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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/191/2016

ATA/385/2016 du 03.05.2016 sur DITAI/160/2016 ( LCI ) , IRRECEVABLE

Parties : ENI SUISSE S.A. / DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC, ÉTAT DE GENÈVE-DETA-DGGC
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/191/2016-LCI ATA/385/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 mai 2016

3ème section

 

dans la cause

 

ENI SUISSE S.A.
représentée par Me Denis Bridel, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE – OAC

et

DÉPARTEMENT DE L'ENVIRONNEMENT, DES TRANSPORTS ET DE L'AGRICULTURE – DGGC


 

contre la décision sur effet suspensif et de jonction du Tribunal administratif de première instance du 11 mars 2016 (DITAI/160/2016).

_________



EN FAIT

1. Eni Suisse S.A. (ci-après : Eni), dont le siège se trouve à Lausanne, a pour but, le commerce et l'industrie d’hydrocarbures liquides et gazeux, ainsi que de leurs dérivés de même que des opérations financières, commerciales, industrielles, mobilières ou immobilières. 

2. La société est locataire de la parcelle n° 3'979 de 2'983 m2 (ci-après : la parcelle) de la commune de Thônex sur laquelle est notamment sise une station-service, référencée bâtiment n° 4'407, de 178  m2, à l’adresse 61 route de Jussy.

3. La parcelle se situe dans le périmètre inscrit dans le plan directeur cantonal (ci-après : PDCn) 1989, 2001, 2015 (fiches n° 4.05 et 2.16) et 2030 pour réaliser le projet des « Communaux d’Ambilly ».

Selon la fiche P05 du PDCn 2030, le périmètre des Communaux d’Ambilly constitue une importante réserve à bâtir. Situé entre les deux gares CEVA de Chêne-Bourg et d’Annemasse et bien connecté au réseau des transports collectifs, ce périmètre permet d’accueillir un nouveau quartier mixte qui doit se réaliser par étapes. Le potentiel total estimé pour 2030 représente deux mille deux cents logements et huit cents emplois.

La réalisation des travaux concernant le maillon routier et les mesures d’accompagnement sur le réseau routier existant font partie de la première étape prévue.

4. Le 9 juin 2005, le Grand Conseil a approuvé la loi 9'477 adoptant le plan de réservation du site routier n° 29’371-512-531-537 en vue de la réalisation des voies publiques d’accès aux Communaux d'Ambilly sur le territoire des communes de Thônex, Chêne-Bourg et Puplinge.

5. Une loi de modification des limites de zones a été adoptée par le Grand Conseil le 13 juin 2008. Le plan n° 29’460-537, visé à l’art. 1 de cette loi n° 10'189, situe les terrains à urbaniser en zone de développement 3.

6. Un plan directeur de quartier (ci-après : PDQ) n° 29'667 a été adopté le 24 juin 2008 par le Conseil municipal de la commune de Thônex et approuvé par le Conseil d’État le 27 août 2008.

7. Le 28 juillet 2011, le Conseil d’État a approuvé le plan localisé de quartier n° 29'743 (ci-après : le PLQ).

Il est prévu que le site des Communaux d’Ambilly soit desservi par un maillon routier, à savoir une nouvelle route, appartenant au réseau routier secondaire, qui s’implantera en surface, sur une longueur d’environ 1'000 m et se raccordera au réseau routier public, au carrefour « Bel-Air / A.-M. Mirany » pour son extrémité nord, au carrefour « Jussy / Foron / Mousse » pour son extrémité sud, (ci-après : raccordement sud) ainsi que par un mail central devant desservir l’ensemble du nouveau quartier.

8. Seul est présentement litigieux le raccordement sud.

9. Actuellement, la parcelle se situe entre les deux giratoires sis sur la route de Jussy. Le carrefour « Jussy / Foron / Mousse » se situe à l’angle sud-ouest de la parcelle.

Selon le PLQ et le rapport d’étude d’impact sur l’environnement (étape 2, version juin 2015) dont une annexe est intégralement consacrée à la mobilité et au maillon routier, le double giratoire existant actuellement sera remplacé par deux carrefours à feux. La nouvelle route débouchera, dans le raccordement sud litigieux, après avoir longé la parcelle dans sa limite ouest. Le tronçon de la route de Jussy situé à l’ouest du carrefour sera élargi sur environ 150 m pour permettre l’insertion de quatre voies et la création de voies bus et de pistes cyclables de chaque côté de l’axe. À l’est du carrefour, elle sera également élargie pour l’insertion de trois voies et une bande cyclable de chaque côté de l’axe. Le chemin de la Mousse sera interrompu et mis en impasse à son extrémité est. Entre les deux carrefours, cinq voies seront créées. L’ensemble des accroches des autres routes sera retravaillé sans modification du gabarit hors carrefour.

10. Le 4 mai 2015, la direction générale du génie civil (ci-après : DGGC) a déposé deux demandes d’autorisation de construire en vue de la réalisation du maillon routier des communaux d’Ambilly, enregistrées respectivement sous :

- n° DD 107'751 pour le périmètre à l’intérieur du périmètre du PLQ ;

- n° DD 107'750 pour le périmètre à l’extérieur du périmètre du PLQ.

La demande d’autorisation « hors PLQ » porte sur l’aménagement des raccordements au maillon routier avec les avenues de Bel-Air / A.M. Mirany et la route de Jussy.

11. Tous les préavis recueillis, dans le cadre des DD 107'751 et 107'750, ont été favorables, ou favorables sous réserve, à l’instar du préavis du service de l’environnement et des risques majeurs (ci-après : SERMA) du 11 novembre 2015, lequel couvrait tous les domaines environnementaux, dont notamment les problématiques liées à la circulation routière.

12. Le 23 novembre 2015, le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) a délivré les autorisations de construire.

À la même date, les autorisations d’allègement et d’abattage d’arbres nécessaires à la réalisation du projet ainsi que l’arrêté de circulation ont été, respectivement, délivrés par la DGGC et par la direction générale de la nature et du paysage (ci-après : DGNP) et adoptés par la direction générale des transports (ci-après : DGT).

13. Par acte du 11 janvier 2016, Eni a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre :

- la DD 107'750, procédure référencée sous le n° A/191/2016

- la DD 107'751, procédure référencée sous le n° A/192/2016.

14. Par courrier du 17 février 2016, le DALE a sollicité le retrait de l’effet suspensif au recours concernant la DD 107'750 pour le périmètre situé à l’extérieur du PLQ (A/191/2016).

15. Par réponse du 1er mars 2016, Eni s’est opposée à la requête du DALE et a requis la restitution de l’effet suspensif dans la procédure A/192/2016.

16. Par décision sur effet suspensif et de jonction du 11 mars 2016, le TAPI a :

- ordonné la jonction des causes A/191/2016 et A/192/2016 sous le n° de cause A/191/2016.

- déclaré recevable la requête du DALE tendant à la levée de l’effet suspensif attaché au recours déposé contre la DD 107'750 et l’a admise.

- déclaré recevable la requête d’Eni tendant à la restitution de l’effet suspensif attaché au recours déposé contre la DD 107'751 et l’a rejetée.

Dirigé contre une autorisation définitive (DD 107'751) précédée d’un PLQ en force, le recours d’Eni n’avait pas d’effet suspensif (art. 146 al. 2 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05). Il n’apparaissait pas que l’autorisation contienne des divergences importantes avec le PLQ en vigueur, ce que la recourante ne faisait d’ailleurs pas valoir. L’intérêt public était indéniable. La demande de restitution de l’effet suspensif, sollicitée par Eni, était rejetée.

Le recours dirigé contre la DD 107'750, non précédée d’un PLQ, avait effet suspensif (art. 66 loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ;
LPA - E 5 10). La DD 107'750 était étroitement liée à la DD 107'751. L’intérêt public que les deux constructions commencent en même temps devait primer l’intérêt privé de la recourante que les travaux soient bloqués jusqu’à ce que la question des éventuelles difficultés d’accès à sa station-service soient réglées. La levée de l’effet suspensif, sollicitée par le DALE était admise.

La suite de la procédure et les frais étaient réservés.

17. Par acte du 23 mars 2016, Eni a interjeté recours contre la décision précitée devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Elle a conclu, préalablement, à ce que l’effet suspensif du recours devant la chambre de céans soit constaté. Principalement, le recours devait être admis, la décision entreprise réformée en ce sens que la requête du DALE ordonnant la levée de l’effet suspensif attaché au recours déposé contre la DD 107'750 devait être rejetée et la requête de restitution de l’effet suspensif attachée au recours déposée contre la DD 107'751 admise.

Subsidiairement, le recours devait être admis, la décision entreprise réformée en ce sens que la requête du DALE était admise sauf en ce qu’elle touchait les travaux visant le branchement du maillon routier avec la route de Jussy, au niveau de l’actuel carrefour route de Jussy/route d’Ambilly/chemin du Foron et la requête relative à la DD 107'751 admise en ce qu’elle visait les travaux qui concernaient l’embranchement précité.

La recourante contestait les comptages des véhicules accédant et quittant la station-service effectués par le département de l’environnement, des transports et de l’agriculture (ci-après : DETA) aux heures de pointe du matin et du soir. Le nombre de douze véhicules, entrant et sortant, recensés était largement sous-estimé si l’on en jugeait par le relevé des ventes opérées par la recourante dans la station-service entre 7h00 et 8h00 durant tout le mois de février 2016. Celles-ci avaient culminé, à ladite heure, de forte affluence entre nonante-huit et cent vingt-deux. Même en utilisant un coefficient correcteur de 40 % afin de tenir compte des clients qui auraient acheté des articles de typologies différentes (essence et shop), il fallait compter avec quarante à cinquante véhicules durant l’heure de pointe. Les difficultés d’accès à la station-service fondaient le recours et justifiaient l’octroi, respectivement la restitution de l’effet suspensif, compte tenu d’un impact important sur l’exploitation de l’établissement, contrairement à ce qu’avait estimé le DETA, lequel avait pris en considération les données du « constructeur ».

S’il n’était pas contestable, dans la pesée des intérêts à laquelle devait se livrer le TAPI, que l’intérêt public à la construction de logements était indéniable et supposait la construction, dans les meilleurs délais, du maillon routier litigieux, il était tout aussi vrai que la modification fondamentale des accès à la station-service de la recourante aurait pour effet d’en perturber considérablement l’exploitation, sinon de la rendre impossible et de mettre en cause sa survie. Il appartenait au constructeur de prouver que les véhicules pourraient accéder, comme par le passé, à la station-service et surtout la quitter en direction de Thônex. La sortie de la station-service dans cette direction se trouvait en effet située après les feux, en plein croisement. De l’aveu même du constructeur, le temps « de vert théorique » ne permettrait pas l’écoulement du trafic et par conséquence l’accès et la sortie normaux de la station-service, compte tenu des cinquante véhicules, et non douze, qui accédaient au commerce concerné. Les plans mis à l’enquête avec le PLQ nécessitaient des précisions dans le cadre du permis de construire afin d’assurer l’exploitation de la station-service dans des conditions acceptables. Lesdites précisions n’avaient jamais été fournies. À imaginer qu’elles le soient dans le cadre de l’instruction, l’exécution des travaux, si elle n’était pas suspendue, faisait courir le risque irrémédiable à la recourante de voir son commerce devenir ingérable, ce qui constituait une atteinte majeure à ses droits fondamentaux. La politique du fait accompli à laquelle conduirait le refus de l’effet suspensif ne répondait donc manifestement pas aux exigences légales. À défaut de différer la mise en œuvre de l’ensemble des travaux, une solution proportionnée reviendrait à accorder l’effet suspensif pour le branchement du maillon routier litigieux. Cette solution permettrait au constructeur d’entreprendre ses travaux sans prendre de retard pour tout ce qui ne concernerait pas le branchement querellé, le recours d’Eni ne visant que l’aménagement du branchement du maillon sur la route de Jussy.

18. Par courrier du 6 avril 2016 à la chambre administrative, le TAPI a précisé qu’il avait été saisi de cinq autres recours contre les autorisations de construire DD 107'750 et DD 107'751 et qu’il avait rendu, le 11 mars 2016, cinq autres décisions sur effet suspensif.

19. Par observations du 11 avril 2016, tant le DALE que le DETA ont conclu au rejet du recours.

Selon le DALE, s’agissant du maillon routier sis à l’intérieur du PLQ, il ne faisait aucun doute qu’un examen prima facie de l’autorisation de construire délivrée ne faisait pas apparaître de divergences entre le projet autorisé et celui prévu par le PLQ. Pour ce qui concernait les aménagements périphériques, sis hors du PLQ, il était indéniable que l’intérêt public à ce que la construction démarre en même temps que la construction découlant de l’autre autorisation de construire prévalait, afin de permettre la réalisation coordonnée de la construction du maillon routier et l’accès aux futurs bâtiments. La mise en œuvre de ces deux autorisations était une prémisse indispensable et obligatoire à la réalisation de nouveaux logements dont l’intérêt public qu’ils représentaient devait être préféré à n’importe quel autre intérêt privé et en particulier à celui purement économique que faisait valoir la recourante. Ceci était d’autant plus vrai que, dans le cadre de l’élaboration du projet de maillon routier, il avait été tenu compte de la situation de la recourante, la DGT ayant vérifié que l’entrée et la sortie des véhicules dans la station-service soient possibles et que son approvisionnement puisse être assuré par les camions-citerne, des projections ayant notamment été effectuées au niveau des rayons de braquage.

Pour sa part le DETA, soit pour lui la DGGC, a contesté les comptages produits par la recourante pour le mois de février 2016. Ceux-ci oscillaient en réalité entre dix et quatre-vingt-neuf. Le chiffre de nonante-huit à cent vingt-deux évoqué par la recourante correspondait à deux jours et n’était pas représentatif. Par ailleurs, il s’agissait d’un relevé de l’ensemble des ventes effectuées par l’établissement et non pas des seules transactions relatives au carburant. La DD 107'751 ne contenait pas de divergences importantes avec le PLQ 29'743. Il était capital que le maillon routier du futur quartier des Communaux d’Ambilly et sa construction soient réalisés avant que les premiers habitants n’emménagent, soit en 2018. Le chantier devait démarrer au plus tard au deuxième semestre de 2016, ce qui n’était pas possible si l’effet suspensif était restitué. L’intérêt public à la construction de logements à Genève devait être préféré à l’intérêt privé de la recourante. Les aménagements concernés par l’autorisation DD 107'750 étaient étroitement liés à la réalisation du maillon routier. Le maintien de l’effet suspensif automatique du recours empêcherait l’ouverture du chantier à brève échéance et constituerait en conséquence une grave atteinte à la mise en service du maillon routier en 2018 et à l’emménagement des premiers habitants du quartier. Il serait possible d’accéder ou de quitter la station-service depuis et vers toutes les directions. Les modifications d’entrée et de sortie de la station-service n’entraveraient pas l’accès aux locaux occupés par Eni. Enfin, même à supposer que le chiffre de cinquante passages, indiqué par la recourante, soit exact, les réserves de capacité disponible permettaient de gérer ce flux sans difficulté, le temps de « vert théorique » permettant d’écouler nonante véhicules.

20. Par courrier du 13 avril 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. a. La chambre administrative est l’autorité de recours contre les jugements et décisions du TAPI (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. La décision du TAPI du 11 mars 2016 de joindre les procédures A/191/2016 et A/192/2016, d’admettre la requête du DALE tendant à la levée de l’effet suspensif attaché au recours déposé contre la DD 107'750 et de rejeter la requête de la recourante tendant à la restitution de l’effet suspensif attaché au recours déposé contre la DD 107'751 est une décision incidente.

Elle peut dès lors faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative dans les dix jours suivant sa notification (art. 62 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

c. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. b LPA ).

2. Selon l’art. 57 let. c LPA, sont seules susceptibles de recours les décisions incidentes qui peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

3. Seule est litigieuse la question de l’effet suspensif.

4. En l’espèce, l’admission du recours ne mettrait pas fin au litige, puisque celui-ci concerne les autorisations de construire et non seulement le report de la date du début des travaux auquel la recourante s’oppose sur effet suspensif dans l’attente de « précisions » qui lui garantiraient que les accès à la station-service ne soient pas entravés, compromettant ainsi, selon la recourante, la survie de l’entreprise. La présente procédure de recours n’est en conséquence pas susceptible de déboucher sur une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA in fine).

La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est pas réalisée.

5. Se pose la question de la réalisation de la première hypothèse de l’art. 57 let. c LPA.

Cet article a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 p. 190 ss ; 133 II 629 consid. 2.3.1 p. 631). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; ATF 127 II 132 consid. 2a p. 126 ; 126 V 244 consid. 2c p. 247ss ; 125 II 613 consid. 2a p. 619 ss). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 précité consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 p. 631 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/693/2012 du 16 octobre 2012 ; ATA/65/2012 du 31 janvier 2012 ; ATA/365/2010 du 1er octobre 2010 consid. 3b).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95).

6. En l'espèce, s’il est inévitable que les travaux prévus vont causer des désagréments à la recourante, il n’est pas évident, au sens de la jurisprudence précitée, que ce seul fait l’expose à un préjudice qui ne soit pas réparable.

Conformément aux arrêts précités, et contrairement à ce que soutient la recourante, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un préjudice irréparable. Or, la société concernée ne l’expose pas clairement : elle invoque des « difficultés d’accès à la station-service, impactant l’exploitation de l’établissement », indique que « la modification fondamentale des accès à la station-service aurait pour effet d’en perturber considérablement l’exploitation, sinon de la rendre impossible et de mettre ainsi en cause sa survie » et allègue qu’il appartient au constructeur de prouver que les véhicules pourront accéder comme par le passé à ladite station et surtout la quitter en direction de Thônex. Ainsi, sans contester que le PLQ et les autorisations de construire prévoient des accès à la station-service, elle craint les effets des modifications planifiées.

a. Dans le seul argument qu’elle développe spécifiquement devant la chambre de céans, la recourante critique le nombre de véhicules retenu par le département dans ses comptages et invoque qu’il a été largement sous-estimé. Elle illustre la discordance en comparant le chiffre de douze véhicules par heure, retenu par le DETA, et celui de ses ventes, relevé entre 7h00 et 8h00 du matin. Elle admet cependant un coefficient correcteur de 40 % pour prendre en considération les clients qui achètent des articles de typologies différentes (essence et shop) et allègue qu’il doit en conséquence être tenu compte de 40 à 50 passages durant l’heure de pointe et non de douze, tel qu’indiqué par le département. Elle produit, à l’appui de ses écritures, un tableau Excel mentionnant le nombre de ventes effectuées, par heure, pendant les vingt-neuf jours du mois de février 2016.

Ledit tableau n’étant étayé par aucun moyen de preuve, il doit être considéré comme une simple allégation de fait. Même la notion de « vente » par heure n’est pas définie. Toute force probante doit être déniée à ce document.

De surcroît, même à considérer les cinquante véhicules allégués par la recourante, la solution ne serait pas différente. Dans ses écritures du 21 mars 2016, le DETA a indiqué avoir fait des comptages. Selon ceux-ci, la demande maximale concernait l’heure de pointe du soir avec douze véhicules entrant et sortant. Le DETA ajoutait auxdits véhicules trente sortants du chemin des Prés Courbes, mais faisait d’ores et déjà référence à un temps « de vert théorique » permettant d’écouler nonante véhicules. Ainsi, même en cumulant les cinquante véhicules allégués par la recourante aux trente provenant du chemin des Prés-Courbes, non contestés par la recourante, le chiffre reste inférieur aux nonante véhicules prévus par le DETA.

b. Devant le TAPI, la demande de restitution de l’effet suspensif était motivée par les difficultés d’accès à la station-service, les complications liées au ravitaillement de la station par le fournisseur de carburant, l’inadéquation des plans mis à l’enquête concernant le nouveau carrefour qui serait construit, à l’instar notamment de la piste cyclable qui y est prévue, le fait que la station-service deviendrait « inexploitable », impliquant ainsi un dommage irréparable alors même que la recourante est liée par un contrat de bail jusqu’à septembre 2026 au plus tôt. Or, tant le DALE que le DETA ont répondu à tous les griefs de la recourante dans leurs écritures devant le TAPI. La recourante ne les a d’ailleurs plus développés spécifiquement devant la chambre de céans.

Outre le fait que tous les préavis ont été favorables, ou favorables sous réserve, le projet a fait l’objet d’études approfondies à l’instar du rapport d’impact 2ème version, 2015, produit par le DETA devant le TAPI déjà. L’annexe 1 dudit rapport détaille, sur plus de trente-huit pages, la question de la mobilité. Ainsi, le contexte de la mise à jour des données de trafic depuis le premier rapport d’impact, lequel datait de 2010 y est décrit, tout comme l’élaboration des plans de charges, l’état de référence en 2014, l’état futur sans projet de maillon routier et surtout les états futurs (pour 2018 et 2023) avec projet de maillon routier. La situation du raccordement sud y est largement abordée, ce que la recourante n’a jamais contesté. Celle-ci ne démontre pas en quoi les nombreuses analyses, agrémentées de divers schémas, faites dans ce rapport, s’avèreraient erronées et seraient susceptibles de lui causer un préjudice irréparable ni en quoi les garanties données par le DETA, compte tenu du dossier, seraient erronées notamment lorsqu’il indique que le même niveau d’accessibilité à la station-service sera garanti, bien que les entrées et sorties soient inversées, que le trottoir sera rabaissé, que la pose de feux sera plus favorable qu’actuellement, notamment pour la sécurité des piétons et des cyclistes, que la priorité sera donnée au flux circulant sur la route de Jussy et que le « temps de vert » offert au débouché du chemin des Prés-Courbes se fera à la demande. La recourante ne fournit ainsi strictement aucun élément à même de démontrer que la modification des accès risquerait de mettre en cause la survie de sa station-service.

Compte tenu de ce qui précède, sans autre document que la feuille Excel produite à l’appui du recours, la recourante échoue à faire la démonstration de l’existence d’un préjudice irréparable et du fait que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95).

7. Enfin, la recourante se méprend lorsqu’elle se réfère à la jurisprudence de la chambre de céans (notamment ATA/40/2016 du 18 janvier 2016 et les références citées), dites décisions ayant trait à des recours dirigés contre des PLQ et non, comme en l’espèce, contre des autorisations définitives de construire.

8. La recourante n’établissant aucun préjudice irréparable au sens de l’art. 57 let. c LPA, le recours doit être déclaré irrecevable.

La requête en constatation de l’effet suspensif du présent recours devant la chambre de céans est en conséquence sans objet.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 23 mars 2016 par Eni Suisse S.A. contre la décision sur effet suspensif et de jonction du Tribunal administratif du 11 mars 2016 ;

met à la charge d’Eni Suisse S.A. un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Denis Bridel, avocat de la recourante ainsi qu'au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie – oac, au département de l’environnement, des transports et de l’agriculture – DGGC ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :