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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/893/2004

ATA/832/2004 du 26.10.2004 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION; ORDRE DE DEMOLITION; SANCTION ADMINISTRATIVE; PROPORTIONNALITE
Normes : LCI.1 al.1 litt.a; LCI.129 litt.e; LAT.22 al.1
Résumé : La mise en place d'une clôture sous forme d'un grillage d'une hauteur de 80 cm fixé sur des barres métalliques plantées dans la terre est soumise à autorisation. Dans la mesure où le département a toléré dans le voisinage de nombreuses barrières, pour tenir compte de la légèreté de la construction litigieuse, et du fait que l'accès de la faune n'est pas entravé, l'ordre de démolition est annulé.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/893/2004-TPE ATA/832/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 octobre 2004

dans la cause

 

Madame A. P. G.

et

Monsieur B. G.

représentés par Me Pierre Martin-Achard, avocat

 

contre

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT


 


1. Madame A. P. G. et son époux, Monsieur B. G. (ci-après : les époux G. ou les recourants) sont copropriétaires de la parcelle n° …, feuille .. de la commune de Vandoeuvres, à l’adresse .., … … …….. Une villa contiguë, occupée par les intéressés, est édifiée sur ce terrain situé en cinquième zone de construction, limité au sud par la Seymaz.

2. Le 11 décembre 2003, le voisin des époux G. a informé le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : DAEL) qu’une clôture séparative, à première vue non autorisée, avait été érigée par M. G. en limite de propriété.

Suite à cette dénonciation, le DAEL a procédé à un contrôle, et a constaté qu’une clôture avait en effet été édifiée sans autorisation et sans respecter l’interdiction de construire dans les trente mètres du bord de la rivière.

3. Le 2 avril 2004, le DAEL a ordonné aux époux G. de démolir la clôture en question dans un délai de trente jours.

4. Les époux G. ont recouru au Tribunal administratif par acte mis à la poste le 29 avril 2004. La clôture litigieuse était en réalité un treillis d’une cinquantaine de centimètres de hauteur, fixé par de petits piquets enfoncés dans le sol, sans être bétonnés. Elle avait pour but d’éviter que leur chien ne se rende sur la parcelle du voisin qui les avait dénoncés. L’Etat de Genève avait édifié une clôture nettement plus importante, avec bétonnage dans le sol des piquets la maintenant, entre leur parcelle et celle de leur autre voisin, après la réalisation d’un séparatif eaux claires/eaux usées. Tout le long de la Seymaz, il y avait des clôtures et barrières perpendiculaires à la rivière.

En outre, les recourants doutaient que la barrière litigieuse soit soumise à autorisation de construire. En tout état, l’égalité de traitement, de même que l’inaction des autorités face aux autres barrières et le fait que l’Etat de Genève ait lui-même édifié une barrière le long de la parcelle des recourants devaient emporter l’annulation de la décision.

5. Le 8 juin 2004, le DAEL s’est opposé au recours. La barrière litigieuse était sans aucun doute une construction ou une installation soumise à autorisation de construire. Elle ne pouvait être autorisée, vu sa proximité avec la rivière. Les recourants ne citaient pas de barrière située à moins de trente mètres de la rivière qui aurait été autorisée par le DAEL. Ce dernier ne pouvait se déterminer au sujet de celle qui aurait été édifiée par l’Etat de Genève, les allégations des recourants ne permettant pas de l’identifier.

6. Le 21 juin 2004, le juge délégué à l’instruction de la cause a procédé à un transport sur place. Il a constaté que la barrière litigieuse était un grillage d’une hauteur de quatre vingts centimètres, fixé sur des barres métalliques dont le profil était en « T », plantées dans la terre. Tous les jardins avoisinants disposaient d’une clôture édifiée à moins de trente mètres de la rivière. La barrière mentionnée par M. G. dans ses écritures, qui aurait été édifiée par l’Etat de Genève, a été repérée.

Le DAEL a précisé qu’il serait prêt à tolérer une barrière formée de trois fils horizontaux, comme cela se faisant à la campagne.

7. Le 20 juillet 2004, le DAEL a maintenu sa décision. Seules les barrières constituées de piquets en bois plantés dans la terre, sans scellement et reliés par trois fils tirés à l’horizontale n’étaient pas soumises à autorisation de construire.

8. A la demande du tribunal, le DAEL a indiqué, le 1er septembre 2004, ne pas avoir trouvé trace de l’autorisation de construire concernant la barrière qui aurait été édifiée par l’Etat de Genève à la limite de propriété des époux G.. La commune de Vandoeuvres devrait, cas échéant, être interpellée pour clarifier cette situation.

9. La cause a alors été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Selon l’article 1 alinéa 1 lettre a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou en partie une construction ou une installation, notamment de clôture, sur le territoire du canton. Les alinéas 3 et 4 de cette disposition prévoient des exceptions pour les installations et constructions de très peu d’importance, parmi lesquelles ne figurent pas les barrières et clôtures.

b. Au niveau du droit fédéral, l’article 22 alinéa 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) a une teneur similaire. Selon la jurisprudence, la notion de construction ou d’installation est indéterminée. Il faut entendre par ces termes « tous les aménagements durables créés par la main de l’homme, qui sont fixés au sol ou qui ont une incidence sur son affectation, soit qu’ils modifient sensiblement l’espace extérieur, soit qu’ils aient des effets sur l’équipement ou qu’ils soient susceptibles de porter atteinte à l’environnement ». La notion de construction et d’installation étant de droit fédéral, les cantons ne peuvent s’en écarter. Récemment encore, le Tribunal administratif a relevé que le caractère mobile d’un aménagement n’était pas suffisant pour le dispenser de l’assujettissement au régime de l’autorisation (ATA/640/2004 et ATA 641/2004 du 24 août 2004, consid. 8 let. d et la jurisprudence citée).

c. Au vu de ce qui précède, le Tribunal administratif admettra que la barrière litigieuse est soumise à autorisation de construire.

3. La décision entreprise comportant un ordre de démolition au sens de l'article 129 lettre e LCI, il convient d'examiner la constitutionnalité et la légalité de cette décision.

Pour être valable, l'ordre de mise en conformité, qui comporte celui de démanteler les installations existantes, doit respecter les conditions suivantes, en application des principes de la proportionnalité et de la bonne foi (Arrêt du Tribunal fédéral L. non publié du 21 décembre 1993 ; ATF 111 Ib 221, consid. 6 et la jurisprudence citée).

a. L'ordre doit être dirigé contre le perturbateur (Arrêt du Tribunal fédéral A. non publié du 1er juin 1993 ; ATF 114 Ib 47-48; 107 Ia 23).

b. Les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisables en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation (ATF 104 Ib 304; Arrêt du Tribunal fédéral D. non publié du 15 octobre 1986 ; ATA C. du 25 août 1992).

c. Un délai de plus de trente ans ne doit pas s'être écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux (ATF 107 Ia 121 = JdT 1983 I 299).

d. L'autorité ne doit pas avoir créé chez l'administré concerné - par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement - des expectatives, dans des conditions telles qu'elle serait liée par le principe de la bonne foi (Arrêt du Tribunal. fédéral du 21 décembre 1993 précité ; ATF 117 Ia 287, consid. 2b et la jurisprudence citée).

En particulier, les installations litigieuses ne doivent pas avoir été tolérées par l'autorité d'une façon qui serait constitutive d'une autorisation tacite ou d'une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées (RDAF 1982 p. 450 ; ATA L. du 23 février 1993).

e. L'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien des installations litigieuses.

4. a. Selon l’article 15 de loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux – L 2 05),

« aucune construction ou installation, tant en sous-sol qu’en élévation, ne peut être édifiée à une distance de moins de 10, 30 et 50 mètres de la limite du cours d’eau, selon la carte des surfaces inconstructibles annexée à la présente loi (s’il existe un projet de correction du cours d’eau, cette distance est mesurée à partir de la limite future). Cette carte et ses modifications ultérieures sont établies selon la procédure prévue par la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 ».

Quant aux alinéas 3 et 4 relatifs aux dérogations, leur texte est le suivant :

« Dans le cadre de projets de constructions, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement peut accorder des dérogations, pour autant que celles-ci ne portent atteinte aux fonctions écologiques du cours d’eau et de ses rives ou à la sécurité de personnes et des biens pour :

a. des constructions ou installations d’intérêt général dont l’emplacement est imposé par leur destination ;

b. des constructions ou installations en relation avec le cours d’eau ;

c. la construction de piscines au bord du lac, pour autant que celles-ci ne dépassent pas le niveau moyen du terrain naturel ;

Ces dérogations doivent être approuvées par le département et faire l’objet d’une consultation de la commune et de la CMNS ».

b. En l’espèce, aucune de ces hypothèses n’est réalisée et la distance à respecter, le long de la Seymaz, est de trente mètres. En conséquence, c’est à juste titre que le DAEL a considéré que labarrière litigieuse ne pouvait être autorisée. Les autres conditions rappelées ci-dessus,nécessaires à l’émissiond’un ordre de démolition, sont aussi remplies.

5. Le recourant se prévaut en dernier lieu de la violation du principe de l'égalité de traitement en faisant valoir que dans des cas identiques au sien, le DAEL a toléré l'édification de barrières illégales.

a. La règle de l'égalité de traitement déduite de l'article 8 Cst., ancien article 4 Cst, n'est violée que si des situations essentiellement semblables sont traitées différemment ou si des situations présentant des différences essentielles sont traitées de manière identique (ATF 108 Ia 114 ss consid. 2b et 2d).

b. Selon la jurisprudence, un justiciable ne saurait en principe se prétendre victime d'une inégalité de traitement au sens de l'article 8 (ancien article 4) de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101), lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors même que dans d'autres cas, elle aurait reçu une fausse application ou n'aurait pas été appliquée du tout (ATF 115 Ia 83; 113 Ib 313; 113 Ia 456; 112 Ib 387 et jurisprudences citées; Revue fiscale 1987 p. 91; ATA M.-M. du 5 juin 1991; W.-S du 24 janvier 1990; T. du 13 avril 1988; E. du 23 mars 1988; B. du 24 juin 1987; A. AUER, L'égalité dans l'illégalité, ZBl. 1978, pp. 281 ss, 290 ss).

Cependant, cela présuppose de la part de l'autorité dont la décision est attaquée la volonté d'appliquer correctement à l'avenir les dispositions légales en question et de les faire appliquer par les services qui lui sont subordonnés (A. AUER, op. cit. p. 292 note 23).

En revanche, si l'autorité persiste à maintenir une pratique reconnue illégale ou s'il y a de sérieuses raisons de penser qu'elle va persister dans celle-ci (Revue fiscale 1987, p. 91), le citoyen peut demander que la faveur accordée illégalement à des tiers le soit aussi à lui-même (ATF 105 V 192; 104 Ib 373; 103 Ia 244; 99 Ib 383; 99 Ib 291; 98 Ia 658; 98 Ia 161; 90 I 167; A. AUER, op. cit. pp. 292, 293), cette faveur prenant fin lorsque l'autorité modifie sa pratique illégale (ATF 99 Ib 291, 384).

Encore faut-il qu'il n'existe pas un intérêt public prépondérant au respect de la légalité qui conduise à donner la préférence à celle-ci au détriment de l'égalité de traitement (ATF 99 Ib 384), ni d'ailleurs qu'aucun intérêt privé de tiers prépondérant ne s'y oppose (ATF 108 Ia 213, 214; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd. 1991, ch. 491 p. 104; B. KNAPP, Cours de droit administratif, 1994, ch. 491 pp. 42, 43).

Pour le surplus, le Tribunal fédéral a précisé qu'il est nécessaire que l'autorité n'ait pas respecté la loi, non pas dans un cas isolé, ni même dans plusieurs cas, mais selon une pratique constante et que celle-ci fasse savoir qu'à l'avenir également elle ne respectera pas la loi. Si l'autorité cantonale ne précise pas ses intentions, il y a lieu d'admettre qu'elle suivra une pratique conforme à la loi (ATF 115 Ia 81; ATA/59/2004 du 20 janvier 2004, consid. 5 ; ATA/798/2001 du 27 novembre 2001, consid. 9c).

Toutefois, si l'illégalité d'une pratique est constatée à l'occasion d'un recours contre le refus d'un traitement illégal, le Tribunal fédéral n'admettra pas le recours, s'"il ne peut pas être exclu que l'administration changera sa politique" (ATF 112 Ib 387). Il présumera, dans le silence de l'autorité, que celle-ci se conformera au jugement qu'il aura rendu quant à l'interprétation correcte de la règle en cause (ATF 115 Ia 83).

6. En l’espèce, le Tribunal administratif a constaté, lors du transport sur place, que de nombreuses barrières, nettement plus importantes que celle des époux G., avaient été édifiées le long de la Seymaz pour séparer les différentes parcelles. Interpellé par le tribunal au sujet de la barrière construite, selon les recourants, par l’administration de l’autre côté de leur terrain, le DAEL s’est limité à indiquer qu’il n’avait pas trouvé de trace de l’autorisation de construire dans ses dossiers et qu’il y aurait lieu d’interpeller la commune de Vandoeuvres. L’attitude de l’autorité permet d’admettre qu’elle n’entend pas intervenir d’une manière plus globale pour régulariser la situation des barrières édifiées le long de la Seymaz. De plus, lors du transport sur place, le Tribunal administratif a pu constater que la barrière litigieuse, par sa hauteur et la dimension de ses mailles, n’entravera que très faiblement le passage de la faune. Dans ces circonstances, et pour tenir compte de l’extrême légèreté de la construction litigieuse, dont la durée de vie est relativement limitée, le recours sera admis et l’ordre de démolition sera annulé.

7. Au vu de cette issue, aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de procédure, en CHF 1'000.-, sera allouée aux recourants, à la charge de l’Etat de Genève.

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2004 par Madame A. P. G. et Monsieur B. G. contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du 2 avril 2004;

au fond :

admet le recours ;

annule l’ordre de démolition contenu dans la décision du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement du 2 avril 2004 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- aux recourants, à la charge de l’Etat de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Martin-Achard, avocat des recourants ainsi qu'au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :