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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3543/2017

ATA/791/2019 du 16.04.2019 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3543/2017-EXPLOI ATA/791/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2019

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA et B______ SA
représentées par Me Urs Saal, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1. Madame C______, détentrice d’un diplôme de cafetier depuis le 27 janvier 2017, est administratrice unique des sociétés anonymes A______ SA, à Genève, et B______ SA, à Fribourg (ci-après : les sociétés). En 2017, la première était propriétaire des établissements à l’enseigne « B______ » sis à Genève, rue du D______, respectivement boulevard E______. La seconde était propriétaire de l’établissement à l’enseigne « B______ » sis à Genève, rue du F______.

2. Les trois établissements susmentionnés n’ont plus d’exploitant autorisé depuis l’entrée en force, sans avoir été contestées, des décisions du 2 novembre 2016 du PCTN retirant les autorisations d’exploiter aux précédents exploitants.

3. Par courrier A+ du 18 mai 2017, distribué le lendemain, le PCTN a retourné aux sociétés les trois requêtes en autorisation d’exploiter les établissements précités déposées le 16 mars 2017, ne pouvant entrer en matière, car les formulaires étaient incomplets, toutes les pièces nécessaires n’étaient pas produites. En particulier, le mari de l’administratrice, organe de fait des établissements, avait été condamné pour avoir employé des étrangers sans autorisation, de sorte qu’une attestation spécifique d’engagement à respecter les conditions de travail devait être obtenue auprès de l’office compétent.

4. Le 31 juillet 2017, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a remis en mains propres à l’administratrice précitée trois décisions de sommation de fermeture immédiate de chacun des établissements susmentionnés, pour défaut d’autorisation d’exploiter. Ces décisions étaient exécutoires nonobstant recours. En cas de refus d’obtempérer, l’autorité procéderait à la fermeture de l’établissement concerné avec apposition de scellés.

Chaque propriétaire avait été informé le 11 juillet 2017 de l’intention du PCTN de procéder ainsi et invité à faire valoir son droit d’être entendu, mais n’y avait pas donné suite.

5. Les établissements n’ayant pas obtempéré, ils ont été fermés et les scellés apposés à la demande du PCTN.

6. Par acte du 30 août 2017, les sociétés ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les décisions précitées.

Elles ont conclu à l’annulation de ces dernières ainsi qu’à celle des courriers du 18 mai 2017, qualifiés de décisions, et à ce qu’il soit ordonné au PCTN d’entrer en matière sur les requêtes en autorisation d’exploiter. Elles demandaient à être autorisées à exploiter les établissements en cause jusqu’à droit connu sur lesdites requêtes.

L’administratrice, détentrice d’un diplôme de cafetier, exploitait personnellement les établissements en cause, en s’appuyant sur son mari. Dits établissements existaient depuis plus de vingt ans dans le canton et employaient plus de cinquante personnes. Elle avait déposé de nouvelles demandes d’autorisation d’exploiter suite aux modifications législatives. Le PCTN avait refusé d’entrer en matière sur ces demandes, en particulier en raison d’un soupçon que les conditions de travail en usage ne seraient pas respectées, mettant en cause son époux. Tous les établissements respectaient les conventions d’usage. En revanche, il n’était pas contesté qu’à l’instar d’autres établissements, ils avaient employé des personnes ne disposant pas des autorisations de séjour nécessaires. En refusant d’entrer en matière sur les demandes d’autorisation d’exploiter par simple courrier, le PCTN avait commis un déni de justice formel et matériel. Sans indication des voies de droit, ce courrier ne pouvait servir de fondement aux décisions du 31 juillet 2017.

7. Après avoir recueilli la détermination, négative, du PCTN sur l’octroi de l’autorisation d’exploiter les établissements jusqu’à droit connu sur les requêtes en autorisation d’exploiter, la présidence de la chambre administrative a refusé la requête de mesures provisionnelles par décision du 21 septembre 2017.

8. Le 22 décembre 2017, sur interpellation de la chambre administrative, C______ SA a confirmé que les établissements de la rue du D______ et du boulevard E______ avaient été vendus, afin de réduire le dommage causé par les décisions et non-décisions illicites du PCTN. Les deux sociétés avaient un intérêt juridique à faire constater que les décisions du 18 mai 2017 avaient été rendues sans droit.

9. Le 28 février 2018, le PCTN a conclu à l’irrecevabilité du recours en tant qu’il visait les courriers, qualifiés de décisions, de non entrée en matière du 18 mai 2017. Communiqués le 19 mai 2017, ils n’avaient été contestés que trois mois plus tard, soit au-delà du délai raisonnable admis en cas de notification irrégulière en raison de l’absence d’indication des voies de droit.

Par ailleurs, C______ SA n’était plus propriétaire des établissements du boulevard E______ et de la rue du D______. Elle n’avait donc plus qualité pour recourir puisqu’elle ne pouvait plus exploiter lesdits établissements. Quant à B______ SA, il ressortait d’une décision du 7 novembre 2017, en force, de l’office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) refusant de lui délivrer l’attestation relative à la signature de l’engagement de respecter les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, qu’elle avait licencié l’ensemble de son personnel pour fin octobre 2017 et renonçait à poursuivre une activé de restauration à Genève. Elle n’exploitait donc plus l’établissement de la rue du F______, de sorte qu’elle n’avait plus qualité pour recourir.

Au fond, les décisions querellées devaient être confirmées. Les requêtes en autorisation d’exploiter les établissements en cause présentées par l’administratrice étaient incomplètes, de sorte que le PCTN n’avait pas pu entrer en matière. Lesdits établissements étant exploités sans autorisation depuis l’automne 2016, le PCTN était fondé à intimer à leurs propriétaires l’ordre de cesser immédiatement leur exploitation.

10. La détermination du PCTN a été transmise aux sociétés le 1er mars 2018 et un délai au 19 mars 2018 leur a été imparti pour une éventuelle réplique.

11. Aucune suite n’ayant été donnée au courrier précité, les parties ont été informées le 12 juin 2018 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. a. La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Selon l’art. 132 al. 2 LOJ, le recours y est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, ainsi que 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

b. Aux termes de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

De manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2 ; ATA/1502/2017 du 21 novembre 2017 consid. 3b). Ce n’est pas la forme de l’acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 3c et les références citées).

c. Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi commande aux autorités comme aux particuliers de s'abstenir, dans les relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2). Il découle de ce principe que l'administration et les administrés doivent se comporter réciproquement de manière loyale (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; 129 I 161 consid. 4).

d. En l’espèce, le courrier adressé par le PCTN aux recourantes le 18 mai 2017 ne constitue pas une décision au sens de l’art. 4 LPA, quand bien même il la qualifie de telle dans ses écritures. En effet, l’intimé s’y borne à indiquer à celles-ci qu’il ne peut, en l’état, entrer en matière sur la requête pour les raisons indiquées sur la fiche de retour. Ladite fiche comporte des croix cochées dans la grille de contrôle des pièces fournies. Le PCTN a encore précisé aux destinataires quel document spécifique elles devaient se procurer en raison de la situation particulière du conjoint de l’administratrice pour qu’il puisse statuer sur la base d’un dossier complet. La situation est comparable à celle qui résulterait d’une invite à compléter la requête. Contrairement à ce que soutiennent les recourantes, le courrier du PCTN n’est pas un refus d’entrer en matière au motif que ledit conjoint de l’administratrice ne remplirait pas les conditions requises pour être exploitant. Enfin, les recourantes ne prétendent pas que les requêtes étaient complètes, de sorte que le courrier litigieux serait constitutif d’un refus abusif de statuer. En tant qu’il vise le courrier du 18 mai 2017, le recours est ainsi irrecevable.

2. a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1157/2014 du 3 septembre 2015 consid. 5.2 ; 1C_495/2014 du 23 février 2015 ; ATA/308/2016 du 12 avril 2016 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd. 2018, n. 1367 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2084 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; ATA/322/2016 du 19 avril 2016 ; ATA/308/2016 du 12 avril 2016).

d. En l’espèce, C______ SA n’est plus propriétaire des établissements du boulevard E______ et de la rue du D______. Elle ne peut dès lors plus se prévaloir d’un intérêt à contester les décisions relatives à l’exploitation de ceux-ci.

Elle argue en vain d’un intérêt à faire constater l’illicéité des courriers du 18 mai 2017, puisque, d’une part, il ne s’agit pas de décisions, que, de seconde part, cette conclusion n’a été formulée que le 22 décembre 2017 et non dans le recours du 30 août 2017 de sorte qu’elle est tardive (art. 65 al. 1 LPA) et, de troisième part, que la procédure de constatation n’est pas un palliatif à la perte de qualité de partie recourante pour obtenir une décision formatrice en cours de procédure, mais permet uniquement de régler par cette voie une question litigieuse en cas d’impossibilité d’obtenir une décision formatrice, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (ATA/776/2013 du 26 novembre 2013 consid. 4).

Quant à B______ SA, elle ne conteste pas avoir licencié le personnel de l’établissement de la rue du F______ et vouloir renoncer à une activité de restauration à Genève, de sorte que son intérêt pour recourir est douteux. La question souffrira toutefois de demeurer ouverte, vu ce qui suit.

3. a. La loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) règle les conditions d’exploitation des entreprises vouées à la restauration et / ou au débit de boissons à consommer sur place, à l’hébergement, ou encore au divertissement public
(art. 1 al. 1 LRDBHD). Sont des cafés-restaurants et bars les établissements où un service de restauration et / ou de débit des boissons est assuré, et qui n’entrent pas dans la définition d’une autre catégorie d’entreprise (art. 3 let. f LRDBHD).

L’art. 8 LRDBHD soumet l’exploitation de toute entreprise vouée à la restauration, au débit de boissons et à l’hébergement, à l’obtention préalable d’une autorisation d’exploiter délivrée par le département (al. 1), qui doit être requise lors de chaque création, changement de catégorie ou de lieu, agrandissement et transformation, changement d’exploitant ou de propriétaire de l’entreprise, ou modification des conditions de l’autorisation antérieure (al. 2). Toute exploitation exercée avant l’obtention d’une décision favorable du service, respectivement sans autorisation en vigueur, est passible des sanctions prévues par la loi et peut entraîner un rejet de la requête en autorisation (art. 18 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01).

L'autorisation d'exploiter une entreprise est délivrée à condition que l'exploitant soit notamment titulaire du diplôme attestant de son aptitude à exploiter et gérer une entreprise soumise à la LRDBHD (art. 9 let. c LRDBHD).

Le département intime l’ordre de cesser immédiatement l’exploitation de toute entreprise exploitée sans autorisation en vigueur (art. 61 al. 1 LRDBHD). Cet ordre est exécutoire nonobstant recours (art. 62 al. 2 RRDBHD).

b. En l’espèce, la fermeture de l’établissement en cause a été ordonnée en raison du défaut d’autorisation d’exploitation. B______ SA ne conteste pas que l’établissement en cause était exploité sans être au bénéfice d’une telle autorisation, situation qui, à teneur de dossier, durait depuis plusieurs mois.

Dans ces circonstances, l’autorité intimée était fondée à ordonner la cessation immédiate de l’exploitation non autorisée.

Ainsi, en tant qu’il est recevable, le recours est mal fondé.

4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge de C______ SA et un émolument de CHF 800.- de B______ SA, qui succombent et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 30 août 2017 par C______ SA contre les courriers du 18 mai 2017 et contre les décisions du 31 juillet 2017 du Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir ;

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 30 août 2017 par B______ SA contre les courriers du 18 mai 2017 et contre les décisions du 31 juillet 2017 du Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir  ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de C______ SA ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de B______ SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Urs Saal, avocat des recourantes, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mme Junod, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :