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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4631/2009

ATA/576/2010 du 31.08.2010 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 18.10.2010, rendu le 31.01.2011, REJETE, 2C_798/2010
Descripteurs : ; FUMÉE ; TABAGISME PASSIF ; INTERDICTION ; DROIT DE PASSAGE ; TERRASSE DE RESTAURANT ; AIR
Normes : Cst-GE.178B ; LIF.2 ; LIF.3
Parties : ESTRADE Andrée / DEPARTEMENT DES AFFAIRES REGIONALES, DE L'ECONOMIE ET DE LA SANTE
Résumé : Le passage des Lions à Genève, lieu privé, est soumis à l'interdiction de fumer selon la loi sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics (LIF). En effet, il s'agit d'une voie ouverte au public, avec commerces accessibles et terrasses. La configuration de ce passage, soit une voie coudée de 70 mètres environ, ouverte à ses seules deux extrémités et dont le plafond est conçu sans ouverture, ne permet pas une circulation suffisante de l'air, à l'instar d'une rue à ciel ouvert. Dans un tel contexte, la fumée ne peut s'échapper. Même si ce genre de lieu ne fait pas partie de ceux énoncés expressément par la loi comme ceux étant soumis à l'interdiction de fumer, un tel passage s'apparente à un lieu fermé accessible au public au sens de l'art. 2 LIF.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4631/2009-EXPLOI ATA/576/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 31 août 2010

dans la cause

 

Madame Andrée ESTRADE
représentée par Me William Dayer, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES AFFAIRES RÉGIONALES, DE L'ÉCONOMIE ET DE LA SANTÉ

et

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ

 



EN FAIT

1. Madame Andrée Estrade exploite à Genève depuis le 1er juillet 2004 le bar à café-tea-room « La Perle des Lions » dans une arcade donnant sur le Passage des Lions, selon bail contracté avec les copropriétaires de l'immeuble n°6304 feuille 29 Cité.

2. Selon le cadastre de la commune de Genève-Cité, le Passage des Lions, composé d’un couloir en coude d'une longueur de 70 mètres environ, relie aujourd'hui la rue de la Confédération et la rue du Rhône. Il est sis sur des terrains privés, dont la parcelle précitée. A teneur de « la convention relative à l'établissement et à l'usage du passage [des Lions] » conclue entre les propriétaires des immeubles adjacents et approuvée par le Conseil municipal le 12 août 1902, le passage est couvert sur toute son étendue et accessible aux seuls piétons. A ses deux entrées la largeur doit être de 4,50 mètres et la hauteur de 4,65 mètres au maximum. Quant à la largeur dans le reste du passage, elle ne doit pas dépasser 6 mètres et la hauteur 8,50 mètres environ, sauf au point de brisure de l'axe, où la largeur doit être de 10 mètres et la hauteur d'au moins 9,50 mètres.

3. L’arcade louée par Mme Estrade donne sur la partie du couloir située entre la rue de la Confédération et le point où celui-ci forme un coude. Devant les locaux de son établissement public et dans le couloir, elle a installé une terrasse à la disposition de ses clients.

4. Par courrier du 19 novembre 2009, la direction générale de la santé (ci-après : DGS), rattachée au département de l’économie et de la santé, devenu depuis le 7 décembre 2009, le département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (ci-après : DARES), a confirmé au Comptoir immobilier Suisse SA (ci-après : la régie), gérant de l’immeuble sis, 4 rue du Rhône, que la loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics du 22 janvier 2009 (LIF - K 1 18) et son règlement d’application relatif à la loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics du 7 octobre 2009 (RIF - K 1 18.01) s'appliquaient aux commerces, aux centres commerciaux et aux galeries marchandes, si bien que « le centre commercial de la Tourelle du Petit-Saconnex et le Passage des Lions devaient respecter l’interdiction de fumer ».

Ce courrier résumait les obligations des exploitants et responsables des lieux soumis à l'interdiction de fumer, en particulier la responsabilité « d'informer de manière suffisamment visible le personnel et la clientèle que l'établissement est (était) soumis à l'interdiction de fumer ». La sanction encourue en cas de non respect des dispositions légales était celle de l'amende, laquelle pouvait aller de CHF 100.- à CHF 1'000.-. La DGS priait le Comptoir immobilier de diffuser ces informations « à qui de droit ».

Aucune voie de droit n'était indiquée dans ce document.

5. La régie a écrit à Mme Estrade le 26 novembre 2009. Suite à des plaintes et au constat de l'un de ses collaborateurs qui avait constaté que des clients du café fumaient sur la terrasse, en lui transmettant le courrier précité de la DGS ainsi qu’un exemplaire de la LIF et du RIF. Son café et sa terrasse étaient soumis à l'interdiction de fumer. Dès lors, il appartenait à Mme Estrade d'en informer son personnel et sa clientèle de manière suffisamment visible.

6. Par acte déposé le 22 décembre 2009, Mme Estrade a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre la décision de la DGS du 19 novembre 2009, reçue le 26 du même mois via la régie. Elle conclut préalablement à la confirmation de l'effet suspensif et, sur le fond, à l'annulation de la décision entreprise.

La « mesure d'exécution » datant du 11 décembre 2009, soit la pose par la DGS de panneaux d'interdiction de fumer à chacune des entrées du Passage des Lions, concluant à la suppression desdits panneaux.

Le Passage des Lions, et plus particulièrement la terrasse de « La Perle des Lions » étaient des propriétés privées ne relevant pas du domaine public. En conséquence, faute de compétence, la LIF et son règlement d’application n'étaient pas applicables. Par ailleurs, ni l’une ni l’autre ne mentionnaient l'interdiction de fumer dans les « passages » ; ceux-ci devant être assimilés à de petites rues. Enfin, la configuration du Passage des Lions excluait qu'il soit apparenté à un lieu public fermé au sens de l'art. 2 LIF.

7. Le 8 février 2010, la DGS a conclu au rejet du recours.

Elle ne disposait pas de la compétence d'apposer des panneaux d'interdiction de fumer, celle-ci appartenant aux exploitants ou aux responsables des lieux publics concernés. Ceux apposés de part et d'autre du Passage des Lions n'étaient ainsi pas de son fait.

S'agissant de l'application de la LIF dans les passages privés accessibles au public, référence était faite à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 128 I 301), autorisant un canton à interdire la fumée dans les lieux privés ouverts au public. L'art. 178B al. 3 let. c de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst-GE - A 2 00) stipulait que tous les établissements publics au sens de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) étaient concernés par l'interdiction de fumer dans les lieux publics intérieurs ou fermés. Le Passage des Lions constituant un lieu accessible au public, il était soumis à l'interdiction de fumer. Enfin, la DGS a rappelé que la volonté du législateur était également d'interdire de fumer dans les lieux semi-ouverts, ce dans le but d'assurer une protection efficace de la population contre la fumée passive.

8. Par décision du 15 février 2010 (ATA/95/2010), la Présidente du tribunal de céans a rejeté la requête en restitution de l'effet suspensif, traitée comme une requête enmesures provisionnelles, décision confirmée par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_235/2010 du 18 juin 2010.

9. Le 30 mars 2010, la direction générale de la mobilité (ci-après : DGM), rattachée au département de l'intérieur et de la mobilité (ci-après : DIM), a répondu à une requête du 22 février 2010 du juge délégué. Le Passage des Lions, comme du reste celui de Malbuisson, n'appartenait pas au domaine public car il était sis sur fonds privé. Il ne faisait pas partie du réseau routier comme pouvaient l'être certaines voies privées car il ne se prêtait pas à la circulation des véhicules (art. 43 al. 1er de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01).

10. Le juge délégué a entendu les parties lors d’une audience de comparution personnelle le 16 avril 2010.

a. Mme Estrade a persisté dans les termes de son recours. Des agents étaient intervenus dans son établissement pour procéder à des constats et relever l'identité des clients. Pour éviter tout inconvénient à sa clientèle, elle respectait actuellement l'interdiction de fumer sur cette terrasse. Les passants empruntant le Passage des Lions n'éteignaient pas leur cigarette à l'entrée. Enfin, l'interdiction de fumer n'était pas respectée dans le passage voisin, soit celui de Malbuisson.

b. Les représentantes de la DGS ont confirmé la position du DARES ; tant le Passage des Lions que celui de Malbuisson étaient soumis à la LIF. Ces passages étaient considérés comme « fermés » en raison de leur longueur. Le Passage des Lions constituait une galerie marchande au sens de la LIF.

A la suite de l'entrée en vigueur de cette loi, la DGS avait préféré opter pour une « stratégie d'accompagnement ». A cette fin, le courrier du 19 novembre 2009 avait été adressé au Comptoir immobilier. Il s'agissait d'un courrier-type envoyé à de multiples propriétaires et exploitants.

La LIF était applicable dès lors qu'un lieu était accessible au public, ce indépendamment du fait qu'il soit sis sur fonds privé ou public. Seule la rue et certains lieux spécialement aménagés, tels que les cercles, échappaient à l'interdiction de fumer.

c. Les parties ont admis que le Passage des Lions était ouvert de manière permanente à chacune de ses extrémités et qu'il comportait un plafond lequel était surélevé en son coude et composé d'un toit en voûte.

A l'issue de l'audience, un délai au 17 mai 2010 a été accordé aux parties pour déposer d’éventuelles observations.

11. Le 29 avril 2010, la DGS a persisté dans ses conclusions.

Le Passage des Lions était une galerie marchande au sens de l'art. 3 let. f LIF, il était donc interdit d'y fumer. La terrasse de « La Perle des Lions », bien que située sur un fonds privé, n'en demeurait pas moins un lieu accessible au public. Comme l'avait confirmé la conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé du 30 mars 2010, « les passages longs et entrant avec deux côtés ouverts aux extrémités, doivent (devaient) être considérés comme des espaces fermés ». L'interdiction de fumer s'étendait aux lieux semi-ouverts.

12. Dans le délai imparti, Mme Estrade a repris en substance son argumentation antérieure. Pour le surplus, le Passage des Lions disposait d'une ventilation suffisante pour que l'interdiction de fumer ne lui soit pas applicable. En effet, le législateur avait souligné que « seules étaient décisives la circulation et la qualité de l'air » dans le but de protéger la population contre le tabagisme passif.

13. Le juge délégué a informé les parties le 17 mai 2010 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le Tribunal administratif est l'autorité de recours ordinaire contre les décisions des autorités administratives (art. 4 RIF ; art. 56A al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05), dont font partie tant le DAEL que la DGS (art. 5 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Au sens de l’art. 4 LPA sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondés sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

b. Par une décision de constatation au sens de l'art. 4 al. 1er let. b, l'autorité donne à l'intéressé un renseignement de nature obligatoire concernant sa situation de fait ou l'interprétation, respectivement l'éventuelle application d'une disposition légale. Ce type de décision ne modifie pas le statut juridique de l'administré mais est une sorte de réponse à une demande de renseignements, assortie des effets d'une décision (ATA/246/2006 du 9 mai 2006).

c. En droit genevois, la notion de décision est calquée sur celle du droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (ATA/42/2007 du 30 janvier 2007 consid. 4 ; ATA/602/2006 du 14 novembre 2006 consid. 3 ; ATA/836/2005 du 6 décembre 2005 consid. 2 ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. 2, Berne 2002, p. 214, n. 2.2.3.3 ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, pp. 334-344).

En l'espèce, le courrier de la DGS du 19 novembre 2009 était certes adressé à la régie, mais était destiné aux locataires de l’immeuble qu’elle gérait pour leur signifier que le Passage des Lions était soumis au régime de l'interdiction de fumer instauré par la LIF. Les obligations imposées aux exploitants ou responsables des lieux soumis à cette interdiction étaient clairement rappelées ainsi que les conséquences juridiques liées aux violations de la LIF et du RIF. Partant, ce courrier n'avait pas le caractère d'un simple renseignement et pouvait être considéré par les personnes concernées comme une décision au sens de l'art. 4 al. 1er let. b LPA, sujette à recours en vertu de l'art. 57 let. a LPA.

3. A teneur de l’art. 60 let. a et b LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

L’intérêt du recourant n’est digne de protection que s’il est actuel, c’est-à-dire si la situation de fait ou de droit est susceptible d’être influencée par l’issue du recours. Son admission doit donc lui procurer un avantage ou supprimer un inconvénient de nature matérielle ou idéale (B. BOVAY, Procédure administrative, Berne, 2000, p. 351). Le juge ne se prononcera ainsi que sur des recours dont l’admission élimine véritablement un préjudice concret (P. MOOR, Droit administratif, tome II, Berne, 2002, p. 642). L’existence d’un tel intérêt s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours sera déclaré sans objet (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53 ; 111 Ib 58 consid. 2 et les références citées ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 ; ATA/270/2001 du 24 avril 2001 ; ATA/731/2000 du 5 décembre 2000 ; ATA/295/1997 du 6 mai 1997 ; A. GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel, 1984, p. 900 ).

En l'occurrence, en sa qualité d'exploitante de « La Perle des Lions », établissement soumis à la LRDBH au sens de l'art. 178B al. 3 let. c Cst-GE, la recourante est directement touchée par l'interdiction de fumer dans le Passage des Lions. Elle possède également un intérêt actuel à ce que l'application de la LIF audit Passage soit examinée par le tribunal de céans. Il en résulte que sa qualité pour recourir doit être admise.

4. Le délai de recours au Tribunal administratif est de 30 jours s'il s'agit d'une décision finale (art. 63 al. 1er let. a LPA). Ce délai court dès le lendemain la notification de la décision (art. 63 al. 3 LPA). Dès lors qu'il est établi que la recourante a eu connaissance de la décision querellée dans les jours qui ont suivi le 26 novembre 2009 et qu'elle a recouru à son encontre par acte du 22 décembre 2009, le recours a été déposé en temps utile auprès de l'autorité compétente (art. 56A al. 1 et 2 LOJ ; art. 63 al. 1er let. a LPA), sans qu'il y ait besoin d'examiner les conséquences pour celle-ci de l'absence d'indication des voies de recours.

Au vu de ce qui précède, le recours interjeté contre la décision du 19 novembre 2009 de la DGS est recevable.

5. a. Selon l'art. 178B al. 1er Cst-GE, le Conseil d'Etat est chargé de prendre des mesures contre les atteintes à l'hygiène et à la santé de la population résultant de l'exposition à la fumée du tabac, dont il est démontré scientifiquement qu'elle entraîne la maladie, l'invalidité et la mort. Afin de protéger l'ensemble de la population, il est interdit de fumer dans les lieux publics intérieurs ou fermés, tout particulièrement dans ceux qui sont soumis à une autorisation d'exploitation (al. 2).

b. L'art 178B al. 3 Cst-GE sont concernés par l'interdiction de fumer :

a) tous les bâtiments ou locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que de toutes autres institutions de caractère public ;

b) tous les bâtiments ou locaux ouverts au public, notamment ceux affectés à des activités médicales, hospitalières, para-hospitalières, culturelles, récréatives, sportives ainsi qu'à des activités de formation, de loisirs, de rencontres, d'exposition ;

c) tous les établissements publics au sens de la législation sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement ;

d) les transports publics et les autres transports professionnels de personnes ;

e) les autres lieux ouverts au public tels que définis par la loi.

6. a. A teneur de l'art. 2 al. 1er LIF, il est interdit de fumer dans les lieux publics ou accessibles au public, intérieurs ou fermés. Sont des lieux accessibles au public, les locaux dont l'accès n'est pas réservé à un cercle de personnes déterminé et délimité de manière étroite (al. 2). Sont des lieux fermés, les espaces couverts par un toit et entourés par des murs ou cloisons, permanents ou temporaires, quels que soient les types de matériaux utilisés (al. 3).

b. Le champ d'application de l'interdiction de fumer prévue par la disposition constitutionnelle précitée est précisé à l'art. 3 LIF ; sont notamment concernés :

a) les bâtiments et locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que toutes autres institutions de caractère public ;

b) les hôpitaux et les autres institutions de santé, au sens de la loi sur la santé, du 7 avril 2006 ;

c) les établissements de formation, les écoles et les garderies ;

d) les bâtiments ou locaux dédiés à la culture, au sport, aux loisirs, aux rencontres et aux expositions ;

e) les maisons de jeux ;

f) les commerces, les centres commerciaux et les galeries marchandes ;

g) les établissements d'exécution des peines et des mesures ;

h) les véhicules de transports publics et les autres transports professionnels de personnes ;

i) les établissements au sens de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement, du 17 décembre 1987.

Selon l'exposé des motifs présenté à l'appui du projet de la LIF, ces dispositions ont pour but de protéger la population contre le tabagisme passif (PL 10375, ad. art. 1 al. 1er LIF, p. 16). En outre, l'énumération des lieux soumis à l'interdiction de fumer n'est pas exhaustive (PL 10375, ad. art. 3 LIF, p. 17). Se pose dès lors la question de savoir si les « passages » font partie du champ d'application de la LIF.

7. La recourante allègue que le Passage des Lions ainsi que « La Perle des Lions » sont des propriétés privées qui échappent à l'application de la LIF et du RIF.

Le critère d'application de la LIF n'est pas de savoir si un lieu éventuellement soumis à l'interdiction de fumer est sis sur fonds privé ou public mais de déterminer s'il s'agit d'un lieu public ou accessible au public. En l'espèce, il est avéré que le Passage des Lions est emprunté par les piétons sans aucune restriction particulière ; il s'agit donc d'un lieu accessible au public. Partant, la question de l'application de la LIF à ce passage se pose.

Le grief de l'inapplicabilité de la LIF sur fonds privé sera écarté.

8. La recourante soutient que ni la LIF ni le RIF ne mentionnent l'interdiction de fumer dans les « passages ».

a. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 132 V 321 consid. 6 p. 326 ; 129 V 258 consid. 5.1 pp. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; 125 II 206 consid. 4a pp. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

b. Le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 130 V 479 consid. 5.2 p. 484 ; 130 V 472 consid. 6.5.1 p. 475). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3 p. 342 ; 117 II 523 consid. 1e p. 525).

c. Selon le dictionnaire Larousse, un « passage » est défini comme une galerie couverte où ne passent que les piétons. Ce mot d'origine française, fut utilisée dès le début du XVIIIème siècle en France pour désigner les étroites rues privées qui traversent l'intérieur des grands îlots d'habitation (Johann Friederich GEIST, le passage un type architectural du XIXème siècle, 4ème éd., 1989, P. Mardarga édit., p. 11). Selon ce dernier auteur spécialisé qui recense le Passage des Lions comme appartenant au genre (op. cit. p. 210), « le terme de passage sert à désigner une ruelle couverte par une verrière, bordée des deux côtés par des rangées de boutiques, reliant des rues animées. Les étages peuvent abriter des commerces, des bureaux, des ateliers, des logements. Le passage est une forme d'organisation du commerce de détail. C'est un espace public sur terrain privé qui facilite la circulation, un raccourci, une protection contre les intempéries, un espace réservé au piéton. » (op. cit. p. 12).

En l'occurrence, le Passage des Lions correspond à cette définition, soit une voie ouverte au public, avec la caractéristique que les bâtiments érigés sur chacun de ses côtés accueillent des commerces accessibles par cette voie et que certains d’entre eux, dont celui de la recourante, utilisent une partie de sa surface comme terrasse. Or, la configuration de ce passage, soit une voie coudée de 70 mètres environ, ouverte à ses seules deux extrémités et dont le plafond est conçu sans ouverture, ne permet pas une circulation suffisante de l'air, à l’instar d’une rue à ciel ouvert. Dans un tel contexte, la fumée des amateurs d’herbe à Nicot, notamment celle des utilisateurs de la terrasse de l’établissement public de la recourante, ne peut s’échapper. En se stockant dans une atmosphère confinée, cette fumée amoindrit la qualité de l'air respiré à l'intérieur de cet espace. Même si ce genre de lieu ne fait pas partie de ceux énoncés expressément dans la loi comme étant ceux soumis à l’interdiction de fumer (art. 178B al. 3 Cst-GE et art. 3 LIF), un passage comme le Passage des Lions s'apparente à un lieu fermé accessible au public au sens de l'art 2 LIF. Cela se justifie au vu du confinement de l’air que ses caractéristiques engendrent. C’est d’autant plus le cas que s’y déroulent des activités commerciales, à l’instar de celles d’un centre commercial, et que la surface du couloir est utilisée comme terrasse par des établissements publics. Il est ainsi soumis au régime d’interdiction instauré par cette loi, ce qui se justifie au vu des objectifs de santé publique visés par le législateur, soit la lutte contre le tabagisme passif dans tous les lieux confinés accessibles au public.

Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que la DGS a constaté et rappelé que les restrictions instaurées par la LIF s’appliquaient au Passage des Lions et, partant à la terrasse du café de la recourante qui se situe dans celui-ci.

9. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté et la décision du 19 novembre 2009 de la DGS, en ce qu'elle concerne le Passage des Lions, confirmée.

10. Un émolument de procédure de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1er LPA).

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2010 par Madame Andrée Estrade contre la décision du 19 novembre 2009 du département des affaires régionales, de l'économie et de la santé ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame Andrée Estrade un émolument de CHF 1'000.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;  

communique le présent arrêt à Me William Dayer, avocat de la recourante, au département des affaires régionales, de l'économie et de la santé, ainsi qu’à la direction générale de la santé.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :