Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1354/2013

ATA/703/2014 du 02.09.2014 sur JTAPI/1105/2013 ( PE ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR ; CAS DE RIGUEUR ; DÉCISION DE RENVOI
Normes : LEtr.30.al1.letb; LEtr.64.al1.letc; LEtr.83.al1; LEtr.83.al2; LEtr.83.al3; LEtr.83.al4; OASA.31.al1
Résumé : Pour admettre l'existence d'un cas d'extrême gravité, il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé à la réglementation ordinaire d'admission comporte pour lui de graves conséquences, de telle sorte que l'on ne puisse exiger de lui qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. S'agissant d'un enfant en bas âge, la fréquentation de classes précédant le début de la scolarité obligatoire n'implique pas, en principe, une intégration à un milieu socioculturel déterminé si profonde et si irréversible que l'obligation de s'adapter à un autre environnement équivaudrait dans ce cas à un véritable déracinement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1354/2013-PE ATA/703/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 septembre 2014

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______agissant pour elle-même et pour son enfant mineur, B______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 octobre 2013 (JTAPI/1105/2013)


EN FAIT

1.1) Madame A______, née le ______ 1983 à C______ en Bolivie, pays dont elle est originaire, est arrivée en Suisse, selon ses dires, le 25 mai 2005.

2.2) Le ______ 2006, elle a donné naissance, à Genève, à sa fille B______ reconnue le 20 juin 2012 par Monsieur D______, né le ______ 1985 à C______ en Bolivie, pays dont il est également originaire.

3.3) Le 7 mars 2011, Mme A______ a sollicité une autorisation de séjour pour elle-même et sa fille au titre d'un cas de rigueur auprès de l'office cantonal de la population, devenu l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), suite à l'arrestation de M. D______, en situation irrégulière, par la police française des frontières et sa remise aux autorités genevoises en août 2010.

4.4) Le 24 décembre 2011, l'OCPM a délivré à Mme A______ une attestation de prise d'emploi jusqu'à droit connu sur sa demande d'autorisation de séjour.

5.5) Le 26 mars 2012, l'intéressée a été auditionnée par l'OCPM dans le cadre de l'examen de ses conditions de séjour.

Elle n'avait pas quitté la Suisse depuis son arrivée. Elle avait suivi sa scolarité en Bolivie et poursuivi des études en ingénierie commerciale durant trois ans dans une université de ce pays. Elle avait travaillé, en Suisse, comme employée dans le domaine de la restauration et du nettoyage, puis en qualité d'aide domestique chez le même employeur. Elle était déclarée à une caisse de compensation depuis 2009. Elle était bien intégrée en Suisse, connaissait de nombreuses personnes suite à son activité dans la restauration. Elle avait appris le français de manière autodidacte grâce à son travail à E______ notamment. En cas de retour en Bolivie, elle devrait tout recommencer.

Ses parents et deux de ses soeurs, avec qui elle était en contact par téléphone ou via internet, vivaient en Bolivie, tandis qu'une autre avait obtenu une autorisation de séjour en Suisse au titre du regroupement familial suite à son mariage avec un ressortissant helvétique.

Elle avait connu M. D______ à Genève en décembre 2005 et vivait désormais avec lui. Leurs revenus mensuels cumulés étaient de CHF 4'700.- et leurs charges de CHF 2'800.- par mois. Elle ne recevait pas de prestations de l'assistance publique et n'avait pas été condamnée par la justice pénale. Elle était en bonne santé et était affiliée, comme sa fille, à une caisse d'assurance maladie. B______ avait fréquenté la crèche à Genève de 2008 à 2011. Depuis l'année scolaire 2011-2012, elle était inscrite à l'école primaire.

6) Le 7 juin 2012, l'office des poursuites a indiqué à l'OCPM que Mme A______ ne faisait l'objet d'aucune poursuite ni d'aucun acte de défaut de biens.

7.7) Le 11 juin 2012, la police cantonale a envoyé à l'OCPM un courrier, selon lequel l'intéressée n'était pas connue de ses services.

8.8) Le 4 juillet 2012, l'Hospice général a informé l'OCPM que Mme A______ ne recevait aucune aide financière de sa part.

9.9) Le 2 octobre 2012, Mme A______ a produit à l'OCPM les justificatifs de son séjour en Suisse depuis 2005, des lettres de recommandation et un courrier de motivation de sa demande d'autorisation de séjour.

10.10) Par décision du 28 mars 2013, l'OCPM a refusé de préaviser favorablement et d'envoyer à l'office fédéral des migrations (ci-après : ODM) la demande d'autorisation de séjour sollicitée par Mme A______ et sa fille, a prononcé leur renvoi de Suisse et leur a imparti un délai au 30 juin 2013 pour quitter le territoire.

La durée du séjour de Mme A______ en Suisse était à relativiser compte tenu des années de son enfance et de son adolescence passées en Bolivie. Elle était arrivée en Suisse à l'âge de 22 ans. Son intégration socioprofessionnelle n'était pas exceptionnelle au point de devoir admettre qu'elle ne pouvait quitter ce pays sans être confrontée à des obstacles insurmontables. Elle n'avait pas créé avec la Suisse des attaches profondes et durables ni acquis des connaissances professionnelles ou des qualifications spécifiques qu'elle ne pourrait pas mettre en pratique en Bolivie où, du reste, elle gardait des attaches familiales importantes. Elle avait appris le français, assuré son indépendance financière et établi de bons contacts avec son entourage, mais ces liens n'étaient pas suffisants pour permettre de répondre favorablement à sa demande.

La situation de l'enfant B______ ne relevait pas d'un cas d'extrême gravité.

L'exécution du renvoi apparaissait possible, licite et raisonnablement exigible.

11.11) Par acte posté le 29 avril 2013, Mme A______ a recouru pour elle-même et au nom de sa fille B______ contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation.

Ses conditions de vie en Suisse étaient meilleures qu'en Bolivie sur le plan économique et social. Elle travaillait depuis huit ans d'une manière stable, payait ses impôts et cotisait aux assurances sociales.

Elle avait subi un traumatisme à l'âge de 19 ans. Sa mère, son seul soutien en Bolivie, lui avait conseillé de quitter ce pays. Elle était partie en Angleterre fin 2004 pour rejoindre son compagnon de l'époque. Rejetée par celui-ci, elle s'était mise à consommer de l'alcool par dépit. En mai 2005, une tante séjournant à Genève lui avait demandé de la rejoindre en Suisse.

Elle avait une relation difficile avec sa fille suite aux séquelles psychiques de son traumatisme. Les deux avaient entrepris ensemble une consultation auprès d'un psychologue sur conseil de l'école de B______, mais celle-ci avait été interrompue à cause du refus de la caisse d'assurance maladie de prendre en charge la prestation. Elle ne parlait pas de la Bolivie à son enfant.

Elle avait besoin de travailler et la Suisse manquait de main-d'oeuvre dans le domaine de la garde de la petite enfance. Elle était une femme active, honnête, financièrement autonome. Elle parlait le français et était parfaitement intégrée à la société genevoise et son marché du travail. L'idée de quitter la Suisse l'angoissait.. Elle avait perdu tout repère dans son pays d'origine.

12.12) Dans ses observations du 27 juin 2013, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Mme A______ et sa fille ne pouvaient pas se prévaloir de leurs liens avec M. D______, dans la mesure où celui-ci était également en situation irrégulière en Suisse. Les difficultés auxquelles elles pouvaient être confrontées dans leur pays d'origine n'étaient pas plus graves que celles d'autres compatriotes contraints de rentrer en Bolivie. L'intégration au milieu socioculturel suisse de B______ n'était pas irréversible au point qu'un retour en Bolivie constituerait un déracinement complet.

Le traumatisme et la fragilité psychologique de Mme A______ n'étaient pas propres à constituer un motif justifiant l'octroi d'un permis de séjour pour cas de rigueur. Un soutien psychothérapeutique était possible en Bolivie.

Pour le surplus, l'OCPM a repris les arguments figurant dans sa décision.

13.13) Par jugement du 9 octobre 2013, le TAPI a rejeté le recours de Mme A______ et de sa fille.

Celles-ci résidaient illégalement en Suisse et ne jouissaient, depuis la demande d'autorisation de séjour, que d'une tolérance, ces années ne constituant pas des éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas personnel d'extrême gravité. L'intégration socio-professionnelle de Mme A______ n'était pas particulièrement réussie. Son comportement ne pouvait pas être considéré comme irréprochable, car elle avait contrevenu à la loi en séjournant clandestinement à Genève. Son intégration sociale ne dépassait pas ce qui était ordinairement attendu après un séjour de huit ans.

La violence ayant cours en Bolivie, telle qu'invoquée par l'intéressée, ne pouvait pas justifier un cas de rigueur et sa situation ne se différenciait pas de celle de l'ensemble de ses concitoyens. Elle ne se trouvait pas personnellement dans une situation si rigoureuse qu'il ne serait pas possible d'exiger d'elle de tenter de se « réajuster » à son existence passée.

Le traumatisme subi par Mme A______ n'était pas propre à constituer un motif justifiant l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur, un permis de séjour n'étant pas de nature à faire cesser un traumatisme.

L'enfant B______ pourrait s'intégrer en Bolivie après une période d'adaptation. Sa mère était originaire de ce pays et y avait vécu durant la majeure partie de son existence. Elle pouvait l'aider à s'adapter.

Le renvoi de Mme A______ et de sa fille B______ était licite, possible et raisonnablement exigible.

14.14) Par acte posté le 9 novembre 2013, Mme A______, agissant pour elle et au nom de sa fille B______, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à celle de la décision de l'OCPM ainsi qu'au renvoi du dossier à l'autorité cantonale afin qu'elle entreprenne toutes les démarches nécessaires.

Elle avait commencé une thérapie à Genève et avait travaillé comme employée dans les domaines de la restauration et du nettoyage, puis comme aide domestique, afin de se « réconcilier avec la vie ». Elle souhaitait voir grandir sa fille dans des conditions appropriées. Les intérêts et le bien-être de sa fille devaient être pris en considération. Elle avait trouvé une stabilité professionnelle, financière, personnelle et un avenir en Suisse. Sans posséder des connaissances exceptionnelles, elle gagnait sa vie par son travail et ne dépendait pas de l'aide sociale, payait ses impôts et cotisait aux assurances sociales, n'avait pas de poursuite ni de casier judiciaire. Elle ne pouvait pas se réadapter à la vie en Bolivie.

Sa fille souffrait à l'idée de devoir quitter son école, toutes ses activités et les membres de sa famille vivant à Genève. Elle avait développé une pathologie des gencives en raison d'un fort stress généré par les conditions de séjour de la famille.

Sa relation avec son compagnon était devenue compliquée au point qu'elle lui avait demandé de quitter le domicile commun. Elle ne souhaitait pas la jonction de sa procédure avec celle de M. D______ pour des raisons de protection de ses données personnelles.

15.15) Le 18 novembre 2013, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d'observations.

16.16) Le 19 décembre 2013, l'OCPM a conclu au rejet du recours en reprenant l'essentiel des arguments de sa décision et de sa détermination devant le TAPI.

17.17) Le 6 janvier 2014, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 14 février 2014 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

18.18) Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1.1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l'OCPM refusant de préaviser favorablement et de transmettre à l'ODM la demande d'autorisation de séjour de la recourante et de sa fille, et leur fixant un délai au 30 juin 2013 pour quitter la Suisse, étant rappelé que la chambre de céans ne connaît pas de l'opportunité d'une décision prise en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 a contrario de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10 ; ATA/367/2012 du 12 juin 2012 ; ATA/750/2011 du 6 décembre 2011).

3.3) a. À teneur de l'art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20), il est possible de déroger aux conditions d'admission (art. 18 à 39 LEtr) dans le but de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

b. Aux termes de l'art. 31 al. 1 de l'ordonnance fédérale relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), afin d'apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse par le requérant (let. b), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l'état de santé (let. f) et des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

c. La jurisprudence développée au sujet des cas d'extrême gravité selon le droit en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007 (art. 13 let. f de l'ancienne ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 - aOLE) est toujours d'actualité pour les cas d'extrême gravité qui leur ont succédé (ATF 136 I 254 consid. 5.3.1 p. 262 ; ATA/368/2014 du 20 mai 2014). Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEtr et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 p. 207 ; ATA/531/2010 du 4 avril 2010). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 137 II 345 consid. 3.2.1 p. 348 ; ATA/515/2014 du 1er juillet 2014).

Pour admettre l'existence d'un cas d'extrême gravité, il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé à la réglementation ordinaire d'admission comporte pour lui de graves conséquences, de telle sorte que l'on ne puisse exiger de lui qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. Lors de l'appréciation d'un cas de rigueur, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier (ATA/515/2014 précité).

Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré socialement et professionnellement et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Il faut encore que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que l'intéressé a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception aux mesures de limitation (ATF 130 II 39 consid. 3 p. 41 ; 124 II 110 consid. 2 p. 112 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.429/2003 du 26 novembre 2003 consid. 3 ; ATA/515/2014 précité ; ATA/368/2014 précité ; ATA/750/2011 précité ; ATA/648/2009 du 8 décembre 2009).

L'intégration professionnelle de l'étranger doit en outre être exceptionnelle. Tel est le cas lorsque le requérant possède des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou lorsque son ascension professionnelle est si remarquable qu'elle justifierait une exception aux mesures de limitation (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATA/368/2014 précité ; ATA/750/2011 précité ; ATA/774/2010 du 9 novembre 2010).

4.4) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un enfant en bas âge, qu'il soit né dans son pays d'origine ou en Suisse, est encore fortement lié à ses parents, qui l'imprègnent de leur mode de vie et de leur culture, de sorte qu'il peut, après d'éventuelles difficultés initiales d'adaptation, se réintégrer dans son pays d'origine. La fréquentation de classes précédant le début de la scolarité obligatoire, si importante soit-elle pour le développement de la personnalité de l'enfant en général et pour sa socialisation en particulier, n'implique pas, en principe, une intégration à un milieu socioculturel déterminé si profonde et si irréversible que l'obligation de s'adapter à un autre environnement équivaudrait dans ce cas à un véritable déracinement (ATF 123 II 125 consid. 4.b p. 129). Lorsque l'enfant est déjà scolarisé et a dès lors commencé à s'intégrer de manière autonome dans la réalité quotidienne suisse, le retour forcé peut constituer un véritable déracinement, mais tel n'est pas forcément le cas. Il y a lieu de tenir compte, en particulier, de son âge, des efforts consentis, du degré et de la réussite de sa scolarisation, ainsi que des différences socio-économiques existant entre la Suisse et le pays où il pourrait être renvoyé. Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il considéré qu'il n'y avait pas une situation d'extrême gravité pour un enfant de 9 ans arrivé en Suisse à l'âge de 4 ans et fréquentant la troisième année d'école primaire (ATF 123 II 125 consid. 4.b).

La scolarité correspondant à la période de l'adolescence contribue en revanche de manière décisive à l'intégration de l'enfant dans une communauté socioculturelle bien déterminée, car, avec l'acquisition proprement dite de connaissances, c'est le but poursuivi par la scolarisation obligatoire. Selon les circonstances, il se justifie de considérer que l'obligation de rompre brutalement avec ce milieu pour se réadapter à un environnement complètement différent peut constituer un cas personnel d'extrême gravité ; encore faut-il cependant que la scolarité ait revêtu, dans le cas de l'intéressé, une certaine durée, ait atteint un certain niveau et se soit soldée par un résultat positif (ATF 123 II 125 consid. 4.b. p. 130 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3). Cette pratique différenciée réalise de la sorte la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107 ; ATF 123 II 125 consid. 4 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5517/2010 du 25 août 2011 consid. 6.4).

Le fait d'avoir séjourné en Suisse durant l'adolescence est en principe considéré comme un facteur d'intégration déterminant (ODM, Directives et commentaires, état au 4 juillet 2014, ch. 5.6.4.3). La délimitation de la période de l'adolescence n'a pas été établie clairement, mais, au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle serait comprise entre l'âge de 12 et 16 ans (ATF 123 II 125 consid. 4.b. p. 130 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.679/2006 précité consid. 4.2).

5.5) La durée du séjour illégal en Suisse ne peut être prise en considération que de manière très limitée dans l'examen d'un cas de rigueur car, si tel était le cas, l'obstination à violer la législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée (ATF 137 II 1 consid. 4.2 p. 8 ; ATF 134 II 10 consid. 4.3 p. 23 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.679/2006 précité consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6051/2008 et C-6098/2008 du 9 juillet 2010 consid. 6.4 ; ATA/720/2011 du 22 novembre 2011).

6.6) a. En l'espèce, la recourante a déclaré être arrivée en Suisse en mai 2005. Depuis cette date, elle a séjourné illégalement dans ce pays jusqu'au dépôt de sa demande d'autorisation de séjour en mars 2011 consécutive à l'arrestation de son compagnon, M. D______, par la police française des frontières et sa remise aux autorités genevoises en août 2010. Dès lors que l'intéressée a contrevenu à la législation suisse, sans prendre aucune mesure pour se mettre en règle, elle ne peut se prévaloir d'un long séjour en Suisse, à teneur des exigences jurisprudentielles susmentionnées.

b. Il ressort de la procédure que l'intéressée a, depuis son arrivée en Suisse, travaillé comme employée dans le domaine de la restauration et celui du nettoyage, puis comme aide domestique, de même qu'elle n'a pas eu recours à l'aide sociale. Toutefois, même si son activité et son insertion sont louables, elles n'atteignent pas un niveau d'intégration socioprofessionnelle exceptionnelle par rapport à la moyenne des étrangers qui ont passé autant d'années qu'elle en Suisse. En particulier, elle n'établit pas avoir acquis, pendant son séjour, des connaissances et qualifications spécifiques qu'il lui serait impossible de mettre à profit ailleurs, notamment en Bolivie. Elle ne démontre pas non plus avoir accompli en Suisse une ascension professionnelle particulièrement remarquable au sens de la jurisprudence.

c. Quant à son intégration sociale, elle se limite à son apprentissage autodidacte du français auprès de personnes qu'elle a rencontrées notamment dans le cadre de ses activités dans le domaine de la restauration, et à de bons contacts avec son entourage. Il ne ressort pas de la procédure qu'elle constituerait un élément permettant de retenir à lui seul que sont réunies les conditions pour une dérogation aux règles restreignant le séjour des étrangers en Suisse.

Avant d'arriver en Suisse, la recourante a vécu durant vingt-deux ans en Bolivie, pays dont elle parle la langue et où elle a gardé des contacts, notamment avec ses parents et ses soeurs qui y vivent encore. Même si la situation sur le marché du travail y est plus incertaine qu'en Suisse, il n'est pas établi que la recourante, qui a déclaré le 26 mars 2012 être en bonne santé avant d'alléguer, le 9 novembre 2013 et sans aucune pièce à l'appui, avoir commencé une thérapie, n'y retrouverait pas un emploi. Le fait qu'elle n'aurait pas le même niveau de vie en Bolivie qu'en Suisse n'est pas pertinent au regard des critères de l'art. 31 al. 1 OASA.

Lui refuser l'autorisation de résider en Suisse ne peut dès lors pas être considéré comme une exigence trop rigoureuse.

d. Le traumatisme dont la recourante aurait été victime ne saurait en lui-même constituer un motif justifiant d'exempter l'intéressée des mesures de limitation du nombre des étrangers, l'octroi d'un permis de séjour en Suisse n'étant pas de nature à faire cesser le traumatisme subi (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-264/2006 du 18 décembre 2007 consid. 6.4).

7.7) L'enfant B______, née en Suisse le ______2006, a fréquenté la crèche à Genève de 2008 à 2011, puis a été inscrite à l'école primaire. Actuellement âgée de 7 ans, sa situation personnelle ne répond pas aux conditions d'une intégration profonde et irréversible à un milieu socioculturel déterminé, telles que posées par la jurisprudence fédérale. Son jeune âge et sa capacité d'adaptation lui permettent de supporter le changement de son milieu social et scolaire. Au demeurant, elle a jusqu'ici toujours vécu avec ses parents, qui l'ont imprégnée de la culture de leur pays d'origine (ATAF 2007/16 consid. 9 p. 200 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-279/2006 du 16 octobre 2008 consid. 10.4.1), quand bien même sa mère dit ne pas lui parler de la Bolivie. Les parents de B______ se trouvent du reste en Suisse en situation irrégulière et font l'objet de décisions de renvoi. De retour en Bolivie, ils seront en mesure de l'épauler et de l'aider à s'adapter à la situation difficile à laquelle elle pourrait être confrontée dès son arrivée dans ce pays.

Aucun élément de la procédure ne permet ainsi d'admettre l'enfant B______ au titre d'une exception aux mesures de limitation.

8.8) a. Aux termes de l'art. 64 al. 1 let. c LEtr, tout étranger dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyé. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64d al. 1 LEtr).

Le renvoi d'un étranger ne peut toutefois être ordonné que si l'exécution de cette mesure est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEtr). Le renvoi d'un étranger n'est pas possible lorsque celui-ci ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers, ni être renvoyé dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEtr). Il n'est pas licite lorsqu'il serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEtr). Il n'est pas raisonnablement exigible s'il met concrètement en danger l'étranger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEtr).

b. En l'espèce, la recourante et sa fille, au-delà des motifs qu'elles ont invoqués pour obtenir une autorisation de séjour dérogeant au régime d'autorisation ordinaire, n'ont fait valoir aucune raison qui empêcherait leur retour n Bolivie. La situation de violence régnant dans ce pays, invoquée par la recourante, ne relève pas des mesures de limitation, l'exception de l'art. 31 al. 1 OASA n'étant pas destinée à permettre à un étranger de séjourner en Suisse pour des motifs liés à la protection de sa personne en raison d'une situation de guerre, d'abus des autorités étatiques ou d'actes de persécution dirigés contre lui (ATF 123 II 125 consid. 5.b.dd p. 133). En cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEtr), seule une admission provisoire peut entrer en ligne de compte. Or, la procédure ne renferme aucun élément qui démontre qu'une de ces situations serait réalisée en Bolivie (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-2659/2011 du 29 janvier 2013 consid. 6.3.1). Le renvoi de la recourante et de sa fille B______ n'est ainsi ni impossible, ni inexigible au sens de l'art. 83 LEtr.

Partant, le recours de Mme A______ et de sa fille B______ contre le jugement du TAPI sera rejeté.

9.9) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 novembre 2013 par Madame A______, agissant pour elle-même et sa fille mineure, B______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 octobre 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral des migrations.

Siégeants : M. Verniory, président, Mmes Junod et Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

...

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

...

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l'entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l'admission provisoire,

4. l'expulsion fondée sur l'art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d'admission,

6. la prolongation d'une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d'emploi du titulaire d'une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d'asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l'objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

...

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

...

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l'objet d'aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.