2009, p. 24 ; W. RYSER/B. ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, 4ème éd., Berne 2002, p. 104s.). Ainsi, de jurisprudence constante, le produit d’une activité lucrative indépendante découlant de l’exploitation d’un établissement commercial au moyen d’installations fixes et permanentes, ainsi que la fortune mobilière investie en vue d’exercer cette activité sont imposables dans le canton de l’établissement stable, et non dans le canton du domicile fiscal de l’indépendant (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_23/2009 du 25 mai 2009 consid. 4.3, publié in RDAF 2009 II, p. 438 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.249/2006 du 29 janvier 2007 consid. 3.1 et les autres références citées). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une personne morale imposée dans le canton de son siège statutaire qui constitue son domicile fiscal principal peut aussi être imposée dans un autre canton pour les activités de l’établissement stable qu’elle y entretient et qui crée un domicile fiscal secondaire (ATF 134 I 303 consid. 2.2 p. 307 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.9/1994 du 6 juin 1995, publié in SJ 1996, p. 100 consid. 3a p. 102). La notion d’activité quantitativement et qualitativement importante reçoit pour le surplus une interprétation large de la part de la jurisprudence (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.249/2006 du 29 janvier 2007, consid. 3.2).

Dans le cas d’espèce, il est établi que les bordereaux TPC notifiés aux recourantes se fondent sur le chef de taxation auquel ces dernières sont soumises au regard de l’ICC. Les éléments communiqués par l’AFC à l’intimé résultent de la quote-part fiscale qui revient au canton de Genève au titre de la répartition intercantonale de l’imposition sur le bénéfice et le capital des deux sociétés. Dès lors que les recourantes sont soumises à l’ICC en raison des activités qu’elles mènent à Genève, rien ne s’oppose à ce qu’elles soient également assujetties à la TPC, le cumul d’impôts sur le même bien au plan fédéral, cantonal et communal ne heurtant pas l’interdiction de la double imposition intercantonale au sens de l’art. 127 al. 3 Cst. Le grief des recourantes doit par conséquent être rejeté.

9. a. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

b. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge des recourantes, conjointement et solidairement (art. 87 LPA). Les frais liés à la présence d’un interprète lors de l’audience de comparution personnelle, taxés à hauteur de CHF 245.-, seront également mis à leur charge.

c. Les conclusions de l’intimé tendant à l’octroi d’une indemnité seront rejetées. La Ville de Genève est en effet réputée disposer, au vu de sa taille, des compétences nécessaires pour se défendre elle-même dans l’exercice de ses attributions officielles (ATA/294/2010 du 4 mai 2010 consid. 9c et les références citées ; art. 68 al. 3 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_70/2010 du 20 décembre 2010 consid. 8).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 juin 2010 par A______ S.A. et par B______ S.A. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 10 mai 2010 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ S.A. et d’B______ S.A., prises conjointement et solidairement ;

met les frais d’interprète à hauteur de CHF 245.- à charge de A______ S.A. et de B______ S.A., prises conjointement et solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Myriam Nicolazzi, avocate des recourantes, au service de la taxe professionnelle de la Ville de Genève, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, juge, M. Hottelier, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler-Enz

 

le président-siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :