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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4199/2022

ATA/22/2023 du 13.01.2023 sur JTAPI/1436/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4199/2022-MC ATA/22/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 janvier 2023

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2022 (JTAPI/1436/2022)


EN FAIT

1) Le 3 février 2008, Monsieur A______, né le ______ 1982, a déposé une demande d’asile en Suisse, après avoir prétendu être originaire du Tchad, demande qui a été rejetée par l’autorité fédérale migratoire compétente, devenue le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM), par décision du 16 mars 2010. Le renvoi de l’intéressé dans son pays d’origine a également été ordonné.

2) Le SEM a confié la prise en charge de M. A______ et l’exécution de sa décision au canton de Genève.

3) M. A______ a également fait l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse prononcée par le SEM le 13 septembre 2011, valable jusqu’au 12 septembre 2021, notifiée le 26 avril 2016.

4) Le 5 août 2010, les autorités administratives genevoises ont requis le soutien du SEM en vue de l’identification de M. A______.

5) Le 25 janvier 2021, l’intéressé a été appréhendé par les services de police genevois, dans le cadre du démantèlement d’un trafic de cocaïne.

6) Prévenu d'infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; trafic de cocaïne) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), il a été mis à disposition du Ministère public sur ordre du commissaire de police, puis maintenu en détention provisoire dans l'attente de son jugement.

7) Par jugement du 31 mai 2022, le Tribunal correctionnel a déclaré M. A______ coupable de crime contre la LStup, d'infractions à l'art. 115 al. 1 let. a et b LEI, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0 - cum 255 CP) et de blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis ch. 1 et ch. 2 let. c CP) et l’a condamné à une peine privative de liberté de trente-six mois, sous déduction de quatre cent nonante et un jours de détention avant jugement, la peine privative de liberté ayant été prononcée sans sursis à raison de seize mois. Le Tribunal correctionnel a également ordonné l’expulsion de Suisse de l’intéressé pour une durée de cinq ans, en application de l’art. 66a al. 1 CP et le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS ; art. 20 de l'ordonnance N-SIS ; RS 362.0).

8) Le même jour, M. A______ a été libéré par les autorités pénales et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.

9) Selon une communication du SEM du 31 mai 2022 aux autorités genevoises, « selon l’analyse de provenance effectuée par Lingua le 27 janvier 2022, l'intéressé parle un anglais francophone d'Afrique de l'Ouest respectivement un anglais gambien avec des expressions françaises » aussi, afin de poursuivre le processus d’identification, il était prévu pour l'audition centralisée du Mali, qui aurait lieu du 5 au 7 juillet 2022, de la Gambie, prévue en août 2022, et du Sénégal, qui devrait avoir lieu à l'automne 2022.

10) Le 31 mai 2022, à 18h45, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six mois, en application de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 (en lien avec l'art. 75 al. 1 let. g et h LEI) et ch. 3 et 4 LEI.

M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi dans son pays d'origine car il souhaitait rester en Europe. Il refusait par ailleurs de se soumettre au test Covid-19 mais était vacciné.

11) Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le même jour.

12) Également le 31 mai 2022, une demande de réadmission en Italie a été effectuée par le SEM. Celle-ci a toutefois été refusée car il s’est avéré que le document d’identité que l’intéressé possédait ne permettait pas une réadmission sur ce territoire.

13) À l’audience du 2 juin 2022 par devant le TAPI, M. A______ a confirmé son refus de retourner dans son pays d'origine, à savoir le Tchad. Il y était né mais avait grandi en Lybie, avant de rejoindre l’Europe. Il avait déposé une demande d'asile au Luxembourg et ses papiers se trouvaient dans le foyer dans lequel il avait logé, le B______, à Luxembourg-Ville. Il avait donné ses empreintes digitales, de sorte que les autorités suisses devraient être en mesure de contrôler le dépôt de sa demande d’asile. Il avait déjà été entendu par une délégation tchadienne en janvier 2022. Il avait également été entendu à Berne en février 2022 par une autre délégation dont il n'avait pas pu déterminer l'origine. Il n'était malheureusement pas en mesure de produire un document qui prouvait sa nationalité tchadienne.

La représentante du commissaire de police a expliqué que les démarches en vue de l'identification de M. A______ avaient été initiées plusieurs mois auparavant. Une procédure Lingua avait été mise en œuvre à la fin de l’année 2021 et le test Lingua réalisé le 27 janvier 2022. À ce stade, M. A______ devait être auditionné par diverses délégations africaines, dont les dates dépendaient des pays en question. Aucune délégation du Sénégal n'était venue en Suisse depuis trois ans et la date initialement annoncée en juin 2022 avait été reportée au mois d'octobre 2022. Les délégations du Mali et de Gambie ne venaient pas forcément chaque année en Suisse. Il résultait de la consultation des bases de données que M. A______ ne figurait pas dans celles d'EuroDac (base de données centrale de l’UE où sont collectées les empreintes digitales des personnes relevant de la législation sur l’asile), les recherches s’effectuant sur la base des empreintes digitales. Dès lors, il ne semblait pas qu'une procédure Dublin soit en cours dans un pays européen. Elle n'était pas en mesure d'indiquer exactement pourquoi les autorités du Tchad n'avaient pas été interpellées par le SEM, qui en sa qualité d'instance compétente en la matière, avait décidé de présenter M. A______ aux autorités maliennes, gambiennes et sénégalaises sur la base des éléments en sa possession. Des démarches en vue d'une réadmission en Italie avaient également été entreprises le 31 mai 2022, dès lors que M. A______ détenait une « carta d'identita » apparemment délivrée par ce pays. Elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de six mois.

M. A______ s'en est rapporté à justice sur le principe de la légalité de la détention administrative, mais a conclu à la limitation de sa durée à quatre mois, ce qui respectait mieux le principe de proportionnalité.

14) Par jugement du 3 juin 2022, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention pour une durée réduite à quatre mois, soit jusqu’au 30 septembre 2022 inclus.

L’intéressé avait été condamné pour crime, était dépourvu de tout document d’identité, n’avait entrepris aucune démarche pour en obtenir et ne collaborait aucunement à son identification, ce qui obligeait les autorités à le présenter à différentes délégations étrangères. Le choix de le présenter à une délégation du Mali, puis de la Gambie et du Sénégal, ne prêtait pas flanc à la critique car cela permettrait à tout le moins d’exclure ces nationalités si tant est que M. A______ collaborait un minimum. Ayant répété son opposition catégorique à son renvoi de Suisse, il existait un risque tout à fait concret qu’il disparaisse dans la clandestinité au moment où il devrait être présenté devant une délégation étrangère. Le principe de la proportionnalité était également respecté au regard de l’ensemble des circonstances, notamment sa récente condamnation pénale et la menace qu’il présentait pour l’ordre et la sécurité publiques.

Le dossier ne contenait aucun justificatif des démarches entreprises depuis la mise en œuvre de l'analyse linguistique. L'autorité cantonale se référait à un courriel d’un collaborateur du SEM pour soutenir que M. A______ figurait sur la liste des prochaines auditions maliennes, gambiennes et sénégalaises, dont les dates n’étaient pas fixées à l'exception de celle devant la délégation du Mali du 5 au 7 juillet 2022. Aucune pièce n’était toutefois produite permettant de retenir que ces démarches allaient être entreprises afin d'établir la nationalité et l'identité de l’intéressé. Compte tenu du temps prévu avant l'audition par une délégation du Sénégal, soit entre quatre à six mois, et nonobstant le comportement de l'intéressé, une détention administrative de six mois ne pouvait être avalisée, sauf à vider les dispositions sur le contrôle de celle-ci de toute substance en admettant que les autorités en charge de l’exécution du renvoi pussent se montrer minimalistes dans la démonstration qu’elles ne demeuraient pas passives à l’égard des autorités étrangères compétentes. Une prolongation de la détention administrative demeurait possible si la démonstration des démarches en cours ou entreprises depuis la mise en détention était apportée à satisfaction de droit.

15) Par requête motivée du 20 septembre 2022, l’OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, afin de poursuivre le processus de son identification, celui-ci devant être présenté aux prochaines auditions centralisées avec le Sénégal, à la mi-octobre, ainsi qu’avec la Gambie, avant la fin de l’année 2022.

Cette mesure constituait l’unique moyen pour mener à terme le rapatriement de l’intéressé à destination de son pays d’origine. La durée ne violait par ailleurs pas le principe de proportionnalité eu égard au comportement adopté jusqu’ici par M. A______.

16) À l’audience du 28 septembre 2022, M. A______ a exposé qu’il n’avait pas été présenté devant une délégation des autorités maliennes. Il n’avait aucune famille au Tchad. Toutes les démarches qu’il avait entreprises étaient en lien avec sa demande d’asile déposée au Luxembourg. Il avait habité dans différentes villes au Luxembourg et il y avait des amis. Il n'avait reçu en retour son téléphone portable, qui lui avait été confisqué, que dix jours auparavant et allait contacter les foyers dans lesquels il avait résidé au Luxembourg afin qu’ils lui transmettent les informations en leur possession concernant sa demande d’asile. Il ne savait pas pourquoi les autorités tchadiennes ne l'avaient pas reconnu comme étant un de leurs ressortissants.

La représentante de l’OCPM a déposé des pièces complémentaires et indiqué qu'elle ignorait si M. A______ avait été présenté à une délégation du Mali en juillet 2022. Aucune audition avait été organisée en août 2022. Elle aurait lieu d’ici la fin de l’année 2022 par les autorités gambiennes. L’audition par une délégation des autorités sénégalaises aurait lieu le 12 octobre 2022 comme cela ressortait des pièces produites.

Le conseil de l’intéressé a conclu à la réduction de la durée de la prolongation à un mois.

17) Par jugement du 28 septembre 2022, le TAPI a prolongé la détention administrative de l’intéressé pour une durée de douze semaines, soit jusqu’au 22 décembre 2022 inclus.

La légalité de la détention avait déjà été examinée et admise par le TAPI par jugement du 3 juin 2022, sans aucun changement des circonstances pertinentes depuis lors.

L’intéressé avait fait l’objet d’une analyse de provenance Lingua et avait été inscrit pour des auditions centralisées devant une délégation du Sénégal, le 12 octobre 2022, et de la Gambie, d’ici la fin de l’année 2022. L’annulation de l’audition par les autorités maliennes n’avait pas d’incidence directe sur le déroulement des démarches entreprises, qui étaient multiples, puisque l’identité de l’intéressé n’était toujours pas reconnue et que les autorités suisses étaient tributaires de la venue des représentants de ces États et ne pouvaient entamer d’autres démarches. Leur devoir de diligence et de célérité était donc respecté.

La durée maximale légale n’était de loin pas atteinte puisque l’intéressé était détenu administrativement depuis le 31 mai 2022.

L’assurance de son départ de Suisse répondait toujours à un intérêt public certain et toute autre mesure moins incisive que la détention administrative serait vaine pour assurer sa présence au moment où il devrait monter dans l’avion devant le reconduire dans son pays d’origine. Il n’avait au demeurant entrepris aucune démarche de son côté afin de démontrer avoir effectivement déposé une demande d’asile au Luxembourg ou que sa nationalité était bien tchadienne. Il ne saurait être remis sans autre en liberté pour quitter la Suisse en choisissant lui-même son lieu de destination, la police devant pouvoir s’assurer de l’effectivité de l’exécution de son refoulement par l’OCPM.

Au regard des démarches restant à entreprendre, tant du côté des autorités que de l’intéressé, une prolongation réduite à douze semaines permettrait la concrétisation de certaines d’entre elles et un contrôle de la diligence avec laquelle elles seraient menées dans le cadre d’une nouvelle demande de prolongation.

18) Par arrêt du 18 octobre 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a confirmé le jugement entrepris.

Les autorités suisses avaient entrepris et mené sans relâche les démarches en vue d'établir l'origine de M. A______ afin d'exécuter son expulsion pénale. Il n'y avait pas lieu de revenir sur celles effectuées en 2021, dès lors qu'il était sous le régime de la détention provisoire dans l'attente de son jugement. Cela étant, après l'exclusion d'une possible origine tchadienne, les autorités suisses avaient voulu étendre la recherche de nationalité aux origines malienne, gambienne et sénégalaise, au vu de ce qui était ressorti du test Lingua effectué par l'intéressé en fin d'année 2021. Les recherches perduraient également en raison des renseignements insuffisants qu'il avait donnés, étant relevé qu'il n'avait entrepris jusqu'alors aucune démarche en vue d'obtenir des documents d'identité du ou des pays dont il se prétendait originaire. Il n'amenait en outre aucun élément démontrant qu'il aurait pris contact avec les foyers au Luxembourg où il aurait logé et laissé des documents susceptibles d'illustrer son statut administratif dans ce pays, même après qu'il avait récupéré son téléphone portable. Dans ces conditions, c'était de manière légitime que les autorités de migration continuaient à explorer d'autres pistes en cherchant à le présenter aux autorités maliennes et gambiennes. Il invoquait le principe de célérité de manière abusive, puisque sa collaboration était insuffisante et occasionnait la perte de temps liée à la recherche de sa véritable origine, une origine tchadienne ayant été exclue, et demandait sa mise en liberté en se prévalant de sa propre faute. Enfin, aucune autre mesure que la détention administrative n’était à même de garantir sa présence en cas de renvoi, au vu de sa volonté affichée mais toute théorique de regagner le Luxembourg, de ses violations de la décision de renvoi et d'interdiction d'entrée en Suisse prononcées précédemment à son encontre, ainsi que de son absence d'attache et de sources licites de revenus en Suisse.

19) Le 26 octobre 2022, M. A______ n'a pas été reconnu par la délégation malienne selon communication faite au SEM le 3 novembre 2022.

20) Par requête motivée du 12 décembre 2022, l'OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de quatre mois, soit jusqu'au 22 avril 2023, afin de poursuivre le processus relatif à son identification. À la suite de l'annulation des auditions centralisées sénégalaises le 12 octobre 2022, M. A______ serait présenté aux prochaines auditions centralisées avec le Sénégal et la Gambie, dont les dates étaient en l’état indéterminées.

21) Lors de l’audience du 20 décembre 2022 par devant le TAPI, M. A______ a indiqué avoir eu des contacts avec des co-détenus d'origine gambienne, qui lui avaient dit qu'ils allaient voir une délégation de ce pays le 29 novembre 2022. Pour sa part, il n'avait pas été présenté à cette délégation alors qu'il lui avait été annoncé précédemment que ce serait le cas. Depuis la dernière procédure, il avait contacté les trois foyers dans lesquels il avait séjourné au Luxembourg, mais on lui avait répondu qu'il n'y avait aucune trace de son passage. Il avait pu contacter une amie et un ami qui étaient actuellement à l'étranger, et ne pouvaient donc rien faire pour lui dans l'immédiat, mais qui pourraient se charger d'aller enquêter dans ces foyers à leur retour, sans qu’il sache quand. Revenant sur le test Lingua, il a relevé qu'on ne lui avait pas précisé sur le moment de quoi il s'agissait, sinon vaguement que cela concernait l'examen de sa situation. Il avait eu un entretien téléphonique en anglais de cinquante-cinq minutes avec une personne qui l'avait préalablement averti que deux ou trois autres personnes écoutaient leur conversation. On lui avait aussi dit qu'il pourrait voir le résultat du test et faire appel, mais ce n'était que plus tard qu'il avait pu faire le lien avec le test Lingua et on ne lui avait jamais donné la possibilité de s'opposer au résultat, qui tenait peut-être au fait qu'il avait passé vingt ans dans des pays francophones. Il n'avait jamais reçu de copie de l'enregistrement de cette conversation téléphonique. Il avait été détenu deux nuits d'affilée dans une prison de détention pénale à Berne, afin d'être présenté à la délégation malienne, alors que cela ne lui convenait pas du tout, étant donné ses problèmes d'asthme. D'autres détenus venus de Genève avec lui, mais de la prison de Champ-Dollon, étaient repartis de cet établissement après la première nuit et l'audition malienne qui avait suivi.

La représentante de l'OCPM a indiqué qu'une délégation gambienne s'était présentée à Genève le 29 novembre 2022 mais que la personne qui devait escorter M. A______ à cette audition avait subi un accident et n’avait pas été remplacée en raison d'une rupture dans la chaîne de communication, de sorte que l’audition n'avait pas eu lieu. Une prochaine audition avec une délégation gambienne était prévue en 2023, à une date qui n'était pas encore spécifiée. Les auditions centralisées avec les délégations guinéenne et sénégalaise devaient avoir lieu au printemps 2023 selon le courriel que lui avait adressé le SEM le 20 décembre 2022, remis au TAPI.

M. A______ a déclaré avoir déjà été entendu par une délégation guinéenne en janvier 2022, au cours de laquelle on lui avait parlé une langue qu'il ne connaissait pas et à la suite de laquelle l'un des membres de la délégation avait indiqué à un représentant des autorités suisses qu'il n'était pas guinéen.

La représentante de l'OCPM a alors rappelé que toutes les questions d'identification étaient centralisées par le SEM et qu'il n'était pas rare qu'une audition ait lieu plusieurs fois auprès de la même délégation. Les rapports Lingua étaient classés confidentiels, ce que la jurisprudence admettait. L’expulsion de M. A______ pourrait être exécutée lorsque son origine serait connue ou lorsqu'il remettrait son passeport.

M. A______ a conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention de son mandant et subsidiairement à la réduction de sa durée.

22) Par jugement du 21 décembre 2022, le TAPI a prolongé la détention administrative pour une durée de quatre mois, soit jusqu’au 22 avril 2023.

Il ne pouvait pas se prononcer au sujet de la procédure Lingua à la place des autorités compétentes et les autorités suisses n’avaient aucun intérêt à remettre en cause une nationalité tchadienne, admise dans la procédure d’asile, dans le cadre de son renvoi.

Si le principe de célérité avait été violé du fait qu’aucun agent n’avait remplacé celui qui avait été empêché d’accompagner l’intéressé à l’audition avec la délégation gambienne - alors que la gravité de la mesure de privation de liberté dont M. A______ faisait l’objet aurait dû conduire l’autorité à prioriser la procédure en vue de l’exécution de son expulsion - il était néanmoins en l’état prématuré de lever la détention au motif de l’incertitude quant à la nouvelle date d’audition par la délégation gambienne en 2023 puisque d’autres échéances étaient prévues en avril 2023, avec des auditions par les autorités sénégalaises et guinéennes. La question pourrait cependant se poser au moment d’une prochaine demande de prolongation soumise au tribunal. L’absence d’information quant aux motifs d’une nouvelle audition par une délégation guinéenne en avril 2023 était problématique mais couverte du fait de l’audition par la délégation sénégalaise à la même période. Néanmoins, les reports successifs des dates d’audition prévues par la délégation sénégalaise, inexpliquées, devenaient problématiques, de sorte qu’il devenait de plus en plus pressant au regard du contrôle de la proportionnalité de disposer d’éléments clairs permettant de retenir que les autorités suisses n’avaient aucune part à la longueur des procédures et aux ajournements d’échéances, de simples échanges de courriels entre le SEM et l’OCPM pouvant ne plus suffire en tant que moyens de preuve.

Ni les quatre mois de détention à l’aéroport de Zurich ni les deux nuits de détention dans un établissement de détention pénale à Berne n’étaient pertinents dans l’analyse de la poursuite de la détention administrative.

23) Par acte déposé du 2 janvier 2023, M. A______ a recouru à la chambre administrative contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation suivie de sa mise en liberté immédiate. Il a conclu subsidiairement à la réduction de la durée de la prolongation de sa détention administrative à six semaines.

Le principe de célérité et de diligence des autorités avait été violé dans la mesure où les autorités administratives avaient tardé à initier les démarches en vue du renvoi, en restant inactives entre janvier et décembre 2021, alors qu’il était évident qu’il devrait quitter la Suisse après avoir purgé sa peine. Il n’avait pas pu se déterminer sur la non-reconnaissance par les autorités tchadiennes à la fin 2021 et ses droits n’avaient pas été respectés dans la procédure de présentation à différentes délégations. La procédure Lingua ne permettait au demeurant pas de renseigner les autorités sur la nationalité d’une personne mais de déterminer son lieu de socialisation et était d’autant moins pertinente qu’il se trouvait en Suisse depuis plus de dix ans. Il n’avait pas été présenté à la délégation gambienne fin 2022 à la suite d’une erreur fautive de l’autorité compétente. Tolérer une violation du principe de diligence et de célérité sur la seule base d’une probable audition à venir devant une autre délégation vidait de son sens le contrôle opéré par les tribunaux et il était douteux que l’audition par les autorités sénégalaises - déjà reportée à deux reprises - puisse se réaliser en avril 2023.

L’OCPM n’avait pas apporté d’élément de réponse permettant d’apprécier correctement le délai dans lequel son renvoi pourrait être effectivement exécuté, et il ne l’était donc pas dans un délai prévisible, respectivement raisonnable.

24) L’OCPM a conclu au rejet du recours.

Le recourant n’avait pas entrepris la moindre démarche auprès des autorités de son pays d’origine pour obtenir un document de voyage et rentrer dans son pays et tentait de faire porter le fardeau de son inaction par les autorités helvétiques, lesquelles intervenaient régulièrement auprès de leurs homologues étrangères pour pouvoir exécuter l’expulsion. Seuls le comportement d’obstruction du recourant et les modifications de date de déplacement en Suisse des délégations dans le cadre des auditions centralisées expliquaient le retard dans la mise en œuvre de l’expulsion. Non seulement le TAPI n’avait pas instruit la question du fonctionnement du service de police concerné avant de qualifier l’absence d’accompagnant d’erreur fautive, mais en outre le recourant ne démontrait pas que son audition par les autorités gambiennes aurait sans le moindre doute abouti à sa reconnaissance et l’exécution de son expulsion vers ce pays, dont il indiquait ne pas être originaire. Sa non-présentation résultait d’un incident exceptionnel ne découlant pas d’une attitude globalement négligente des autorités suisses et le recourant pourrait se procurer sans difficulté le document de voyage indispensable à l’exécution de son expulsion s’il se conformait à ses obligations. Aucune impossibilité d’exécuter l’expulsion ne pouvait être retenue puisque son retard ne tenait qu’au comportement d’opposition du recourant.

25) Dans sa réplique du 9 janvier 2023, le recourant a contesté qu’il refusait de coopérer avec les autorités en charge de son expulsion, puisqu’il s’était présenté devant toutes les délégations et avait participé à l’analyse de provenance Lingua. Il ne savait pas quelle démarche il aurait dû entreprendre, puisque le refus des autorités tchadiennes de le reconnaitre se basait sur son accent, qui ne pouvait être pertinent après plus de dix ans passés dans un environnement francophone. La négligence des autorités administratives - lesquelles n’avaient transmis que quelques informations sur leurs interventions auprès de leurs homologues - ne saurait être problématique uniquement dans l’hypothèse où son audition par les autorités gambiennes aurait mené à sa reconnaissance.

26) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 4 janvier 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) a. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 précité consid. 4.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

b. À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, qui renvoie à l'art. 75 al. 1 let. h LEI, après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si celle-ci a été condamnée pour crime, par quoi il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (art. 10 al. 2 CP ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 consid. 4a ; ATA/997/2016 du 23 novembre 2016 consid. 4a ; ATA/295/2011 du 12 mai 2011 consid. 4). Selon la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice, pour qu'une personne puisse être mise en détention sur la base de cette disposition, elle doit avoir été condamnée par une juridiction pénale de première instance, sans qu'il soit nécessaire que le jugement soit définitif (ATA/127/2015 du 3 février 2015 consid. 6).

Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI).

c. En l’espèce, le recourant ne conteste pas que les conditions d’une mise en détention administrative sont réunies, vu notamment sa condamnation pénale pour violation grave de la LStup - soit un crime - et blanchiment d’argent aggravé, et son expulsion pénale prononcée pour une durée de cinq ans.

Par ailleurs, si sa mise en détention a été prononcée le 31 mai 2022, soit il y a désormais plus de six mois, les conditions d’une prolongation sont réalisées au sens de l’art. 79 al. 2 LEI, comme examiné ci-après.

4) a. Ce principe de proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

b. La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). L'exécution du renvoi est impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_984/2020 du 7 janvier 2021 consid. 4.1 et les références).

c. Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; ATA/611/2021 du 8 juin 2021 consid. 5a). Le principe de célérité est violé si les autorités compétentes n'entreprennent aucune démarche en vue de l'exécution du renvoi ou de l'expulsion pendant une durée supérieure à deux mois et que leur inactivité ne repose pas en première ligne sur le comportement des autorités étrangères ou de la personne concernée elle-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1132/2018 du 21 janvier 2019 consid. 3.3).

5) Le recourant se plaint principalement d'une violation du principe de célérité, reprenant à cet égard pour l'essentiel les mêmes arguments que dans son précédent recours. La chambre de céans y a déjà répondu dans l'ATA/1049/2022, entré en force. Dans l’intervalle, les autorités ont poursuivi les démarches d’identification sans désemparer et la durée de la détention est loin d’avoisiner le maximum légal.

Ainsi, il ne peut qu’être constaté que les autorités suisses ont entrepris, bien avant la mise en détention du 31 mai 2022, des démarches en vue d'établir l'origine du recourant afin de pouvoir exécuter la décision d'exécution pénale. Après l'exclusion d'une possible origine tchadienne - entre la fin de l’année 2021 et le début de 2022 -, pays duquel le recourant se dit originaire mais où il refuse de retourner, les autorités ont voulu chercher une autre origine en se fondant sur les résultats du test Lingua. À cet égard, comme relevé par le TAPI, il n’appartient pas à la juridiction administrative d’entrer en matière sur les griefs du recourant à propos du déroulé et des résultats de cet entretien, griefs au demeurant pour le moins tardifs.

Par ailleurs, le recourant ne démontre nullement les démarches qu’il accomplirait en vue d'obtenir des documents d'identité du ou des pays dont il se prétend originaire, ne fournissant aucun élément concret sur les amis qui pourraient, à leur hypothétique retour de l’étranger, se rendre dans les foyers du Luxembourg où il dit avoir vécu pour y retrouver des documents - dont on ne comprend guère pour quels motifs il les aurait laissés sur place, au regard de leur importance - alors même que lesdits foyers devraient de plus n’avoir aucune trace de son passage. Il aurait pu notamment prendre contact avec les autorités tchadiennes ou d’un autre Etat pertinent et leur demander un laissez-passer ou donner aux autorités helvétiques des renseignements et détails supplémentaires sur son parcours de vie pour permettre de déterminer sa nationalité.

Dans ces conditions, c’est de manière légitime que les autorités de migration continuent d’explorer d’autres pistes en cherchant à le présenter à des délégations d’autres pays, sans avoir de prise sur les dates d’auditions que celles-ci fixeraient. S’il est effectivement regrettable qu’un contretemps ait empêché qu’il soit présenté à l’audition avec la délégation gambienne, le recourant ne soutient pas que celle-ci aurait pu enfin permettre de déterminer sa nationalité, qu’il prétend ne pas être la sienne. On ne voit donc pas en quoi il aurait été prétérité. Une autre audition a pu en revanche se tenir avec la délégation malienne, sans résultat positif, et une audition avec les autorités sénégalaises est prévue, de même qu’une nouvelle avec une délégation gambienne, dont les dates ne sont cependant pas encore fixées. À cet égard, les échanges de mails entre les autorités compétentes sont suffisants pour justifier les démarches effectuées, rien ne permettant de remettre en question la bonne foi de l’administration, qui n’a de toute évidence aucun intérêt à faire perdurer inutilement la détention en Suisse du recourant.

C'est ainsi de manière abusive que le recourant invoque une violation du principe de célérité, puisque c'est son refus de collaborer qui occasionne la perte de temps liée à la recherche de sa véritable origine, si bien qu'il se prévaut de sa propre faute pour demander sa mise en liberté. Pour le surplus, s’il dit ne pas comprendre les raisons pour lesquelles les autorités tchadiennes ne l’ont pas reconnu, son accent n’étant pas relevant selon lui vu son long séjour en pays francophones, il n’évoque pas d’autre moyen pour identifier la ou les nationalités qu’il pourrait posséder.

En sus de la durée de sa détention - qui tient à son absence de coopération -, la détention administrative de l’intéressé respecte le principe de la proportionnalité. L'intérêt public à l'exécution de son renvoi est en effet prépondérant vu ses condamnations et la longue durée de son expulsion du territoire, ce qui exclut toute libération fondée sur des motifs d'opportunité. Dans ces circonstances, aucune mesure moins incisive que le maintien en détention administrative, notamment une assignation à résidence, aucune ne lui étant au demeurant connue, ou l’obligation de se présenter régulièrement à l’autorité, n’est à même de garantir la présence du recourant lors de l'exécution du renvoi. La détention est ainsi apte à atteindre le but voulu par le législateur, s’avère nécessaire, compte tenu de la difficulté prévisible de l’exécution du renvoi en raison du refus du recourant d’être renvoyé dans son pays d’origine, une fois qu’il sera déterminé.

Ladite détention est ainsi conforme au droit et aux principes de proportionnalité et de célérité.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6) La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 janvier 2023 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Léonard Micheli-Jeannet, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'à l’établissement Favra, pour information.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :