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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2261/2005

ATA/245/2006 du 09.05.2006 ( TPE ) , REJETE

Parties : CONFORTI Daniel et Mme GENTINETTA Sophie, GENTINETTA Sophie / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORM..., COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, ISOZ Jean-Marc, LOUVRIER Henri et ISOZ LOUVRIER Pascal, ISOZ LOUVRIER Pascale
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2261/2005-TPE ATA/245/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 mai 2006

dans la cause

Madame Sophie GENTINETTA et Monsieur Daniel CONFORTI
représentés par Me François Zutter, avocat

 

contre

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

et

Monsieur Jean-Marc ISOZ

et

Madame Pascale et Monsieur Henri Dominique ISOZ LOUVRIER



EN FAIT

1. Madame Sophie Gentinetta et Monsieur Daniel Conforti sont propriétaires de la parcelle n° 488, feuille 10 de la commune de Céligny, à l’adresse 144, route des Coudres. Ce terrain est situé au nord-est de la parcelle n° 487, propriété de Madame Pascale Isoz Louvrier. Au sud-ouest du bien-fonds de cette dernière, se trouve la parcelle n° 486, propriété de Monsieur Martin Breitenstein, qui l’avait acquise de M. Jean-Marc Isoz.

Ces trois parcelles sont situées en zone agricole, au lieu-dit « La Jacallaz » ; Une ferme y avait été édifiée, flanquée d’un hangar, qui ont été détruits par un incendie en 2002.

2. M. Conforti et Mme Gentinetta ont acheté leur parcelle à M. Jean-Marc Isoz, en 1998. Avant l’incendie, le hangar était situé sur ce terrain.

3. Le 5 mars 2004, M. Conforti et Mme Gentinetta ont déposé auprès du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département ou le DCTI) une demande définitive d’autorisation de construire visant à la reconstruction du hangar après incendie en dépôt de brocante. Selon les plans déposés, le rez-de-chaussée et le premier étage étaient divisibles au gré du preneur. Huit « vélux » devaient être posés dans la toiture. La façade nord-est serait munie de quatre portes coulissantes et de cinq fenêtres. Il y aurait deux portes et six fenêtres sur la façade sud.

Au cours de l’instruction de la requête, les préavis suivants ont été recueillis :

a. La commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS) a préavisé défavorablement les 12 mai, 9 juin et 21 juillet 2004, au motif que le projet n’était pas conforme à la zone et que la clause du besoin n’était pas remplie.

b. Le 27 mai 2004, le service de l’agriculture s’est prononcé favorablement, sous réserve de la légalité du changement d’affectation du bâtiment. Les mandataires du projet avaient indiqué que le hangar était déjà affecté à des dépôts avant l’incendie et qu’il aurait le même usage après la reconstruction.

c. Le 21 juin 2004, la commune a émis un préavis défavorable. Le caractère agricole du hangar n’était pas respecté et quatre artisans devaient s’y installer. A moyen terme, le bâtiment pourrait être transformé en logements, au vu des ouvertures prévues.

d. La commune a encore préavisé défavorablement le 8 septembre 2004 : le projet ne correspondait toujours pas à un hangar agricole, vu le trop grand nombre de fenêtres et l’existence de sanitaires, qui étaient inutiles.

e. Le service des préavis du DCTI s’est exprimé défavorablement le 24 septembre 2004. Le bâtiment incendié n’avait pas fait l’objet d’une autorisation de changement d’affectation. Le projet était de type artisanal et aurait des conséquences pour le voisinage.

4. Pendant la récolte des préavis, M. Conforti et Mme Gentinetta ont modifié leur projet. Ils ont supprimé l’intégralité des « vélux » et ont conservé le même nombre de fenêtres que celui existant avant l’incendie.

Les architectes des requérants ont confirmé qu’avant l’incendie, le bâtiment avait été longuement utilisé par des artisans, ce qui, au demeurant, avait été entériné par la commission foncière agricole en 1994.

5. En avril 2004, Mme Isoz Louvrier et M. Isoz ont formé des observations auprès du département.

M. Conforti était brocanteur et Mme Gentinetta, psychologue ; ils n’exerçaient pas d’activité agricole. Depuis qu’ils avaient acquis le hangar, son affectation avait été modifiée : c’était devenu un dépôt de brocante. De nombreuses carcasses de véhicules et déchets avaient été déposés à l’époque.

6. Le 18 octobre 2004, le département a refusé l’autorisation sollicitée. L’affectation du hangar à des activités artisanales n’avait jamais été autorisée. Le projet de M. Conforti et de Mme Gentinetta n’était pas conforme à la zone agricole et son implantation n’était pas imposée à cet endroit.

7. Saisie d’un recours par M. Conforti et Mme Gentinetta, la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) l’a rejeté en confirmant ainsi la décision du département le 20 mai 2005. L’affectation du bâtiment avait été modifiée sans autorisation au début des années 1990. La nouvelle affectation n’était pas conforme à la zone. Dès lors, la reconstruction du hangar ne pouvait être autorisée selon les articles 24 et suivants de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700), 27 et suivants de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et 42 de l’ordonnance sur l'aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1). Les conditions pour l’édification d’une nouvelle construction n’étaient pas remplies.

8. Par acte posté le 27 juin 2005, M. Conforti et Mme Gentinetta ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif à l’encontre de la décision de la commission.

Le refus litigieux était contraire au principe de l’égalité de traitement, M. Isoz - qui n’était plus agriculteur - ayant obtenu l’autorisation de réaliser deux appartements dans la ferme incendiée. La ferme avait totalement perdu sa vocation agricole, ce qui avait été admis par la commission foncière agricole, saisie par M. Isoz, en 1994. Le changement d’affectation du hangar aurait dû être autorisé, en application de l’article 24 LAT, et les recourants devaient bénéficier de la garantie de la situation acquise (art. 24c al. 2 LAT).

Les principes de la garantie de la propriété et de la proportionnalité étaient violés par ce refus et leur occasionnerait un préjudice financier important. Le terrain avait été acquis pour un montant de CHF 320'000.- afin d’utiliser le hangar comme dépôt ; en cas de refus, sa valeur serait celle d’un terrain agricole, soit CHF 6’768.- à CHF 8.- le m2.

9. a. Tant Mme Isoz Louvrier et son conjoint que M. Isoz, propriétaires de la ferme voisine, se sont opposés au recours, les 13 et 25 juillet 2005.

Seul le tiers de la partie de l’ancienne ferme avait été réaménagé en logement après l’incendie. Le logement aménagé existait avant cet événement. Les atteintes à l’environnement et les nuisances liées aux activités des recourants étaient bien réelles. L’affectation du hangar avait été modifiée par des aménagements divers, notamment par la mise en place de locaux utilisés pour le conditionnement de stupéfiants. Ils avaient des doutes quant au préjudice financier allégué par M. Conforti.

b. Le 3 août 2005, le département s’est également opposé au recours. L’affectation artisanale du projet était contraire à la zone et les conditions d’octroi d’une dérogation n’étaient pas réalisées. Le hangar ne bénéficiait pas de la garantie de la situation acquise, instituée par l’article 24c alinéa 2 LaLAT, le changement d’affectation n’ayant pas été réalisé conformément au droit applicable à l’époque. Il n’aurait pas non plus été autorisé, dans l’hypothèse où le hangar n’aurait pas été détruit.

La décision de la commission foncière agricole ne modifiait en rien cette situation.

Au terme d’une instruction minutieuse, le département avait autorisé la reconstruction après incendie de deux appartements sur la parcelle voisine : le projet était autorisable, contrairement à celui aujourd’hui litigieux.

10. Le juge délégué à l’instruction de la cause a procédé à un transport sur place le 19 septembre 2005.

A cette occasion, il a constaté que « La Jacallaz » était constituée d’un grand corps de ferme, ainsi que d’une maison, située au sud-est de la parcelle. Cette dernière était occupée par Mme Isoz Louvrier. Le grand bâtiment appartenait, pour la moitié située au sud-ouest, à la famille Breitenstein qui l’occupait. L’autre moitié du bâtiment rénové, au nord-est, appartenait à Mme Isoz Louvrier qui la louait à des tiers. Au nord-est de ce bâtiment se trouvait la parcelle appartenant à M. Conforti et à Mme Gentinetta. Il y subsistait une surface de béton et quelques murs. M. Conforti a indiqué qu’il désirait reconstruire un hangar identique à celui qui préexistait. Il utiliserait personnellement ce bâtiment pour y stocker le matériel de son commerce de brocante.

M. Isoz a indiqué que la cave avait été louée à des personnes qui auraient été impliquées dans un trafic de stupéfiants en précisant que cette activité générait beaucoup de mouvements. M. Conforti a indiqué ne pas être au courant de ces prétendus mouvements. Mme Isoz Louvrier a relevé que le volume du bâtiment projeté semblait important pour un dépôt de brocante. Pour le représentant du DCTI, seule l’affectation prévue était litigieuse dans la mesure où un hangar destiné à l’agriculture pourrait parfaitement être autorisé. M. Conforti a observé que M. Isoz avait pu rénover le grand bâtiment sans que ce dernier ne soit affecté à l’agriculture.

Les participants au transport sur place ont encore constaté qu’à l’arrière du rez-de-chaussée de la partie du bâtiment rénové jouxtant le terrain de M. Conforti, il existait un dépôt dans lequel se trouvaient des effets personnels des locataires. Au 1er étage, il y avait un grand volume, avec des fenêtres à doubles vitrages et des lumières zénithales. M. Isoz a indiqué qu’il n’entendait pas réaliser d’autres travaux dans cet espace, en tout cas pour l’instant.

11. Le juge délégué a accordé aux participants un délai au 14 octobre 2005 pour se déterminer sur le procès-verbal.

a. Le 5 octobre 2005, M. Isoz a précisé qu’il y avait une seule lumière zénithale. Au surplus, il n’était plus propriétaire du bâtiment et ne pouvait plus envisager de travaux dans cet espace.

b. En date du 11 octobre 2005, le DCTI a précisé qu’un hangar destiné à l’agriculture ne pourrait être construit que dans les limites prévues par le droit fédéral et cantonal.

c. Le 14 octobre 2005, M. Conforti a insisté sur le fait qu’il n’était pas au courant du trafic de stupéfiants allégué. Lors du transport sur place, Mme Gentinetta et lui-même avaient notamment constaté que le toit avait été doublé et que des tuyaux d’eau chaude et d’eau froide étaient en attente. Tout était ainsi prêt pour transformer ce volume en habitation.

12. Le 10 avril 2006, à l’invitation du tribunal, le département a produit le dossier relatif à l’autorisation délivrée à M. Isoz après l’incendie de sa ferme.

Les préavis recueillis par le département dans le cadre de l’instruction de la demande avaient tous été favorables :

- pour le DCTI, la reconstruction était conforme à l’article 42 OAT ;

- pour le département du territoire (ci-après : DT), anciennement DIAE, le projet consistait en la reconstruction après incendie de deux logements dans un rural, le requérant n’exerçait plus la profession d’agriculteur depuis près de quinze ans, le bâtiment avant incendie n’avait plus d’affectation agricole et le projet nécessitait aucune emprise supplémentaire sur l’aire agricole (art. 24c LAT et 41 et 42 OAT) ;

- le service cantonal de l’évacuation de l’eau du DT à émis plusieurs réserves ;

- le service sécurité et salubrité a rendu un préavis favorable à condition que les cheminées du salon, les poêles et autres appareils de chauffage, ainsi que les cuisines soient installés selon la directive de l’AEAI « Installations Thermiques » ;

- la commune de Céligny a rendu un préavis favorable sans précision ;

- la CMNS a demandé une modification du projet qui devrait notamment diminuer au maximum les prises de jour en toiture ; elle devait en outre être renseignée sur la proposition des différents matériaux de l’enveloppe ;

- La direction du génie civil s’est déclarée en faveur du projet à condition que le requérant prenne l’engagement de renoncer à toute prétention en dommages et intérêts liée aux nuisances sonores qui pourraient découler de l’exploitation de l’autoroute A1 située à proximité de la construction considérée ;

13. Les parties ont été informées le 13 avril 2006 de l’apport de ce dossier à la procédure.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 lett. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Selon l’article 1 alinéa 1 LAT, la Confédération, les cantons et les communes veillent à assurer une utilisation mesurée du sol.

Les plans d’affectation règlent le mode d’utilisation du sol et délimitent les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger (art. 14 LAT).

b. Les zones agricoles servent à garantir la base d’approvisionnement du pays à long terme, à sauvegarder le paysage et les espaces de délassement et à assurer l’équilibre écologique ; c’est pourquoi, elles devraient être maintenues autant que possible libres de toutes construction. Ces zones comprennent, d’une part, les terrains qui se prêtent à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice et sont nécessaires à l’accomplissement des différentes tâches dévolues à l’agriculture et, d’autre part, les terrains qui, dans l’intérêt général, doivent être exploités par l’agriculture (art. 16 al. 1 LAT).

La création ou la transformation d’une construction ou d’une installation en zone agricole est soumise à autorisation (art. 22 al. 1 LAT). Cette dernière est délivrée si la construction ou l’installation est conforme à l’affectation de la zone (art. 22 al. 2 litt. a LAT). En zone agricole, il faut qu’elle soit conforme à l’affectation de la zone agricole. En d’autres termes, elle doit être nécessaire à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice ou servir à son développement interne (art. 16a alinéas 1 et 2 LAT).

3. La LaLAT a été modifiée et les nouveaux articles 22 alinéa 1, 26, 27 à 27D sont entrés en vigueur le 24 mai 2003. En vertu du principe de la non-rétroactivité, l'on applique, en cas de changement de règles de droit, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATF C 89/01 du 19 mars 2002 ; ATF 126 V 166 consid. 4b, 123 V 135 consid. 2b, 121 V 100 consid. 1a et la jurisprudence citée; P. MOOR, Droit administratif : Les actes et leur contrôle, tome 2, Berne 2002, p. 178; B. KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle 4ème éd. 1991, p. 116). Toutefois, en matière d’autorisations, la jurisprudence admet qu’en l’absence de dispositions légales, l’autorité de recours applique les normes en vigueur au jour où elle statue. L’application immédiate du nouveau droit est en principe justifiée par un intérêt public prépondérant (ATF 1P.354/2002 du 31 octobre 2002, consid. 5.2 ; ATF 119 Ib 177 ; P. MOOR, op. cit., p. 174-175; B. KNAPP, op. cit., p. 118). La nécessité d’un aménagement du territoire cohérent et le maintien de la zone agricole justifient une application immédiate des nouvelles prescriptions.

Bien que les faits se soient déroulés avant le 24 mai 2003, la présente cause sera jugée selon les dispositions du nouveau droit.

4. a. Selon l’article 20 alinéa 1 LaLAT, la zone agricole est destinée à l’exploitation agricole ou horticole, de sorte que seules les constructions et installations destinées durablement à cette activité et aux personnes l’exerçant à titre principal, celles qui respectent la nature et le paysage, et celles qui respectent les conditions fixées par les articles 34 et suivants OAT peuvent y être autorisée.

b. L'autorisation de construire ne peut être délivrée qu'à la condition que la construction soit conforme à la zone (art. 22 al. 2 lit. a LAT) ou qu'elle puisse bénéficier d'une dérogation (art. 24 LAT ; art 27 LaLAT). Les constructions sont conformes à la zone agricole lorsqu'elles sont nécessaires à l'exploitation agricole ou lorsqu’elles servent au développement interne d'une activité conforme (art. 16a LAT; art. 20 LaLAT).

En l’espèce, il n’est pas contesté que la reconstruction du hangar n’est pas destinée à une activité agricole. Partant, celui-ci ne peut être considéré comme une construction conforme à l’affectation de la zone agricole.

5. Il convient dès lors d’examiner si le bâtiment peut être autorisé à titre dérogatoire au sens de l’article 24c LAT, comme l’invoquent les recourants.

a. Les règles légales relatives aux « exceptions prévues hors de la zone à bâtir » ont été modifiées par la nouvelle loi du 20 mars 1998, entrée en vigueur le 1er janvier 2000 (nouveaux articles 24 à 24d LAT et 39 à 43 OAT). A cet égard, le nouveau droit fait clairement la distinction entre les nouvelles constructions et les transformations (ATA/970/2004 du 14 décembre 2004).

b. Selon l'article 24c alinéa 1 LAT, les constructions et installations situées hors de la zone à bâtir et qui peuvent être utilisées conformément à leur destination, mais qui ne sont plus conformes à l'affectation de la zone bénéficient en principe de la garantie de la situation acquise.

L'autorité compétente peut autoriser la rénovation de telles constructions et installations, leur transformation partielle, leur agrandissement mesuré ou leur reconstruction, pour autant que les bâtiments aient été érigés ou transformés légalement (art. 24c al. 2 LAT).

Cette disposition est applicable aux constructions et installations qui ont été érigées ou transformées conformément au droit matériel en vigueur à l'époque, mais qui sont devenues contraires à l'affectation de la zone à la suite d'une modification de la législation ou des plans d'aménagement (art. 41 OAT).

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le hangar, dont l’affectation était agricole, a été construit « avant guerre ». Il n’est d’ailleurs pas allégué que ce dernier l’ait été illégalement. Or, il n’y a pas eu de modifications de la loi ni des plans d’aménagement qui auraient changé le régime de la zone ou eu pour conséquence qu’un hangar à affectation agricole ne soit plus autorisé en zone agricole. Partant, c’est à la suite d’une modification de fait, intervenue sans autorisation, que le hangar est devenu contraire à l’affectation de la zone agricole. Par conséquent, il ne saurait bénéficier de la garantie de la situation acquise de l’article 24c LAT.

6. Comme les recourants ne peuvent se prévaloir de la protection de la situation acquise, c’est sous l’angle de l’article 24 LAT relatif aux nouvelles constructions hors de la zone à bâtir que doit être tranchée la question de l’octroi de l’autorisation de construire (RDAF I 2002, p. 114 ; F. MEYER STAUFFER, La zone agricole, in : Journées suisses du droit de la construction 2001, p. 48 ; ATA/970/2004 du 14 décembre 2004 ).

a. Selon l’article 24 LAT, des autorisations peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d’affectation si l’implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination (let. a) et si aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (let. b). Ces conditions sont cumulatives (Arrêt du Tribunal fédéral 1A.26/2003 du 22 avril 2003, consid. 5).

b. Selon la jurisprudence, pour qu’une construction soit imposée par sa destination, il faut toujours que des raisons objectives – techniques, économiques ou découlant de la configuration du sol – justifient la réalisation de l’ouvrage projeté à l’emplacement prévu. Il n’y a pas lieu de prendre en compte les représentations subjectives ou les considérations de convenances personnelles du constructeur (ATF 123 II 499 c. 3b/cc p. 508 ; ATA/452/2002 du 27 août 2002 ; ATA/2089/2003 du 14 décembre 2004)

En l’espèce, les recourants ne sont pas agriculteurs. Le projet consiste en la reconstruction d’un hangar à destination d’activités artisanales, notamment en vue de dépôt d’une brocante. Le tribunal doit donc constater avec l’autorité intimée que la reconstruction d’un dépôt de brocante hors de la zone à bâtir n’est pas imposée par sa destination au sens de l’article 24 lettre a LAT.

Par conséquent, l’intérêt privé des recourants à disposer d’un dépôt de brocante ne saurait primer face à l’intérêt public visé par l’aménagement du sol qui est celui de permettre, par la planification, d’éviter le gaspillage de terrains et d’assurer une utilisation mesurée du sol (ATA/2089/2003 du 14 décembre 2004).

7. Au surplus, les recourants contestent l’appréciation de la commission selon laquelle le changement d’affectation du bâtiment effectué avant la vente n’aurait vraisemblablement pas été autorisé s’il avait fait l’objet d’une demande.

Ce grief est cependant sans pertinence, dès lors qu’il ne s’agit que d’une hypothèse, non réalisée en l’espèce.

8. Les recourants se prévalent de la violation du principe de l’égalité de traitement en faisant valoir que dans un cas identique au leur, le DCTI a autorisé la reconstruction après incendie de deux logements dans un rural.

a. Une décision viole le principe de l’égalité de traitement lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Les droits fondamentaux, Volume II, Berne 2000, n° 1014-1031, pp. 497-506 ; ATF 130 V 18 consid. 5.2; 127 V 255 consid. 3b; 126 V 52 consid. 3b).

Selon la jurisprudence, un justiciable ne saurait en principe se prétendre victime d’une inégalité de traitement au sens de la disposition précitée lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors même que dans d’autres cas, elle aurait reçu une fausse application ou n’aurait pas été appliquée du tout (ATF 115 Ia 93 ; 113 Ib 313 ; ATA/832/2004 du 26 octobre 2004).

Cependant, cela présuppose de la part de l’autorité dont la décision est attaquée la volonté d’appliquer correctement à l’avenir les dispositions légales en question et de les faire appliquer par les services qui lui sont subordonnés (A. AUER, L’égalité dans la l’illégalité, ZBl. 1978, pp. 281ss, 290 ss).

En revanche, si l’autorité persiste à maintenir une pratique reconnue illégale ou s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle va persister dans celle-ci, le citoyen peut demander que la faveur accordée illégalement à des tiers le soit aussi à lui-même, cette faveur prenant fin lorsque l’autorité modifie sa pratique illégale (ATF 105 V 192 ; 104 Ib 373 ; 99 Ib 383 ; ATA/700/2005 du 25 octobre 2005).

Encore faut-il qu'il n'existe pas un intérêt public prépondérant au respect de la légalité qui conduise à donner la préférence à celle-ci au détriment de l'égalité de traitement (ATF 99 Ib 384), ni d'ailleurs qu'aucun intérêt privé de tiers prépondérant ne s'y oppose (ATF 108 Ia 213, 214 ; B. KNAPP, op. cit., ch. 491 p. 104 ; B. KNAPP, Cours de droit administratif, 1994, ch. 491 pp. 42, 43).

Pour le surplus, le Tribunal fédéral a précisé qu'il était nécessaire que l'autorité n'ait pas respecté la loi, non pas dans un cas isolé, ni même dans plusieurs cas, mais selon une pratique constante et que celle-ci fasse savoir qu'à l'avenir également elle ne respectera pas la loi. Si l'autorité cantonale ne précise pas ses intentions, il y a lieu d'admettre qu'elle suivra une pratique conforme à la loi (ATF 115 Ia 81; ATA/59/2004 du 20 janvier 2004, consid. 5 ; ATA/789/2001 du 27 novembre 2001, consid. 9c).

b. Lors de l’octroi d’une dérogation, la particularité du cas devra être soigneusement établie, afin d’éviter de se trouver confronté à une extension inattendue des exceptions (P. MOOR, op. cit., p. 324). On ne saurait admettre qu’au nom de l’égalité de traitement tous ceux qui se trouvent dans une situation identique bénéficient automatiquement d’une dérogation. En effet, on en viendrait ainsi à faire de l’exception la règle, à réviser la loi sans suivre les procédures régulières et à ne plus respecter l’intérêt public qui a motivé l’adoption de la loi. Dans ces cas, l’intérêt public poursuivi par la loi et le principe de la légalité doivent l’emporter sur le principe de l’égalité de traitement (ATA/752/2002 du 3 décembre 2002 ; RDAF 2002 I p. 474 ; B. KNAPP, op. cit., p. 293).

En l’espèce, le Tribunal administratif a constaté, lors du transport sur place, que l’ancienne ferme, également détruite par l’incendie, avait été reconstruite et comportait deux logements non affectés à l’agriculture. Au vu du dossier relatif à l’autorisation délivrée à M. Isoz pour cette reconstruction, le tribunal constate que celle-ci avait été accordée sur la base des articles 24c LAT et 41 et 42 OAT, soit par voie dérogatoire. De plus, il ressort des préavis recueillis lors de l’instruction que « le bâtiment avant incendie n’avait plus d’affectation agricole ». Ce constat est pour le moins surprenant étant donné que l’ancienne ferme n’avait pas non plus fait l’objet d’une quelconque autorisation de changement d’affectation. On peut donc s’interroger sur la conformité de ladite autorisation aux dispositions légales. Quoi qu’il en soit, force est de constater que l’autorisation délivrée constitue un cas isolé. Aucun élément du dossier ne permet de retenir une pratique constante du département tendant à assouplir le régime des dérogations. Le présent litige démontre clairement la volonté du département de revenir à une application plus stricte des dispositions légales en la matière. Même si le tribunal venait à constater l’illégalité de la décision d’autorisation dérogatoire relative à la reconstruction de l’ancienne ferme, les recourants ne pourraient prétendre au nom de l’égalité obtenir le même bénéfice illégal dont d’autres ont profité avant lui. Dans une telle situation, la légalité l’emporte sur l’égalité.

Le grief sera donc écarté.

9. De plus, les recourants se plaignent d’une violation du principe de la proportionnalité.

a. Le principe de proportionnalité a pour fonction principale de canaliser l’usage de la liberté d’appréciation. Ainsi, lorsque la loi laisse à l’autorité le choix entre diverses mesures, la sélection est orientée par l’exigence d’une adéquation à la fin d’intérêt public qui est poursuivie. Ce principe limite tout exercice des pouvoirs étatiques, de telle manière que les moyens qu’ils mettent en œuvre ne résultent pas d’une logique et d’un fonctionnement abstraits, mais de la prise en considération de l’ensembles des circonstances, y compris des intérêts propres et autonomes des administrés. Il se décompose en trois règles : celle d’aptitude, de la nécessité et de la proportionnalité stricto sensu. Ainsi, lors de la prise de décision, l’autorité doit choisir un moyen propre à atteindre le but visé et qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés. Ce faisant, elle doit mettre en balance la gravité des effets de la mesure choisie sur la situation de l’intimé et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (P. MOOR, op. cit., n° 5.2, pp. 416-426).

b. En matière de construction, ce principe s’applique aux sanctions administratives que l’autorité inflige à l’administré qui a violé des règles de droit, notamment en cas de construction sans autorisation. En effet, il permet de contrôler le choix de l’autorité entre plusieurs mesures (amendes, démolition totale ou partielle) lorsqu’elle fait usage de son pouvoir d’appréciation.

Le principe de proportionnalité s’applique en matière de sanctions administratives, mais pas en matière d’autorisations dérogatoires (ATA/429/2003 du 5 août 2004) de sorte que ce grief sera écarté.

10. Les recourants se plaignent encore du fait que la décision de refus de reconstruction porte atteinte à leur garantie de la propriété. Ce grief est exorbitant à l’objet du litige, limité au contrôle de la conformité de la mesure au droit public de l’aménagement du territoire et de l’environnement. Il sera néanmoins rappelé aux recourants que, de jurisprudence constante, des restrictions à la garantie de la propriété sont admissibles pour autant qu’elles reposent sur une base légale, qu’elles soient justifiées par un intérêt public suffisant et qu’elles respectent le principe de proportionnalité (ATA/174/2001 du 13 mars 2001 ; ATA/1823/2004 du 24 mai 2005).

Il résulte de ce qui précède qu’en l’espèce toutes ces conditions sont réunies. Dès lors, une éventuelle atteinte à la garantie de leur propriété, si elle était avérée, serait admissible.

11. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

12. Un émolument de CHF 1’500.- sera mis conjointement et solidairement à la charge des recourants (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 juin 2005 par Monsieur Daniel Conforti et Madame Sophie Gentinetta contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 20 mai 2005 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’500.- ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Zutter, avocat des recourants, à Monsieur Jean-Marc Isoz, à Madame Pascale et Monsieur Henri Isoz Louvrier, au département des constructions et des technologies de l'information ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière de constructions.

Siégeants : M. Paychère, président, Mme Bovy, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Bonard, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :