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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1006/2014

ATA/922/2014 du 25.11.2014 ( DIV ) , ADMIS

Recours TF déposé le 05.02.2015, rendu le 20.02.2015, IRRECEVABLE, 9C_112/2015
Descripteurs : DÉCISION(ART. 5 PA) ; ACTE GÉNÉRAL ET CONCRET ; DÉCISION ADMINISTRATIVE VICIÉE ; INDICATION DES VOIES DE DROIT ; MOTIVATION DE LA DÉCISION ; REFUS DE STATUER ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; PRATIQUE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE ; CHANGEMENT DE PRATIQUE ; ANNULABILITÉ ; CHOIX DU MÉDECIN ; CHOIX DE L'ÉTABLISSEMENT HOSPITALIER ; HOSPITALISATION EXTRA-CANTONALE ; ASSURANCE-MALADIE ET ACCIDENTS ; SOINS MÉDICAUX ; FRAIS DE TRAITEMENT ; FRAIS DE MALADIE ; PLANIFICATION HOSPITALIÈRE
Normes : LOJ.116.al1 ; LOJ.132.al1 ; LPGA.52.al1 ; LPGA.56.al2 ; LAMal.85 ; LAMal.86 ; LPA.4.al1 ; LPA.4.al4 ; LPA.11.al3 ; LPA.19 ; LPA.46.al1 ; LPA.47 ; LPA.62.al6 ; LPA.65 ; LPA.69.al1 ; PA.5 ; Cst.5.al3 ; Cst.29.al2
Résumé : Recours de cliniques privées vaudoises contre le refus par le département genevois en charge de la santé de payer des factures établies par ces cliniques pour des patients résidant à Genève pour les cas relevant du libre choix du patient, soit dans lesquels il n'avait pas accordé de garantie préalable ou pour des situations d'urgence. Le département ayant formulé son refus par simple courrier, la chambre procède à l'examen du caractère décisionnel ou non de ce courrier. Après avoir conclu qu'il s'agissait bien d'une décision et déclaré les recours recevables, l'affaire est renvoyée au département, sa décision n'étant pas suffisamment motivée.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1006/2014-DIV ATA/922/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 novembre 2014

 

dans la cause

 

CLINIQUE PRIVÉE A______

et

B______

et

C______
représentées par Me Philippe Ducor, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’EMPLOI, DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTÉ - DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1) Clinique Privée A______, dont le siège est à Nyon, est une société à responsabilité limitée ayant pour but statutaire : « création, acquisition, gestion, exploitation et mise en valeur de maisons de santé ».

Elle exploite notamment une clinique psychiatrique « Clinique D______ » (ci-après : D______) à Nyon.

2) C______, est une société anonyme dont le siège est à Lausanne qui a pour but statutaire : « exploitation d’une ou plusieurs cliniques ».

Après une fusion le 9 juillet 2012, elle a repris les actifs de la société E______, qui avait repris auparavant les actifs de F______ et exploite ainsi les cliniques médico-chirurgicales « E______ » et « F______ » sises à Lausanne.

3) B______ est une société anonyme ayant pour but statutaire : « exploitation d’un centre médico-chirurgical » qui exploite une clinique médico-chirurgicale « G______ » à Clarens.

4) L’Association vaudoise des cliniques privées (ci-après : Vaud Cliniques) regroupe comme membres onze cliniques privées au nombre desquelles figurent les cliniques médico-chirurgicales et la clinique psychiatrique précitées.

5) Par arrêté du 29 juin 2011 (AListeLAMal - RS-VD 832.11.1), le Conseil d’État du canton de Vaud a édicté, en application de l’art. 38 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), la liste 2012 des établissements hospitaliers admis à pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (ci-après : AOS) avec spécification de leurs pôles d’activité.

Les cinq cliniques privées précitées figurent sur cette liste. Chacune d’entre elles est liée à l’État de Vaud par un mandat de prestations couvrant les années 2013-2014.

6) Un arrêté de teneur similaire à celui du 29 juin 2011 précité a été pris le 23 novembre 2011 par le Conseil d’État du canton de Genève, qui contient également une liste similaire des établissements hospitaliers admis à pratiquer à la charge de l’AOS. Aucune des cinq cliniques privées précitées n’y figure.

7) Du 1er janvier au 30 septembre 2013, dans le canton de Genève, la direction générale de la santé (ci-après : DGS), pour le compte du département des affaires régionales, de l’économie et de la santé, désormais le département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (ci-après : le département), s’est acquittée des factures que les cinq cliniques privées précitées lui ont adressées pour des patients résidant à Genève et qui avaient été soignés dans un de leurs établissements. Il s’agissait d’acquitter la part cantonale de rémunération pour la prise en charge stationnaire dans le canton de Vaud de patients résidant à Genève.

8) Le 2 octobre 2013, la DGS, par la plume de son directeur général (ci-après : le directeur général), a envoyé un courrier de même teneur à chacune des cinq cliniques privées précitées.

Aucune d’elles n’était inscrite sur la liste LAMal genevoise. En revanche, elles étaient admises à pratiquer à la charge de l’AOS en vertu de l’arrêté du conseil d’État vaudois du 29 juin 2011. Cette autorisation était limitée en termes de spécialités et de volumes de prestations par le cadre posé par le mandat de prestations avec le canton de Vaud.

Les « patients genevois », hospitalisés dans les cliniques privées par « convenance personnelle » (« cas non urgents et sans autorisation du médecin cantonal »), devaient respecter les conditions de l’inscription des cliniques sur la liste LAMal vaudoise car ils avaient décidé d'y être hospitalisés en exerçant leur liberté de choix de leur lieu de soin.

La DGS était incapable de vérifier le contenu du mandat de prestations qui les liait à l’État de Vaud. Elle n’avait pas la preuve que ce qui était facturé respectait le quota d’hospitalisations accordé. Sans preuve de couverture des patients par le mandat de prestations, le département ne serait plus en mesure de régler les factures pour les cas d’hospitalisation de patients genevois à la clinique.

Ne seraient honorées que les factures relatives aux hospitalisations qui auront fait l’objet d’une autorisation préalable du Service de la santé publique du canton de Vaud.

Le département réservait la possibilité d’une inscription sur la liste hospitalière du canton de Genève pour un mandat partiel.

Ce courrier, adressé à chacune des cliniques privées par pli ordinaire, ne comportait aucune indication de voies de droit.

9) Le 8 octobre 2013, G______ a transmis à la DGS par courriel son contrat de prestations avec le canton de Vaud. Elle était intéressée à être inscrite sur la liste hospitalière du canton de Genève.

10) Suite à l'envoi du courrier du 2 octobre 2014 précité, la DGS a systématiquement refusé de prendre en charge le paiement des factures que les cliniques privées lui adressaient pour des patients résidant à Genève pour les cas relevant du libre choix du patient, soit dans lesquels elle n’avait pas accordé de garantie préalable ou pour des situations d’urgence. Elle joignait une copie de la lettre du 2 octobre 2013 à ses courriers de refus, à nouveau sans mentionner de voies de droit.

11) Le 1er novembre 2013, Vaud Cliniques a écrit à la DGS au nom de ses membres. Elle avait été informée par ceux-ci des courriers de la DGS relatifs aux patients genevois hospitalisés dans le canton de Vaud.

Elle prenait acte de la position du département et la déplorait. Elle avait une interprétation différente des dispositions légales applicables. Elle se gardait le droit de « contester, respectivement de solliciter une décision au sens formel » afin d’obtenir une confirmation judiciaire de l’interprétation des normes topiques.

12) Le 19 novembre 2013, la DGS a refusé d’inscrire G______ sur la liste hospitalière du canton de Genève. L’établissement ne traitait pas suffisamment de patients résidant sur le canton de Genève. Par conséquent, pour pouvoir honorer les factures concernant les traitements des patients genevois qui seraient pris en charge par cette clinique, celle-ci devait apporter la preuve, par le biais d’une autorisation préalable de la part du Service de la santé publique du canton de Vaud, que le quota de cas d’orthopédie accordé par le canton de Vaud n’avait pas encore été atteint.

13) Le 20 novembre 2013, Vaud Cliniques, déclarant par l’intermédiaire de son conseil agir pour son compte et pour celui de cinq de ses membres dont Clinique Privée A______, C______ et B______, a écrit à la DGS concernant la prise en charge de patients domiciliés à Genève dans les cliniques vaudoises.

Le courrier du 2 octobre 2013 dénotait une confusion entre le concept de planification hospitalière cantonale et celui de libre choix de l’hôpital par les patients. L’État de Genève se devait d’acquitter les factures transmises par les cliniques membres de Vaud Cliniques pour asssurer le respect du principe du libre choix du patient et ceci malgré l’absence de contrat de prestations entre l’État de Genève et les cliniques privées. Si ces dernières n’avaient pas l’obligation d’admettre les patients genevois, elles étaient, en revanche, aptes à les soigner et devaient donc être remboursées pour ceux qu’elles accueillaient.

Les factures devaient être réglées sans délai. Si la prise en charge devait être refusée, la DGS devait prendre une décision formelle pour chacune des cliniques concernées.

14) Par courrier du 2 décembre 2013, D______ a demandé un rendez-vous urgent au conseiller d’État en charge du département (ci-après : le conseiller d’État) pour discuter de la cessation du remboursement des frais d’hospitalisation dans la clinique des patients résidant dans le canton de Genève.

Elle était ouverte à la proposition d’être ajoutée sur la liste hospitalière du canton de Genève.

15) Le 5 décembre 2013, la DGS a répondu au courrier du 20 novembre 2013. Les « démarches genevoises et vaudoises » concernant la prise en charge des patients hors-canton étaient justifiées. Les cantons ne pouvaient pas voir leurs budgets s’alourdir indéfiniment pour les hospitalisations hors-canton et, ceci, au seul bénéfice des assurances complémentaires par un transfert de charge vers l’AOS.

Le libre choix devait profiter en premier lieu aux assurés ne disposant que de l’AOS. Or, les cliniques privées admettaient une majorité de « patients extracantonaux » disposant d’une assurance complémentaire.

La DGS était prête à rencontrer les cliniques privées concernées afin d’examiner l’opportunité d’une éventuelle inscription sur la liste hospitalière genevoise pour un mandat partiel.

16) Le 23 décembre 2013, en réponse au courrier du 2 décembre 2013, le conseiller d’État a demandé à D______ d’envoyer systématiquement une demande de garantie extra-cantonale au médecin-conseil du département qui était à même de décider du caractère nécessaire de l’hospitalisation.

Pour 2014, la liste hospitalière 2014 ne contiendrait pas D______, mais le canton de Genève évaluerait ses besoins hospitaliers au courant de l’année 2014.

17) Le 21 janvier 2014, le conseil de Vaud Cliniques, au nom de ses membres, a réitéré sa position sur la confusion faite par la DGS entre le libre choix de l’établissement de soins et la planification hospitalière. Il n’y avait pas lieu d’exposer les cliniques à de la « tracasserie administrative ». Une des cliniques avait essuyé un refus de sa demande d’inscription sur la liste hospitalière genevoise. Les factures devaient donc être payées ou, dans le cas contraire, la DGS devait prendre une décision formelle.

18) Le 10 février 2014, la DGS a indiqué qu’il persistait une différence d’interprétation juridique sur la portée du libre choix de l’hôpital par les patients.

Le département se prononcerait formellement sur les hospitalisations hors du canton dans les meilleurs délais.

19) Le 28 février 2014, le conseil de Vaud Cliniques a rappelé à la DGS l’obligation des cantons, découlant en particulier de l’art. 58a al. 1 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102), d’assurer la couverture en besoin de soins de leur population résidente, indépendamment du lieu de situation de l’hôpital répertorié où les patients choisissaient de se faire traiter. Les cantons devaient prévoir dans leurs budgets la couverture des patients qui exerçaient leur libre-choix et choisissaient de se faire soigner dans un autre canton. Les besoins de la population résidante devaient être pris en charge indépendamment du lieu de traitement. La seule condition pour la couverture par un hôpital extra-cantonal était qu’il figurât sur la liste du canton de résidence du patient ou du canton de situation de l’hôpital. Les considérations sur le report de charge entre les assurances complémentaires et l’AOS n’entraient pas en ligne de compte.

Elle a demandé à nouveau que « les factures en souffrance de ses mandants [soient] payées ». À défaut, une décision formelle de refus devait être prise avant le 7 mars 2014.

20) Le 4 avril 2014, Clinique Privée A______, B______ et C______ ont recouru individuellement et séparément auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le département pour déni de justice formel. Leurs recours étaient similaires dans leur contenu et leur argumentation, si ce n’était sur certains points qui seront précisés ci-après. Ils ont été enregistrés respectivement sous les nos de cause A/1006/2014, A/1007/2014 et A/1008/2014.

Dans la cause A/1006/2014, la Clinique Privée A______ a pris les conclusions suivantes sur le fond et « sous suite de dépens » :

« - dire et constater que Clinique Privée A______ est habilitée à facturer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (LAMal) pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève dans le pôle d’activité de psychiatrie ;

- dire et constater que l’État de Genève doit à l’avenir s’acquitter des factures adressées à la DGS du canton de Genève pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève hospitalisés dans les établissements exploités par la Clinique Privée A______ ;

- condamner la DGS du canton de Genève à verser à Clinique Privée A______ un montant de CHF 43’294.10 plus intérêts à 5 % l’an à compter du 31 décembre 2013 ».

Dans la cause A/1008/2014, C______ a pris les conclusions suivantes sur le fond et « sous suite de dépens » :

« - dire et constater que C______ est habilitée à facturer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (LAMal) pour les prestations fournies au sein de la E______ à Lausanne à des patients résidant dans le canton de Genève dans les pôles d’activité suivants : médecine interne, obstétrique et chirurgie ;

- dire et constater que C______ est habilitée à facturer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (LAMal) pour les prestations fournies au sein de la F______ à Lausanne à des patients résidant dans le canton de Genève dans les pôles d’activité suivants : médecine interne et chirurgie ;

- dire et constater que l’État de Genève doit à l’avenir s’acquitter des factures adressées à la DGS du canton de Genève pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève hospitalisés à la E______ exploitée par la C______ dans les pôles d’activité suivants : médecine interne, obstétrique et chirurgie, ou tout autre pôle d’activité qui viendrait à être ajouté à l’avenir à cette liste ;

- dire et constater que l’État de Genève doit à l’avenir s’acquitter des factures adressées à la DGS du canton de Genève pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève hospitalisés à la F______ exploitée par la C______ dans les pôles d’activité suivants : médecine interne et chirurgie, ou tout autre pôle d’activité qui viendrait à être ajouté à l’avenir à cette liste ;

- condamner la DGS du canton de Genève à verser à C______ les montants suivants :

CHF 2’662.90 avec intérêts à 5 % l’an dès le 26 novembre 2013 ;

CHF 3’434.10 avec intérêt à 5 % l’an dès le 21 septembre 2013 ;

CHF 2’607.80 avec intérêts à 5 % l’an dès le 26 février 2014 ;

CHF 5’615.70 avec intérêt à 5 % l’an dès le 26 février 2014 ;

CHF 1’050.90 avec intérêts à 5 % l’an dès le 11 mars 2014 ».

Dans la cause A/1007/2014, B______ a pris les conclusions suivantes sur le fond et « sous suite de dépens » :

« - dire et constater que B______ est habilitée à facturer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (LAMal) pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève dans le domaine de la chirurgie ;

- dire constater que l’État de Genève doit à l’avenir s’acquitter des factures adressées à la DGS du canton de Genève pour les prestations fournies à des patients résidant dans le canton de Genève hospitalisés dans les établissements exploités par la B______ dans le domaine de la chirurgie ou tout autre pôle activité qui viendrait à être ajoutée à l’avenir à cette liste ;

- condamner la DGS du canton de Genève à verser à B______ les montants suivants :

CHF 10’697.30 plus intérêts à 5 % l’an à compter du 26 novembre 2013 ;

CHF 55’752.60 plus intérêts à 5 % l’an à compter du 17 janvier 2014 ».

La chambre administrative était compétente pour connaître des litiges entre les prestataires de soins et les cantons car il ne s’agissait pas de litiges entre assureurs et assurés.

Le refus de la DGS de rendre une décision formelle, malgré la mise en demeure du 28 février 2014, était assimilé à une décision susceptible de recours. Les recours avaient été déposés dans les trente jours suivant le délai imparti à la DGS pour rendre une décision formelle.

Les recourantes étaient en droit d’exiger d’obtenir que l’autorité statue par une décision en vue d’accorder une protection procédurale à des droits reconnus.

Le financement était désormais « dual-fixe » entre les cantons et les assurances-maladies. Les cantons devaient prévoir une planification hospitalière. Dans le même temps, le libre choix de l’établissement hospitalier était garanti pour les patients. La condition d’exercice de ce choix était que l’hôpital fût présent sur la liste du canton de résidence du patient ou celle du canton où se situait l’hôpital. En outre, ce dernier devait être apte à traiter la maladie du patient. Les conditions légales étaient remplies par les trois recourantes.

L’exercice du libre choix par le patient n’avait pas de conséquences pour la planification budgétaire cantonale, les tarifs remboursés aux hôpitaux situés hors du canton étant plafonnés au niveau de ceux du canton de résidence.

Le devoir de coordination de la planification hospitalière des cantons s’inscrivait dans la nécessité pour ces derniers de ne pas souffrir de surcapacité ou de sous-capacité hospitalière. La coordination permettait de s’assurer de la libre concurrence entre établissements hospitaliers, objectif cardinal du nouveau système de financement des hôpitaux. En refusant de couvrir les patients se faisant soigner hors du canton, la DGS mettait en échec le principe de libre concurrence.

En cessant subitement de payer les factures des hospitalisations de patients genevois, la DGS avait violé le principe de la bonne foi. Le changement de pratique ne reposait sur aucune raison pertinente, la législation cantonale n’ayant, notamment, pas changé. La DGS était tenue par son comportement et devait continuer à payer les factures.

21) Dans les trois causes précitées, le juge délégué a ouvert une instruction sur la compétence de la chambre administrative, le 7 avril 2014, et accordé à l’intimé un délai au 28 avril 2014 pour se déterminer sur cette question. Sur demande du département, le délai a été ensuite prolongé au 5 mai 2014.

22) Dans les trois causes précitées, par courrier du 9 avril 2014 adressé au conseil de Vaud Cliniques en référence aux courriers du 20 novembre 2013, du 21 janvier et du 28 février 2014, le conseiller d’État a proposé d’attendre les résultats des travaux d’un groupe de travail technique qui pourraient déboucher sur un accord. La création de ce groupe de travail, constitué de représentants des départements de la santé vaudois et genevois et de représentants des cliniques privées, avait été proposé suite à la réunion du 31 mars 2014 entre les conseillers d’État vaudois et genevois en charge de la santé et des représentants des cliniques privées.

Le conseiller d’État a constaté qu’aucune suite n’avait été donnée au courrier de la DGS du 2 octobre 2013. L’exercice du libre choix par le patient était limité aux établissements répertoriés et à leur mandat de prestations, ce qui était un point de désaccord avec les cliniques privées. Avant de trouver un éventuel accord, il demandait des informations supplémentaires sur les factures litigieuses des différentes cliniques.

23) Le 5 mai 2014, dans les trois causes précitées, le département a admis la compétence de la chambre administrative, pour ce qui était du recours pour déni de justice du 4 avril 2014.

Il avait envoyé à Vaud Cliniques son courrier du 9 avril 2014 avant que le département eût connaissance des recours du 4 avril 2014.

Sur le fond, les cliniques privées essayaient en réalité d’obtenir une somme de décisions individuelles portant chacune sur le cas particulier d’un patient, pour lequel la participation de l’État de Genève avait été refusée. Les cliniques privées n’avaient pas détaillé leurs prétentions chiffrées, notamment concernant l’identité des patients, la nature de l’hospitalisation, sa durée et sa justification. L’État de Genève pourrait alors décider, dans le cadre de sa planification hospitalière, si la prise en charge pouvait être envisagée à titre dérogatoire.

Dans l’hypothèse où la compétence de la chambre administrative serait admise, le département demanderait un délai supplémentaire pour se prononcer sur l’existence, contestée, d’un déni de justice.

24) Le 6 mai 2014, dans les trois causes précitées, le juge délégué a transmis le courrier aux cliniques privées avec délai au 21 mai 2014 pour se déterminer sur une demande de suspension de la procédure.

25) Le 7 mai 2014, dans la cause A/1006/2014, Clinique Privée A______ a indiqué à la DGS être en attente des suites de la proposition, qui lui avait été faite lors de la réunion du 31 mars 2014 par le conseiller d’État, d’inclure D______ sur la liste hospitalière du canton de Genève. Un article de journal du 16 mars 2014 relayant cette information était joint au courrier.

26) Le 21 mai 2014, dans les trois causes précitées les cliniques privées ont refusé de suspendre la procédure. Le contenu de leur détermination était similaire à l’exception d’arguments individuels qui seront rappelés ci-dessous.

Les quotas d’hospitalisation vaudois étaient sans pertinence à l’égard des patients genevois. Le canton de Vaud n’avait aucune compétence pour se prononcer sur l’admission de patients genevois.

G______ avait demandé à être inscrite sur la liste hospitalière du canton de Genève le 8 octobre 2013. La demande avait été refusée par la DGS le 19 novembre 2013. Il était donc étonnant que la même proposition fût faite à G______ le 5 décembre 2013.

Depuis les recours du 4 avril 2014, sans explications, quatre des six factures en souffrance envoyées par G______ avaient été payées par la DGS. Des cas similaires avaient été traités différemment avec certains cas pris en charge au tarif de référence LAMal, d’autres refusés. La pratique de la DGS était contraire à la LAMal mais aussi incohérente par rapport à sa propre interprétation de la loi.

Le conseiller d’État avait reconnu la situation particulière de D______ dans la couverture des besoins psychiatriques de la population genevoise. Il avait proposé à la clinique de discuter de l’inclusion de la clinique sur la liste hospitalière genevoise. Le 7 avril 2014, une réunion entre la DGS et D______ avait eu lieu. La DGS avait signalé que, compte tenu du recours du 4 avril 2014, l’inclusion de la clinique dans la liste genevoise serait problématique.

Le 2 décembre 2013, D______ avait adressé un courrier au conseiller d’État alors en charge afin de discuter de la notion du libre choix de l’hôpital par le patient et de la possibilité d’être incluse dans la liste hospitalière du canton de Genève. En outre, le 1er novembre 2013, Vaud Cliniques avait déploré la prise de position des autorités cantonales.

Les cliniques privées avaient requis à trois reprises une décision formelle de la DGS. À l’échéance du délai fixé au 7 mars 2014, le département n’avait pas rendu une telle décision. Le département n’avait cessé de temporiser.

Aucun groupe de travail technique n’avait été créé suite à la réunion du 31 mars 2014. Aucune mesure concrète n’avait été prise en vue de la création de ce groupe. La suspension de la procédure ne saurait donc aboutir à un quelconque accord.

Si elle reconnaissait le déni de justice, la chambre administrative pouvait statuer sur le fond et, donc les demandes chiffrées des cliniques privées, si elle estimait avoir les pièces suffisantes pour le faire. Les cliniques privées n’avaient pas produit les pièces détaillées afin de garder confidentielles des données protégées par le secret professionnel, mais elles restaient à disposition de la chambre administrative afin de produire l’intégralité des pièces nécessaires.

27) Le 22 mai 2014, le juge délégué a constaté que les parties ne remettaient pas en cause la compétence de la chambre administrative, qui paraissait, prima facie, acquise.

Comme la proposition de suspension de procédure n’était pas agréée par les cliniques privées, le département avait jusqu’au 25 juin 2014 pour se déterminer sur le fond. Ce délai a été ensuite prolongé, à titre exceptionnel, au 15 juillet 2014.

28) Le 16 juin 2014, les cliniques privées ont transmis à la chambre administrative une copie d’un courrier du 28 avril 2014 adressé par le canton de Neuchâtel aux « hôpitaux non universitaires répertoriés sur une liste hospitalière cantonale ».

Le courrier démontrait que le canton de Neuchâtel considérait que la circulation des patients extra-cantonaux par convenance personnelle était libre dans la mesure où ils avaient choisi de se faire traiter sur une liste hospitalière cantonale. Les demandes de garantie pour ce type d’hospitalisation étaient donc superflues. Comme il s’agissait d’une réglementation fédérale qui devait s’appliquer de manière uniforme en Suisse, l’État de Genève était invité à verser la part cantonale en cas d’hospitalisations extra-cantonales par convenance personnelle, sans exigences préalables.

29) Le 17 juin 2014, au vu de la prolongation de délai octroyée au département, le juge délégué a accepté, exceptionnellement, de transmettre au département le courrier spontané du 16 juin 2014 précité.

30) Le 14 juillet 2014, le département s’est déterminé sur le fond du recours de D______.

Le courrier du 2 octobre 2014 était une décision, dès lors qu’il constatait l’étendue de droits. En tout état de cause, chaque courrier de la DGS adressé à D______ refusant une prise en charge de la part cantonale, avec en annexe le courrier du 2 octobre 2014, était une décision. Le département avait donc déjà statué sur chaque facture produite par D______. Le grief de déni de justice était donc mal fondé.

Si la chambre administrative devait conclure au déni de justice, la cause devait être envoyée au département avec des instructions impératives.

Le courrier de D______ du 16 juin 2014, en tant qu’écriture spontanée, devait être déclaré irrecevable.

31) Le 15 juillet 2014, le juge délégué a accordé aux cliniques privées un délai au 25 juillet 2014 pour formuler toute requête complémentaire.

32) Le 25 juillet 2014, les cliniques privées ont exercé leur droit à la réplique. Elles relevaient une « volte-face » du département concernant le courrier du 2 octobre 2013.

Ce dernier ne constituait pas une décision administrative. La motivation était vague. Les bases légales sur lesquelles la décision serait basée n’étaient pas mentionnées. Le délai et les voies de recours n’étaient pas indiqués. Le département ne pouvait pas se prévaloir d’une notification irrégulière. Il considérait lui-même que le courrier du 2 octobre 2014 n’était pas une décision comme exprimé notamment dans son courrier du 10 février 2014.

Même s’il devait être considéré que la lettre du 2 octobre 2014 combinée avec les formulaires de refus, était une décision, il faudrait tout de même une décision formelle au vu des changements de position du département concernant le remboursement de factures. En effet, le département avait été inconstant dans le traitement des factures des cliniques privées vaudoises, certaines factures ayant été réglées après le 2 octobre 2013 et d’autres pas sans que l’on comprenne la logique de ces choix.

Pour ce qui était des lettres du 16 juin 2014 adressées à la chambre administrative, le département n’était pas en position de critiquer ces courriers. Il avait été lui-même, dans ses écritures des 5 mai et 14 juillet 2014, allé au-delà de ce que la chambre administrative lui avait demandé.

33) Le même jour, les causes ont été gardées à juger.

EN DROIT

1) Les causes nos A/1006/2014, A/1007/2014 et A/1008/2014 se rapportant à des faits éminemment connexes et à une cause juridique commune, seront jointes en application de l’art. 70 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sous le numéro de cause A/1006/2014.

2) La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative. Les compétences de la chambre des assurances sociales sont réservées (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - RS E 2 05). Aucune loi ne prévoit la compétence du Tribunal administratif de première instance en matière de contentieux lié aux assurances sociales (art. 116 al. 1 LOJ).

En matière d’assurance-maladie, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales) connaît en instance cantonale de recours unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), et qui sont relatives à la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), opposant des assureurs et des assurés, à l’issue d’une procédure d’opposition (art. 52. al. 1 et 56 al. 2 LPGA ; art. 85 et 86 LAMal).

La chambre administrative conserve la compétence résiduelle pour les litiges surgissant entre les autorités et des prestataires de soins, si bien qu’elle est habilitée à connaître du présent litige.

3) Pour déterminer si le département a commis le déni de justice qui lui est imputé, il convient préalablement de se pencher sur la nature du courrier du 2 octobre 2013.

4) a. Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

b. En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 8C_220/2011 du 2 mars 2012 ; 8C_191/2010 du 12 octobre 2010 consid. 6.1 ; 1C_408/2008 du 16 juillet 2009 consid. 2 ; ATA/238/2013 du 16 avril 2013 consid. 3a; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, n. 867 ss ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, pp. 179 ss n. 2.1.2.1 ss et 245 n. 2.2.3.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 269 ss n. 783 ss).

c. Certaines décisions sont qualifiées de générales ou collectives selon les auteurs. Il s’agit d’un acte de l’administration visant à régler des situations déterminées, mais qui s’adresse à un nombre indéterminé de personnes (ATF 134 II 272 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 278 n. 809 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 185 n. 2.2.1.2). A ainsi été considéré comme tel un arrêté suspendant l’augmentation du traitement du personnel d’un canton pendant une année scolaire déterminée (ATF 125 I 313 consid. 2a).

d. Le régime des décisions générales est hybride. Il emprunte à la fois à celui de la décision et à celui de la norme (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 278 n. 809. Il s’agit d’actes qui, comme une décision particulière, régissent une situation déterminée, mais qui, à l’instar d’une norme légale, s’adressent à un nombre important de personnes qui ne sont individuellement pas déterminées. Ils ont vocation à s’appliquer directement à la majorité des intéressés potentiels en fonction d’une situation de fait suffisamment concrète, sans qu’il ne soit besoin de les mettre en oeuvre au moyen d’un autre acte de l’autorité (ATF 134 II 272, consid. 3.2 p. 280 ; 2C_330/2013 du 10 septembre 2013 consid. 3.4.5 ; 2C_609/2010 du 18 juin 2011 consid. 1.1.1). Du point de vue de la protection juridique, une décision générale est susceptible de faire l’objet d’un recours direct (ATF 126 II 300 consid. 1 ; ATF 125 I 313 consid. 2b p. 316 s ; 112 Ib 249 consid. 2b p. 251 s) mais elle doit également pouvoir faire l’objet d’un contrôle préjudiciel à l’occasion d’un acte application (ATF 134 II 272 consid. 3.3 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 279 n. 810 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 202 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, op. cit., n. 930).

e. Lorsqu’une autorité mise en demeure refuse sans droit de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision (art. 4 al. 4 LPA). Dans un tel cas, une partie peut recourir en tout temps pour déni de justice, ou retard non justifié, si l’autorité concernée ne donne pas suite rapidement à la mise en demeure prévue à l’art. 4 al. 4 LPA (art. 62 al. 6 LPA).

5) En l’espèce, le courrier du 2 octobre 2013 adressé par le département à l’ensemble des cliniques privées, au nombre desquelles les recourantes les informaient que seules les factures relatives aux hospitalisations qui auraient fait l’objet d’une autorisation préalable par le Service de la santé publique du canton de Vaud seraient remboursées. Vis-à-vis des recourantes, il a manifesté par cette communication sa volonté arrêtée de mettre fin à un droit qu’il leur avait été reconnu jusque-là en se fondant sur une interprétation nouvelle de la loi, alors que jusque-ici, il leur avait remboursé leurs factures pour les frais d’hospitalisation de patients genevois. La communication adressée à chacune des recourantes a produit, dès sa réception, des effets sur leur situation juridique actuelle et future. C’est en s’y référant, au demeurant, que les services du département ont par la suite refusé systématiquement d’entrer en matière sur le règlement desdites factures. Ce faisant, la chambre administrative retiendra que le département a pris vis-à-vis de chacune des recourantes une décision de principe, qui peut être qualifiée de générale, laquelle constitue une décision au sens de l’art. 4 LPA.

6) Dans la mesure où une décision est intervenue le 2 octobre 2013, le département échappe à tout grief de déni de justice. Les recours ne peuvent cependant être rejetés à partir de ce seul constat car la procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire et celle de l’application d’office du droit, la chambre administrative établissant les faits d’office (art. 19 LPA) et disant le droit sans être limitée par les moyens soulevés par les parties (art. 69 al. 1 LPA).

En effet, dès lors que l’on admet que le courrier du 2 octobre 2013 constitue une décision, il reste à déterminer si la démarche des recourantes, qui s’en prennent chacune à la décision qu’il contient au travers des griefs qu’elles formulent contre le refus du département de s’acquitter des factures qu’elles lui ont adressé après le 2 octobre 2013, ne constitue pas en réalité un recours contre cette décision.

La réponse à cette question doit être affirmative. Même si les recourantes ont affirmé, par l’intitulé de leurs recours, recourir pour déni de justice, la teneur de leurs conclusions permet d’admettre qu’elles s’en prenaient au refus que l’intimé leur avait signifié le 2 octobre 2014 de prendre dorénavant en charge les factures des patients genevois, à la charge de l’AOS, hospitalisés dans le canton de Vaud et que leur contestation était dirigée contre cette décision.

7) Il s’agit de déterminer si les recours déposés le 4 avril l’ont été en temps utile.

La décision de refus du département du 2 octobre 2013 constitue une décision finale. Contre une telle décision, le délai de recours est de trente jours (art. 62 al. 1 let. a LPA). À l’échéance de ce délai, à moins d’être contestées devant l’instance de recours, les décisions entrent en force de chose décidée et déploient leurs effets.

8)Selon l’art. 46 al. 1 LPA, les décisions administratives doivent notamment être désignées comme telles et indiquer les voies et délais de recours disponibles pour les contester. De jurisprudence constante, l’absence de mention des voies de droit dans une décision constitue un vice formel qui rend sa notification irrégulière (ATF 125 V 65 consid. 4 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 303 n. 884 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 349 n. 2.2.8.3).

9) a. Une notification irrégulière ne peut entraîner de préjudice pour les parties (art. 47 LPA). L’absence de mention des voies de droit est un vice formel susceptible d’avoir pour effet non pas que la décision soit invalidée pour ce motif, mais que le délai de recours ne court pas ou doit être restitué (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 522 n. 1575 ; Pierre MOOR, Droit administratif, vol. II, 2ème éd., 2002, p. 304 et les références citées). En effet, la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité (ATF 132 I 249 consid. 6 qui concerne une problématique de notification en matière civile ; 122 I 97 consid. 3a.aa ; 111 V 149 consid. 4c), même si, selon le Tribunal fédéral, le fait de reconnaître un effet guérisseur au succès factuel d’une notification viciée comporte le risque, souligné par une partie de la doctrine, d’avoir pour conséquence que le respect des exigences légales soit peu à peu abandonné, ces dernières étant réduites à de simples règles d’ordre et les justiciables étant déchus du droit d’obtenir des communications transmises par la voie et selon les modalités légales (ATF 132 I 249 consid. 6 et la doctrine citée).

b. Ce principe général découle des règles de la bonne foi qui, conformément à l’art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), imposent également des devoirs à l’autorité dans la conduite d’une procédure (ATF 123 II 231 ; 119 IV 330 consid. 1c ; 117 Ia 297 consid. 2 ; ATA/141/2013 du 11 mars 2014 consid. 9 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 271 ; Jean-François EGLI, La protection de la bonne foi dans le procès in Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, 1992, p. 228).

c. Le principe constitutionnel de la bonne foi rappelé ci-dessus s’applique également aux administrés dans leurs rapports avec l’autorité. Cette règle tempère la portée de la restitution des délais imposée par l’art. 47 LPA lorsqu’une décision omet de mentionner les voies de droit. Ainsi, la restitution de délai n’est pas automatique. Celle-ci doit être examinée, d’après les circonstances du cas concret. Il s’agit de déterminer si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice en s’en tenant aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice de forme (ATF 131 I 153 consid. 4 p. 158 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_318/2009 du 10 décembre 2009 consid. 3.3 et les références citées ; ATA/147/2013 du 5 mars 2013 consid. 4.a ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, op. cit., p. 354 n. 1645/1646 ; Jean-François EGLI, op. cit., p. 231 ss).

En particulier, une décision, mêmenotifiée de manière irrégulière, peut entrer en force si elle n’est pas déférée au juge dans un délai raisonnable (arrêts du Tribunal fédéral 8C_216/2012 du 5 avril 2013 consid. 3.1 ; 2C_318/2009 précité consid. 3.3 et les références citées ; ATA/147/2013 précité). Le destinataire d’une décision, reconnaissable comme telle, mais sans indication de voie ni de délai de recours, doit entreprendre dans un délai raisonnable les démarches voulues pour sauvegarder ses droits. On peut attendre de lui qu’il se renseigne auprès d’un avocat ou de l’autorité qui a statué et, qu’une fois renseigné, il agisse en temps utile (ATF 119 IV 330 consid. 1c p. 332 ; 112 Ib 417 consid. 2d p. 422 ; 111 Ia 280 consid. 2b p. 282 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_318/2009 précité consid. 3.3 et les références citées ; ATA/458/2010 du 29 juin 2010 ; ATA/185/2006 du 28 mars 2006 consid. 6 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., n. 2.2.7.4 ; Jean-François EGLI, op. cit., p. 232).

En l’occurrence, les recourantes ne sont pas restées inactives à la suite de la réception du courrier du 2 octobre 2013. Tout d’abord, elles ont interpellé la DGS de façon coordonnée à travers Vaud Cliniques, par leurs courriers des 1er et 20 novembre 2013, puis à nouveau le 21 janvier 2014. À chaque fois, elles ont demandé le règlement des factures ou requis, à défaut, une décision formelle du département. Lorsque le département a répondu à ces courriers, il n’a jamais fait état de ce qu’il considérait avoir déjà statué. Il n’a pas non plus transmis les trois courriers précités à la chambre de céans, ainsi que l’art. 11 al. 3 LPA lui commandait de faire. Au contraire il a répondu à Vaud Cliniques le 10 février 2014 qu’il se prononcerait formellement sur cette demande, laissant entendre qu’aucune décision n’avait été prise. C’est dans ce contexte d’incertitude que le 28 février 2014, Vaud Cliniques a mis en demeure le département de prendre une décision au 7 mars 2014, puis que, devant le silence de celui-ci, le 4 avril 2014, les cliniques privées ont recouru pour déni de justice, en prenant les conclusions rappelées ci-dessus. Ce n’est que dans sa réponse au recours du 14 juillet 2014 que le département, changeant de position, a considéré et admis que son courrier du 2 octobre 2013 constituait déjà une décision formelle.

Dans ce contexte incertain, imputable en partie aux atermoiements du département face aux courriers que les recourantes lui avaient adressés à la suite de son courrier du 2 octobre 2013, on ne peut faire le reproche aux recourantes d’avoir tardivement saisi la justice par leurs recours du 4 avril 2014.

10) Leurs recours, dirigés contre la décision du 2 octobre 2014, sont recevables sous l’angle du respect du délai de recours. Ils le sont également au regard des autres critères de l’art. 65 LPA, si bien qu’il y a lieu d’entrer en matière à leur sujet.

11) La jurisprudence du Tribunal fédéral a également déduit du principe du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’obtenir une décision motivée (136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; 136 I 184 consid. 2.2 p. 88; Thierry TANQUEREL, op. cit., 2011, p. 521 n. 1573). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 136 I 184 consid. 2.2.1 p. 188 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_997/2011 du 3 avril 2012 consid. 3 ; 1C_311/2010 du 7 octobre 2010 consid. 3.1 ; 9C_831/2009 du 12 août 2010 et les arrêts cités ; ATA/268/2012 du 8 mai 2012). L’obligation de motiver est d’autant plus stricte lorsqu’elle repose sur un pouvoir de libre appréciation de l’autorité, lorsqu’elle porte gravement atteinte à un droit constitutionnel de l’intéressé, lorsque l’affaire est particulièrement complexe, lorsqu’il s’agit d’une dérogation à une règle légale ou lorsque l’autorité adopte un changement de pratique (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 351 n. 2.2.8.3 et les références citées).

En l’occurrence, la décision du département du 2 octobre 2013 communiquée à chacune des recourantes n’était pas d’une portée anodine pour ses destinataires. Elle remettait en effet en question une pratique administrative sur laquelle celles-ci s’étaient jusque-là fondées pour fournir des prestations de santé à des patients domiciliés dans le canton de Genève, et elle était susceptible d’engendrer des conséquences financières importantes pour les cliniques privées. Dans ce contexte, si le département désirait se fonder à l’avenir sur une telle décision pour dorénavant refuser la prise en charge de factures qu’il avait honorées jusque-là, il se devait de mentionner dans sa décision les moyens de droit leur permettant de la contester.

De plus, si le courrier rappelle le principe du libre choix de l’hôpital, l’existence d’une liste LAMal genevoise et se réfère d’une manière générale à la LAMAL, les bases légales sur lesquelles l’autorité a fondé son changement d’interprétation de la loi en faisaient défaut. La question de la conformité au droit de la position adoptée par le département le 2 septembre 2013 ne s’impose pas sur la base d’une interprétation littérale des textes légaux, comme le révèlent les échanges ultérieurs qui sont intervenus entre les recourantes et la DGS. Les décisions du 2 octobre 2013 ne sont pas de simples décisions de routine et d’application d’un principe établi, mais un changement de pratique sur des règles relativement récentes et qui sont susceptibles d’interprétation divergente. Dans un tel contexte, l’interprétation de la LAMal retenue par le département impliquait une explication juridique détaillée, exposée dans la décision au travers d’une motivation précise qui n’y figure pas, exigence d’autant plus grande qu’elle n’a pas fait l’objet d’une phase de concertation préalable lors de laquelle les destinataires concernés et identifiés auraient pu se déterminer préalablement.

Au vu de l’enjeu pour les parties, voire pour les tiers assurés, l’exigence d’une décision conforme sur le plan matériel aux exigences posées par l’art. 46 LPA, au-delà du rappel des voies de droit, soit mentionnant expressément son caractère décisionnel et contenant une motivation, était d’autant plus importante. Sous ces deux derniers angles, la décision du 2 octobre 2013 était imparfaite et par celle-ci le département a violé une deuxième fois le droit d’être entendu des recourantes, sous l’angle, cette fois-ci, de leur droit à se voir notifier des décisions motivées.

12) Les éléments en possession de la chambre administrative ne permettent pas, dans le cadre de cette procédure, de réparer devant elle les vices constatés dans la décision attaquée. Pour cette raison, la décision du 2 octobre 2013 sera annulée et la cause renvoyée au département pour la notification d’une nouvelle décision générale portant sur le remboursement des frais d’hospitalisation dans les cliniques privées des patients résidant à Genève à la charge de l’AOS, et qu’elle soit valablement notifiée aux recourantes, sauf à ce que l’autorité intimée ne préfère régler la totalité du différend par la notification de décisions individuelles et concrètes réglant également la question des factures en souffrance. En toute hypothèse, lesdites décisions devront être motivées et indiquer les voies et délais de recours.

13) Au vu de ce qui précède, les recours du 9 avril 2014 seront admis en tant qu’ils concernaient la décision du 2 octobre 2013 et les causes renvoyées au département pour nouvelles décisions au sens des considérants.

14) Malgré l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de l’État de Genève(art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à chacune des recourantes (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/1006/2014, A/1007/2014 et A/1008/2014 sous le no A/1006/2014.

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 4 avril 2014 par Clinique Privée A______, C______ et B______ ;

au fond :

admet les recours au sens des considérants ;

annule les décisions du département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé - direction générale de la santé du 2 octobre 2013 adressées à Clinique Privée A______, à C______ et à B______ ;

renvoie les dossiers au département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé - direction générale de la santé pour nouvelle décision au sens des considérants;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure, de CHF 1’000.- chacune, à Clinique Privée A______, C______ et B______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Ducor, avocat des recourantes, ainsi qu’au département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé - direction générale de la santé.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :