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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3650/2020

ATA/57/2021 du 19.01.2021 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3650/2020-EXPLOI ATA/57/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 janvier 2021

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) Madame A______ est au bénéfice d'une autorisation d'exploitation du café restaurant à l'enseigne « B______ » rue C______, à D______.

Selon un rapport de police établi le 1er novembre 2020, la veille, à 22h55, plusieurs clients se tenaient sur la terrasse de cet établissement et parlaient sans avoir le masque ni les distances de sécurité sanitaire. De plus, un des clients consommait sa boisson sans être assis. L'exploitant avait ainsi enfreint les obligations, imposées par les divers arrêtés du Conseil d'État, en lien avec le plan de protection contre la pandémie de Covid-19, de faire respecter l'obligation de porter le masque, de ne pas tolérer qu'un client commande, soit servi ou consomme sans être assis à table (à l'intérieur ou à l'extérieur).

2) Se fondant sur ce rapport, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a rendu, le 5 novembre 2020, une décision déclarée exécutoire nonobstant recours ordonnant la fermeture immédiate du bar, avec apposition de scellés, jusqu'au 27 décembre 2020 inclus, soit de vingt-huit jours, et réservé une éventuelle prolongation de la décision de fermeture avec scellés si le Conseil d'État devait prolonger la fermeture des cafés-restaurants au-delà du 29 novembre 2020.

Les faits ressortant du rapport de police étaient constitutifs de graves troubles à la santé publique et tombaient sous le coup de l'arrêté du Conseil d'État du 29 octobre 2020 modifiant celui du 14 août 2020 relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19.

La décision a été remise en mains de l'exploitante le 6 novembre 2020.

3) Par pli expédié le 12 novembre 2020 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Mme A______ a recouru contre cette décision. Elle a conclu à la délivrance d'une « autorisation pour que son établissement puisse reprendre son activité, soit la vente à l'emporter ».

Elle a contesté que les faits figurant dans le rapport du 31 octobre 2020 lui soient imputés. Elle avait à cette date, conformément à la décision du Conseil d'État, fermé son établissement à 22h30, laissant trois clients sur sa terrasse terminer leurs consommations. Elle leur avait ordonné de quitter les lieux à 23h00. Peu de temps après avoir fermé la porte de son café-restaurant, on avait frappé à sa vitre. Faute de visibilité depuis l'intérieur, elle avait ouvert la porte pour informer cette clientèle que l'établissement était fermé. Elle avait alors constaté qu'il s'agissait de trois agents.

Au même moment, elle avait vu, hors du périmètre de sa terrasse, un client sans masque et alcoolisé du bar d'à côté, une consommation à la main. Elle avait expressément dit aux agents qu'il n'était pas un client de son établissement et qu'il ne se trouvait pas sur sa terrasse. Des images de vidéo surveillance pourraient attester ses dires.

Elle était pénalisée par le comportement d'une personne qui n'avait pas respecté les règles, alors que de son côté elle les avait toujours attentivement appliquées. Si la décision de fermeture devait être maintenue et empêcher toute vente à l'emporter de son restaurant, elle devrait se mettre en faillite.

4) Dans ses observations du 20 novembre 2020, le PCTN a conclu au rejet du recours.

Mme A______ contestait les faits retenus dans le rapport de police sans apporter un quelconque élément de preuve. Or, conformément à la jurisprudence de la chambre administrative, les constatations faites par les services de police avaient une force probante accrue. Les faits relatés dans le rapport du 1er novembre 2020 constituaient un grave trouble à l'ordre public, dès lors qu'ils favorisaient activement la propagation du Covid-19 et justifiaient la fermeture ordonnée avec apposition de scellés.

5) Mme A______ n'a pas répliqué.

6) Faisant suite à la demande de la chambre de céans du 28 décembre 2020, le département a, le 8 janvier 2020, admis que l'occasion n'avait pas été donnée à Mme A______ de faire valoir sa position avant que ne soit rendue la décision querellée. Il s'en est rapporté à justice quant aux conséquences à en tirer.

7) La cause a été gardée à juger le 11 janvier 2021.

8) Le Conseil d'État a adopté successivement plusieurs arrêtés destinés à lutter contre l'épidémie de Covid-19, notamment les 14 août, 29 octobre et 1er novembre 2020. Ces arrêtés comportent différentes dispositions imposant des restrictions et obligations aux exploitants d'établissements publics tels que des bars.

Par arrêté du 1er novembre 2020, le Conseil d'État a ordonné la fermeture, en particulier, des installations et établissements offrant des consommations, notamment les bars, jusqu'au 29 novembre 2020. Cette fermeture a été reconduite jusqu'au 10 décembre 2020.

Dans un arrêté du 2 décembre 2020, le Conseil d'État a autorisé la police cantonale, soit pour elle un commissaire de police, à procéder à la fermeture immédiate de tout établissement dans lequel survient une perturbation flagrante de l'ordre public, soit lorsque la santé publique y est menacée en raison de l'inobservation des mesures sanitaires, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de dix jours.

Par arrêté du 7 décembre 2020, le Conseil d'État a, notamment, autorisé la réouverture des restaurants et bars à compter du 10 décembre 2020 à 00h01. Enfin, par arrêté du 21 décembre 2020, il en a ordonné la fermeture du 23 décembre 2020 à 23h00 jusqu'au 22 janvier 2021, sous réserve de prolongation.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

b. Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/1718/2019 du 26 novembre 2019 consid. 2 ; ATA/1243/2017 du 29 août 2017 consid. 2a ; ATA/518/2017 du 9 mai 2017 consid. 2a). Ainsi, une requête en annulation d'une décision doit être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a, de manière suffisante, manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu'elle ne déploie pas d'effets juridiques (ATA/1243/2017 précité consid. 2a).

c. En l'espèce, la recourante n'a pas pris de conclusions formelles dans son recours. La chambre administrative comprend toutefois qu'elle demande l'annulation de la décision du 5 novembre 2020, puisqu'elle demande, a contrario, l'autorisation d'ouvrir son établissement, en l'état pour faire de la vente à l'emporter.

3) a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 137 IV 33 consid. 9.2).

b. La réparation du droit d'être entendu en instance de recours n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure. Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1 ; ATA/714/2018 du
10 juillet 2018). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/944/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4c; ATA/711/2020 du 4 août 2020 consid. 4b).

c. Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5 ; ATA/791/2020 du 25 août 2020 consid. 6c et les références citées).

d. Selon l'art. 62 al. 1 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), si les circonstances le justifient, un commissaire de police procède à la fermeture immédiate, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de dix jours, de toute entreprise dans laquelle survient une perturbation grave et flagrante de l'ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques. La police fait rapport sans délai au département ainsi qu'à l'autorité compétente, si l'un des domaines visés à l'art. 1 al. 4 LRDBHD est concerné. Le département examine s'il y a lieu de prolonger la mesure, en application de l'al. 2.

Aux termes de l'art. 62 al. 2 LRDBHD, le département peut procéder à la fermeture, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de quatre mois, de toute entreprise dont l'exploitation perturbe ou menace gravement l'ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques.

4) En l'espèce, il n'est pas contesté que l'exploitante de l'établissement public n'a pas pu exercer son droit d'être entendue avant que la décision querellée ne soit rendue. Son droit d'être entendue a donc été violé.

L'art. 61 al. 1 LRDBHD permet au commissaire de police, en cas de perturbation grave et flagrante de l'ordre public, notamment en matière de santé, d'ordonner la fermeture immédiate pour une durée maximale de dix jours d'un établissement, fermeture que le PCTN peut prolonger si les conditions sont réunies. Ce mécanisme aménage la possibilité d'une mesure immédiate lorsque la perturbation de l'ordre public grave et flagrante le justifie, mesure dont le maintien n'est ordonné que dans un second temps, ce qui permet à l'intéressé de s'exprimer. Or, en l'occurrence, la mesure contestée n'a pas été rendue par le commissaire de police immédiatement à la suite d'une constatation de faits le justifiant. La manière de procéder de l'autorité intimée s'apparente toutefois à un tel procédé, réservé au seul commissaire de police, puisque la mesure a été prononcée sans que la recourante ne puisse se déterminer au préalable. Cette manière de faire, qui viole le droit d'être entendue de la recourante, se heurte également au texte de l'art. 61 LRDBHD.

Par ailleurs, les restaurants et bars ont été fermés par arrêté du Conseil d'État du 1er novembre 2020 jusqu'au 29 novembre 2020. Lorsque l'autorité intimée a rendu sa décision, le 5 novembre 2020, il n'y avait donc pas d'urgence particulière, notamment pas d'urgence sanitaire, justifiant qu'aucun délai, même bref, ne soit imparti à la recourante pour se déterminer avant que la décision la concernant ne soit prononcée. Il ne ressort, au demeurant, pas non plus du rapport de police d'indication permettant de retenir que la recourante, présente lors du contrôle, aurait eu la possibilité de s'exprimer sur les faits reprochés.

Du fait de la violation de son droit d'être entendue, la recourante n'a pas été à même d'exposer ses arguments et sa version des faits, ni d'apporter les éléments de preuve à l'appui de celle-ci. Certes, dans la présente procédure, la recourante a pu développer ses arguments et produire des éléments de preuve, évoquant en particulier des images de vidéosurveillance issues de sa propre installation, qu'elle n'a toutefois pas produites. L'instruction de la cause, qui impliquera l'audition de témoins afin d'établir les faits, ne pourra vraisemblablement pas se terminer avant que la mesure de fermeture ordonnée prenne fin.

Au vu de l'ensemble de ce qui précède, en particulier de l'absence d'urgence à statuer sans entendre la recourante, la violation de son droit d'être entendue ne peut pas être réparée devant la chambre de céans.

Le recours sera, partant, admis et la décision querellée annulée. Le dossier sera renvoyé à l'autorité intimée afin qu'elle rende une nouvelle décision en respectant le droit d'être entendue de la recourante.

5) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité ne sera allouée à la recourante qui a agi en personne et n'y a pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 novembre 2020 par Madame A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 5 novembre 2020 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision précitée et renvoie le dossier au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :