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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3259/2016

ATA/259/2017 du 02.03.2017 sur JTAPI/1068/2016 ( PE ) , ACCORDE

En fait
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3259/2016-PE ATA/259/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 2 mars 2017

sur mesures provisionnelles

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me François Membrez, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 octobre 2016 (JTAPI/1068/2016)


EN FAIT

1. Madame A______, ressortissante kosovare née à Sion le ______ 1995, a quitté la Suisse avec sa mère en 2002 afin de retourner vivre au Kosovo, à la suite du décès accidentel de l’une de ses sœurs aînées.

Seul son père, Monsieur B______, est resté en Suisse où il a conservé un emploi.

2. M. A______ a sollicité, en 2012, une demande de regroupement familial, laquelle a été acceptée pour son épouse ainsi que pour un enfant mineur, et refusée pour Madame A______, devenue majeure.

3. L’intéressée est revenue en Suisse au mois de janvier 2015, où elle a déposé une demande d’asile, laquelle a été rejetée par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) le 26 mars 2015. Le renvoi de Mme A______ était prononcé et devait être exécuté immédiatement. Ladite décision est devenue définitive et exécutoire.

4. Le 2 juin 2015, Mme A______ a déposé une demande de réexamen de cette décision auprès du SEM, laquelle a été rejetée par décision du 11 juin 2015.

5. Le 28 juin 2016, Mme A______ a sollicité de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) la délivrance d’une autorisation de séjour ou le renouvellement de son permis C. Un renvoi au Kosovo l’exposerait à un mariage forcé.

Le 24 août 2016, l’OCPM a refusé d’entrer en matière sur cette requête, l’intéressée n’ayant aucun droit formel à l’octroi d’une autorisation de séjour. Ladite décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.

6. Le 26 septembre 2016, Mme A______ a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d’un recours contre la décision précitée.

Après le refus de son permis C, elle était restée au Kosovo avec son grand-père, dans la peur de devoir subir un mariage forcé avec un inconnu. Elle était revenue en Suisse afin d’éviter ceci, mais n’avait pas évoqué ce motif dans la procédure d’asile par loyauté vis-à-vis de sa famille et par manque de confiance à l’égard de l’autorité.

Elle était hébergée depuis le mois de septembre 2015 par la fondation « C______ », laquelle prenait en charge sa formation et subvenait à ses besoins.

Son père, qui avait obtenu le droit de cité de la ville de D______, était en passe d’être naturalisé.

7. Le 11 octobre 2016, l’OCPM a conclu à l’irrecevabilité du recours. La requête de restitution de l’effet suspensif en devenait sans objet.

8. Par jugement du 19 octobre 2016, le TAPI a déclaré irrecevable le recours. La recourante, qui ne disposait pas d’un droit manifeste à une autorisation de séjour, n’avait pas la qualité de partie à la procédure, en application de l’art. 14 al. 1 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31).

9. Le 21 novembre 2016, Mme A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre le jugement précité, concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif et reprenant et développant les éléments figurant dans ses écritures antérieures.

Les art. 8 et 12 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) protégeaient l’intéressée et, en conséquence, le jugement litigieux violait l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 13 CEDH.

Mme A______ disposait d’un droit à une autorisation de séjour en application de l’art. 31 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) et cette situation constituait une exception à l’art. 14 al. 1 LAsi.

De plus, l’existence d’une vie familiale et privée de l’intéressée en Suisse ne pouvait être niée et elle était de ce fait aussi protégée par l’art. 8 CEDH.

Elle concluait préalablement à la restitution de l’effet suspensif dès lors que, en cas de renvoi vers le Kosovo, ses droits fondamentaux et protégés par la CEDH seraient menacés par le risque d’un mariage forcé.

10. Le 23 novembre 2016, le TAPI a indiqué qu’il n’avait pas d’observations à faire sur le recours, en transmettant son dossier.

11. Le 2 décembre 2016, l’OCPM s’est déterminé, concluant au rejet du recours. Le défaut de voie de recours judiciaire contre la décision de l’administration cantonale refusant d’ouvrir une procédure en autorisation de séjour contrevenait à la garantie constitutionnelle offerte par l’art. 29a Cst. mais, sur le plan cantonal, ne violait aucune disposition de droit international. Toutefois, le Tribunal fédéral étant tenu d’appliquer les dispositions du droit fédéral, même inconstitutionnelles, les recours devaient, dans ce cas, être déclarés irrecevables.

Il en allait de même pour la demande de restitution de l’effet suspensif.

12. Le 13 décembre 2016, Mme A______ a exercé son droit à la réplique.

Dans son cas, une violation des art. 14 LAsi et 31 OASA, ainsi que 8 et 12 CEDH avaient été démontrée ce qui impliquait que le droit à un recours effectif garanti par l’art. 13 CEDH devait être respecté, quelle que soit la teneur de l’art. 190 Cst.

13. Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

 

Considérant, en droit, que :

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable dans son principe (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (art. 66 al. 1 LPA).

Lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (art. 66 al. 3 LPA).

3. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/566/2012 du 21 août 2012 consid. 4 ; ATA/248/2011 du 13 avril 2011 consid. 4 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; ATA/248/2009 du 19 mai 2009 consid. 3 ; ATA/213/2009 du 29 avril 2009 consid. 2).

5. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsogliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265).

6. a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

b. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7. a. Selon la jurisprudence et la doctrine, l'effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d’une prestation ou d'une autorisation. La fonction de l’effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l’objet du contentieux judiciaire n’existait pas, l’effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d’être mis au bénéfice d’un régime juridique dont il n’a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344 ; ATA/354/2014 du 14 mai 2014 consid. 4 ; ATA/87/2013 du 18 février 2013 ; Ulrich HÄFELIN/ Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, n. 1800 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2010, n. 5. 8. 3. 3 p. 814).

b. Lorsqu’une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l’effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d’un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d’aucun droit. Dans le premier cas, la chambre administrative pourra entrer en matière sur une requête en restitution de l’effet suspensif, aux conditions de l’art. 66 al. 3 LPA, l’acceptation de celle-ci induisant, jusqu’à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. Elle ne pourra pas en faire de même dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l’octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l’art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 et ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

8. Dans sa pratique liée à la restitution de l'effet suspensif, le Tribunal fédéral considère que l'intérêt de l'étranger à ne pas quitter la Suisse avant l'issue de la procédure pendante devant lui est, par nature, importante et l'emporte, sous réserve de circonstances exceptionnelles, sur l'intérêt public à son éloignement immédiat (ordonnance du 15 juillet 2015 dans la cause 2C_607/2015 ; Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 166).

9. En l’espèce, l’autorité intimée a écarté la requête de la recourante, puis le TAPI a déclaré son recours irrecevable dès lors que l’intéressée n’avait pas la qualité de partie à la procédure, en application de l’art. 14 LAsi. La recourante soutient que des obligations internationales de la Suisse seraient violées si elle devait retourner dans son pays d’origine. Une analyse prima facie de l’argumentation qu’elle développe ne permet pas de considérer cette dernière comme étant manifestement sans fondement, en particulier au regard des art. 8, 12 et 13 CEDH.

Par ailleurs, on ne se trouve pas en présence de circonstances exceptionnelles – telles qu'une menace pour la sécurité publique – faisant prévaloir un intérêt au renvoi immédiat. De plus, l’entretien de la recourante est garanti par des fonds privés. Il se justifie dans ces circonstances, par l’octroi de mesures provisionnelles, de surseoir à l’exécution du renvoi de l’intéressée ; une issue éventuellement positive du recours de cette dernière serait en effet compromise en cas de renvoi de la recourante dans son pays d’origine dans l'intervalle.

10. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

* * * * *

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet la demande de mesures provisionnelles formulée par Madame A______ le 21 novembre 2016 ;

suspend l’exécution du renvoi de Madame A______ jusqu’à droit jugé au fond ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me François Membrez, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'état aux migrations.

 

 

 

Le vice-président :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :