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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/413/2010

ATA/490/2012 du 31.07.2012 sur JTAPI/303/2011 ( LDTR ) , REJETE

Parties : ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DEFENSE DES LOCATAIRES / PIRKER Niki, PIRKER Norbert, PIRKER Christian et autres, DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/413/2010-LDTR ATA/490/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 juillet 2012

2ème section

 

dans la cause

 

ASSOCIATION GENEVOISE DE DÉFENSE DES LOCATAIRES, (ASLOCA)
représentée par Me Christian Dandrès, avocat

contre

Messieurs Norbert, Christian et Niki PIRKER
représentés par Me Nicolas Wisard, avocat

et

DÉPARTEMENT DE L’URBANISME

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 avril 2011 (JTAPI/303/2011)


EN FAIT

1. Depuis l'année 2001, Monsieur Norbert Pirker et ses deux fils, Christian et Niki Pirker, sont copropriétaires à hauteur respectivement de 34, 33 et 33 % d'un immeuble sis 2, rue Cherbulliez, sur la parcelle n° 358 de la commune de Genève-Eaux-Vives.

Cet immeuble a été constitué en propriété par étages en mars 1985 et comprend 20 appartements et divers locaux, formant 25 feuillets PPE.

Sous réserve des deux logements habités par les familles de MM. Christian et Niki Pirker, portant les nos 9 et 22, les autres sont loués.

2. Par acte notarié du 7 décembre 2009, les copropriétaires ont convenu de se partager l'immeuble en trois lots distincts. M. Norbert Pirker se verrait attribuer la propriété des feuillets nos 3, 5, 7, 10, 11, 14, 16, 18, 19 et 24, M. Christian Pirker celle des feuillets nos 2, 8, 9, 13, 15, 17 et 25 et M. Niki Pirker celle des feuillets nos 1, 4, 6, 20, 21, 22 et 23. Le partage avait lieu sans soulte ni retour.

3. Par requête du 21 décembre 2009 adressée au département des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis le département de l'urbanisme (ci-après : le département), les copropriétaires ont sollicité l'autorisation d'aliéner les 20 appartements de l'immeuble concerné, afin d'opérer un « partage familial sans soulte ».

4. Par arrêté du 23 décembre 2009 publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO), le département a délivré l'autorisation requise. Les vendeurs procédaient en une seule opération au partage et à l'attribution de la totalité des logements qu'ils possédaient dans l'immeuble. Cette autorisation ne pourrait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation individualisée des 20 appartements sur la base de l'art. 39 al. 4 let. d de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Les propriétaires s'engageaient à reprendre les droits et obligations découlant des baux en cours des divers locataires.

5. Le 4 février 2010, l'Association genevoise de défense des locataires (ci-après : l’ASLOCA) a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), devenue le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), en concluant à son annulation. L'autorisation du département conduirait à la mise en vente des appartements de l'immeuble. Ce procédé consistait en une aliénation au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR. La constitution de droits d'habitation et d'usufruit pour MM. Christian et Niki Pirker pouvait également conduire à d'autres aliénations individuelles d'appartements de l'immeuble.

6. Le 9 mars 2010, les copropriétaires ont conclu au rejet du recours sous suite de frais et dépens et à ce qu'une amende pour téméraire plaideur soit infligée à l’ASLOCA.

Les griefs de cette dernière étaient sans pertinence et infondés. MM. Christian et Niki Pirker ne bénéficiaient pas de l'autorisation de vendre leurs appartements de manière individuelle. Il ne feraient que devenir propriétaires individuels de biens dont ils étaient déjà copropriétaires en mains communes. La constitution de droits d'habitation et d'usufruit ne conduirait pas aux ventes individuelles des appartements. Le parc locatif n’en serait pas affecté, dès lors qu'ils n'étaient pas locataires de leur logement. L'opération ne transformerait pas l'immeuble en PPE, puisqu'il était constitué sous cette forme depuis mars 1985.

7. Les parties ont été entendues le 14 décembre 2010 en audience de comparution personnelle devant la CCRA. Elles sont restées sur leurs positions. Le représentant du département a précisé que le département n'avait délivré d'autorisations antérieures que pour des ventes en bloc, y compris pour de petits lots. Tous les appartements de l'immeuble des copropriétaires leur appartenaient. L'intérêt public protégé par la LDTR n'était pas remis en cause puisque les locataires en place restaient au bénéfice des mêmes baux et qu'ils auraient pour futur propriétaire l'un de leurs actuels propriétaires. Il ressortait du dossier que la cause concernait un partage au sein d'une même famille qui n'était pas liée à un groupe d'investisseurs.

8. L’ASLOCA a répliqué le 19 janvier 2011. La crise aiguë du logement existant à Genève impliquait un pesée soigneuse des intérêts. Or, les copropriétaires ne se prévalaient d'aucun intérêt privé prépondérant. Ils n'avaient pas démontré que le partage de la copropriété répondait à une nécessité. La CCRA avait annulé la vente d'un appartement ayant appartenu à un lot dont l'aliénation avait été autorisée avec la même réserve que celle mentionnée dans la décision litigieuse. Selon le site internet de M. Christian Pirker, ce dernier déployait son activité d'avocat dans le domaine immobilier. Cela démontrait que le département n'avait pas examiné sérieusement le dossier. Les copropriétaires avaient d’ailleurs acquis récemment deux autres objets immobiliers.

9. Le département a dupliqué le 15 février 2011. Il s'en rapportait à justice quant à la recevabilité du recours et concluait à son rejet. Une législation édictée pour des motifs d'intérêt public et prévoyant des restrictions aux droits constitutionnels, tels que la garantie de la propriété ou la liberté économique, devait respecter le principe de la proportionnalité. En application de ce principe, la restriction à la liberté individuelle ne devait pas entraîner une atteinte plus grave que ne l’exigeait le but d'intérêt public recherché. Avant de délivrer les autorisations de vente, le département devait se livrer à une soigneuse pesée des intérêts public et privé en présence. Il disposait d'une marge d'appréciation lui permettant de délivrer une autorisation de vente en dehors des cas prévus par l'art. 39 al. 4 let. a à d LDTR. La vente en bloc devait être préférée à celle par unités séparées, ce procédé-là ne mettant pas en péril les buts de la LDTR (ATA/28/2002 du 15 janvier 2002).

In casu, l'opération de partage-attribution envisagée avait pour but d'anticiper les problèmes pouvant découler d'une succession. Le partage par bloc de plus de 5 appartements permettait d'atteindre le but d'intérêt public que poursuivait la LDTR, puisque le risque de voir les appartements sortir du marché locatif était pratiquement nul.

L’arrêté querellé spécifiait que l'autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation individualisée des appartements vendus par lots en application de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR. S’il devait être saisi, dans le futur, d'une requête en aliénation de l'un des appartements, il devrait procéder à une analyse du cas selon l'art. 39 al. 3 LDTR, aucune des conditions de l'alinéa 4 ne pouvant être retenue.

La prise en compte du principe de proportionnalité l’avait conduit en l'espèce à délivrer l'autorisation de partage-attribution selon l'art. 39 al. 2 LDTR.

10. Les copropriétaires ont également dupliqué le 18 février 2011, maintenant leurs précédents arguments. De plus, les causes auxquelles se référait l’ASLOCA concernaient des ventes individuelles ou de petits lots d'appartements, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence. M. Christian Pirker n'était pas un promoteur immobilier. Le département n'avait pas délivré d'autorisation permettant l'aliénation des appartements individuels de l'un ou l'autre lot en PPE.

11. Par jugement du 12 avril 2011 envoyé aux parties le 19 avril 2011, le TAPI a rejeté le recours de l’ASLOCA. En situation de pénurie, le régime juridique de la LDTR consistait à vérifier s'il existait des motifs d'autorisation d'aliénation au sens de l'art. 39 al. 4 de la loi, et en cas contraire, si les intérêts privés en cause l'emportaient sur l'intérêt public au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR.

En l'espèce, l'art. 39 al. 2 LDTR s'appliquait. Il s'agissait de déterminer si l'intérêt privé des copropriétaires devait primer l'intérêt public poursuivi par la LDTR. Aucune succession n'était ouverte ou en cours de liquidation. Cependant, le souhait de procéder par anticipation à un partage successoral était très plausible et proche du motif prévu par l'art. 13 al. 3 du règlement d’application de la LDTR du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), selon lequel l'intérêt privé était présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire devait vendre l'appartement pour liquider un régime matrimonial ou une succession. De plus, les propriétaires avaient fait l'acquisition de l'immeuble litigieux plus de dix ans auparavant. Les circonstances familiales avaient changé durant ce laps de temps. Le risque de voir les appartements disparaître du marché locatif était faible. Dès lors, l'intérêt privé à l’octroi de l'autorisation d'aliéner l'emportait.

12. Le 20 mai 2011, l’ASLOCA a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation.

La vente de l'immeuble litigieux avait un objectif purement spéculatif, contraire au but de la LDTR. L'opération n'était pas soumise à l'art. 39 al. 4 - dont les conditions étaient cumulatives - mais à l'art. 39 al. 2 de la loi. L'intérêt public à la préservation du parc locatif était prédominant. Les dérogations prévues par l'art. 39 LDTR étaient très restrictives et exhaustives. L'aliénation d'appartements « en blocs » ne pouvait être autorisée que dans le cadre d'un assainissement financier, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. La vente de mini-lots (3-4 appartements) était interdite. Une dérogation serait illégale.

A l’appui de son recours, l’ASLOCA a joint l'extrait d'un autre recours qu'elle avait interjeté auprès de la chambre de céans dans une autre cause, jugée depuis (ATA/103/2011 du 14 février 2011).

13. Le 30 juin 2011, les propriétaires s’en sont rapportés à justice quant à la recevabilité du recours et conclu au rejet de celui-ci, en sollicitant une indemnité de procédure.

Au vu de leurs situations familiales, la copropriété créait une interdépendance juridique et économique compliquée à gérer et restreignant leur autonomie. La simplification de la structure patrimoniale de l'immeuble, attribuant à chacun d'eux la pleine propriété des logements qu'ils occupaient, reviendrait à un partage successoral par anticipation.

Le TAPI avait jugé à juste titre que le procédé était admissible. L'aliénation de lots d'appartements ne pouvait être empêchée par principe. L'intérêt public n'était pas remis en cause, en l'absence de risque de voir les appartements disparaître du marché locatif. Une telle restriction de la propriété et de la garantie économique violerait le principe de proportionnalité. Il ne s'agissait pas de mini-lots en l'espèce, mais d'ensembles de 5 à 8 appartements.

L’ASLOCA leur prêtait des intentions spéculatives qu'ils n'avaient pas. Elle ne contestait pas les faits, ni n'apportait d'éléments nouveaux. L'argumentation tirée d'une autre procédure n'avait aucun lien avec le litige. La recevabilité de son recours était au surplus contestable, eu égard à l'abus de droit, la recourante ayant transmis un « copié-collé » d'une argumentation développée dans un autre litige. Ses écritures étaient à peine lisibles, truffées d'indications incomplètes et erronées, notamment s'agissant de la désignation de l'acte attaqué. Au surplus, les critiques de la recourante étaient sans pertinence pour la cause les concernant. L’ASLOCA menait un combat politique.

Le raisonnement à suivre relevait des art. 27 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et de la pesée des intérêts commandée par l'application de l'art. 39 al. 2 LDTR. Dès lors que le litige ne visait qu'à répartir la maîtrise des lots existants de PPE, il n'aurait aucune incidence sur le statut locatif des appartements. Leur intérêt privé prévalait sur l'intérêt public.

14. Le 21 juillet 2011, le département a informé la chambre de céans qu'il persistait dans les observations qu'il avait déposées précédemment et se référait au jugement du TAPI du 12 avril 2011.

15. Le 11 août 2011, la recourante a précisé les circonstances d'accession à la propriété de la part d'immeuble de M. Christian Pirker en 2001. Son recours, déposé dans les délais, était recevable. La chambre administrative et le Tribunal fédéral n'avaient pas critiqué le fait qu'elle avait repris de précédentes écritures dans les mémoires des quatre causes en question. Par ailleurs, l'autorisation du département était nulle car l'art. 39 al. 4 LDTR n'autorisait l'aliénation que d'un seul appartement locatif à la fois : vingt autorisations, pour chacun des appartements de l'immeuble litigieux auraient dû être délivrées. Seul un besoin d'assainissement financier permettait d'autoriser la vente de plusieurs appartements locatifs en bloc. De plus, tant que durait la pénurie de logements, l'intérêt public primait l'intérêt privé. Les droits relatifs à la propriété n'étaient pas impératifs. Les lots d'appartements n'étaient pas des blocs au sens de l'art. 39 al. 4 LDTR. Le Tribunal fédéral, par quatre nouveaux arrêts datés du 14 juillet 2011, confortait sa thèse. MM. Christian et Niki Pirker avaient reçu des autorisations de construire pour d'autres immeubles.

Plusieurs exemples de reventes dites spéculatives, effectuées par d'autres personnes étrangères au litige, étaient présentés.

16. Le 17 août 2011, les propriétaires ont observé que la réplique présentait de nouveaux développements en fait et en droit, tel le grief de nullité de l'arrêté du département pour vice de forme, une approbation donnée à la recourante par quatre arrêts du Tribunal fédéral et des « indices » que semblerait fournir l'autorisation de construire délivrée à MM. Christian et Niki Pirker pour la création de 2 appartements dans un autre immeuble.

Les autres développements du mémoire de l’ASLOCA étaient dénués de pertinence.

Si la chambre administrative gardait la cause à juger, ce mémoire ne devrait pas être pris en compte. Dans le cas inverse, ils sollicitaient l'autorisation de se déterminer sur les éléments nouveaux précités.

17. Le 29 août 2011, les copropriétaires ont fait valoir que l'arrêté du département n'était pas nul. Aucune base légale n'interdisait l'adoption d'un arrêté portant sur les 20 unités PPE concernées. Les principes de proportionnalité et d'économie de procédure s'opposaient à la multiplication inutile d'actes d'autorisation. Du reste, le département avait expressément exclu l'aliénation individualisée des appartements. L'autorisation de la vente en blocs, évoquée à l'art. 39 al. 4 LDTR pour des motifs d'assainissement, était toutefois permise par la garantie de la propriété, comme l'avaient reconnu le TAPI ainsi que le Tribunal fédéral dans les arrêts cités par la recourante.

Contrairement à ce que prétendait la recourante, le Tribunal fédéral n'avait pas condamné le principe de l'aliénation de lots de PPE en blocs « hors cas d'assainissement financier ». Selon les arrêts auquel l’ASLOCA semblait se référer (1C_137/2011, 1C_139/2011, 1C_141/2011 et 1C_143/2011 du 14 juillet 2011), il convenait d'appréhender concrètement le risque de voir les appartements sortir du marché locatif. En l'espèce, le département avait examiné la situation et rendu sa décision après avoir opéré une pesée des intérêts en présence. Le projet de partage-attribution entre eux répondait à des préoccupations d'ordre certes patrimonial, mais dénuées de toute perspective de gain au détriment des locataires ou de la pérennité du parc locatif de l'immeuble.

L'autorisation de construire qui leur avait été délivrée pour aménager deux appartements dans un autre immeuble leur appartenant était sans pertinence pour l'issue du litige. Il en était de même de l'existence de leurs autres propriétés à Genève.

18. Le 30 août 2011, le département a dupliqué à son tour. L'état de faits de la cause n'était pas comparable à celui des procédures ayant conduit aux arrêts précités du Tribunal fédéral. En l'espèce, les propriétaires n'étaient pas des investisseurs mais souhaitaient procéder par anticipation à un partage successoral. L'art. 13 al. 3 RDTR s'appliquait par analogie. Le risque que les appartements de cet immeuble disparaissent du marché locatif était très faible et l'intérêt public protégé par la LDTR n'était pas menacé. Les écritures de la recourante étaient incompréhensibles, dès lors que le département ne pouvait délivrer des autorisations de vente individuelles.

19. A la requête du juge délégué, le 8 juin 2012, les copropriétaires ont informé la chambre de céans que la situation n'avait pas évolué depuis leurs dernières observations.

20. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. De jurisprudence constante, l’ASLOCA a qualité pour agir au sens de l'art. 45 al. 5 LDTR (ATA/270/2012 du 8 mai 2012 consid. 3 ; ATA/130/2007 du 20 mars 2007 consid. 2 ; ATA/571/2006 du 31 octobre 2006 consid. 2 et les arrêts cités).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable à cet égard (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

L’art. 65 al. 1 LPA dispose de plus que l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. L'acte de recours doit contenir également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. A défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA).

Selon la jurisprudence, les exigences formelles ainsi posées par le législateur n’ont d’autre but que de permettre à la juridiction administrative de déterminer l’objet du litige qui lui est soumis et de donner l’occasion à la partie intimée de répondre aux griefs formulés à son encontre (ATA/330/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/282/2011 du 10 mai 2011 ; ATA/1/2007 du 9 janvier 2007 ; ATA/251/2004 du 23 mars 2004).

D'après les intimés, la question de la recevabilité du recours interjeté se pose en raison du manque de clarté de ce dernier, notamment dans l'indication de l'arrêté attaqué et du fait de sa mauvaise lisibilité, ainsi que des indications incomplètes et erronées qu'il contient.

Quand bien même la recourante a fait preuve de versatilité et d'imprécision dans ses écritures, elle a conclu à l’annulation de l'autorisation d’aliéner au motif que celle-ci ne respectait aucune des conditions de l’art. 39 LDTR. Il en résulte que l’objet du litige et les griefs sont clairement déterminés. La chambre administrative n'est de plus pas liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 LPA) et les intimés, par leurs observations, ont démontré qu’ils avaient parfaitement compris les griefs formulés par l’ASCLOCA puisqu’ils ont exposé de manière détaillée les raisons pour lesquelles l'autorisation respectait, selon eux, la LDTR. Quant à la production d’une motivation développée dans une autre cause, sa recevabilité au regard de l’art. 65 LPA souffrira de rester ouverte car elle n’affecte pas les conclusions de la recourante.

2. En revanche, les conclusions nouvelles prises par l’ASLOCA le 11 août 2011, soit en dehors du délai de recours, sont irrecevables, selon une jurisprudence constante (ATA/133/2012 du 13 mars 2012 ; ATA/98/2009 du 26 février 2009 ; ATA/320/2008 du 17 juin 2008 ; ATA/592/2007 du 20 novembre 2007). Il en est ainsi des conclusions tendant au prononcé de la nullité de l'autorisation délivrée et au constat du « caractère non impératif des droits de propriété » des intimés.

3. L’aliénation - sous quelque forme que ce soit - d’un appartement à usage d’habitation jusqu’alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

Le Conseil d’Etat a constaté qu’il y a pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements de une à sept pièces inclusivement (Arrêtés du Conseil d’Etat déterminant les catégories d’appartements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR des 12 mai 2010 et 27 juillet 2011 - ArAppart - L 5 20.03).

4. Les appartements litigieux sont situés dans un immeuble d'habitation assujetti à la LDTR. Etant d'un nombre de pièces inférieur à 7, ils entrent dans une catégorie de logements où sévit la pénurie. Ils sont à ce titre soumis à autorisation d'aliéner, ce qui n’est pas contesté.

5. Selon l’art. 39 al. 4 LDTR, le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été, dès sa construction, soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue (a), s'il était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée (b), s'il n’a jamais été loué (c), ou s'il a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR (d). L’autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d’assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d’habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu’alors offerts en location, avec pour condition que l’acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l’obtention d’une autorisation individualisée.

En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner (ATA/647/2000 du 24 octobre 2000 consid. 4 ; ATA/707/1998 du 10 novembre 1998 consid. 6b) ce qui résulte d'une interprétation tant littérale (le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception) qu'historique (l'art. 9 al. 3 aLDTR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation) du texte légal. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée d'intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l'art. 39 al. 4 LDTR sont par ailleurs alternatives, ce qui résulte notamment de l'incompatibilité entre les let. a et b de cette disposition.

A l'inverse, au vu de la marge d'appréciation dont elle dispose, lorsqu'aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par l'art. 39 al. 4 n'est réalisé, l'autorité doit rechercher si l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.2/1999 du 19 avril 1999, consid. 2f, rés. in SJ 1999 II 287 ; ATA/101/2011, ATA/102/2011, ATA/103/2011 et ATA/104/2011 du 15 février 2011, confirmés par les arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011, 1C_139/2011, 1C_141/2011 et 1C_143/2011 déjà cité).

6. En l'espèce, il découle des pièce produites que l'immeuble litigieux a été constitué en PPE en mars 1985, mais n'avait alors pas été cédé de manière individualisée. Dès lors qu'aucune condition de l'art. 39 al. 4 n'est réalisée, il y a lieu d'opérer la pesée des intérêts commandée par les art. 39 al. 2 LDTR et 13 RDTR.

Il résulte du dossier que les intimés ont souhaité l'aliénation querellée pour anticiper un partage successoral.

Un tel cas n’a jamais été tranché jusqu’ici. Ce but ne remplit toutefois pas les conditions fixées à l'art. 13 RDTR, et une application analogique de l'art. 13 al. 3 RDTR n'est pas possible, sauf à créer un dangereux précédent. En revanche, conformément à l'art. 13 al. 1 RDTR, « dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation, le département procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence ».

Une vente en bloc étant possible au regard de l'art. 39 LDTR et de la jurisprudence (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.2/1999 du 19 avril 1999, consid. 2f ; ATA/104/2011 précité ; ATA/244/2007 du 15 mai 2007 et les références citées), le département pouvait, au vu des considérations du cas d'espèce, admettre qu'une aliénation de ce type ne contrevenait pas au but de la LDTR de protection du marché locatif. L'intérêt public n'était menacé d'aucune manière, puisqu'aucune autorisation d'aliéner individuellement les appartements de l'immeuble n'avait été délivrée, que MM. Christian et Niki Pirker s'étaient engagés à reprendre les droits et obligations résultant des baux en cours et que les copropriétaires n'avaient pas cherché (à) ou souhaité vendre les appartements de l'immeuble. De plus, les intimés possédant ce bien immobilier depuis plus d'une décennie, leurs intentions « spéculatives » n'étaient ainsi pas prouvées. En faisant primer l'intérêt privé des intimés, le département n'a ainsi pas mésusé de son large pouvoir d'appréciation, découlant de l'art. 13 al. 1 RDTR.

7. Dès lors, il n'y a pas lieu d'interdire le partage-attribution décidé par le département dans le cas d'espèce et un renvoi à celui-là pour l'établissement de 20 arrêtés compliquerait sans raison l'opération visée.

8. Les autres arguments soulevés par la recourante (propriété d'autres biens fonciers des intimés, existence d'autres procédures impliquant le département) sont sans pertinence pour le litige.

9. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

10. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera à la charge de la recourante. Une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera allouée à MM. Pirker, conjointement et solidairement, à charge de l’ASLOCA (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 20 mai 2011 par l’ASLOCA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 12 avril 2011 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de l’ASLOCA ;

alloue à Messieurs Norbert, Christian et Niki Pirker, conjointement et solidairement, une indemnité de procédure de CHF 2'500.-, à charge de l’ASLOCA ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Dandrès, avocat de la recourante, au département de l’urbanisme, à Me Nicolas Wisard, avocat de Messieurs Norbert, Christian et Niki Pirker, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance .

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

C. Sudre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :