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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3130/2015

ATA/16/2018 du 09.01.2018 sur JTAPI/988/2016 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3130/2015-PE ATA/16/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 janvier 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Pedro Da Silva Neves, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 septembre 2016 (JTAPI/988/2016)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1982, est ressortissant turc d’origine kurde.

2) Le 13 mai 2011, lors d’un contrôle de papiers, il a déclaré à la police genevoise être arrivé en Suisse au début de l’année 2004 pour chercher un emploi et y séjourner depuis lors sans autorisation. Il dormait dans la rue ou chez des amis qui lui donnaient de l'argent pour se nourrir. Son père était décédé, sa mère vivait en Turquie et son frère se trouvait en Angleterre.

3) Par ordonnance du 26 juillet 2011, M. A______ a été condamné à une peine de nonante jours-amende pour infraction aux prescriptions en matière de police des étrangers.

4) Le 24 août 2011, à Istanbul, M. A______ a épousé Madame B______, ressortissante turque née le ______ 1993, et vivant à Genève au bénéfice d'une autorisation d'établissement.

5) Le 16 septembre 2011, souhaitant vivre à Genève auprès de son épouse, M. A______ a déposé une demande de visa pour long séjour auprès de la représentation suisse à Istanbul.

6) Le 10 janvier 2012, l’office cantonal de la population, devenu depuis lors l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), a fait droit à cette demande.

7) Le 16 janvier 2012, C______ (ci-après : C______), exploitante de la pizzeria « D______ », a informé l'OCPM que M. A______ avait quitté son emploi au sein de cet établissement et était retourné en Turquie le 15 août 2011. Elle souhaitait toutefois l'engager à nouveau et était dans l'attente d'une autorisation de travail en sa faveur.

8) Le 28 janvier 2012, M. A______ est revenu à Genève et a par la suite continué à travailler auprès de C______ en qualité de pizzaiolo.

9) Le 29 avril 2013, Mme B______ a informé l'OCPM qu'elle vivait séparément de son époux et qu'elle souhaitait déposer une demande de divorce.

10) Par jugement du 25 juillet 2013, le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) a notamment autorisé les époux A______ à vivre séparés.

11) Le 23 juillet 2013, interpellée par l'OCPM, Mme B______ a expliqué qu'elle était séparée de son époux depuis quelques mois. Elle avait quitté le domicile conjugal et s'était installée provisoirement chez ses parents.

12) Le 5 février 2014, M. A______ a informé l'OCPM que ses relations avec son épouse s'amélioraient et qu'ils pensaient reprendre la vie commune.

13) Selon l'attestation du 8 janvier 2015 établie par la fiduciaire E______, M. A______ exploitait le restaurant « F______ » en qualité d'indépendant, depuis le 1er mars 2014, et réalisait un bénéfice mensuel net de l'ordre de CHF 3'800.-.

14) Le 2 avril 2015, M. A______ a informé l'OCPM qu'il souhaitait reprendre la vie commune avec son épouse. Gérant deux sociétés, son emploi du temps très chargé ne lui permettait toutefois pas d'être toujours présent auprès d’elle.

15) Le 10 avril 2015, l'OCPM a informé M. A______ de son intention de ne pas renouveler son autorisation de séjour. La vie commune avait duré moins de trois ans, soit du 28 janvier 2012 au 29 avril 2013, et son épouse ne semblait pas partager son souhait de reformer une communauté conjugale. Il ne pouvait plus invoquer le regroupement familial et aucun autre motif ne justifiait la poursuite de son séjour en Suisse.

16) a. Le 27 avril 2015, M. A______ a fait part à l’OCPM de ses déterminations. Il admettait ne plus pouvoir invoquer son mariage pour obtenir la prolongation de son autorisation de séjour, même s'il espérait que leur séparation n'était que provisoire. Il souhaitait toutefois demeurer en Suisse. Il avait travaillé, dès 2006, en qualité de pizzaiolo auprès de C______ et gérait à présent deux sociétés. Il comptait également poursuivre son apprentissage du français.

b. Il a produit une attestation établie le 18 novembre 2013 par C______, et selon laquelle elle l’avait employé en qualité de pizzaiolo du 1er janvier 2006 au 31 août 2011 et du 16 mars 2012 au 31 octobre 2013, ainsi que son certificat de travail daté du 27 novembre 2012, dont il ressortait qu'il était une personne très compétente qui avait toujours donné satisfaction et que la fin des rapports de travail était due à une restructuration du personnel.

17) Selon des extraits du registre du commerce datés du 15 mai 2015, M. A______ était alors titulaire de l'entreprise individuelle exploitée sous la raison de commerce « F______ – A______ », et le gérant de la société G______. Celle-ci a été radiée depuis lors.

18) Par décision du 4 août 2015, l'OCPM a refusé de renouveler l'autorisation de séjour de M. A______ et lui a imparti un délai au 4 novembre 2015 pour quitter la Suisse.

Son mariage avait duré moins de trois ans et il n'existait pas de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite de son séjour. Il avait passé la
quasi-totalité de sa vie en Turquie et ne pouvait se prévaloir d'une intégration socioprofessionnelle particulièrement marquée en Suisse. Au surplus, il ne ressortait pas du dossier que l'exécution de son renvoi serait impossible, illicite ou qu'elle ne pourrait être raisonnablement exigée.

19) a. Par acte du 14 septembre 2015, M. A______ a recouru contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation et au renouvellement de son autorisation de séjour.

Il était né à Kemah, en Turquie, dans la province d'Erzincan. Sa famille était kurde et il portait à sa naissance un prénom typiquement kurde, H______, qu'il avait changé en raison des difficultés rencontrées en Turquie par sa famille. Durant son enfance, il avait très mal vécu les discriminations subies, notamment à l’école, du fait de ses origines kurdes. Il avait également été témoin de la torture de jeunes de son village par l’armée et la police turque. Au terme de sa scolarité obligatoire, il lui avait été impossible de trouver un emploi ou de poursuivre ses études. Il avait souffert d'états dépressifs de plus en plus importants dès son enfance, ne comprenant pas pourquoi il était victime de persécutions. L'aggravation de son état de santé avait poussé sa famille à l'éloigner de la Turquie, raison pour laquelle il avait rejoint ses cousins en Suisse, en 2001. Il avait alors occupé divers emplois dans le milieu de la restauration. En novembre 2003, il avait trouvé un poste de pizzaïolo auprès de C______ où il avait travaillé jusqu'en août 2011. Il n'avait toutefois été déclaré qu'à partir du 1er janvier 2006. Sur le plan personnel, il avait entretenu une relation durant plusieurs années avec une compatriote à Genève. Son employeur refusant de lui donner congé pour son mariage, il avait quitté son travail le 15 août 2011 et s'était rendu en Turquie où il s'était marié. Durant les quelques mois passés dans son pays d'origine dans l'attente de son autorisation de séjour, il avait constaté que la situation des Kurdes ne s'était pas améliorée. Ils subissaient de graves discriminations. De retour en Suisse, il avait travaillé auprès de son ancien employeur du 16 mars 2012 au 31 octobre 2013. Dans l'intervalle, son couple avait connu des difficultés et la séparation avait été prononcée le 25 juillet 2013. En 2014, il avait repris la gestion de G______, qui exploitait le restaurant « F______ ». Les résultats étaient positifs et il avait pu dégager un bénéfice. Il employait alors trois personnes. S'agissant de son intégration en Suisse, il suivait des cours pour améliorer son niveau de français, il était inscrit dans un fitness, n'avait jamais eu de problèmes avec la justice ni émargé au budget de l’assistance sociale. Il était financièrement indépendant et n'avait aucune dette. Son comportement était exemplaire.

Il était de notoriété publique que les Kurdes faisaient l'objet de graves discriminations en Turquie et vivaient dans la précarité et l'insécurité. Au cours des derniers mois, la situation s'était gravement détériorée et avait évolué en « combat ouvert ». Les jeunes se trouvaient particulièrement en danger de mort. L'État turc assimilait chaque jeune kurde à un terroriste potentiel et le fait de revendiquer les droits humains les exposaient à de lourdes mesures policières. Certains citoyens avaient été contraints de prendre les armes car ils étaient pris dans la traque des militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (ci-après : PKK) menée par le président turc. L'actualité faisait état d'une menace imminente et sérieuse de guerre civile dans la région du Kurdistan turc et de dangers de traitements dégradants, voire de mort, pour la population.

Bien que son union conjugale ait duré moins de trois ans, des raisons personnelles majeures justifiaient la poursuite de son séjour en Suisse. En effet, du fait de ses origines kurdes, non seulement sa réintégration en Turquie était totalement compromise, mais il y serait également en danger. Il se trouvait ainsi dans un cas d'extrême gravité qui justifiait l'octroi d'une autorisation de séjour. Il avait passé toute sa vie d'adulte en Suisse où il avait appris son métier et acquis une expérience professionnelle. Il y avait construit son réseau d'amis et créé ses repères d'adulte.

Il y avait ainsi lieu de retenir que la décision attaquée violait le droit au respect de sa vie privée et que l'exécution de son renvoi en Turquie était illicite, dès lors qu'elle l'exposait à un risque de persécution ou de mort.

b. Il a notamment produit deux attestations établies le 11 septembre 2015 par Monsieur I______, ancien gérant du restaurant J______, à Romont (canton de Fribourg), selon lesquelles M. A______ y avait travaillé en tant qu’aide de cuisine du mois de mars 2001 au mois de septembre 2003.

20) Par jugement JTPI/14237/2015 du 2 décembre 2015, le TPI a prononcé le divorce de Mme et M. A______.

21) Il ressort d’un extrait du registre des poursuites du 10 décembre 2015, que M. A______ faisait alors l’objet de cinq poursuites pour un montant total de CHF 16'886.60.

22) Le 14 décembre 2015, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

La réintégration sociale de M. A______ dans son pays d'origine n'était pas fortement compromise et il ne se trouvait pas dans une situation de détresse personnelle justifiant le renouvellement de son autorisation de séjour. Il avait vécu en Turquie jusqu’à l’âge de dix-neuf ans et sa famille s'y trouvait encore. Il avait d’ailleurs séjourné en Turquie durant six mois avant de revenir en Suisse à la fin du mois de janvier 2012. Partant, la Turquie ne lui était pas devenue à ce point étrangère. Bien qu’il ait séjourné en Suisse pendant une longue période, il ne pouvait se prévaloir d’une intégration socio-économique exceptionnelle et faisait l'objet de poursuites. À ce jour, l'exécution du renvoi des ressortissants turcs vers leur patrie était considérée comme possible, licite et raisonnablement exigible.

23) Le 29 janvier 2016, M. A______ a répliqué, reprochant à l'OCPM de ne pas avoir pris en compte le grave conflit qui sévissait au Kurdistan turc et les discriminations dont était victime la minorité kurde en Turquie. En outre, la situation s'était fortement dégradée depuis la date de dépôt du recours. Le président turc considérait les Kurdes comme des traîtres dans un contexte qualifié de guerre civile et des personnes avaient été tuées tant au sein du PKK que de la population civile. Les discriminations n'étaient pas nouvelles, mais le conflit entre le gouvernement turc et le PKK s'était intensifié, et les médias rapportaient les terribles exactions commises par l'armée contre les civils kurdes. Si le renvoi de ressortissants turcs dans leur patrie était à ce jour considéré comme possible, il ne pouvait en être de même des Kurdes, dès lors qu'ils se trouveraient immédiatement en danger de mort. Au surplus, il remboursait les dettes contractées suite à des problèmes de trésorerie propre au démarrage d’un nouveau commerce.

24) Par courriel du 15 février 2016, et en réponse à une interpellation de l’OCPM, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a indiqué que le renvoi en « APPA Turquie », était en règle générale raisonnablement exigible, mais que dans certains cas de figure, un examen plus approfondi demeurait la règle. Il y avait une recrudescence du conflit depuis le mois de juillet 2015 suite à la hausse des affrontements violents entre le PKK et les forces sécuritaires étatiques dans plusieurs provinces du sud-est du pays. Ces provinces n'étaient toutefois pas en proie à des violences généralisées sur l'ensemble de leur territoire qui justifieraient d'emblée, indépendamment des circonstances d'un cas particulier, l'inexigibilité du renvoi. Seule l'exécution du renvoi vers les provinces de Sirnak et d'Hakkari, frontalières de l'Irak, étaient en règle générale inexigible en application de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF).

25) Le 18 février 2016, l'OCPM a dupliqué. La province dont était originaire M. A______ n'avait pas fait l'objet de la recrudescence du conflit turco-kurde. La liberté d'établissement qui existait en Turquie lui permettait de s'installer dans une autre région. Il s'était d'ailleurs marié dans la province d'Istanbul. Par ailleurs, il était jeune et en bonne santé, et disposait également d'atouts professionnels, ainsi que d'un réseau familial qui l'aiderait dans la phase initiale de son retour.

26) Le 17 mars 2016, M. A______ a sollicité de l’OCPM le versement à la procédure de l'intégralité de l'« APPA - Turquie », dans la mesure où la seule consultation du dossier n’aidait pas à la compréhension des documents et termes sur lesquels se basait l'OCPM.

27) Le 21 mars 2016, l'OCPM a produit un courriel du SEM du 17 mars 2016, expliquant que le terme « APPA - Turquie » désignait un manuel utilisé par les collaborateurs du SEM pour la Turquie, destiné à un usage interne.

28) Le 21 mars 2016, le TAPI a imparti un délai au 1er avril 2016 à l'OCPM pour produire les documents requis par le recourant.

29) Le 29 mars 2016, l'OCPM a répondu qu'il n'était pas en mesure de transmettre les documents sollicités par M. A______. Il n'y avait lui-même pas accès, les informations transmises par le SEM étant destinées à l'usage interne de l'administration fédérale.

30) Le 31 mars 2016, M. A______ a exposé que l’OCPM se prévalait, en sa défaveur, d'éléments dont l'intégralité n'était pas accessible au public, alors que rien ne semblait s’opposer à la production desdits documents. Malgré deux demandes, l'OCPM n'avait pas produit ces documents, ce qui posait un problème d'égalité d'armes et de droit d'être entendu, et peu importait le fait qu’ils soient destinés à l’usage interne de l’administration. Ils devaient ainsi être écartés de la procédure.

31) a. Le 12 avril 2016, M. A______ a rappelé que l'OCPM utilisait à titre de preuve à son encontre des documents qui n’étaient peut-être plus à jour, sans indiquer leur date de rédaction, leurs auteurs ou leurs sources, et sans expliquer les raisons pour lesquelles ils lui étaient « cachés » par le SEM.

Il avait quitté la Turquie en raison des discriminations dont il avait été victime. Le conflit qui opposait le PKK à l’État turc durait depuis plus de trente ans. Les hostilités qui avaient repris récemment pouvaient désormais être qualifiées de guerre ouverte. Le département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE) déconseillait d’ailleurs fortement de se rendre dans certaines provinces turques, ce qui ne signifiait pas que le reste du territoire était sans danger, en particulier pour les ressortissants kurdes. Le conflit armé dans certaines provinces avait un impact, même dans les grandes villes, sur les conditions de vie des Kurdes qui étaient plus fortement discriminés. Les attentats des derniers mois à Ankara et Istanbul avaient en effet exacerbé la méfiance à l'égard des populations kurdes. En cas de renvoi, il serait victime de discriminations, même s'il s'installait dans une autre région en Turquie. Le fait d'avoir célébré son mariage, pour des questions de logistique, dans la province d’Istanbul, ne signifiait pas qu'il puisse y vivre. En outre, il ne pouvait pas compter sur l'aide de sa famille. Cela faisait longtemps que son père était décédé et ses frères, qui avaient fui les violences, se trouvaient à l'étranger. Quant à ses sœurs, elles avaient leurs propres familles et il n'avait eu que peu de contacts avec elles depuis qu'il vivait en Suisse. Ses perspectives en cas de retour en Turquie étaient manifestement très mauvaises.

b. Il a produit des documents traitant de la situation des Kurdes en Turquie.

32) Le 10 mai 2016, le TAPI a entendu les parties lors d’une audience.

L’OCPM a indiqué qu’il n’avait pas de contact direct avec les pays dans lesquels les renvois devaient être exécutés. Il s’adressait au SEM afin de connaître la possibilité d’un renvoi dans un pays déterminé en indiquant toutes les caractéristiques du cas concret. Le SEM répondait après avoir effectué des recherches dans sa base de données. Quant au renvoi de M. A______, l’OCPM n’avait pas contacté le SEM pour connaître plus précisément les informations sur lesquelles ce dernier s’était basé pour répondre à sa demande.

À l’issue de l’audience, le TAPI a imparti un délai au 31 mai 2016 à l’OCPM pour produire un rapport circonstancié sur les possibilités effectives de renvoi de M. A______ en Turquie (avec indications des sources), et un délai identique à celui-ci pour produire des pièces complémentaires.

33) Dans son rapport du 26 mai 2016, l’OCPM a rappelé que, selon la pratique des autorités fédérales qui se basait sur la jurisprudence du TAF, la situation en Turquie ne constituait pas un obstacle à l’exécution du renvoi. Les autorités fédérales, dont les analyses liaient l’OCPM, admettaient l’exécution du renvoi des ressortissants kurdes en Turquie, hormis dans les provinces de Hakkari et Sirnak.

34) Le 31 mai 2016, M. A______ a notamment produit deux quittances de l’office des poursuites datées du 22 février 2016 et établissant qu’il avait soldé deux de ses poursuites à hauteur de CHF 5'834.25.

35) Le 10 juin 2016, M. A______ s’est déterminé sur le rapport précité.

Malgré plusieurs demandes, les documents qu’il avait requis n’avaient pas été versés à la procédure. Ni lui, ni le TAPI, ni l’OCPM qui s’en prévalait, n’y avaient eu accès. Dans la mesure où l’OCPM ne faisait plus référence auxdits documents, le TAPI ne devait pas les prendre compte.

Il était traumatisé par les violences contre son peuple dont il avait été témoin lorsqu’il était enfant, de même que par les discriminations dont il avait été victime durant ses jeunes années et qui avaient motivé son départ de Turquie. Il connaissait très bien la persécution subie par les Kurdes en Turquie et savait qu’il y serait reconnu comme tel, notamment en raison de son accent, de son nom de famille ou de son lieu d’origine. Il craignait des discriminations quotidiennes et des violences de la part, notamment, des forces de l’ordre. L’amalgame entre les Kurdes et les terroristes était déjà très répandu dans la population. Un renvoi en Turquie l’exposerait tôt ou tard à des persécutions, des traitements inhumains et dégradants, ou même à un danger de mort.

36) Le 22 juin 2016, l’OCPM a persisté dans ses conclusions.

37) Le 7 juillet 2016, l’OCPM a autorisé M. A______ à travailler en qualité de plongeur/aide de cuisine auprès d’un café-glacier du 6 juillet au 28 août 2016. L’autorisation était provisoire jusqu’à droit connu sur son recours.

38) Par jugement du 29 septembre 2016, le TAPI a rejeté le recours formé par M. A______.

L’union conjugale effectivement vécue avait duré moins de trois ans, de sorte que M. A______ ne pouvait pas se prévaloir de l’art. 50 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20) pour obtenir le renouvellement de son autorisation de séjour. Il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner la condition de l’intégration réussie.

Il ne pouvait pas non plus se prévaloir de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite de son séjour. En effet, arrivé en Suisse à l’âge de 22 ans, il était né en Turquie où il avait passé les années essentielles pour la formation de sa personnalité et pour son intégration socioculturelle. La durée de son séjour en Suisse, accompli illégalement durant sept ans, puis grâce à la tolérance des autorités, devait être fortement relativisée. Malgré ses emplois dans le domaine de la restauration et son entreprise individuelle d’exploitation d’un restaurant, il n’avait toutefois pas fait preuve d’une intégration socio-professionnelle particulièrement marquée et n'avait pas non plus acquis de connaissances ou de qualifications si spécifiques qu'il ne pourrait les mettre à profit en Turquie. Il avait également cumulé des dettes à hauteur de CHF 16'886.60.-, étant précisé qu’il avait depuis lors soldé deux poursuites à hauteur de CHF 5'834.25. Il n’avait pas non plus établi avoir noué des liens profonds avec la Suisse. Ses relations amicales et sociales ne dépassaient pas en intensité ce qui pouvait être raisonnablement attendu de n’importe quel étranger au terme d’un séjour d’une durée similaire. Il ne pouvait donc se prévaloir d’une intégration sociale particulièrement poussée, ni d’une réussite professionnelle remarquable.

En outre, il était âgé de 34 ans, jeune et en bonne santé. Il avait appris le français et acquis une expérience professionnelle en Suisse. Des membres de sa famille vivaient en Turquie, où il avait célébré son mariage. Ces éléments faciliteraient grandement sa réinsertion, après une période d’adaptation, même si un retour dans son pays d’origine impliquerait certes quelques difficultés, lesquelles ne seraient pas plus lourdes que celles que rencontreraient d'autres compatriotes turques d’origine kurde contraints de retourner en Turquie au terme d'un séjour régulier en Suisse.

L’OCPM avait prononcé à bon droit son renvoi. Le 13 mai 2011 et le 27 avril 2015, il avait indiqué qu’il souhaitait demeurer en Suisse pour des motifs essentiellement professionnels. Ce n’était que dans le cadre de son recours qu’il avait allégué pour la première fois avoir souffert d’états dépressifs dès son enfance provoqués par les discriminations et les persécutions dont il aurait été victime du fait de ses origines kurdes et qui avaient poussé sa famille à l’éloigner de la Turquie. Il n’avait toutefois produit aucun certificat médical et aucun élément ne démontrait que l'exécution de son renvoi l'exposerait à un risque de torture ou de traitements prohibés. Le fait que certaines régions de Turquie étaient actuellement le théâtre d'événements violents, tels que rapportés par les médias, ne suffisait pas à démontrer l'existence d'un risque réel et sérieux qu'il serait personnellement visé, en cas de retour en Turquie, par des mesures incompatibles avec des dispositions contraignantes du droit international.

En dépit de la recrudescence d'événements violents, la Turquie ne connaissait pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait d'emblée – et indépendamment des circonstances du cas d'espèce – de présumer, à propos de tous les ressortissants du pays, l'existence d'une mise en danger concrète de toute la population du pays. On ne pouvait pas non plus affirmer que la situation dans la province d’Erzincan située au nord-est, dont provenait M. A______, était comparable à celle régnant dans les provinces de Sirnak ou Hakkari. La situation en Turquie ne constituait ainsi pas un obstacle à l’exécution du renvoi de M. A______. Au surplus, il ne ressortait pas du dossier que l’exécution du renvoi impliquerait une mise en danger concrète de M. A______ en raison de sa situation personnelle ou de ses origines kurdes.

L’exécution du renvoi de M. A______ était ainsi licite et raisonnablement exigible.

39) a. Par acte mis à la poste le 2 novembre 2016, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à l’octroi de son autorisation de séjour, et au versement d’une indemnité équitable. Subsidiairement, il a conclu à son admission provisoire.

Reprenant ses arguments développés auprès du TAPI, il a rappelé qu’il vivait en Suisse depuis plus de quinze ans, de sorte que la Suisse constituait pour lui depuis longtemps le centre de sa vie privée et familiale. Sa tante, ses cousins et sa nièce habitaient en Suisse depuis de nombreuses années. Il passait son temps libre avec eux ou avec les amis de son quartier. Ces liens étaient forts et durables, et un retour en Turquie provoquerait pour lui un fort déracinement. Il était indépendant financièrement et avait participé à l’économie locale en tant qu’employeur, ce qui démontrait une intégration poussée. Malgré un engagement constant, cette activité ne lui avait pas permis d’obtenir un revenu suffisant pour subvenir à ses besoins. Il avait donc décidé d’y mettre un terme et de travailler à nouveau en tant que salarié dans la restauration. Il n’avait commis aucune infraction en Suisse, à l’exception de son séjour illégal. Ses dettes, qu’il tenait à rembourser au plus vite, n’étaient dues qu’à sa tentative d’indépendance.

Il n’était retourné en Turquie que deux fois en quinze ans et s’était entièrement consacré à construire une vie stable en Suisse. Alors qu’il n’avait des nouvelles de ses deux sœurs vivant en Turquie qu’une fois par an, ses contacts avec sa mère étaient plus fréquents, soit une à deux fois par mois par téléphone. Celle-ci vivait dans la plus grande précarité grâce à l’argent qu’il lui envoyait de temps en temps. Il se confiait difficilement sur son enfance, période la plus noire de sa vie. Il avait très peur de retourner en Turquie, en particulier depuis l’aggravation du conflit, qui intensifiait les discriminations à l’encontre des Kurdes, pour lesquels trouver du travail était extrêmement difficile. Le climat politique et social catastrophique ne lui permettrait pas de retrouver un travail ou un logement, peu importait la région dans laquelle il était susceptible de s’installer. Sa réintégration en Turquie était ainsi très fortement compromise.

Son origine kurde était malheureusement un facteur de risque de subir en Turquie des traitements inhumains et dégradants de la part des autorités, principalement la police et l’armée. Ce risque s’aggravait encore dans le cas d’un homme jeune et en bonne santé (et donc en état de combattre), et ayant longtemps séjourné à l’étranger. Il risquait ainsi d’être soumis à son retour à des interrogatoires violents et contraires à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Les autorités étaient encore plus présentes sur le territoire depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 et multipliaient les arrestations considérées par beaucoup d’organismes internationaux comme arbitraires. Contrairement à la situation d’un citoyen turc ordinaire vivant à Istanbul ou à Ankara, son renvoi le mettrait inévitablement en danger. Il devait dès lors à tout le moins être admis provisoirement en Suisse, son expulsion ne pouvant pas être envisagée en raison des risques concrets pesant sur sa sécurité et sur sa vie.

b. Il a produit une lettre de soutien signée par quatorze amis le 24 octobre 2016, selon lesquels il était une personne serviable, pleinement intégrée au sein de leur entourage et de leur voisinage, et à l’écoute des habitants du quartier.

Il a également produit trois articles de revues périodiques faisant état de discriminations et d’arrestations arbitraires de Kurdes par les autorités turques dans la région de Diyarbakir. Les Turcs montrant des affinités avec cette minorité subissaient par représailles des discriminations et intimidations. Le chômage était très important pour les Kurdes et était plus élevé qu’au sein des populations rurales. Il y avait un déficit important d’investissement public de la part du gouvernement dans les infrastructures des villes à prédominance kurde, mis à part dans les structures de l’armée. Hormis la région de l’est anatolien, la situation des Kurdes de Turquie demeurait différente, du fait qu’ils parlaient le turc grâce à l’enseignement obligatoire des écoles publiques et qu’ils étaient ainsi moins reconnaissables. Pour une meilleure intégration dans la société, il valait mieux taire ses origines. En septembre et octobre 2016, le gouvernement avait procédé au remplacement dans le sud-est du pays de responsables élus kurdes, notamment de maires, accusés de liens avec le PKK.

40) Le 8 novembre 2016, le TAPI a transmis son dossier sans observation.

41) Le 24 novembre 2016, l’OCPM a conclu au rejet du recours, se référant à ses arguments développés auprès du TAPI.

42) a. Le 16 janvier 2017, dans le délai qui lui a été imparti par le juge délégué, M. A______ a persisté dans ses conclusions. La situation politique en Turquie continuait d’empirer et la population civile kurde était la principale touchée par les arrestations et par l’ampleur inouïe des violations des droits humains perpétrées par les forces de l’ordre turques, ce qui avait été relayé par plusieurs observateurs présents sur place.

Il était ainsi inimaginable qu’il puisse mener en Turquie une vie normale comparable à ses compatriotes non kurdes. Le climat de délation, de violence, et l’utilisation de la torture par les forces de l’ordre faisaient peser une crainte réelle et concrète pour sa sécurité et pour sa vie. Son renvoi de Suisse était donc inexigible puisqu’il violait l’art. 3 CEDH.

b. Il a produit plusieurs pièces étayant ses propos. En particulier, dans son rapport du 2 juin 2016, le Comité contre la torture des Nations Unies indiquait être gravement préoccupé par les nombreuses informations selon lesquelles des agents de la force publique infligeaient tortures et mauvais traitements à des détenus dans le cadre de l’action visant à faire face aux menaces perçues et présumées contre la sécurité dans le sud-est du pays, sur fond de recrudescence de la violence entre les forces de sécurité turques et le PKK suite à l’effondrement du processus de paix en 2015 et après les attaques terroristes. Il était aussi préoccupé par l’impunité dont semblaient jouir les auteurs de tels actes.

43) Le 16 août 2017, le juge délégué a imparti un délai au 28 septembre 2017 à M. A______ pour lui faire parvenir, le cas échéant, les éventuels éléments nouveaux depuis janvier 2017, pertinents et documentés, relatifs à la situation dans la province d’Erzincan.

44) Le 26 octobre 2017, dans le délai qui lui a été imparti puis prolongé à sa demande, M. A______ a produit notamment les pièces suivantes :

-          un rapport du mois de février 2017 dans lequel le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme déplorait les violences opérées par les forces de l’autorité dénotant de graves violations des droits de l’homme qui semblaient prendre largement pour cible les dissidents des partis politiques de l’opposition et affectaient de manière disproportionnée les citoyens d’origine kurde.

-          un rapport publié le 19 mai 2017 par l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (ci-après : OSAR), selon lequel le conflit entre les forces de sécurité turques et le PKK s’étaient amplifiés depuis 2015, en particulier dans les régions urbaines du sud-est. Plusieurs observateurs avaient constaté une grave dégradation des droits de l’homme. Il y avait des indices crédibles donnant à penser que la torture était encore régulièrement et largement pratiquée dans le conflit kurde. Les ministères publics considéraient la possession de livres pro-kurdes comme une preuve crédible d’appartenance à une organisation interdite. Près de cent trente-huit mille personnes actives dans le secteur public ou dans des entreprises proches de l’État avaient été licenciées ou suspendues depuis le coup d’État. Des liens présumés avec une organisation terroriste ou une menace pour la sécurité nationale servaient généralement de prétextes à ces licenciements. Suite au coup d’État, la police avait arrêté plus de
cent mille personnes et en avait placé la moitié en détention préventive, et ce malgré l’absence de preuves ou de motifs convaincants pour les crimes qui leur étaient imputés. Il s’agissait manifestement de mesures arbitraires, au point que tout le monde risquait actuellement d’être arrêté. Ces événements avaient une incidence dramatique sur l’économie turque et le taux de chômage avait grimpé à 12,7 %. Les membres de l’ethnie kurde étaient souvent discriminés dans l’accès au travail et au logement dans les régions de Turquie à domination non kurde. Cette tendance ne cessait de s’aggraver avec l’escalade du conflit au sud-est et suite aux attentats commis par le PKK ou des groupements semblables. Certains profitaient en outre du climat politique actuel pour accuser les membres de l’ethnie kurde de soutenir le PKK, afin d’ouvrir des enquêtes de police contre eux et de leur nuire ainsi sur le plan économique et social.

-          un article de l’OSAR du 10 octobre 2017, selon lequel la répression touchait aussi les militants kurdes, les élus politiques kurdes, les journalistes, les collaborateurs des organisations non gouvernementales (ci-après : ONG), académiciens critiques à l’égard du gouvernement, ainsi que d’autres « suspects ». De nombreux médias et ONG avaient été interdits et des villes kurdes avaient été soumises à l’administration centrale. D’innombrables affrontements et opérations de sécurité avaient provoqué une spirale de violence dans le sud-est de la Turquie à domination kurde. Les autorités avaient imposé de nombreux couvre-feux et déployé des armes lourdes dans des régions très peuplées. Des quartiers entiers avaient été rasés. Au moins 1,4 million de personnes avaient été touchées par les couvre-feux et près d’un demi-million de personnes chassées de leur lieu de vie. Des rapports crédibles faisaient état de crimes de guerre commis par les forces de sécurité turques.

-          divers articles de revues périodiques telles que Le Figaro, Human Rights Watch et Amnesty International, relevant de nombreux cas de torture commis dans des centres de détention et d’enlèvements de personnes accusées d’avoir des liens avec le terrorisme ou le coup d’État. Les libertés de réunion, d’association et d’expression avaient été restreintes principalement pour les organisations ou les médias pro-kurdes. Plusieurs militants pour les droits humains en Turquie avaient été arrêtés.

M. A______ a ajouté qu’il remplissait les critères du projet « Papyrus » et qu’il souhaitait que l’OCPM se prononce à ce sujet.

45) Le 10 novembre 2017, l’OCPM a persisté dans ses conclusions.

La seule origine kurde de l’intéressé n’était pas de nature à lui faire courir le risque concret d’être exposé, sur tout le territoire turc, à la torture ou à d’autres traitements de cette nature. L’exécution du renvoi dans sa province d’origine, où aucun combat ou affrontement d’ampleur n’avait été rapporté, était licite et exigible, étant précisé que dans le cas contraire, il pouvait également s’installer dans une autre région du pays.

Le programme Papyrus n’avait pas vocation de régulariser les conditions de séjour d’étrangers qui avaient séjourné légalement dans le canton de Genève et qui souhaitaient y poursuivre leur séjour à un titre ou à un autre.

46) Le 4 décembre 2017, M. A______ a répliqué.

Le programme Papyrus ne faisait que concrétiser les critères légaux en vigueur pour l’examen des cas individuels d’extrême gravité dans le strict respect des dispositions légales et des directives internes du SEM. Depuis la reprise de son activité salariée, il s’était progressivement acquitté de ses dettes suite à des problèmes propres au démarrage d’un nouveau commerce. De plus, il parlait le français et avait atteint le niveau « A2 ».

47) Le 6 décembre 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

48) Pour le surplus, les arguments des parties seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant ne se prévalant plus de son mariage ni de l’application de l’art. 50 al. 1 let. a LEtr, l’objet du litige portera sur l’examen des conditions de renouvellement de l'autorisation de séjour pour des raisons personnelles majeures, sur l’application de l’art. 8 CEDH, sur l’examen des conditions du programme Papyrus, et enfin, sur les questions de la licéité et de l’exigibilité du renvoi.

3) Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, la chambre administrative ne connaît pas de l’opportunité d’une décision prise en matière de police des étrangers lorsqu’il ne s’agit pas d’une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 a contrario de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

4) La LEtr et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEtr).

5) a. Le conjoint étranger d’une personne titulaire d’une autorisation d’établissement a droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité, à condition de vivre en ménage commun avec elle (art. 43 al. 1 LEtr).

Après la dissolution de la famille, le droit du conjoint à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu de l’art. 43 LEtr subsiste si l'union conjugale a duré au moins trois ans et que l'intégration est réussie (art. 50 al. 1 let. a LEtr), ce qui n’est pas le cas en l’espèce compte tenu du fait que la vie commune a duré moins de trois ans, ce que ne conteste pas le recourant.

b. Le droit au renouvellement de l'autorisation de séjour existe également si la poursuite du séjour en Suisse s'impose pour des raisons personnelles majeures (art. 50 al. 1 let. b LEtr). Des raisons personnelles majeures sont notamment données lorsque le conjoint est victime de violence conjugale, que le mariage a été conclu en violation de la libre volonté d'un des époux ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEtr).

c. L’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEtr vise à régler les situations qui échappent aux dispositions de l’art. 50 al. 1 let. a LEtr, soit parce que le séjour en Suisse durant le mariage n’a pas duré trois ans ou parce que l’intégration n’est pas suffisamment accomplie ou encore parce que ces deux aspects font défaut mais que – eu égard à l’ensemble des circonstances – l’étranger se trouve dans un cas de rigueur après la dissolution de la famille (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; 137 II 1 consid. 4.1). À cet égard, c’est la situation personnelle de l’intéressé qui est décisive et non l’intérêt public que revêt une politique migratoire restrictive. Il s’agit par conséquent uniquement de décider du contenu de la notion juridique indéterminée « raisons personnelles majeures » et de l’appliquer au cas d’espèce, en gardant à l’esprit que l’art. 50 al. 1 let. b LEtr confère un droit à la poursuite du séjour en Suisse, contrairement à l’art. 30 al. 1 let. b LEtr (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; 137 II 1 consid. 3).

d. D’après le message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la LEtr, l’art. 50 al. 1 let. b LEtr exige que des motifs personnels graves imposent la poursuite du séjour en Suisse. Il en va ainsi lorsque le conjoint demeurant en Suisse est décédé ou lorsque la réinsertion familiale et sociale dans le pays d’origine s’avérerait particulièrement difficile en raison de l’échec du mariage (FF 2002 II 3469 p. 3510 ss).

e. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'énumération de ces cas n'est pas exhaustive et laisse aux autorités une certaine liberté d'appréciation fondée sur des motifs humanitaires (ATF 136 II 1 consid. 5.3). Un cas de rigueur survenant après la rupture de la communauté conjugale doit toutefois s'apprécier au vu de l'ensemble des circonstances particulières et présenter une intensité significative quant aux conséquences qu'un renvoi pourrait engendrer sur la vie privée et familiale de l'étranger (arrêts du Tribunal fédéral 2C_275/2013 du 1er août 2013 consid 3.1 et 2C_781/2010 du 16 février 2011 consid. 2.2).

Lors de l'examen des raisons personnelles majeures au sens de l'art. 50 al. 1 let. b LEtr, les critères énumérés à l'art. 31 al. 1 OASA peuvent entrer en ligne de compte, même si, considérés individuellement, ils ne sauraient fonder un cas individuel d'une extrême gravité (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_822/2013 du 25 janvier 2014 consid. 5.2 ; ATA/680/2017 du 20 juin 2017 ; ATA/241/2017 du 28 février 2017).

f. À teneur de l’art. 31 al. 1 OASA, une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d’extrême gravité ; lors de l’appréciation, il convient de tenir compte notamment : a) de l’intégration du requérant ; b) du respect de l’ordre juridique suisse par le requérant ; c) de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants ; d) de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d’acquérir une formation ; e) de la durée de la présence en Suisse ; f) de l’état de santé ; g) des possibilités de réintégration dans l’État de provenance.

g. La jurisprudence développée au sujet des cas de rigueur selon le droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2007 (art. 13 let. f de l’ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 - aOLE) est toujours d’actualité pour les cas d’extrême gravité qui lui ont succédé (ATF 136 I 254 consid. 5.3.1 ; ATA/680/2017 précité).

Pour admettre l’existence d’un cas d’extrême gravité, il est nécessaire que l’étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d’existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue,
c’est-à-dire que le refus de soustraire l’intéressé à la règlementation ordinaire d’admission comporte pour lui de graves conséquences. Le fait que l’étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’il y soit bien intégré socialement et professionnellement et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité ; il faut encore que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu’on ne puisse exiger qu’il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d’origine. À cet égard, les relations de travail, d’amitié ou de voisinage que l’intéressé a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu’ils justifieraient une exception (ATF 124 II 110 consid. 2 ; arrêt du TAF C-6628/2007 du 23 juillet 2009 consid. 5.2 ; ATA/680/2017 précité ; ATA/25/2017 du 17 janvier 2017).

En règle générale, la durée du séjour illégal en Suisse ne peut être prise en considération dans l’examen d’un cas d'extrême gravité car, si tel était le cas, l’obstination à violer la législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée (arrêts du TAF C-6051/2008 et C-6098/2008 du 9 juillet 2010 consid. 6.4 ; ATA/808/2016 du 27 septembre 2016 ; ATA/1181/2015 du 3 novembre 2015 et les références citées).

Dans tous les cas, l'existence d'une des situations objectives conférant un droit à la poursuite du séjour ne prive pas les autorités de police des étrangers de mettre en évidence d'autres circonstances concrètes (condamnations pénales, recours à l'aide sociale, etc.) qui, à l'issue d'une appréciation globale au sens de l'art. 96 LEtr, auraient néanmoins pour effet que la poursuite du séjour en Suisse doive être refusée (ATF 138 II 393 consid. 3.4 ; ATA/542/2012 du 21 août 2012).

h. S'agissant de la réintégration sociale dans le pays d'origine, l'art. 50
al. 2 LEtr exige qu'elle semble fortement compromise. La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1 ; 2C_376/2010 du 18 août 2010 consid. 6.3.1 ; 2C_663/2009 du 23 février 2010 consid. 3 in fine ; ATA/589/2014 du 29 juillet 2014). Le simple fait d'invoquer que la réintégration sociale, en cas de retour dans son pays, risque d’être fortement compromise, ne suffit pas ; les craintes doivent sembler fondées sur des circonstances concrètes (Directives et commentaires du SEM, Domaine des étrangers, du 25 octobre 2013, dans leur version actualisée du 3 juillet 2017 ch. 6.15.3.5).

i. En l'espèce, arrivé en Suisse à l’âge de 19 ans, le recourant a passé en Turquie toute son enfance, son adolescence et l’entrée dans sa vie de jeune adulte, soit la majorité des années les plus importantes de sa vie pour la formation de sa personnalité et pour son intégration socio-culturelle. De plus, la durée de son séjour en Suisse doit être relativisée puisqu’elle a été effectuée en majeure partie sans autorisation ou grâce à la tolérance des autorités dans le cadre de la procédure de recours à l’encontre du refus de renouvellement de son autorisation de séjour.

Si le recourant s’est certes lancé dans la gérance d’un restaurant en tant qu’indépendant, il n’est toutefois pas parvenu à poursuivre cette activité, qui n’était pas suffisamment rentable. L’expérience et les qualifications professionnelles qu’il a acquises en Suisse ne sont par ailleurs pas particulièrement spécifiques au point qu'il ne pourrait pas les mettre à profit dans un autre pays. En outre, le réseau d’amis et de connaissances qu’il s’est constitué au sein de son quartier ne dépasse pas en intensité ce qui peut être raisonnablement attendu de n’importe quel étranger au terme d’un séjour similaire en Suisse. Ainsi, même s’il n’a pas émargé au budget de l’assistance sociale, le recourant ne peut pas se prévaloir d’une intégration socio-économique particulièrement marquée. Dès lors, sa relation avec la Suisse n’est pas si étroite qu’on ne puisse exiger de lui qu’il aille vivre dans un autre pays, notamment en Turquie.

Sa réintégration familiale et sociale en Turquie ne s’avère pas particulièrement difficile en raison de l’échec de son mariage. Son pays d’origine ne lui est pas inconnu, puisqu’il y est retourné deux fois et qu’il y a vécu près de six mois en 2011, après avoir célébré son mariage, et qu’il entretient toujours des contacts avec ses sœurs, même peu fréquents, et avec sa mère qui y vivent. Ayant travaillé depuis plus de dix ans dans le domaine de la restauration et ayant appris une langue étrangère, il a acquis une expérience et des compétences professionnelles qui lui seront utiles en Turquie. Étant donné notamment que le recourant n’a pas produit de certificats médicaux ou établi d’une autre manière des risques de dépression en cas de retour en Turquie, force est de constater, au vu du dossier, qu’il est jeune et en bonne santé et qu’il sera ainsi capable de surmonter les difficultés que rencontrerait tout compatriote contraint de retourner en Turquie dans les mêmes conditions. Au vu des motifs qui seront développés sous l’angle de l’analyse de l’exécutabilité de son renvoi, il n’a pas non plus suffisamment démontré qu’il risquait concrètement des discriminations ou mauvais traitements à son retour dans son pays d’origine.

Au vu de ce qui précède, aucune circonstance concrète ne permet de retenir que sa réintégration dans son pays de provenance serait fortement compromise ou lui causerait de graves conséquences.

Par conséquent, au vu de sa situation personnelle, et en application des art. 50 al. 1 let. b et 50 al. 2 LEtr, ainsi qu'à la lumière des critères de l'art. 31 OASA, le recourant ne peut se prévaloir de motifs suffisants imposant la poursuite de son séjour en Suisse.

Ce grief sera donc écarté.

6) a. L’art. 8 CEDH protège notamment le droit d’établir et de mettre en œuvre des relations avec d’autres êtres humains. En d’autres termes, c’est la totalité des liens sociaux qui existent entre les étrangers et la société dans laquelle ils vivent qui entre dans la notion de vie privée (ACEDH Vasquez c. Suisse du 26 novembre 2013, req. n° 1785/08, § 37). Sous l’angle étroit de la protection de la vie privée, l’art. 8 CEDH n’ouvre le droit à une autorisation de séjour qu’à des conditions restrictives, l’étranger devant établir l’existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d’une intégration ordinaire. Dans ce cadre, il ne saurait être présumé qu’à partir d’une certaine durée de séjour en Suisse, l’étranger y serait enraciné et disposerait de ce fait d’un droit de présence dans le pays. Il convient bien plus de procéder à une pesée des intérêts en présence, en considérant la durée du séjour en Suisse comme un élément parmi d’autres et en n’accordant qu’un faible poids aux années passées en Suisse dans l’illégalité, en prison ou au bénéfice d’une simple tolérance (ATF 134 II 10 consid. 4.3 ; 130 II 493 consid. 4.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2 ; 2C_1130/2014 du 4 avril 2015 consid. 4.1 ; 2C_80/2015 du 9 février 2015 consid. 2.1).

b. En l’espèce, pour les motifs qui précèdent, quand bien même le recourant s’est constitué un cercle d’amis à Genève et dans son quartier, qu’il travaille dans la restauration depuis un certain nombre d’années et qu’il est membre d’un fitness, il n’a toutefois pas démontré avoir constitué des liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse et supérieurs à ceux résultant d’une intégration ordinaire. À cela s’ajoute que la durée de son séjour doit être fortement relativisée.

En conséquence, la décision querellée, qui refuse le renouvellement de son autorisation de séjour, ne viole pas le droit au respect de la vie privée du recourant.

Ce grief sera également écarté.

7) a. Au début de l’année 2017, le canton de Genève a développé un projet appelé « opération papyrus » visant à régulariser la situation des personnes non ressortissantes de l’Union européenne et de l’Association européenne de
libre-échange, bien intégrées. Les critères pour pouvoir bénéficier de cette opération sont les suivants :

- séjour continu à Genève sans papier de cinq ans (pour les familles avec enfants scolarisés) ou de dix ans pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; le séjour doit être documenté ;

- intégration réussie (niveau A2 de français du cadre européen commun de référence pour les langues et scolarisation des enfants notamment) ;

- absence de condamnation pénale ;

- avoir un emploi ;

- indépendance financière complète (département de la sécurité et de l’économie [ci-après : DSE], Opération papyrus – Conditions et procédure pour le dépôt d’une demande de normalisation, février 2017 [disponible en ligne sur https://demain.ge.ch/document/brochure-papyrus, consulté le 21 décembre 2017] ; critères à respecter dans le cadre de Papyrus [disponible en ligne sur https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter, consulté le 21 décembre 2017]).

b. Interpellé par une conseillère nationale à l’heure des questions le 27 février 2017, le Conseil fédéral a précisé que, dans le cadre du projet pilote « papyrus », le SEM avait procédé à une concrétisation des critères légaux en vigueur pour l’examen des cas individuels d’extrême gravité dans le strict respect des dispositions légales et ses directives. Il ne s’agissait donc pas d’un nouveau droit de séjour en Suisse ni d’une nouvelle pratique. Une personne sans droit de séjour ne se voyait pas délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur parce qu’elle séjournait et travaillait illégalement en Suisse, mais bien parce que sa situation était constitutive d’un cas de rigueur en raison notamment de la durée conséquente de son séjour en Suisse, de son intégration professionnelle ou encore de l’âge de scolarisation des enfants (ATA/1407/2017 du 17 octobre 2017 ; ATA/1234/2017 du 29 août 2017 et les références citées).

c. En l’espèce, le recourant a produit auprès du TAPI le 31 mai 2016 des documents établissant qu’il avait soldé deux de ses poursuites pour un montant de CHF 5’834.25, étant précisé que ces dernières s’élevaient au total à CHF 16'886.50 le 10 décembre 2015. Dans la mesure où il n’a depuis lors pas établi avoir remboursé le solde de ce montant, il ne peut se prévaloir d’une indépendance financière complète.

De plus, étant donné que le recourant n’est pas arrivé à Genève avant le mois d’octobre 2003, qu’il a quitté la Suisse au mois d’août 2011 et qu’il est revenu près de six mois plus tard, il ne saurait se prévaloir en tout état de cause d’une durée de dix ans de séjour continu à Genève.

Sur cette base, les conditions cumulatives pour bénéficier de l’« opération papyrus » ne sont pas toutes réalisées, de sorte que le recourant ne peut obtenir la régularisation de sa situation dans ce cadre.

Ce grief doit donc être écarté.

8) a. Tout étranger dont l’autorisation est refusée est renvoyé de Suisse (art. 64  al. 1 let. c LEtr).

b. En l’espèce, le renvoi a été prononcé à juste titre, étant donné qu’aucune prolongation d’autorisation de séjour ne peut être octroyée au recourant.

9) Les autorités cantonales peuvent toutefois proposer au SEM d’admettre provisoirement un étranger si l’exécution du renvoi ou de l’expulsion n’est pas possible, n’est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et
6 LEtr).

10) a. L’exécution de la décision n’est pas licite lorsque le renvoi de l’étranger dans son État d’origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83
al. 3 LEtr).

b. L’art. 83 al. 3 LEtr vise notamment l’étranger pouvant démontrer qu’il serait exposé à un traitement prohibé par l’art. 3 CEDH ou l’art. 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Conv. torture - RS 0.105 ; arrêt du TAF E-7712/2008 du 19 avril 2011 consid. 6.1 ; ATA/827/2016 du 4 octobre 2016 ; ATA/598/2016 du 12 juillet 2016).

c. Si l'interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains (ou dégradants) s'applique indépendamment de la reconnaissance de la qualité de réfugié, cela ne signifie pas encore qu'un renvoi ou une extradition serait prohibée par le seul fait que dans le pays concerné des violations de l'art. 3 CEDH devraient être constatées. Une simple possibilité de subir des mauvais traitements ne suffit pas. Il faut au contraire que la personne qui invoque cette disposition démontre à satisfaction qu'il existe pour elle un risque réel, fondé sur des motifs sérieux et avérés, d'être victime de tortures ou encore de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays. Il en ressort qu'une situation de guerre, de guerre civile, de troubles intérieurs graves ou de tension grave accompagnée de violations des droits de l'homme ne suffit en principe pas (hormis des cas exceptionnels de violence d'une extrême intensité) à justifier la mise en oeuvre de la protection issue de l'art. 3 CEDH, tant que la personne concernée ne peut rendre hautement probable qu'elle serait visée personnellement - et non pas simplement du fait d'un hasard malheureux - par des mesures incompatibles avec la disposition en question (arrêts du TAF E-1420/2016 du 27 novembre 2017 consid. 6.4 et les références citées ; E-5057/2015 du 6 septembre 2017 consid. 9.4 ; E-7565/2014 du 30 septembre 2016 consid. 6.3.1).

d. S'agissant de la situation en Turquie, le TAF a relevé qu'à la suite de l'état d'urgence, décrété le 20 juillet 2016 (après le coup d'État manqué du 15 juillet 2016), l'application de la CEDH avait été suspendue par les autorités turques ; les garanties procédurales avaient été levées et l'indépendance du pouvoir judiciaire affaiblie au profit du pouvoir exécutif. Des vagues de licenciements et d'arrestations avaient eu lieu. Un ensemble de lois avait conduit notamment à des ingérences indues dans la liberté de la presse et dans les activités de défense des droits de l'homme, à l'emprisonnement d'activistes des droits de l'homme, de journalistes, de magistrats et de députés de l'opposition, en particulier du parti pro-kurde (pour des liens supposés avec le PKK), à l'absence d'enquêtes effectives et au développement de l'impunité à l'endroit de personnes ou autorités ayant agi en faveur du pouvoir exécutif en commettant des violations des droits de l'homme. L’Organisation des Nations Unies et diverses associations des droits humains avaient exprimé leurs craintes que le gouvernement turc, dans le cadre de l’état d’urgence, restreigne à grande échelle les droits de l’homme garantis par le droit international, et elles avaient d’ores et déjà relevé de nombreuses arrestations et purges politiques, notamment à l’égard de personnes engagées en faveur de la cause kurde, ayant des liens avec des mouvements pro-kurdes ou d’autres s’étant exprimées contre la répression. En août 2017, plus de quarante-six mille arrestations avaient été dénombrées depuis la tentative du coup d’État. Suite au référendum constitutionnel du 16 avril 2017, renforçant les pouvoirs présidentiels, l’état d’urgence avait été prolongé et, le 26 avril 2017, une nouvelle vague d’arrestations avait eu lieu, dans toutes les provinces de Turquie, concernant plus de mille personnes présumées partisanes d’un mouvement soupçonné d’être à l’origine du coup d’État (arrêts du TAF E-5057/2015 précité consid. 9.5 et les références citées ; E-4337/2014 du 24 août 2017 consid. 7.2 et les références citées ; E-3490/2014 du 16 mai 2017 consid. 8.4).

e. En l’espèce, le fait que certaines régions de Turquie soient actuellement le théâtre d’événements violents, tels que rapportés notamment dans les articles produits par le recourant, de même que la suspension de l’application de la CEDH et l’emprisonnement de militants des droits de l’homme, ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un risque concret et sérieux pour le recourant lui-même. Aucun élément au dossier ne démontre que l’exécution de son renvoi l’exposerait à un risque réel de torture ou de traitements prohibés ou contraires aux engagements de la Suisse relevant du droit international. En particulier, il n’a jamais établi ni même allégué avoir témoigné du moindre engagement politique, ou avoir présenté des affinités avec les mouvements pro-kurdes, affirmé des opinions ou exercé des activités qui le laisseraient apparaître comme un véritable opposant aux yeux des autorités turques. Sa seule origine kurde n’est pas suffisante à lui faire courir le risque réel, fondé sur des motifs sérieux et avérés, d’être exposé, sur tout le territoire turc, à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants.

Par conséquent, l’exécution du renvoi s’avère licite au sens de l’art. 83 al. 3 LEtr, et ce grief doit être écarté.

11) a. L'exécution de la décision peut ne pas être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEtr).

b. Cette disposition s'applique en premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre, de guerre civile et de violence généralisée et ensuite aux personnes pour qui un retour reviendrait à les exposer à un danger concret, notamment parce qu'elles ne pourraient plus recevoir les soins dont elles ont besoin ou qu'elles seraient, objectivement, au regard des circonstances d'espèce et selon toute probabilité, conduites irrémédiablement à un dénuement complet, exposées à la famine et ainsi à une dégradation grave de leur état de santé, à l'invalidité, voire à la mort. En revanche, les difficultés socio-économiques qui sont le lot habituel de la population locale, en particulier des pénuries de soins, de logement, d'emplois, et de moyens de formation, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle mise en danger (ATAF 2010/54 consid. 5.1 ; ATAF 2010/41 consid 8.3.6 ; arrêts du TAF D-5434/2009 du 4 février 2013 consid. 15.1 et E-5092/2013 du 29 octobre 2013 consid 6.1 ; ATA/827/2016 précité ; ATA/515/2016 du 14 juin 2016).

c. Dans un arrêt du 24 août 2017, le TAF a retenu que les affrontements qui avaient repris entre l’armée turque et le PKK dans le sud-est du pays et qui avaient fait depuis l’été 2015 plusieurs centaines de morts, voire plusieurs milliers, avaient essentiellement touché les provinces de Diyarbakir, Mardin, Siirt, Agri, Hakkari et Sirnak, ainsi que, à un moindre degré, celles de Kilis, Sanliurfa et Van. Les provinces de Tuncelli, Bingöl, Bitlis, Ardahan et Mus avaient été atteintes de manière sporadique (arrêt du TAF E-4337/2014 précité consid. 7.2 et les références citées).

Dans un arrêt ultérieur du 24 novembre 2017, le TAF a rappelé que, selon sa jurisprudence (ATAF 2013/2 du 15 mars 2013), seules les provinces de Hakkari et de Sirnak se trouvaient dans une situation de violence généralisée. En ce qui concernait toutefois les autres régions de l'Anatolie orientale et du sud-est et les provinces frontalières avec la Syrie, le seuil permettant d’accepter une situation de violence générale n’était pas atteint, malgré les tensions existantes et les incidents violents occasionnels, compte tenu également de la reprise du conflit turco-kurde et des affrontements armés entre le PKK et les forces de sécurité de l'État dans diverses provinces du sud-est et de l'évolution de la situation depuis le coup d’État (arrêt du TAF E-2730/2015 du 24 novembre 2017 consid. 7.2).

Selon la jurisprudence du TAF, la Turquie ne connaît pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée sur l'ensemble de son territoire qui permettrait d'emblée – et indépendamment des circonstances du cas d'espèce – de présumer, à propos de tous les ressortissants du pays, l'existence d'une mise en danger concrète au sens de l'art. 83 al. 4 LEtr. La reprise des hostilités entre les autorités turques et les combattants du PKK, et l'augmentation des attentats terroristes dans le pays ne démontrent ainsi pas l'existence d'une situation susceptible de mettre concrètement en danger toute la population du pays (arrêts du TAF D-5678/2017 du 13 octobre 2017 ; E-5057/2015 précité ; E-4337/2014 précité consid. 7.2 et les références citées). Le TAF a ainsi récemment considéré que l’exécution d’un renvoi était raisonnablement exigible concernant des ressortissants turcs d’ethnie kurde provenant des provinces de Mardin, Gaziantep et Kahramanmaras (arrêts du TAF D-5678/2017 précité ; E-5057/2015 précité; E-4337/2014 précité consid. 7.2).

d. En l’espèce, selon les informations accessibles et les documents produits par le recourant, aucun combat ou affrontement d’ampleur n’a été rapporté dans la région de Kemah, dans la province d’Erzincan, dont il est originaire.

Le recourant est majeur, jeune et au bénéfice d'une expérience professionnelle acquise à Genève. Il n'a pas non plus établi souffrir de problèmes de santé susceptibles, par leur gravité, de constituer un motif d'empêchement à l'exécution de son renvoi. Il dispose par ailleurs dans son pays d'origine de membres de sa famille, soit autant de facteurs qui devraient lui permettre de s'y réinstaller sans rencontrer des obstacles insurmontables. Ainsi, en dépit des difficultés politiques et socio-économiques sévissant en Turquie, aucun élément ne permet de retenir que l’exécution de son renvoi impliquerait une mise en danger concrète du recourant.

L’exécution du renvoi dans son pays d’origine est donc raisonnablement exigible.

Ce grief sera donc écarté.

12) Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement infondé, sera rejeté.

13) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2016 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 septembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pedro Da Silva Neves, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.