Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2655/2005

ATA/246/2006 du 09.05.2006 ( ASAN ) , ADMIS

Recours TF déposé le 28.06.2006, rendu le 20.09.2007, REJETE, 2A.401/06, 2P.169/06
Recours TF déposé le 28.06.2006, rendu le 20.09.2007, REJETE, 2A.401/06, 2P.169/06
Descripteurs : ; VENTE À DISTANCE ; MÉDICAMENT ; PRIMAUTÉ DU DROIT FÉDÉRAL
Normes : LPA.4.al1.litb ; Cst.49 ; LPTh.27 ; LPTh.33 ; RLPS.21 ; LPS.10 ; LPS.100 ; LAMal.41.al1
Parties : ZUR ROSE AG / DEPARTEMENT DE L'ECONOMIE ET DE LA SANTE
Résumé : Le Tribunal administratif a jugé que le département de l'économie et de la santé avait rendu une décision constatatoire en prenant position sur un concept de vente par correspondance de médicaments proposé par la société aux médecins genevois. Le tribunal de céans a examiné la légalité dudit concept au regard des dispositions fédérales et cantonales relatives à la transmission électronique des données, au libre-choix par le patient de son praticien, au dédommagement des médecins et à la livraison des médicaments au cabinet médical.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2655/2005-ASAN ATA/246/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 mai 2006

dans la cause

 

ZUR ROSE S.A.
représentée par Me Jacques Bonvin, avocat

contre

DPARTEMENT DE L'CONOMIE ET DE LA SANT


 


1. Zur Rose S.A. (ci-après : la société ou la recourante) a notamment pour but social la gestion d'une pharmacie de même que la fabrication et le commerce, y compris la distribution de médicaments et de produits pharmaceutiques. Depuis le 19 octobre 2000, elle est au bénéfice d'une autorisation de gérer une pharmacie de vente par correspondance délivrée par le Conseil d'Etat du canton de Thurgovie.

2. En 2004, la société a approché des médecins genevois pour leur vanter les mérites de sa pharmacie de vente par correspondance (ci-après : le concept).

3. Selon ledit concept, le médecin réalisait une ordonnance sur un support informatisé et la transmettait par voie électronique à la société. Les données de l'ordonnance étaient vérifiées électroniquement, puis contrôlées par un pharmacien pour chacune des livraisons afin d'en exclure des erreurs. La société livrait alors les patients directement par poste dans les deux jours ouvrables ou expédiait le ou les médicament(s) dans le même délai au cabinet médical où le patient pouvait venir les chercher. La société ne facturait ni taxe patient ni taxe pharmacien, accordait une remise aux caisses maladie et versait des indemnités au prescripteur, selon le principe suivant :

Le médecin recevait un dédommagement de 20% du prix public par ligne d'ordonnance, mais au maximum CHF 5.-. S'il s'agissait d'un renouvellement, le praticien recevait CHF 3.-. Si le patient venait retirer les médicaments au cabinet, le médecin recevait CHF 5.- supplémentaires par ordonnance pour récompenser sa contribution à l'économie des frais de port pour la pharmacie. Il n'y avait pas de dédommagement pour les ordonnances d'un montant inférieur à CHF 50.-. Le praticien pouvait signer un contrat de partenariat ou devenir actionnaire de la société. La société mettait par ailleurs gratuitement à la disposition des médecins, le logiciel RosenStudio permettant la saisie et l'envoi des ordonnances.

4. Des médecins genevois se sont tournés vers la direction générale de la santé (ci-après : DGS) pour savoir si le concept proposé était autorisé par les législations en vigueur. La DGS a décidé de prendre position par courrier du 17 novembre 2004 adressé à la société. Le concept mettait en évidence un ensemble de problèmes, dont la transmission électronique des prescriptions, le libre-choix par le patient de son praticien, le dédommagement des médecins et la livraison des médicaments au cabinet médical. Elle a conclu en demandant à la société de "mettre un terme immédiat au développement de son concept en partenariat avec des médecins genevois".

5. A réception dudit courrier, la société a sollicité une entrevue. Celle-ci a eu lieu le 27 janvier 2005. Etaient présents, Monsieur Jean-Marc Guinchard, directeur de la DGS, Monsieur Christian Robert, pharmacien cantonal, Monsieur Walter Oberhäsnli, président et délégué du conseil d'administration de la société, et Monsieur Norbert Benz, chef de "business to consumer".

6. Après avoir expliqué leur concept, les représentants de la société ont émis le souhait de pouvoir se déterminer en détail par écrit. Leur détermination a été adressée à la DGS le 28 février 2005.

En substance, la transmission électronique d'ordonnances ne contrevenait pas à l'article 21 du règlement d'exécution de la loi sur l'exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical (RLPS - K 3 05.01). En effet, la loi fédérale sur les services de certification dans le domaine de la signature électronique du 19 décembre 2003 (loi sur la signature électronique, SCSE - RS 943.03) mettait sur un pied d'égalité la signature électronique et la signature manuscrite.

Les patients étaient libres de s'approvisionner en médicaments auprès des pharmacies officinales ou auprès de la société.

Ne constituait ni un avantage au sens de l'article 56 alinéa 3 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), ni une répercussion au sens de l'article 56 alinéa 4 LAMal, l'acquittement de prestations de médecins par la société pour le temps qu'ils consacraient à la saisie électronique des ordonnances. En outre, la DGS n'était pas en droit de faire valoir des prétentions portant sur des avantages ou leur répercussion selon l'article 56 alinéa 4 LAMal, pas plus qu'elle n'était compétente pour mener une procédure selon le même article.

L'envoi de médicaments à des patients domiciliés à Genève était autorisé par la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du 15 décembre 2000 (loi sur les produits thérapeutiques, LPTh - RS 812.21).

7. Le 24 juin 2005, le département de l'action sociale et de la santé devenu depuis lors le département de l'économie et de la santé (ci-après : DES ou le département) s'est déterminé sur la prise de position suscitée, en qualifiant son courrier de décision sujette à recours auprès du Tribunal administratif dans un délai de 30 jours.

La loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220)) assimilait à la signature manuscrite, la signature qualifiée basée sur un certificat qualifié émanant d'un fournisseur de services de certification reconnu. Cette première condition n'était toutefois pas remplie actuellement. Le concept était également contraire à l'article 43 de l'ordonnance fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (OStup - RS 812.121.1) qui exigeait la signature manuscrite du médecin pour la prescription de stupéfiants, ainsi qu'à l'article 21 RLPS qui précisait que les ordonnances étaient datées et signées par leur auteur.

Le concept mis en place ne donnait pas toutes les garanties du respect du libre-choix du patient prévu par l'article 10 de la loi sur l'exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical du 11 mai 2001 (LPS - K 3 05).

Le dédommagement du médecin engendrait une incitation financière manifeste qui pouvait influencer le contenu de la prescription.

Enfin, la livraison de médicaments au cabinet médical violait l'interdiction de la pro-pharmacie (remise directe par un médecin de médicaments à un patient) consacrée par l'article 100 LPS.

Le département est parvenu à la conclusion que le concept tel qu'il avait été présenté "est contraire aux dispositions légales en vigueur et que s'il était développé à Genève, le département serait contraint de prendre des sanctions".

8. Par acte du 25 juillet 2005, la société a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée. La décision attaquée remplissait les conditions formelles d'une décision au sens de l'article 46 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), mais elle était nulle au regard des articles 4 et 5 LPA, le caractère individuel, concret, et obligatoire faisait défaut.

La recourante a encore fait valoir à titre subsidiaire une violation de la force dérogatoire du droit fédéral, le défaut de compétence du département pour appliquer tant la LPTh que la LAMal et le défaut de base légale cantonale.

Elle conclut principalement à la nullité de la décision du département, subsidiairement à l'annulation de la décision et à l'octroi d'une indemnité.

9. Le département a répondu le 27 septembre 2005 en concluant au rejet du recours. En substance, la décision rendue était de même nature que les décisions constatatoires dites également déclaratives, l'autorité ne statuait pas sur un cas déterminé, mais posait à l'avance, à l'intention d'un administré ce que celui-ci était en droit de faire ou d'attendre d'elle. Il avait agi dans l'intérêt d'une bonne application de la loi en faisant savoir à l'avance la façon dont il entendait la faire appliquer. La décision permettait ainsi à la recourante de connaître la prise de position du DES sur son activité et les conséquences juridiques de ses actes et de prendre les dispositions nécessaires pour s'y conformer.

Sur le fond, le département a développé les griefs mis en évidence dans sa décision en précisant que le dédommagement du médecin tel qu'il était prévu violait l'article 33 LPTh.

10. A sa demande, la recourante a répliqué le 28 novembre 2005. Le DES avait violé son droit d'être entendue quant aux moyens de preuves qu'il avait pris en compte dans la décision attaquée.

La société conclut principalement à la nullité de la décision du 24 juin 2005 rendue par le département et au renvoi de la cause au département pour nouvelle instruction. Subsidiairement, elle conclut à ce que le Tribunal administratif lui accorde un délai pour compléter sa motivation et se déterminer sur les mesures d'instruction nécessaires. Elle requiert dans les deux cas l'octroi d'une indemnité de procédure.

11. Le département a dupliqué par acte du 21 décembre 2005, en persistant dans ses conclusions.

12. Le 3 mars 2006, la recourante a transmis au Tribunal administratif pour information copie d'une décision du Tribunal administratif du canton de Fribourg du 30 novembre 2005, portant également sur le concept mis en place par la société.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 lit. a LPA).

2. La recourante fait principalement valoir la nullité de la décision, celle-ci ne remplirait pas les conditions posées par l'article 4 LPA.

3. a. Selon l'article 4 alinéa 1 lettre b LPA sont considérées comme des décisions, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits.

b. La décision de constatation vise à ce que l'autorité donne à l'intéressé un renseignement de nature obligatoire concernant sa situation de fait ou l'interprétation, respectivement l'éventuelle application d'une disposition légale. Ce type de décision ne modifie pas le statut juridique de l'administré mais est une sorte de réponse à une demande de renseignements, assortie des effets d'une décision (ATA/716/2004 du 14 septembre 2004 et références citées).

c. La notion de décision de l'article 4 LPA est calquée sur le droit fédéral, ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l'adoption n'ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure, que la doctrine qualifie de "déclarations simples" (B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 78). De telles déclarations peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu'elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l'adoption d'une mesure plus restrictive à l'égard du destinataire (ATA/21/2006 du 17 janvier 2006 et références citées).

d. En l'espèce, le DES, soit pour lui la DGS, a été interpellé par des médecins du canton de Genève pour connaître son opinion sur le concept proposé par la société au regard des législations en vigueur. A la suite de la réunion organisée entre les principaux intéressés et l'avis de droit donné consécutivement par la société, le département a pris position sur l'activité individuelle et concrète proposée par la recourante et les conséquences juridiques si ce concept venait à être implémenté. Le courrier du département du 24 juin 2005, imposant une obligation assortie d'une menace de sanctions, à la recourante revêt incontestablement la qualité de décision au sens de l'article 4 LPA.

4. L'article 49 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) consacre le principe de la force dérogatoire du droit fédéral. Ce principe "fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur a réglementées de façon exhaustive" (ATF 122 I 81 consid. 2a p.84 et références citées). Dans les domaines que le législateur fédéral n'a pas entendu réglementer de façon exhaustive, "les cantons restent compétents pour édicter (…) des dispositions de droit public dont les buts et les moyens convergent avec ceux du droit fédéral" (ATF 113 Ia 126 consid. 9b p. 142). Ces principes sont applicables lorsque le droit cantonal et le droit fédéral régissent le même domaine ou lorsque, dans des domaines différents, le droit cantonal est susceptible d'intervenir indirectement dans l'application du droit fédéral (ATA/732/2004 du 21 septembre 2004 ; voir aussi J-F. AUBERT, P. MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Neuchâtel 2003, p.420 ss).

5. L'article 118 alinéa 2 lettre a Cst prévoit que la Confédération légifère en matière d'utilisation d'agents thérapeutiques. Sur cette base, la Confédération a édicté la LPTh, dont l'entrée en vigueur remonte au 1er janvier 2002. Selon le message du Conseil fédéral, la vente par correspondance de médicaments relève de la compétence de la Confédération et les cantons sont associés à l'exécution de la loi (FF 1999 3175). Dans cet esprit, l'article 27 LPTh dispose que:

1. La vente par correspondance de médicaments est en principe interdite.

2. Une autorisation est toutefois délivrée aux conditions suivantes :

a. le médicament fait l’objet d’une ordonnance médicale;

b. aucune exigence en matière de sécurité ne s’y oppose;

c. les conseils sont fournis dans les règles de l’art;

d. une surveillance médicale suffisante de l’action du médicament est

garantie.

3. Le Conseil fédéral règle les modalités.

4. Les cantons délivrent l’autorisation.

Selon le message du Conseil fédéral, "Cette réglementation fixe les conditions générales propres à garantir la sécurité de la remise de médicaments. Il s'agira donc de vérifier dans chaque cas où ce mode de vente est utilisé si les conditions énoncées sous lettres a à d sont remplies…" (FF 1999 3210).

6. Sur la base de l'alinéa 3 précité, le Conseil fédéral a adopté le 17 octobre 2001 l'ordonnance sur les médicaments (Oméd - RS 812.212.21). Son article 29 prévoit que celui qui demande une autorisation de vente par correspondance pour des médicaments doit être au bénéfice d'une autorisation cantonale l'habilitant à tenir une officine publique.

L'alinéa 2 ajoute que le requérant doit, à l'aide d'un système d’assurance qualité, s’assurer que:

a. le destinataire du médicament est bien le détenteur de l’ordonnance médicale;

b. l’ordonnance médicale a été vérifiée afin de prévenir toute interaction indésirable avec d’autres médicaments remis au destinataire;

c. le conditionnement, le transport et la livraison du médicament sont propres à en garantir la qualité et l’efficacité;

d. le médicament est livré dans son emballage original avec la notice d’emballage et un mode d’emploi spécifique;

e. le médicament envoyé n’est livré qu’au détenteur de l’ordonnance médicale ou à un tiers en possession d’une procuration écrite et signée par le destinataire;

f. le patient a été informé du fait qu’il doit prendre contact avec son médecin traitant si des problèmes surgissent en relation avec le médicament envoyé, et

g. les conseils ont été fournis dans les règles de l’art par un professionnel de la santé.

En l'espèce, la société s'est vu octroyer une autorisation de gérer une pharmacie de vente par correspondance de médicaments par le canton de Thurgovie en application des dispositions précitées de la LPTh. Dès lors que la recourante ne prétend pas avoir le dessein de s'établir un jour dans le canton de Genève, le département ne peut faire dépendre l'autorisation accordée à la réalisation d'autres conditions. En vertu des articles précités et de l'article 2 alinéa 1 (liberté d'accès au marché) de la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), la société est autorisée à approvisionner, dans toute la Suisse, des patients en médicaments (ATF 125 I 474 consid. 4f p. 490).

7. Reste à examiner si le concept tel qu'il est proposé est compatible avec le droit fédéral et cantonal en vigueur, ce qui est contesté par le département.

8. Au niveau cantonal et dans le cadre du droit fédéral, c'est la LPS qui réglemente notamment l'exercice, à titre privé, des professions de la santé, et le commerce des produits thérapeutiques y compris leur fabrication (art. 2 LPS). La LPS sera néanmoins bientôt abrogée en raison de l'adoption de la loi cantonale sur la santé le 7 avril 2006, dont le délai référendaire expire au 29 mai 2006.

9. Le concept violerait tant le droit fédéral que cantonal en raison de l'absence de signature manuscrite sur les futures ordonnances établies par les médecins et transmises par voie électronique à la recourante.

L'article 21 RLPS dispose que les ordonnances sont datées et signées par leur auteur, dont le nom doit apparaître visiblement.

Le but visé par cette disposition réglementaire est manifeste. Il s'agit d'authentifier le praticien, qui prescrit les médicaments, grâce à sa signature. La signature manuscrite n'est cependant pas expressément exigée. Bien que cet article n'ait jamais fait l'objet d'une interprétation, les diverses formes de signature, incluant la signature électronique, ne paraissent pas d'emblée exclues ; elles vont d'ailleurs dans le sens voulu par le législateur fédéral, qui a adopté la SCSE entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Cette loi vise notamment à favoriser l'utilisation des signatures électroniques qualifiées (art. 1 al. 2 lit. b SCSE). Elle prévoit la mise en place d'organismes qui certifient des données dans un environnement électronique et qui délivrent à cette fin des certificats numériques (art. 2 SCSE). Ainsi, même si l'on devait interpréter l'article 21 RLPS de manière restrictive et considérer qu'il exige nécessairement la signature manuscrite, il suffirait à la recourante, au moment du développement de son concept à Genève, de prendre les dispositions prévues par la SCSE. A ce stade, conclure comme le fait le département que ledit concept n'est pas conforme à la loi est prématuré et contraire au principe de la proportionnalité.

La décision du département est par conséquent mal fondée sur ce point.

10. Le DES estime ensuite que le concept violerait l'article 33 LPTh. Cette disposition, sauf cas expressément prévus par la loi, interdit notamment, d'octroyer, d'offrir ou de promettre, des avantages matériels aux personnes qui prescrivent ou remettent des médicaments, et à ces personnes de les solliciter ou de les accepter.

Selon le message du Conseil fédéral, cette disposition "interdit le fait d'influencer les personnes exerçant une profession médicale (médecins, pharmaciens et droguistes) qui prescrivent ou remettent des médicaments, en leur promettant des avantages matériels tels que des superbonus, des voyages, des invitations, des cadeaux, des échantillons gratuits, etc. Il est également interdit à ces personnes d'offrir ou de solliciter de tels avantages. En revanche, les rabais usuels, liés aux résultats d'exploitation, qui ont une influence directe sur les prix, sont autorisés. Des avantages sur les prix peuvent être accordés si les règles de la concurrence sont respectées et ils doivent ou bien profiter directement aux patients qui paient eux-mêmes les médicaments ou bien se répercuter indirectement (cf. art. 56, al. 3, LAMal) - par le biais de rabais consentis aux caisses-maladie - sur le montant des primes" (FF 1999 3214).

Cette problématique s'est déjà posée au Tribunal administratif du canton de Fribourg dans une affaire opposant également la société au département de la santé des affaires sociales de ce canton. Après avoir interpellé l'institut suisse des produits thérapeutiques (ci-après : institut ou Swissmedic) sur la question de savoir quelles autorités étaient compétentes pour s'assurer du respect de cette disposition, le Tribunal administratif fribourgeois a jugé que la LPTh ne conférait aux cantons que des tâches d'exécution. L'examen de l'adéquation entre le comportement des recourants et l'article 33 LPTh était ainsi du seul ressort de l'institut. Il appartenait à Swissmedic de réprimer d'éventuelles infractions à l'article 33 LPTh, tant du point de vue administratif que pénal (Arrêt du Tribunal administratif du canton de Fribourg du 30 novembre 2005, consid. 5).

Le Tribunal de céans se ralliera à ce raisonnement, car il est conforme aux dispositions de la LPTh. Dès lors, il n'appartient pas au DES de se déterminer sur la question du dédommagement du médecin prévu par le concept. D'ailleurs, selon la décision dont est recours, l'institut a déjà procédé à l'analyse économique du concept sous cet angle particulier et a jugé que ledit concept était conforme à la loi.

11. Selon le DES, le concept violerait encore l'article 10 LPS qui consacre le principe du libre choix par le patient de son praticien.

Cette norme va dans le même sens que l'article 41 alinéa 1 LAMal. En dépit du but probablement visé par la société et les médecins qui y seraient associés consistant à encourager les patients à se servir auprès de la société, il ne ressort pas du dossier que les patients seraient contraints de faire appel à une pharmacie extra-cantonale que leur proposerait leur médecin. Au contraire, ils resteraient libres de se procurer leurs médicaments auprès de l'officine de leur choix. Le Tribunal administratif du canton de Fribourg dans l'arrêt ci-dessus mentionné a tranché dans le même sens (Arrêt du tribunal administratif du canton de Fribourg, op. cit. consid. 6b). La chambre administrative du Tribunal cantonal du Jura est parvenue à la même conclusion dans une affaire opposant le département jurassien de la santé, des affaires sociales et de la police à trois médecins de ce canton, qui avaient proposé à leurs patients une livraison par envoi postal de leurs médicaments par leur fournisseur, l'entreprise S. S.A. à Berne (Arrêt de la chambre administrative du canton du Jura du 17 août 1998 publié in RJJ 1998 p. 262-275, 274).

La décision du département est par conséquent mal fondée sur ce point.

12. Enfin, le concept serait contraire à l'article 100 LPS interdisant la pro-pharmacie.

Selon le Tribunal fédéral, l'interdiction de la pro-pharmacie a principalement pour but de faire en sorte qu'une région soit dotée d'un nombre suffisant de pharmacies proprement dites qui disposent en général d'un assortiment de produits plus vaste que le médecin (ATF 116 Ia 175 publié in JT 1994 I p.644, cons. 2). Comme le système pratiqué par la recourante fait intervenir un pharmacien, le but poursuivi par l'interdiction de la pro-pharmacie n'est pas mis en cause. Certes, les fournisseurs de prestations sont des pharmaciens situés hors du canton. Toutefois, comme il a été relevé ci-dessus, l'article 41 alinéa 1 LAMal prévoit que l'assuré a le libre-choix entre les fournisseurs de prestations admis et aptes à traiter sa maladie. Parmi ceux-ci figurent les pharmaciens (art. 35 al.2 2b et 37 LAMal). Les assurés ne sont donc pas tenus de s'approvisionner auprès d'un pharmacien établi dans leur canton de résidence. Dès lors, on ne saurait reprocher aux futurs médecins adhérant au concept de pratiquer la pro-pharmacie, cette notion impliquant nécessairement l'absence d'intervention d'un pharmacien. (Cf. dans le même sens, Arrêt de la chambre administrative du canton du Jura du 17 août 1998 publié in RJJ 1998 p.262-275, 273).

La décision du département est donc mal fondée sur ce point. 

13. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision du département annulée.

Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge du département de l'économie et de la santé (ATA/423/2005 du 14 juin 2005) qui succombe.

Une indemnité de 2'000.- sera allouée à la recourante à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

*****

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 juillet 2005 par Zur Rose S.A. contre la décision du département de l'économie et de la santé du 24 juin 2005 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du département de l'économie et de la santé du 24 juin 2005 ;

met à la charge du département de l'économie et de la santé un émolument de CHF 2'000.- ;

alloue une indemnité de CHF 2'000.- à la recourante à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Bonvin, avocat de la recourante ainsi qu'au département de l'économie et de la santé.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :