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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1477/2015

ATA/657/2015 du 23.06.2015 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1477/2015-FPUBL ATA/657/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été engagé par la Ville de Genève (ci-après : la ville) dès le 1er juin 2011 en qualité de chef de service et commandant du service d’incendie et de secours (ci-après : SIS).

2) Le 29 avril 2015, le Conseil administratif de la ville (ci-après : le conseil administratif) a décidé d’ouvrir une enquête administrative à l’encontre de M. A______, laquelle serait conduite par Monsieur B______, directeur général adjoint et par Monsieur C______, juriste au service juridique.

À titre de mesures provisionnelles, l’intéressé était suspendu de son activité jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement, afin de garantir le bon fonctionnement du SIS.

Dite décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

3) a. Le 6 mai 2015, M. A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée, concluant préalablement à ce qu’il soit fait interdiction à la ville de procéder à un quelconque acte d’instruction dans le cadre de l’enquête administrative et à ce que l’effet suspensif lié au recours soit restitué.

Au fond, la décision litigieuse devait être annulée en ce qu’elle confiait à MM. B______ et C______ l’enquête administrative, et le dossier devait être renvoyé à l’autorité afin qu’elle désigne d’autres enquêteurs.

M. B______, directeur général adjoint de la ville, était le bras droit de Monsieur D______, directeur général. M. C______ était un haut fonctionnaire du service juridique de la ville.

M. A______ avait déjà fait l’objet d’une mise à l’écart décidée par sa hiérarchie. M. D______ avait proposé à M. A______ de démissionner et, suite à son refus, l’enquête administrative avait été organisée. Dans ces circonstances, MM. B______ et C______ présentaient une apparence de partialité.

b. Le même jour, M. A______ a écrit au conseil administratif. Il transmettait le recours déposé en main de la chambre administrative, lequel valait, en tant que de besoin, demande de récusation de MM. B______ et C______.

4) Par décision sur mesures pré-provisionnelles, la chambre administrative a fait interdiction aux enquêteurs de procéder à des auditions jusqu’à ce que les conclusions préalables du recours aient été tranchées.

5) Le 13 mai 2015, le conseil administratif de la ville a indiqué à M. A______ qu’il n’entendait pas entrer en matière sur la demande de reconsidération du choix des enquêteurs, la requête étant exclusivement fondée sur le statut et la qualité de ces personnes à l’exception de tout autre grief pertinent.

6) Le 15 mai 2015, la ville a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours du 6 mai 2015 et, au fond, au rejet de la requête en mesures provisionnelles et à ce que M. A______ soit débouté de toutes ses conclusions. La requête de restitution de l’effet suspensif devait aussi être rejetée.

M. A______ ne remettait pas en cause la décision d’ouverture de l’enquête administrative, mais uniquement le choix des enquêteurs. En d’autres termes, il sollicitait leur récusation. Or, une telle récusation devait préalablement faire l’objet d’une décision du conseil administratif, selon la jurisprudence.

7) Le 21 mai 2015, exerçant son droit à la réplique, M. A______ a maintenu ses conclusions antérieures. Lors de l’ouverture de l’enquête administrative, la ville avait décidé de nommer des enquêteurs et cette décision était sujette à recours.

8) Par acte déposé à la chambre civile de la Cour de justice le 26 mai 2015 et transmis le lendemain à la chambre administrative, M. A______ a saisi cette dernière d’un recours contre la décision du conseil administratif du 13 mai 2015. MM. B______ et C______ devaient être récusés, ainsi qu’il l’avait demandé à l’autorité le 6 mai 2015.

Au surplus, les enquêteurs n’étaient pas impartiaux et le conseil administratif, en considérant qu’il s’agissait d’une demande de reconsidération, n’avait pas examiné les circonstances concrètes des reproches faits aux enquêteurs.

9) Ce recours a été ouvert sous un numéro de procédure différent et immédiatement joint à la procédure ouverte suite au recours initial. Il a été transmis, pour information, à la ville.

10) Le 21 mai 2015, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

11) Il ressort du dossier que, depuis le 30 avril 2015, M. A______ est en arrêt de travail pour cause de maladie à 100 %, pour une durée indéterminée. Son médecin traitant précise qu’il n’est pas apte, pour des raisons médicales, à participer aux audiences et démarches découlant de la procédure administrative diligentée à son encontre.

EN DROIT

1) a. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

b. La décision sur récusation est une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure, par opposition à une décision finale (ATF 126 I 203 consid. 1 p. 204 ss). En droit genevois, elle est susceptible d’un recours immédiat car elle cause un préjudice irréparable, étant donné que le recourant a un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (art. 57 let. c LPA ; ATF 126 V 244 consid. 2a p. 246 ; ATA/58/2014 du 4 février 2014, ATA/305/2009 et ATA/306/2009 du 23 juin 2009).

c. La décision par laquelle une autorité ordonne l’ouverture d’une enquête administrative est aussi une décision incidente. Elle n’est, sauf cas exceptionnel non réalisé en l’espèce, pas susceptible de faire l’objet d’un recours immédiat (ATA/338/2014 du 13 mai 2014, et les références citées)

d. En l’espèce, le premier recours dont la chambre administrative a été saisie ne vise que le choix, par la ville, des enquêteurs administratifs. L’autorité intimée, saisie parallèlement de la demande de récusation, n’avait pas encore statué sur cette question, ce qui a été fait depuis lors. Dans ces circonstances, le recours du 6 mai 2015 sera déclaré irrecevable, sans qu’il ne soit nécessaire de le transmettre à la ville pour qu’elle statue.

Celui déposé le 26 mai 2015 contre le refus de récusation du 13 mai 2015 est, quant à lui recevable.

2) a. Aux termes de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), applicable lorsque l’impartialité des membres d’une autorité non judiciaire est invoquée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_36/2010 du 14 juin 2010, consid. 3.1 et 2C_643/2010 du 1er février 2011 consid. 5.1), toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement. Selon la jurisprudence, ce droit permet notamment d’exiger la récusation d’un membre d’une autorité administrative dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son indépendance ou son impartialité. Il tend à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. La récusation peut s’imposer même si une prévention effective du membre de l’autorité visée n’est pas établie, car une disposition interne de sa part ne peut pas être prouvée ; il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles d’une des personnes impliquées n’étant pas décisives (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198 ; 125 I 119 consid. 3b p. 123 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_442/2011 du 6 mars 2012 consid. 2.1).

b. L’art. 29 al. 1 Cst. n’impose pas l’indépendance et l’impartialité comme maxime d’organisation. En règle générale, les prises de position qui s’inscrivent dans l’exercice normal de fonctions gouvernementales, administratives ou de gestion, ou dans les attributions normales de l’autorité partie à la procédure, ne permettent pas la récusation (ATF 125 I 119 consid. 3f p. 124 s ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_442/2011 du 6 mars 2012 consid. 2.1 et 2P.56/2004 du 4 novembre 2004 consid. 3.3). À cet égard, une appréciation spécifique est nécessaire dans chaque situation particulière, en tenant compte des fonctions légalement attribuées à l’autorité (ATF 125 I 119 consid. 3f p. 124 s ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.2 et 2C_643/2010 du 1er février 2011 consid. 5.5.1). Une autorité, ou l’un de ses membres, a en revanche le devoir de se récuser lorsqu’elle dispose d’un intérêt personnel dans l’affaire à traiter, qu’elle manifeste expressément son antipathie envers l’une des parties à la procédure ou s’est forgé une opinion inébranlable avant même d’avoir pris connaissance de tous les faits pertinents de la cause (arrêts du Tribunal fédéral 1C_442/2011 du 6 mars 2012 consid. 2.1 et 1C_455/2010 du 7 janvier 2011 consid. 2.2 ; ATA/385/2014 du 27 mai2014).

c. Concernant les autorités administratives, la récusation ne touche en principe que les personnes physiques individuelles composant les autorités, et non l’autorité en tant que telle (ATF 97 I 860 consid. 4 p. 862 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.1 et 2C_305/2011 du 22 août 2011 consid. 2.5). À cet égard, la récusation doit rester l’exception si l’on ne veut pas vider la procédure et la réglementation de l’administration de son sens. Tel doit à plus forte raison être le cas lorsque la récusation vise à relever une autorité entière des tâches qui lui sont attribuées par la loi et qu’aucune autre autorité ne peut reprendre ses fonctions (ATF 122 II 471 consid. 3b p. 477 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.1). Une demande de récusation dirigée contre une autorité dans son ensemble peut cependant être examinée comme si elle était dirigée contre chacun des membres de cette autorité pris individuellement (arrêts du Tribunal fédéral 9C_499/2013 du 20 février 2014 consid. 5.4 et 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.1).

d. Au niveau cantonal, l’art. 15 al. 1 LPA prévoit que les membres des autorités administratives appelées à rendre ou à préparer une décision doivent se récuser s’ils ont un intérêt personnel dans l’affaire (let. a), s’ils sont parents ou alliés d’une partie en ligne directe ou jusqu’au troisième degré inclusivement en ligne collatérale ou s’ils sont unis par mariage, fiançailles, par partenariat enregistré ou mènent de fait une vie de couple (let. b), s’ils représentent une partie ou ont agi pour une partie dans la même affaire (let. c), s’il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité (let. d). La demande de récusation doit être présentée sans délai à l’autorité (art. 15 al. 3 LPA). La décision sur la récusation d’un membre d’une autorité collégiale est prise par cette autorité, en l’absence de ce membre (art. 15 al. 4 LPA).

3) Le recourant fonde sa demande de récusation sur le fait que les deux enquêteurs désignés par le conseil administratif, soit M. B______ et M. C______, sont respectivement directeur général adjoint à la direction générale de l'administration municipale et juriste, et dépendent de ce fait, directement ou indirectement, de M. D______, secrétaire général. Ce dernier aurait offert au recourant le choix entre une démission et l’ouverture d’une enquête administrative.

Ces éléments ne permettent pas, en l’absence d’autres indices concrets, de mettre en doute l’objectivité des enquêteurs. Le fait d’avertir un fonctionnaire qu’une enquête administrative va être proposée, voire ordonnée, s’il ne démissionne pas n’est en effet pas, en soi, inadmissible, en tous cas aussi longtemps que ladite démission n’est pas obtenue d’une manière qui ne représenterait pas la réelle volonté, librement exprimée, de l’employé (ATA/305/2007 du 12 juin 2007). À cela s’ajoute que ni M. D______, ni M. B______, ni M. C______ ne sont les supérieurs hiérarchiques directs du recourant, ainsi que cela ressort de l’organigramme du département dont il dépend (http://www.ville-Geneve.ch/fileadmin/public/Departement_4/Organigrammes/    organigramme-deus-decembre-2013.pdf consulté le 17 juin 2015).

4) Dans ces circonstances, le recours sera rejeté, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à d’autres actes d’instruction (art. 72 LPA).

Le prononcé du présent arrêt rend la demande de mesures provisionnelles et de restitution de l’effet suspensif, de même que la mesure prononcée à titre pré-provisionnelle, sans objet. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne lui est alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

déclare irrecevable le recours interjeté le 6 mai 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 29 avril 2015 ; 

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 mai 2015 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève du 13 mai 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yvan Jeanneret, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M.Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :