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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1203/2013

ATA/58/2014 du 04.02.2014 ( PROF ) , ADMIS

Descripteurs : ; RÉCUSATION ; DROIT À UNE AUTORITÉ INDÉPENDANTE ET IMPARTIALE ; PROCÈS ÉQUITABLE ; GARANTIE DE PROCÉDURE ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; DÉCISION INCIDENTE ; DÉLAI DE RECOURS ; DEMANDE ADRESSÉE À L'AUTORITÉ ; RÉCUSATION
Normes : Cst.29.al1 ; Cst.30.al1 ; CEDH.6.par1 ; LPav.18 ; CPC.47 ; LLCA.14 ; LPav.14 ; Cst.29.al2 ; LPA.62.al1.letb ; LPA.62.al2 ; LPA.15.al3 ; LPA.15A.al4
Résumé : L'apparence objective de prévention d'un membre de la Commission du barreau résulte, en l'espèce, de la concomitance temporelle d'une procédure civile et d'une procédure disciplinaire. Le membre de la Commission du barreau, en charge de la procédure disciplinaire, est l'avocat de la partie (demanderesse) opposée, dans le cadre d'un litige civil de nature commerciale en cours et concernant une valeur litigieuse importante, à une partie (défenderesse), représentée par l'avocat, contre lequel la procédure disciplinaire devant la Commission du barreau est ouverte. La simultanéité de ces deux procédures civile et administrative suffit à admettre un motif de récusation, et ce indépendamment d'autres circonstances concrètes. La demande de récusation n'est, au vu des circonstances du cas d'espèce, pas tardive. Le délai de recours contre une décision sur récusation est de dix jours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1203/2013-PROF ATA/58/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 février 2014

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur X______

contre

COMMISSION DU BARREAU

 



EN FAIT

1) Le 2 juillet 2012, Maître Y______, avocat, a déposé, au nom et pour le compte de la société Z______ S.A. (ci-après : la société), une plainte à l’encontre de Maître X______, avocat, auprès de la commission du barreau du canton de Genève (ci-après : la commission).

La société reprochait à Me X______ de ne pas avoir exercé la profession d’avocat avec soin et diligence dans le cadre d’un mandat qu’elle lui avait confié, en violation de l’art. 12 let. a de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). Elle se plaignait également du fait que Me X______ refusait de lui fournir tout décompte pour sa prétendue activité et contrevenait ainsi à l’art. 12 let. i LLCA.

2) Le 3 juillet 2012, la commission a informé Me X______ de la plainte du 2 juillet 2012 et l’a invité à se déterminer afin qu’elle puisse décider de la suite à y donner.

3) Le 13 août 2012, Me X______ a remis ses observations à la commission au sujet de la plainte du 2 juillet 2012.

4) Le 11 septembre 2012, Maître A______, avocat, rapporteur de la commission, a informé Me X______, au nom de cette dernière, qu’une procédure disciplinaire était ouverte à son encontre pour violation de l’art. 12 let. a LLCA.

Me A______ a invité Me X______ à se déterminer jusqu’au 2 novembre 2012. Ce délai a été prolongé, sur demandes successives de l’intéressé, d’abord au 23 novembre 2012, puis au 23 décembre 2012 et enfin au 11 janvier 2013.

5) Le 11 janvier 2013, Me X______ a transmis ses observations à la commission. Il a principalement conclu à ce qu’il soit constaté qu’il avait agi avec soin, diligence et fidélité, et au classement de la procédure disciplinaire.

A titre préalable, il a demandé la récusation de Me A______ et la nomination d’un autre membre en tant que rapporteur de la commission. Me A______ avait succédé à un confrère dans une procédure civile en cours qui durait depuis quelques années. Elle était de nature commerciale et sa valeur litigieuse était élevée. Me A______ s’était constitué pour la partie demanderesse, alors que l’intéressé représentait la partie défenderesse. Une audience de plaidoiries était fixée au 28 janvier 2013.

6) Le 21 janvier 2013, la commission, par l’intermédiaire de son président, Maître Pierre de Preux, a informé Me X______ qu’elle avait pris connaissance de sa demande de récusation et demandé à Me A______ de se déterminer à ce sujet.

7) Le 4 février 2013, Me A______ s’est prononcé sur la demande de récusation de Me X______ à son encontre. Il s’est remis à l’appréciation de la commission sur l’opportunité d’une récusation. Il n’existait pas, d’après lui, de cause de récusation au sens de l’art. 18 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10).

Le 22 novembre 2012, il avait repris la défense de la partie demanderesse dans un litige de nature commerciale portant sur un montant de l’ordre de CHF 1'000'000.-, dans lequel Me X______ représentait les intérêts de la partie défenderesse. Il intervenait après la clôture de l’instruction, soit uniquement pour la rédaction des conclusions après enquêtes et la plaidoirie finale. Il avait demandé le report de l’audience de plaidoiries et échangé les conclusions avec l’intéressé le 22 janvier 2013. La cause avait été plaidée et gardée à juger par le Tribunal de première instance (ci-après : TPI), le 28 janvier 2013. Il n’avait entrepris aucune autre démarche dans ce dossier et avait entretenu des rapports courtois mais très limités avec Me X______.

8) Par décision sur récusation du 18 février 2013, la commission, par l’intermédiaire de son président, Me de Preux, a rejeté la demande de récusation de Me X______ à l’encontre de Me A______.

Un avocat pouvait être appelé à agir comme membre de la commission parallèlement à son activité professionnelle. Il s’agissait de deux fonctions distinctes. Le fait que l’avocat, représentant ladite commission, était mandaté dans le cadre de la même procédure que l’avocat, objet de la plainte qu’il instruisait, n’était à lui seul pas suffisant pour fonder un motif de prévention.

Me X______ n’invoquait aucun élément concret permettant de douter de l’impartialité de Me A______. Ce dernier s’était constitué pour la partie défenderesse en cours de procédure, l’instruction était terminée et la cause gardée à juger. Il n’y avait eu en outre que très peu d’échanges entre les avocats, et aucune animosité n’était relevée.

En l’absence de circonstances concrètes pouvant donner l’apparence de prévention, la commission estimait qu’il n’existait pas de motifs justifiant la récusation de Me A______.

9) Par acte posté le 15 avril 2013, Me X______ a interjeté recours contre la décision sur récusation, auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant principalement à son annulation, ainsi qu'à l'octroi de « dépens ». Il demandait préalablement la production de la prise de position de Me A______ du 4 février 2013 et de tout document relatif à la demande de récusation, ainsi que l’autorisation de compléter son recours, une fois ces documents connus.

La commission ne lui avait pas communiqué la détermination de Me A______ du 4 février 2013, ni fait savoir qu’elle se trouvait dans le dossier pour une éventuelle consultation. Elle avait ainsi gravement violé son droit d’être entendu.

Il était opposé dans le cadre d’une procédure civile à Me A______. Celle-ci ne faisait que commencer, étant donné que le jugement de première instance n’avait pas encore été rendu et serait susceptible d’appel puis d’un recours devant le Tribunal fédéral. L’intervention de Me A______ dans la procédure disciplinaire ouverte à son encontre ne se limitait pas à participer à la prise de décision de la commission. Il était également chargé de son instruction et de l’élaboration du projet de décision, de sorte que l’appréciation du dossier lui revenait. Il existait ainsi objectivement un risque que Me A______ ait une lecture partiale du dossier. Ce dernier devait ainsi se récuser, et la commission désigner un nouveau rapporteur.

10) Le 23 mai 2013, la commission – siégeant en plénière – a maintenu sa décision sur récusation du 18 février 2013 et transmis son dossier à la chambre administrative, à l’exclusion des pièces de la demande initiale et de la détermination de Me X______ du 13 août 2012.

Elle reconnaissait la violation du droit d’être entendu de Me X______. Celle-ci pouvait être réparée devant la chambre administrative, en raison de son plein pouvoir d’examen en fait et en droit en la matière.

La demande de récusation devait être présentée sans délai à l’autorité. Or, en l’espèce, par courrier du 11 septembre 2012, Me X______ avait été informé du fait que Me A______ était le rapporteur de la commission. Le 22 novembre 2012, ce dernier s’était constitué dans la procédure civile pour la défense de la partie opposée au client représenté par Me X______. Ce dernier a cependant attendu le 11 janvier 2013 pour invoquer la récusation de Me A______. La question d’un éventuel dépôt tardif de la requête en récusation était laissée à l’appréciation de la chambre administrative.

11) Le 26 juillet 2013, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Sa demande en récusation n’était pas tardive car il l’avait déposée dans le délai imparti par la commission pour se déterminer sur la plainte déposée à son encontre.

Il reprochait à Me A______ de ne pas avoir spontanément informé la commission du fait qu’il s’était constitué dans le cadre d’une affaire qui les opposait, alors que cette autorité lui avait confié la procédure disciplinaire le mettant en cause. Cette inaction fondait la prévention de Me A______. Ce dernier aurait dû immédiatement informer ladite commission et se récuser, et la commission nommer un autre membre pour l’instruction de la procédure disciplinaire.

Me A______ avait fait appel du jugement du TPI du 23 avril 2013. Ce dernier avait débouté son client des fins de sa demande à l’encontre de la partie défenderesse représentée par Me X______. De plus, le recourant affirmait, sans pièces justificatives à l’appui, que Me A______ défendait, dans une autre affaire, les intérêts de clients d’une société de gestion lésés par l’un des associés de cette société. Des actions étaient envisagées contre celle-ci et ses administrateurs, dont Me X______ était l’un des conseils.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté devant la juridiction compétente dans le délai indiqué par la décision attaquée, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 2 cum art. 62 al. 1 let. a et art. 17A al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Contrairement au délai de trente jours indiqué dans la décision sur récusation du 18 février 2013, le délai pour recourir contre une décision sur récusation est de dix jours, conformément à l’art. 62 al. 1 let. b LPA, et contrairement au droit fédéral (art. 45 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021) cum art. 50 al. 1 PA ; art. 92 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 - cum art. 100 LTF). En effet, la décision sur récusation est une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure, par opposition à une décision finale (ATF 126 I 203 ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n° 828). En droit genevois, elle est susceptible d’un recours immédiat car elle cause un préjudice irréparable, étant donné que le recourant a un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (art. 57 let. c LPA ; ATF 126 V 244 consid. 2a ; ATA/306/2009 du 23 juin 2009 consid. 1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b).

Elle ne constitue en outre pas une décision « en matière de compétence » au sens de l’art. 62 al. 1 let. a LPA, bien que la systématique de la loi place la problématique de la récusation dans le chapitre IA intitulé « Compétence » du titre II portant sur les règles générales de procédure de la LPA. L’art. 62 al. 1 LPA relatif au délai de recours doit être mis en relation avec l’art. 57 LPA concernant l’objet du recours, ces deux dispositions étant situées dans le chapitre I intitulé « Recours » du Titre IV réglant la procédure de recours en général. L’art. 57 LPA distingue trois types de décision, susceptibles d’un recours immédiat : la décision finale, la décision par laquelle « l’autorité admet ou décline sa compétence » et la décision incidente, cette dernière étant immédiatement sujette à recours à certaines conditions. L’art. 62 al. 1 LPA reprend cette distinction ternaire en fixant un délai de trente jours aux décisions finales et en matière de compétence et un délai plus court de dix jours pour les autres décisions, soit les décisions incidentes visées à l’art. 57 let. c LPA. Selon les travaux préparatoires, la récusation fait partie de la liste exemplative des décisions incidentes visées à l’art. 54 du projet de loi sur la procédure administrative (PL 5577), correspondant à l’art. 57 LPA (Mémorial du Grand Conseil 1984/I 1497). Le cas des décisions sur compétence a été précisé dans la loi parce qu’il s’agissait d’un cas « atypique ». La décision est qualifié de finale si l’autorité nie sa compétence, alors qu’elle constitue une décision incidente si l’autorité accepte sa compétence et que celle-ci est contestée (Mémorial du Grand Conseil 1984/I 1601).

En l’espèce, la décision attaquée indiquait par erreur un délai de trente jours. Le recourant a agi à l’intérieur de ce délai suspendu par les féries de Pâques, de sorte que son recours est recevable.

2) L’objet du présent litige concerne, d’une part, la question de la violation du droit d’être entendu et, d’autre part, celle de la récusation de Me A______, chargé par la commission de la plainte déposée contre le recourant.

3) S’agissant de la violation du droit d’être entendu invoquée par le recourant, celle-ci est reconnue par l’autorité intimée, de sorte qu’elle ne requiert pas de développements particuliers. En effet, le droit d’être entendu, garanti à l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et aux art. 41 ss LPA, comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 138 II 252 consid. 2.2 ; Arrêts du Tribunal fédéral 8C_866/2010 du 12 mars 2012 consid. 4.1.1). En ne transmettant pas la détermination de Me A______ du 4 février 2013 au recourant, la commission a violé le droit d’être entendu de ce dernier.

4) En ce qui concerne la réparation de la violation du droit d’être entendu devant la chambre de céans, la position des parties diverge. Le recourant estime qu’une telle réparation n’est pas possible en raison de la gravité de ladite violation, contrairement à l’avis de l’autorité intimée.

Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 136 V 117 ; ATF 133 III 235 consid. 5.3 ; ATA/304/2013 précité consid. 4 ; ATA/862/2010 du 7 décembre 2010 consid 2).

La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2) ; elle peut cependant se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à un traitement rapide de la cause (ATF 133 I 201 consid. 2.2 ; ATF 132 V 387 consid. 5.1 ; ATA/197/2013 du 26 mars 2013). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/304/2013 précité).

En l’espèce, la violation du droit d’être entendu peut être réparée devant la chambre administrative, dans la mesure où elle porte sur l’existence ou non d’une cause de récusation concernant un membre de la commission. Cette problématique ne soulève que des questions de fait et de droit, de sorte que la chambre de céans a le même pouvoir d’examen sur ce point que la commission. Le recourant a pu, dans le cadre de la procédure de recours, consulter la détermination de Me A______ du 4 février 2013, versée à la procédure avec le dossier et la réponse du 23 mai 2013 de l’autorité intimée. Il a ensuite eu la possibilité de faire des observations dans sa réplique du 26 juillet 2013. Par conséquent, la violation du droit d’être entendu a été réparée devant l’autorité de recours ; ce grief est donc rejeté.

5) Le recourant invoque un cas de récusation en la personne de Me A______, qui est chargé de la plainte déposée à son encontre auprès de la commission, en raison d’un risque objectif de partialité. Celle-ci résulte du fait que ces deux avocats sont constitués pour des parties opposées dans le cadre d’une procédure civile en cours concernant une valeur litigieuse importante.

La commission soulève, dans sa réponse du 23 mai 2013, la question de la tardiveté de la demande de récusation formulée par le recourant le 11 janvier 2013. Celui-ci savait, depuis le courrier du 11 septembre 2012, que Me A______ avait été désigné comme rapporteur de la commission et, depuis le 22 novembre 2012, que ce dernier s’était constitué pour la partie adverse de son client dans ladite procédure civile.

6) Il y a lieu tout d’abord d’examiner si la demande de récusation du recourant est tardive, étant précisé qu’il s’agit d’une question de droit que la chambre de céans examine d’office (art. 61 al. 1 let. a LPA ; Arrêt du Tribunal fédéral 5A_316/2012 du 17 octobre 2012 consid. 6.1).

a. Conformément à l’art. 34 LLCA et à l’art. 49 LPav, les questions liées à la récusation autres que celles concernant les motifs de récusation (art. 18 LPav) sont régies par les art. 15 et 15A LPA. En particulier, ces deux dispositions, dont le contenu est similaire à l’art. 49 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), que la demande de récusation doit être présentée sans délai à l’autorité respectivement la juridiction compétente (art. 15 al. 3 et art. 15A al. 4 LPA).

b. Selon un principe général, la partie qui a connaissance d'un motif de récusation doit l'invoquer aussitôt, sous peine d'être déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement. Il est, en effet, contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 ; ATF 138 I 1 consid. 2.2 ; ATF 136 III 605 consid. 3.2.2). Sauf circonstances particulières, il s’agit d’un délai de quelques jours (D. TAPPY, in Code de procédure civile commenté, 2011, ad art. 49 n. 12). Le moment de la connaissance du motif de récusation peut se décomposer en deux temps : il faut en effet, d'une part, connaître l'identité de la personne récusable et savoir qu'elle sera appelée à participer à la procédure et, d'autre part, connaître l'origine du possible biais (ATA/535/2012 du 21 août 2012 consid. 4c).

c. En l’espèce, la découverte du possible biais n’a pu intervenir que lorsque le recourant a appris la constitution de Me A______ dans l’affaire civile opposant leurs clients respectifs, soit après le 22 novembre 2012. Le recourant devait faire ses premières observations pour le 23 novembre 2012, délai prolongé d’abord au 23 décembre 2012 puis au 11 janvier 2013. Entre le 22 novembre 2012 et le 11 janvier 2013, le rapporteur de la commission n’a accompli aucun acte d’instruction en dehors des reports de délai, communiqués au demeurant par le secrétariat de cette autorité. Dans ces circonstances particulières, le recourant était fondé à se prévaloir pour la première fois du motif de récusation dans son écriture du 11 janvier 2013. Il n’a par ailleurs pas attendu une issue défavorable de la procédure pour soulever le moyen tiré de la partialité du rapporteur de la commission. Cette dernière n’a en outre elle-même pas relevé de problème de tardiveté dans sa décision sur récusation du 18 février 2013, qui aborde le fond. Par conséquent, la demande de récusation du recourant n’est pas tardive.

7) En deuxième lieu, il convient d’examiner s’il existe un cas de récusation.

La récusation est une question procédurale et relève, en vertu de l’art. 34 LLCA, du droit cantonal. Selon l’art. 18 LPav, entré en vigueur le 1er janvier 2011, les cas de récusation des membres de la commission sont les mêmes que ceux prévus par le code de procédure civile suisse, du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), pour la récusation des juges. La commission statue sur les demandes de récusation.

Vu la disposition spécifique de l’art. 18 LPav, les causes de récusation prévues aux art. 15 et 15A LPA ne sont pas applicables in casu (art. 49 LPav), étant toutefois précisé que ces dispositions cantonales sont calquées sur les art. 47 ss CPC (ATA/578/2013 du 3 septembre 2013 consid. 7c, avec référence au MGC 2008-2009/VIII A 10995), et que ces derniers, tout comme les art. 56 ss du code de procédure pénale suisse, du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), avec lesquels ils sont harmonisés, sont calqués à l'exception de quelques points mineurs sur les art. 34 ss LTF, si bien que la doctrine et la jurisprudence rendues à leur sujet valent donc en principe de manière analogique (Arrêt du Tribunal fédéral 2B_621/2011 du 19 décembre 2011 consid. 2.2 ; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6841, 6887 ad art. 45 [devenu l'art. 47 CPC] ; Message du Conseil fédéral sur l'unification de la procédure pénale, FF 2005 1125 s.).

Les cas de récusation prévus, figurent à l’art. 47 CPC sous l’intitulé « Motifs de récusation ». Sous réserve des exceptions de son alinéa 2, non pertinentes en l’espèce, cette disposition fédérale dispose à son premier alinéa que : « Les magistrats et les fonctionnaires judiciaires se récusent dans les cas suivants : a. ils ont un intérêt personnel dans la cause ; b. ils ont agi dans la même cause à un autre titre, notamment comme membre d'une autorité, comme conseil juridique d'une partie, comme expert, comme témoin ou comme médiateur ; c. ils sont conjoints, ex-conjoints, partenaires enregistrés ou ex-partenaires enregistrés d'une partie, de son représentant ou d'une personne qui a agi dans la même cause comme membre de l'autorité précédente ou mènent de fait une vie de couple avec l'une de ces personnes ; d. ils sont parents ou alliés en ligne directe, ou jusqu'au troisième degré en ligne collatérale d'une partie ; e. ils sont parents ou alliés en ligne directe ou au deuxième degré en ligne collatérale d'un représentant d'une partie ou d'une personne qui a agi dans la même cause comme membre de l'autorité précédente ; f. ils pourraient être prévenus de toute autre manière, notamment en raison d'un rapport d'amitié ou d'inimitié avec une partie ou son représentant ».

L’art. 47 al. 1 let. f CPC est une clause générale applicable lorsque l’attitude particulière du juge est de nature à créer une apparence de partialité d’un point de vue objectif. Les motifs de récusation de l’art. 47 al. 1 CPC sont conformes à ceux de l’art. 34 al. 1 LTF et de l’art. 56 CPP ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011 consid. 2.2).

8) De manière générale, la problématique de la récusation s’examine à la lumière du droit à un procès équitable (ATF 139 I 121 consid. 4.1 et 5.1 ; ATF 139 III 433 consid. 2.1.2 ; ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 ; ATF 131 I 113 consid. 3.4 ; ATF 131 I 24 consid. 1.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 5A_286/2013 du 12 juin 2013 consid. 2). Ce droit est consacré à l’art. 30 al. 1 Cst. et à l’art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Ces deux dispositions s’appliquent uniquement en procédure judiciaire, c’est-à-dire devant une instance juridictionnelle.

En procédure administrative, l’art. 29 al. 1 Cst., également applicable à la procédure judiciaire, prévoit que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, la garantie de l’indépendance et de l’impartialité du juge consacrée à l’art. 30 al. 1 Cst. a une portée équivalente dans le cadre de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 127 I 196 consid. 2b ; ATF 125 I 119 consid. 3b sous l’angle de l’ancienne Cst. ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.1 ; 2C_187/2011 du 28 juillet 2011 consid. 3.1 ; P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, Vol. II, 3ème éd., 2011, p. 270 s ; G. STEINMANN in B. EHRENZELLER/ P. MASTRONARDI/R. SCHWEIZER/K. VALLENDER [éd.], Die schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2ème éd., 2008, n. 18 et 20 ad art. 29 Cst.).

Ainsi, les critères déterminant l’apparence de prévention pour les membres des tribunaux doivent être, à première vue, appliqués de la même façon lorsqu’une demande de récusation est dirigée contre un membre d’une autorité autre qu’un tribunal. Cette approche ne pose en principe pas de problème lorsque l’autorité est composée et organisée selon des règles propres à assurer a priori l’impartialité de ses membres, telles que des commissions de surveillance externes à l’administration. Elle doit être nuancée dans certains cas, notamment lorsque la récusation porte sur des membres des autorités supérieures du pouvoir exécutif (ATF 125 I 119 consid. 3b à 3f ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_831/2011 du 30 décembre 2011 consid. 3.1 et 3.2).

9) Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la garantie procédurale d’indépendance et d’impartialité résultant des art. 29 al. 1 Cst., 30 al. 1 Cst. et 6  § 1 CEDH, permet notamment d'exiger la récusation des membres d'une autorité administrative dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur leur indépendance ou leur impartialité ; elle tend à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. La récusation peut s'imposer même si une prévention effective du membre de l'autorité visée n'est pas établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée ; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération ; les impressions purement individuelles d'une des personnes impliquées ne sont pas décisives (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 ; ATF 131 I 24 consid. 1.1 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_831/2011 précité consid. 3.1). Dès qu’il existe une apparence objective de prévention, peu importe que le juge concerné se sente lui-même apte à se prononcer en toute impartialité, la récusation est admise (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_755/2008 du 7 janvier 2009 consid. 3.2). En d’autres termes, il faut que l’on puisse garantir que le procès demeure ouvert (ATF 139 I 121 consid. 5.1 ; ATF 133 I 1 consid. 6.2 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_755/2008 précité consid. 3.2).

Le Tribunal fédéral a examiné, sur la base de la jurisprudence susmentionnée, et indépendamment de l’art. 47 CPC, la question de l’indépendance et de l’impartialité des avocats exerçant les fonctions de juge ou d’arbitre. Selon notre Haute Cour, l’avocat, qui exerce les fonctions de juge, apparaît objectivement partial non seulement lorsque, dans le cadre d’une autre procédure, il représente ou a représenté l’une des parties à la procédure dans laquelle il siège, mais également lorsqu’il représente ou a représenté récemment la partie adverse de cette partie (ATF 139 III 433 consid. 2.1.4 ; 139 III 120 consid. 3.2.1 ; 138 I 406 consid. 5.3 et 5.4 ; 135 I 14 consid. 4.1 à 4.3 ; 116 Ia 485 consid. 3b). Dans ces cas, l’apparence de prévention doit être admise, et ce indépendamment de l’existence d’autres circonstances concrètes (ATF 139 III 433 consid. 2.1.4 ; 138 I 406 consid. 5.4.1). Il en va de même lorsque lesdits rapports de représentation ne concernent pas l’avocat exerçant les fonctions de juge, mais un autre avocat de son étude (ATF 139 III 433 consid. 2.1.4 ; ATF 138 I 406 consid. 5.3).

10) La commission est l’autorité chargée de la surveillance des avocats qui pratiquent la représentation en justice dans le canton de Genève (art. 14 LLCA ; art. 14 LPAv). Elle est composée, conformément à l’art. 15 al. 1 LPav, de neuf membres, soit trois membres nommés par les avocats inscrits au registre cantonal (let. a), trois membres nommés par le Grand Conseil (let. b) et trois membres nommés par le Conseil d’Etat (let. c). Deux des membres mentionnés aux lettres b et c sont choisis parmi les magistrats de carrière du pouvoir judiciaire et deux au moins des autres membres sont choisis en dehors de la profession d’avocat (art. 15 al. 2 LPav). Ces membres sont désignés tous les quatre ans (art. 16 al. 1 LPav), en même temps que la désignation d’un nombre égal de suppléants, choisis selon les mêmes règles que les titulaires (art. 16 al. 2 LPav). La commission siège à huis clos et délibère valablement lorsque cinq au moins de ses membres sont présents (art. 17 al. 2 LPav). En cas d’empêchement, de demande de récusation ou de récusation admise, les membres de la commission sont remplacés par un suppléant (art. 19 LPav).

L’art. 14 LLCA n’exige pas que l’autorité cantonale de surveillance des avocats soit une autorité judiciaire (F. BOHNET/V. MARTENET, Droit de la profession d’avocat, 2009, p. 801 n. 1963 ; N. WISARD, Les autorités administratives indépendantes cantonales, in F. BELLANGER/T. TANQUEREL (éd.), Les autorités administratives indépendantes, p. 118 ; A. BAUER/ P. BAUER in Commentaire romand, Loi sur les avocats - Commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats, 2010, ad art. 14 n° 1 ss). D’après la doctrine, la Commission genevoise du barreau est une autorité administrative (F. BOHNET/V. MARTENET, op. cit., p. 805 n° 1971 ; N. WISARD, op. cit., p. 118 s). Au regard de l’art. 29 al. 1 Cst. et de la jurisprudence fédérale susmentionnée, les membres de la commission sont donc soumis aux garanties procédurales du droit à un traitement équitable, soit en particulier le droit d’exiger la récusation des membres lorsqu’il existe une apparence de prévention à leur égard (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_187/2011 précité consid. 3.1 ; P. MOOR/E. POLTIER, op. cit., p. 270 ss ; G. STEINMANN, op. cit.ad art. 29 n° 18 et 20 ; F. BOHNET/V. MARTENET, op. cit., p. 843 n° 2069 ; A. BAUER/ P. BAUER, op. cit., ad art. 14 n. 13 ; T. TANQUEREL, op.cit., n° 1514 ss). La question de la nature juridictionnelle de la commission peut donc rester ouverte.

11) En l’espèce, la cause de récusation invoquée par le recourant se fonde sur le mandat assumé par Me A______ dans une procédure civile en cours, dans laquelle ce dernier représente la partie adverse du client de Me X______. Il y a ainsi concomitance temporelle entre ladite procédure civile et la procédure disciplinaire confiée à Me A______, dont la récusation est demandée, et visant Me X______. Cette simultanéité des procédures constitue, d’après la jurisprudence fédérale susmentionnée et appliquée notamment aux avocats agissant comme juge, le critère décisif conduisant à admettre l’existence d’une apparence de prévention, et ce indépendamment d’autres circonstances concrètes.

Il n'y a pas lieu, in casu, de s’écarter de cette jurisprudence fédérale, bien que Me A______ n’ait pas officié comme juge, mais comme membre de l’autorité cantonale de surveillance des avocats. En effet, il intervient dans le cadre d’une procédure disciplinaire susceptible d’aboutir au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre du recourant. Or, cette prise de décision implique un large pouvoir d’appréciation tant dans l’établissement des faits que dans le choix du prononcé ou non d’une sanction, ainsi que du type de celle-ci. Il importe dans ce cas de veiller à ce que des circonstances extérieures à la procédure disciplinaire, telles celles liées à la procédure civile en cours, ne puissent influencer l’appréciation du membre de la commission dans un sens quelconque, que ce soit en faveur ou défaveur du recourant. Il en va de la crédibilité de la commission et de la confiance du public en l’exercice indépendant et impartial de la mission de surveillance confiée par la loi à cette autorité. L’absence d’indices concrets de partialité n’est donc en l’espèce, contrairement à l’avis de l'autorité intimée, pas un critère déterminant pour rejeter la demande de récusation du recourant.

Par ailleurs, la situation des avocats membres de la commission n’est pas comparable à celle des membres des autorités supérieures du pouvoir exécutif. Celles-ci assument essentiellement une fonction gouvernementale de direction et de gestion et, seulement de manière limitée, une fonction décisionnelle. Or, une des principales missions de la commission est la surveillance des avocats autorisés à pratiquer et, par voie de conséquence, la prise (ou non) de sanctions disciplinaires (art. 14 LLCA ; art. 14 et 42 ss LPav). De plus, des motifs organisationnels, liés notamment à la composition et au fonctionnement de la commission (art. 15 et 17 al. 2 LPav), ne sauraient l’emporter sur la garantie constitutionnelle du droit à une autorité indépendante et impartiale.

La cause de récusation au sens de l’art. 47 al. 1 let. f CPC, applicable par renvoi de l’art. 18 LPav, doit ainsi être admise.

12) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision sur récusation de la commission du 18 février 2013 annulée. La cause est renvoyée à cette autorité afin qu’elle instruise la plainte déposée à l’encontre du recourant et statue conformément aux exigences de l’art. 29 al. 1 Cst. après attribution du dossier à un nouveau rapporteur.

Malgré cette issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, quand bien même il a conclu à l'octroi de dépens, dès lors qu’il n’a pas exposé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 avril 2013 par Monsieur X______ contre la décision sur récusation de la commission du barreau du 18 février 2013 ;

au fond :

l’admet ;

renvoie la cause à la commission du barreau au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur X______ ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :