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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/192/2018

ATA/306/2018 du 04.04.2018 ( EXPLOI ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/192/2018-EXPLOI

" ATA/306/2018

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 avril 2018

sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Claudio Fedele, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 



Vu en fait que :

1) Par décision du 4 décembre 2017, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a décidé de prononcer à l’encontre de l’entreprise A______ (ci-après : A______) des sanctions administratives prévues à l’art. 45 al. 1 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004
(LIRT – J 1 05), soit en substance de refuser de lui délivrer l’attestation visée à
l’art. 25 LIRT pour une durée de deux ans et l’exclure de tout marché public futur, aussi pour une durée de deux ans.

Le refus de délivrer une attestation était déclaré exécutoire nonobstant recours, alors que l’exclusion de tout marché public prendrait effet le lendemain de l’entrée en force de ladite décision.

En substance, l’OCIRT reprochait à l’entreprise de ne pas avoir organisé les mesures de protection des travailleurs ordonnées antérieurement, notamment au regard des règles régissant la vidéosurveillance, les mesures de prévention des accidents et la sécurité au travail ainsi que les mesures de prévention en matière de protection de la santé des travailleurs et de prévention des risques psychosociaux.

2) Le 19 janvier 2018, A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée, concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif.

Les sanctions prévues par l’art. 45 al. 1 LIRT ne pouvaient être prononcées que si le contrevenant ne donnait pas suite à un avertissement dans le délai fixé. La sanction avait été prononcée sans que l’OCIRT ne contrôle les suites données à l’avertissement du 31 octobre 2017.

A______ avait mis en place les mesures qui lui avaient été demandées pour le 30 novembre 2017, soit formaliser une charte concernant l’utilisation des caméras de surveillance et la distribuer à l’ensemble des collaborateurs, mettre en place et formaliser un dispositif de prévention des risques psychosociaux et informer l’ensemble des collaborateurs sur l’existence de ce dispositif et des mesures formulées par l’OCIRT.

Elle devait aussi, dans un délai échéant au 1er janvier 2018, mettre en place un concept de sécurité « MSST ».

S’agissant de la question d’effet suspensif, le refus de délivrer l’attestation visée à l’art. 25 LIRT était, de par la loi, exécutoire nonobstant recours. Une restitution de l’effet suspensif ne pouvait être envisagée que lorsque la décision apparaissait arbitraire. Tel était le cas en l’espèce dès lors que le dispositif mis sur pied l’avait été par six autres entreprises, sans que l’OCIRT ne le critique. L’intérêt privé dans ce recours était important car son attestation visait l’art. 25 LIRT elle serait contrainte de licencier des dépanneurs qu’elle salariait.

3) Le 1er février 2018, l’OCIRT a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif et de mesures provisionnelles.

Le refus de délivrer une attestation était une mesure à caractère négatif pour laquelle l’effet suspensif ne pouvait être envisagé. L’art. 45 al. 1 let. a LIRT prévoyait expressément que cette décision était immédiatement exécutoire. Le fait de délivrer à A______ l’attestation prévue à l’art. 25 LIRT, par le biais, cas échéant, de mesures provisionnelles, anticiperait de manière inadmissible l’issue du recours et le fond du contentieux.

De même, la demande de suppression du nom de l’entreprise de la liste publiée en application de l’art. 45 al. 3 LIRT devait être rejetée. La situation dans laquelle se trouvait l’entreprise lui était entièrement imputable.

4) Le 12 février 2018, A______ a exercé, sur effet suspensif, son droit à la réplique, persistant dans les termes de ses conclusions initiales. La décision qui la frappait était choquante et arbitraire. De plus, A______ avait mis en place le concept de sécurité MSST dans le délai qui lui avait été fixé par l’OCIRT.

5) Le 23 février 2018, A______ a transmis, pour information, à la chambre administrative, une décision de la Centrale commune d’achats du département des finances lui indiquant que l’offre qu’elle avait formulée pour l’enlèvement de véhicules sur la voie publique avait été éliminée du fait de la mesure litigieuse.

Cette décision était aussi fondée sur préavis négatif de la police concernant deux collaborateurs, mais ce motif n’était pas essentiel.

6) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable sous ces angles (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif ou sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente de la chambre administrative, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 7 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 21 décembre 2010 ; ci-après : le règlement).

3) Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

4) Lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA). Cela vaut également lorsque l’effet suspensif est retiré ex lege, l’ordonnance procédurale valant décision incidente ressortant des effets ex tunc (Cléa BOUCHAT, l’effet suspensif en procédure administrative, 2015, p. 94 n. 251).

L’effet suspensif ne peut concerner que des décisions au sens de l’art. 4 LPA, dont la teneur et la portée correspond à celles de l’art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021) de nature formatrice, soit celle qui créent, modifient ou annulent des droits ou des obligations de l’administré (art. 4 al. 1
let. a LPA ; art. 5 al. 1 let. a PA) ayant pour objet d’imposer un certain comportement à celui-ci ou à lui octroyer, à modifier ou à suspendre certaines de ses prérogatives (Cléa BOUCHAT, op. cit., p. 101,n. 269 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, Manuel de droit administratif, 2011, p. 281 n. 817), mais aussi les décisions de nature constatatoire, soit celles constatant l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits ou d’obligations, dans la mesure où la décision sur restitution ou non de l’effet suspensif est susceptible d’empêcher les effets juridiques d’un tel constat (ATA/132/2016 du 11 février 2016 consid. 3 et les références citées).

Dans tous les cas, dès lors que l’effet suspensif vise à maintenir une situation donnée et non à créer un état qui serait celui découlant du jugement au fond, seules les décisions précitées de nature positive sont concernées par l’octroi ou le refus de l’effet suspensif au recours. En revanche, les décisions négatives ne le sont pas, soit celles qui rejettent ou déclarent irrecevables les requêtes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits et des obligations au sens de l’art. 4 al. 1 let. c LPA ou de l’art. 5 al. 1 let. c PA (Cléa BOUCHAT, op. cit., p. 104, n. 279).

5) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/176/2017 du 10 février 2017 ; ATA/884/2016 du 10 octobre 2016 consid. 1 ; ATA/658/2016 du 28 juillet 2016 consid. 1). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

Leur prononcé présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405). Toutefois, elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités ; Cléa BOUCHAT, op. cit., p. 105 n. 280).

6) a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7) Toute entreprise soumise au respect des usages en vertu d’une disposition légale, règlementaire ou conventionnelle doit en principe signer un engagement de respecter les usages auprès de l’OCIRT, autorité compétente en vertu des art. 23 et 26 al. 1 LIRT, pour exercer le contrôle par ces entreprises du respect des usages pour le compte du département de la sécurité et de l’emploi (ci-après : DSE). Dans ce cadre, l’OCIRT délivre à l’entreprise une attestation, laquelle est de durée limitée (art. 25 al. 1 LIRT), soit trois mois (art. 40 al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 - RIRT - J 1 05.01). Cette dernière est réputée liée par un tel engagement dès l’instant où son personnel est amené à travailler sur un marché public (art. 25 al. 3 LIRT).

Les entreprises en infraction aux usages font l’objet des sanctions prévues à l’art. 45 LIRT (art. 26A LIRT).

La sanction d’une violation de l’obligation de collaborer dans le délai imparti, notamment suite au prononcé d’un avertissement au sens de l’art. 42A RIRT est le refus de délivrer l’attestation à l’employeur. En cas d’avertissement, au sens de la disposition précitée, s’il n’est pas donné suite dans les délais à la demande de l’OCIRT, celui-ci prononce les sanctions prévues à l’art. 45 al. 1 LIRT.

8) À teneur de l’art. 45 al. 1 LIRT, lorsqu’une entreprise visée par l’art. 25 LIRT ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage, l’OCIRT peut prononcer :

- une décision de refus de délivrance de l’attestation visée à l’art. 25 LIRT, pour une durée de trois mois à cinq ans laquelle est exécutoire nonobstant recours (art. 45 al. 1 let. a LIRT) ;

- une amende administrative de CHF 60'000.- au plus (art. 45 al. 1 let. b LIRT) ;

- l’exclusion de tout marché public pour une période de cinq ans au plus (art. 45 al. 1 let. c LIRT).

Une liste des entreprises faisant l’objet d’une décision exécutoire de la part de l’OCIRT est établie, qui est accessible au public (art. 45 al. 3 LIRT).

9) En l’occurrence, la recourante a fait l’objet d’un refus de délivrance future d’une attestation de conformité aux usages au sens de l’art. 45 al. 1 let. a LIRT pendant deux ans, exécutoire nonobstant recours.

Il ressort des pièces figurant au dossier que l’OCIRT a notifié une première décision à la recourante le 23 novembre 2015, lui demandant de mettre sur pied, avant le 26 février 2016, diverses mesures concernant la durée du travail, le comportement de l’employeur, les caméras de surveillance, la fumée de cigarette, la température des locaux, la pollution de l’air par les gaz d’échappement, la fosse de réparation, le touret à meuler ainsi que les obligations légales en matière de MSST.

Cette décision, qui n’a pas fait l’objet d’un recours, est devenue définitive et exécutoire.

Suite à un contrôle, l’OCIRT a, le 23 juin 2016, accordé un ultime délai à A______ afin de mettre en place l’ensemble des mesures demandées le 23 novembre 2015, lesquelles étaient rappelées.

Par courrier du 11 août 2017, l’OCIRT, qui avait été saisi de deux dénonciations d’anciennes collaboratrices faisant état d’harcèlement sexuel sur le lieu de travail, a accordé un délai à A______ pour qu’elle exerce son droit d’être entendue et pour qu’elle explique les mesures mises en place pour prévenir et lutter contre le harcèlement sexuel ainsi qu’en matière de prévention des risques psychosociaux et de gestion des conflits.

L’entreprise ne conteste pas avoir fait l’objet d’un avertissement au sens de l’art. 42A RIRT. Elle conteste ne pas y avoir donné suite dans le délai, mais n’est pas capable, prima facie, d’en apporter la preuve. Dans ces conditions, en l’état du dossier, l’autorité intimée n’a fait qu’appliquer la loi, laquelle ne lui accorde aucune latitude lorsqu’elle opte pour une telle sanction. Restituer l’effet suspensif dans ce cadre reviendrait à accorder à titre provisoire ce que la recourante veut sur le fond, avant même d’avoir instruit de manière complète la procédure. Un tel procédé est proscrit par la jurisprudence rappelée ci-dessus. Dans la mesure où, sur la base des pièces figurant au dossier, la décision prise échappe à tout grief d’arbitraire, la chambre administrative ne restituera pas l’effet suspensif au recours concernant cet aspect, sans qu’il y ait besoin de procéder à une pesée des intérêts (ATA/439/2016 du 26 mai 2016, consid. 9 à 11 b.)

10) La recourante prétend avoir régularisé sa situation vis-à-vis de l’OCIRT.

Outre que dans sa décision sur reconsidération du 13 février 2017, l’OCIRT, après un nouvel examen du dossier, relevait que nombre d’éléments n’étaient toujours pas en sa possession, la recourante ne contestait pas, le 21 février 2017, lors de l’envoi de pièces complémentaires, qu’elle avait omis de formuler une demande de permis de travail de nuit. Qu’elle l’ait fait par méconnaissance, comme elle l’allègue, et qu’elle ait voulu régulariser sa situation par demande du 14 février 2017, ne sont pas des circonstances de nature à influer sur la procédure en mesures provisionnelles dès lors que l’éventuelle régularisation de la situation devra faire l’objet d’un examen au fond.

11) La recourante sollicite, sur mesures provisionnelles, qu’il soit ordonné à l’OCIRT de l’enlever de la liste répertoriant les entreprises en infraction jusqu’à droit connu sur le fond de la présente procédure.

L’inscription sur ladite liste est une conséquence, en principe automatique, d’une infraction au sens de l’art. 26A LIRT ainsi que des mesures prévues à l’art. 45 al. 1 LIRT.

Dès lors, l’effet suspensif ne pouvant pas être restitué pour ce qui est de la lettre a, il ne peut pas être, pour les mêmes motifs, donné droit sur mesures provisionnelles à la conclusion de la recourante tendant au retrait de son inscription sur la liste établie par l’OCIRT sur la base de l’art. 45 al. 3 LIRT (ATA/658/2016 consid. 3 ; ATA/439/2016 précité consid. 11).

De surcroît, il ressort, prima facie, du dossier que l’OCIRT a accordé six mois à l’entreprise concernée pour fournir trois documents, quatre précisions et répondre à quatre questions, que la recourante ne conteste pas avoir tardé à fournir les renseignements demandés et qu’elle ne nie pas non plus n’avoir pas pris les précautions nécessaires pour l’envoi du pli du 16 janvier 2017.

12) Dès lors, la requête de restitution d’effet suspensif et de mesures provisionnelles sera refusée.

13) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse la requête de restitution d’effet suspensif et de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Claudio Fedele, avocat de la recourante ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

Ch. Junod

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :