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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2003/2016

ATA/361/2017 du 28.03.2017 sur JTAPI/1162/2016 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2003/2016-LCI ATA/361/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 mars 2017

3ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Jacques Berta, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 novembre 2016 (JTAPI/1162/2016)


EN FAIT

1. Monsieur A______ est propriétaire de la parcelle n° 1______, feuille ______ de la commune de ______, d’une surface de 2'974 m2. Deux bâtiments sont érigés sur cette parcelle, à savoir un central de télécommunications de 1'306 m2 à l’adresse C______ ainsi qu’une station-service, sise D______, de 116 m2.

La parcelle est sise en zone de développement 3, la zone préexistante étant la 5ème.

2. Le 15 février 2016, un contrôle a été effectué par un inspecteur de la direction des autorisations de construire du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : DALE ou le département). Un salon de massage érotique avait été ouvert au premier étage du bâtiment sis C______, sans demande d’autorisation pour changement d’affectation. L’affectation actuelle du bâtiment, outre le central de télécommunications, comportait un logement.

3. Par courrier du 18 février 2016, le DALE a interrogé « Madame D______, E______ », conformément aux indications recueillies sur la boîte aux lettres du B______.

4. Par réponse du 8 mars 2016, sous la plume d’un avocat, Mme D______, également administratrice de F______, actuelle locataire des locaux concernés, a rappelé au DALE avoir été délogée, à deux reprises, respectivement de la rue de G______ et de la route de H______. Elle avait spécifiquement tenu à trouver des locaux l’autorisant à exploiter un salon érotique. Ils avaient ainsi été loués par l’intermédiaire d’une régie et non directement auprès d’un particulier mal renseigné. Le contrat de bail établi le 1er septembre 2015 par la régie concernée, représentant le propriétaire, précisait expressément « destination des locaux : exploitation d’un salon de massage érotique ». Le bail avait été conclu pour une durée de cinq ans. L’intéressée n’avait donc pas procédé à un changement d’affectation. Le bail était joint au courrier.

5. À la demande du département, le propriétaire du bâtiment s’est déterminé le 12 mai 2016.

Il avait acquis la parcelle n° 1______ à l’occasion d’une vente immobilière aux enchères, qui s’était tenue le 4 juin 2014 à la salle des ventes de l’office des poursuites. La parcelle comprenait notamment un bâtiment n° 2______ désigné, dans le procès-verbal de vente, en ces termes : « le bâtiment n° 2______ est composé d’un sous-sol, d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage partiel ; le sous-sol et le rez sont principalement occupés par les installations téléphoniques et le premier étage comprend un logement de fonction ; une antenne I______ est implantée sur la toiture et une cage de Faraday recouvre l’ensemble de l’immeuble ».

Il avait été persuadé, apparemment à tort, que l’immeuble dans son entier était affecté à l’usage commercial, malgré l’existence du logement de fonction, raison pour laquelle il avait conclu le contrat de bail avec la société F______et Mme D______.

Simultanément, il avait pris la décision de déposer un projet de surélévation de son immeuble auprès du DALE aux fins d’y construire des logements.

Vu l’existence du contrat de bail en vigueur, il requérait l’autorisation, à titre précaire, de maintenir l’affectation commerciale des locaux litigieux jusqu’au départ des locataires. Il en précisait d’éventuelles modalités.

6. Par courrier du 1er juin 2016, le département a ordonné à M. A______ de requérir dans un délai de trente jours une autorisation de construire relative au changement d’affectation effectué illégalement. Passé ce délai et sans nouvelles de sa part, un ordre de remise en état lui serait signifié. La décision du département, de même que toute mesure et/ou sanction justifiée par la situation, demeurait en l’état réservée. Un recours était possible au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) dans un délai de dix jours.

L’attention de l’intéressé était attirée sur l’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996
(LDTR - L 5 20). Les locaux du premier étage étant légalement affectés à de l’habitation, le changement d’affectation serait subordonné à une compensation des surfaces de logement supprimées par la réaffectation simultanée de surface commerciale ou administrative en logement.

7. Par courrier du 2 juin 2016, le département a interpellé la régie. Un délai de dix jours lui était imparti pour se déterminer sur la situation, laquelle était susceptible de constituer une infraction à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Le 15 juin 2016, sous la plume du même mandataire que le propriétaire, la régie a fait siennes les observations de M. A______. Ce dernier avait déposé un recours auprès du TAPI en date du 13 juin 2016.

8. Par jugement du 10 novembre 2016, le TAPI a déclaré le recours irrecevable. La décision querellée était incidente. L’existence d’un préjudice irréparable n’apparaissait pas manifeste dès lors qu’il n’était pas exclu que le recourant se voie finalement accorder l’autorisation requise. L’admission du recours ne pouvait conduire immédiatement à une décision finale qui permette d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

9. Par acte du 13 décembre 2016, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité.

Il a conclu à l’annulation dudit jugement et, cela fait, à l’annulation de la décision du 1er juin 2016, « sous suite de frais et dépens ».

Le fait même de déposer la demande d’autorisation requise par le DALE revenait à admettre qu’il aurait procédé à un changement d’affectation nécessitant une telle demande. En cas de refus de l’autorisation d’un tel changement, le recourant ne pourrait plus recourir contre une telle décision. En ce sens, le préjudice causé par la décision attaquée entraînait un préjudice irréparable.

Même s’il y avait lieu d’admettre que la procédure ne serait pas excessivement longue et coûteuse, l’admission de son recours pouvait conduire immédiatement à une décision finale. En effet, la doctrine retenait que la LDTR ne s’appliquait pas aux immeubles commerciaux, administratifs, industriels ou artisanaux comprenant un logement isolé. Au vu de la teneur du procès-verbal de la vente immobilière aux enchères du 4 juin 2014, le logement de fonction pouvait donc perdre son affectation sans qu’il soit nécessaire de déposer une demande de changement d’affectation. Le TAPI aurait dû relever ce point et rendre immédiatement une décision finale, évitant une procédure probatoire.

Enfin, dans un souci d’économie de procédure, il convenait de statuer sur la question de savoir s’il s’agissait d’un changement d’affectation ou non et ce quand bien même, à strictement parler, les conditions de l’art. 57 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne seraient pas totalement remplies.

Son recours du 13 juin 2016 aurait dû être déclaré recevable.

10. Par réponse du 23 janvier 2017, le département a conclu au rejet du recours.

Les arguments seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit.

11. Le recourant n’a pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été accordé.

12. Par courrier du 27 février 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. LPA).

2. Est litigieux l’ordre donné par l’intimé au recourant de requérir une autorisation de construire relative à un éventuel changement d’affectation d’un bien immobilier.

3. Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé modifier même partiellement la destination d’une construction ou d’une installation (art. 1 al. 1 let. b LCI).

4. a. Dans deux arrêts récents, (ATA/526/2016 et ATA/527/2016 du 21 juin 2016, consid. 2), la chambre administrative a précisé les contours de l’intervention du département lorsqu’il ordonne de requérir une autorisation de construire.

Lorsque le département constate qu’une construction a été érigée sans droit, il peut inviter l’intéressé à déposer une autorisation de construire, ce qui peut constituer une alternative à une remise en état. Cela ne présuppose toutefois pas que l’autorisation de construire sera délivrée. Cette invite n’est pas une décision (ATA/1258/2015 du 24 novembre 2015 consid. 3 et ATA/544/2014 du 17 juillet 2014).

Toutefois, lorsque l’intéressé, précédemment invité à déposer une demande d’autorisation de construire pour régulariser la situation, ne s’y conforme pas, ni ne détruit la construction querellée, le département prononce une décision, sujette à recours, conformément aux art. 129 et 130 LCI (ATA/526/2016 et ATA/527/2016 du 21 juin 2016, consid. 2).

b. Une décision qui confirme l'obligation faite à une recourante de déposer des requêtes en autorisation de construire ne met pas fin à la procédure et revêt un caractère incident (arrêts du Tribunal fédéral 1C_92/2017 du 15 février 2017 ; 1C_390/2016 et 392/2016 du 5 septembre 2016 ; 1C_386/2013 du 28 février 2014 consid. 1.2).

c. En l’espèce, conformément à la jurisprudence précitée, le recourant s’est vu notifier une décision incidente, ce qu’il ne conteste pas.

5. Sont susceptibles d’un recours les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

6. Le recourant allègue subir un préjudice irréparable au sens de l’art. 57
let. c LPA en ce sens que le fait de déposer une demande d’autorisation revient à admettre qu’il aurait procédé à un changement d’affectation, ce qu’il conteste. Par ailleurs, si le département devait refuser le changement d’affectation, il ne pourrait plus recourir contre celui-ci.

a. L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 p. 190 ss ; 133 II 629 consid. 2.3.1 p. 631). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ;
ATF 127 II 132 consid. 2a p. 126 ; 126 V 244 consid. 2c p. 247ss ; 125 II 613 consid. 2a p. 619 ss). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 précité consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 p. 631 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 ; ATA/385/2016 du 3 mai 2016 ; ATA/64/2014 du 4 février 2014).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95).

b. En l’espèce, la décision querellée se limite à exiger le dépôt d’une requête afin précisément de pouvoir l’instruire.

Déposer une requête en autorisation n’impose que de simples démarches administratives. Le propriétaire aura en conséquence tout loisir de faire valoir ses arguments dans le cadre de l’instruction de la requête.

Contrairement à ce que soutient le recourant, déposer la requête sollicitée par le département ne revient pas à admettre le changement d’affectation, mais permettra d’instruire de façon approfondie tous les faits pertinents avant qu’une décision soit prise. Il appartient en effet à l’autorité d’établir les faits d’office (art. 19 LPA) et de réunir les renseignements pour fonder sa décision (art. 20 al. 1 LPA).

De surcroît, il n’est pas exclu qu’à l’issue de l’instruction de la demande d’autorisation de construire, le département considère qu’il n’y a pas de changement d’affectation (dans ce sens arrêt du Tribunal fédéral 1C_470/2008 du 11 novembre 2008 consid. 2.2).

Par ailleurs, quelle que soit la décision du DALE, l’intéressé conservera la possibilité de recourir, cas échéant en contestant à ce stade la soumission à autorisation.

Compte tenu de ce qui précède, le recourant échoue à faire la démonstration de l’existence d’un préjudice irréparable.

7. Se pose la question de la seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA, à savoir si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Les questions de savoir si l’autorisation peut être délivrée, à l’instar de l’argument relatif à la LDTR, ne sont pas l’objet du présent litige (ATA/526/2016 et ATA/527/2016 précités consid. 18). À défaut du dépôt d’une requête formelle et de l’instruction du dossier par le département, l’autorité compétente ne peut pas se prononcer sur la question de fond. C’est précisément pour cette raison que le département a ordonné le dépôt d’une requête formelle.

De surcroît, dans ce dossier, le dépôt de la requête ne nécessite pas l’élaboration d’un travail démesuré ou excessivement coûteux.

La présente procédure de recours n’est en conséquence pas susceptible de déboucher sur une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA in fine).

La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est pas réalisée.

8. Les conditions de l’art. 57 let. c LPA n’étant pas remplies, c’est à juste titre que le TAPI a déclaré le recours irrecevable.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 décembre 2016 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 novembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Berta, avocat du recourant, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie - oac ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :