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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1515/2004

ATA/124/2005 du 08.03.2005 ( EP ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 15.04.2005, rendu le 07.09.2005, REJETE, 2A.220/2005
Descripteurs : ACQUISITION D'IMMEUBLES PAR DES PERSONNES A L'ETRANGER; BAIL A LOYER; RESILIATION; QUALITE POUR RECOURIR; INTERET ACTUEL
Normes : LFAIE.20 al.2
Résumé : Contestation de l'acquisition d'un immeuble par un étranger visant à faire reconnaître la nullité de la résiliation d'un bail. La résiliation ayant été retirée en cours d'instance, le Tribunal administratif a jugé le recours irrecevable faute d'intérêt actuel.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1515/2004-EP ATA/124/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 mars 2005

dans la cause

 

Monsieur M.__________

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE, DE L'EMPLOI ET DES AFFAIRES EXTÉRIEURES

et

Monsieur S.__________
représenté par Me Pascal Aeby, avocat

et

Monsieur le PROCUREUR GÉNÉRAL

 



1. Monsieur M.__________ est locataire depuis le 16 janvier 1980 d’un appartement de 4 pièces situé au 5ème étage d’un immeuble sis 22 rue __________ à Genève (ci-après : l’immeuble).

2. Le syndicat immobilier F.__________ (ci-après : le syndicat), créé le 5 juin 1968, était propriétaire de 221 actions de la société X.__________ S.A. (ci-après : la société immobilière), ce qui lui donnait droit à l’usage exclusif de l’immeuble. Ces actions constituaient le seul actif du syndicat.

3. En 1972, Monsieur S.__________, ressortissant italien, a acquis l’intégralité des parts du syndicat.

4. Le 28 juin 2002, dans le cadre de la liquidation du syndicat, M. S.__________ a acquis les 221 actions de la société immobilière. Consécutivement, il est devenu propriétaire de l’immeuble le 21 octobre 2002, avec effet au 1er juillet 2002.

5. M. S.__________ a été inscrit au Registre foncier en qualité de propriétaire de l’immeuble le 23 octobre 2002.

6. Le Comptoir genevois immobilier (ci-après : CGI), en charge de la gestion de l’immeuble, a informé M. M.__________ de l’identité de son nouveau propriétaire le 26 novembre 2002 .

7. Le 13 décembre 2002, CGI a résilié le contrat de bail de M. M.__________ pour le 31 janvier 2004, invoquant « le besoin personnel du propriétaire ».

8. Le 17 janvier 2003, M. M.__________ a initié une procédure civile en saisissant la commission de conciliation en matière de baux et loyers d’une requête en annulation de congé, subsidiairement de prolongation de bail.

9. M. M.__________ soupçonnait M. S.__________ d’être devenu propriétaire de l’immeuble en violation de la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE – RS 211.412.41). « Dans le but de faire constater le caractère illicite de cette acquisition et d’obtenir subséquemment, l’invalidation de la résiliation de son bail », M. M.__________ a requis le 10 juin 2003 du département de l’économie et de l’emploi et des affaires extérieurs (ci-après : le département) qu’il constate formellement que l’acquisition immobilière faite par M. S.__________ était soumise à cette loi et à son régime d’autorisation et que, partant, elle avait été effectuée en violation de cette législation.

10. Le département a ouvert une enquête administrative. Par requête du 27 juin 2003, il a sollicité du département des finances l’entraide administrative, afin de pouvoir consulter le dossier fiscal de M. S.__________. Il a également contacté l’office cantonal de la population pour obtenir des renseignements sur l’obtention par M. S.__________ d’un permis C, le 10 mars 2003. Enfin, M. S.__________ a été requis de se déterminer sur la réalité de son domicile en Suisse.

11. De juin 2003 à mars 2004, M. M.__________ a régulièrement complété sa requête initiale de nouveaux documents.

12. Par arrêté du 23 juin 2004, le département a constaté que l’acquisition par M. S.__________ en 1972 des parts du syndicat avait été faite en violation de l’arrêté fédéral instituant un régime d’autorisation pour l’acquisition d’immeubles par des personnes domiciliées à l’étranger alors en vigueur et que, partant, elle devait être frappée de nullité. Néanmoins, l’action en rétablissement de l’état antérieur prévue par l’article 27 LFAIE était prescrite. Enfin, l’acquisition par M. S.__________ de l’immeuble les 13 août et 21 octobre 2002 était déclarée non assujettie à la LFAIE.

13. Le 16 juillet 2004, M. M.__________ a recouru auprès du Tribunal administratif . Il conclut à l’annulation de l’arrêté entrepris et au renvoi du dossier au département.

La qualité pour recourir devait lui être reconnue. L’arrêté du département était insuffisamment motivé, ce qui consacrait une violation de son droit d’être entendu. M. S.__________ n’ayant pas constitué sa résidence principale en Suisse, il ne pouvait pas procéder à l’acquisition de l’immeuble en question, laquelle constituait un placement de capitaux prohibé par l’article 12 LFAIE. Enfin, l’action en rétablissement de l’état antérieur de l’article 27 LFAIE n’était pas prescrite à l’égard de l’acquisition opérée en 2002.

14. Le 17 août 2004, le département a conclu au rejet du recours.

Seule l’acquisition de 2002 conservait une pertinence au regard du cas à juger. M. S.__________ s’était constitué un domicile en Suisse dès 1997 ; partant il était autorisé à se porter acquéreur de l’immeuble conformément à la LFAIE et à l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes, entré en vigueur le 1er juin 2002 (RS 0.142.112.681).

15. M. S.__________ s’est déterminé le 20 août 2004 par l’intermédiaire de son conseil.

Le recourant n’avait ni la qualité de partie, ni la qualité pour recourir, dès lors qu’il ne faisait valoir qu’une atteinte à ses droits de locataire, sans rapport direct avec l’objet du litige, lequel consistait en la prétendue violation de la LFAIE par le département. De ce fait, son droit d’être entendu ne pouvait avoir été violé par le département. M. S.__________ était devenu valablement propriétaire de l’immeuble en 2002. L'achat des parts du syndicat, en 1972, n’avait eu aucune influence sur cette acquisition.

16. Par courrier du 20 août 2004, le Ministère public a pris acte du recours formé par M. M.__________. Il n’entendait formuler aucune observation. Il s’en rapportait, quant à la recevabilité, à l’appréciation du Tribunal administratif. Il conclut au rejet dudit recours.

17. Les parties ont comparu personnellement devant le Tribunal administratif, le 4 octobre 2004.

a. M. S.__________ a exposé qu’il consacrait son temps à rendre visite à des amis et à fréquenter les musées. Il se rendait aussi régulièrement en Italie pour voir sa famille, dont son fils et sa belle-fille. Sa femme avait des problèmes de santé. Elle était traitée à Francfort, notamment. Bien qu’il soit séparé de son épouse, le couple avait décidé, pour cette raison, de revivre ensemble. Depuis un mois, Mme S.__________ se trouvait en Australie, avec sa fille.

Le conseil de M. S.__________ a informé le juge délégué que le congé signifié à M. M.__________ avait été formellement retiré, M. S.__________ ayant trouvé un logement plus adéquat. Le Tribunal administratif devait se prononcer sur la qualité pour agir du recourant suite à ce retrait.

b. Le recourant a maintenu son recours. Il avait un intérêt juridique à faire constater que l’acquisition de l’immeuble était nulle, faute de quoi il encourait le risque qu’un nouveau congé lui soit signifié pour les mêmes raisons. Il a sollicité l’organisation d’un transport sur place, de même que l’apport à la procédure de tous les baux depuis 1999. Enfin, il a demandé qu’un second échange d’écritures soit ordonné, compte tenu du fait qu’il n’avait pas eu la possibilité de se prononcer sur les observations du département, ce à quoi le conseil de M. S.__________ s’est opposé, estimant que le recourant avait amplement pu s’exprimer.

c. Le juge délégué a imparti au recourant un délai échéant le 30 octobre 2004 pour se déterminer sur sa qualité pour agir après le retrait du congé. Un délai au 30 novembre a également été fixé à M. S.__________ pour dupliquer.

18. Le 29 octobre 2004, le recourant a maintenu ses conclusions. Il avait non seulement la qualité pour recourir, mais également la qualité de partie. En dépit du retrait de la résiliation de bail opéré par M. S.__________, il conservait un intérêt personnel, direct et actuel à recourir contre l’arrêté entrepris, puisque l’admission du recours le mettrait à l’abri de toute nouvelle résiliation de bail que pourrait opérer M. S.__________ à son encontre.

19. M. S.__________ a maintenu ses conclusions le 26 novembre 2004. Il a demandé qu’une amende pour téméraire plaideur soit prononcée à l’encontre du recourant. Etant donné le retrait de la résiliation du bail, ce dernier n’avait plus d’intérêt actuel à recourir.

20. Le département a remis ses observations le 3 décembre 2004.

Lors de l’audience de comparution personnelle du 4 octobre 2004, M. S.__________ avait porté son choix sur un appartement autre que celui du recourant et avait de ce fait retiré la résiliation de bail. Par conséquent, le recourant n’avait plus la qualité pour recourir, faute d’un intérêt actuel, et devait être débouté.

21. Par jugement du 24 janvier 2005, le Tribunal des baux et loyers a donné acte à M. S.__________ du retrait du congé notifié le 13 décembre 2002 au recourant et a constaté que la procédure civile n’avait dès lors plus d’objet.

22. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Le Tribunal administratif examine d’office et librement la recevabilité du recours.

a. À teneur de l’article 20 alinéa 2 lettre a LFAIE, ont qualité pour recourir l’acquéreur, l’aliénateur et toute autre personne ayant un intérêt digne de protection à ce que la décision soit annulée ou modifiée. La notion d’intérêt digne de protection doit être comprise de la même manière que celle qui résulte de l'application des dispositions sur la qualité pour agir des articles 48 lettre a et 25 alinéa 2 de la loi sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (LPA - RS 172.021) et de l'article 103 lettre a de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (LOJ - RS 173.110) (ATF 114 V 201 ; ATA/157/1997 du 4 mars 1997). La portée de cette dernière disposition n'est, au demeurant, pas différente de celle de l'article 60 lettre b LPA (ATA/02/2002 du 8 janvier 2002 ; ATA P. et G. S. A. du 9 août 1994 et arrêts cités).

b. L’intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (ATA/2/2002 du 8 janvier 2002 et les références citées). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours sera déclaré sans objet (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53; 111 Ib 58 consid. 2 et les références citées; ATA/270/2001 du 24 avril 2001; ATA/295/1997 du 6 mai 1997; ATA/899/2004 du 16 novembre 2004 ; ATA/28/1997 du 15 janvier 1997; A. GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 900 ).

c. La condition de l’intérêt actuel fait défaut en particulier lorsque, par exemple, la décision ou la loi est annulée en cours d’instance (ATF 111 Ib 185; 110 Ia 140; 104 Ia 487), la décision attaquée a été exécutée et a déployé tous ses effets (ATF 125 I 394 précité ; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166 et les références citées), le recourant a payé sans émettre aucune réserve la somme d’argent fixée par la décision litigieuse ou encore, en cas de recours concernant une décision personnalissime, lorsque le décès du recourant survient pendant l’instance (P. MOOR, Droit administratif, Berne 1991, p. 642; ATF 113 Ia 352).

En pareil cas, le recours, toujours recevable à la forme, devient sans objet ; il doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 374 consid. 1 ; 118 Ib 7 consid. 2 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd. 1991, chiffres 1967, 1968 et 1985, pp. 408 et 409, 412; F. GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2ème éd., 1983, para 15/3.1 et 3.2, p. 154, para. 37/2 p. 326) ou peut être déclaré irrecevable (ATA/665/2004 du 24 août 2004 et les références citées).

d. L'exigence de l'intérêt actuel est exceptionnellement abandonnée lorsque le recourant pourrait être touché à nouveau par une décision analogue et qu'il ne bénéficierait, partant, jamais de la possibilité effective de soumettre celle-ci à un contrôle ou encore lorsque le recours pose une question de principe, dont la solution présente un intérêt important (ATA/34/2004 du 13 janvier 2004 ; B. BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 352 et les références citées). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 127 I 115, consid. 3c p.118).

2. En l’absence de « toute action populaire » en droit suisse, le seul intérêt du recourant en l’espèce est de faire constater le caractère illicite de l’acquisition immobilière de M. S.__________ afin « d’obtenir subséquemment, l’invalidation de la résiliation de son bail ». Cependant, en retirant l’avis de résiliation du bail en cours de procédure, M. S.__________ a du même coup enlevé tout intérêt actuel au présent recours.

En alléguant que M. S.__________ pourrait à l’avenir prononcer une nouvelle résiliation pour besoin personnel, le recourant perd de vue que ce grief repose sur un fondement purement hypothétique, incompatible avec la notion d’intérêt actuel.

En outre, il n'y a pas lieu de faire application de la jurisprudence par laquelle le Tribunal administratif renonce, de manière exceptionnelle, à l'exigence de l'intérêt actuel, en tant que les conditions d'application de cette pratique ne sont nullement réalisées en l’occurrence. D'une part, le cas d'espèce ne porte pas sur une problématique d'ordre général, dont il ne serait jamais possible d'examiner la légalité sans renoncer à l'exigence de l'intérêt actuel. D'autre part, le présent litige, ne met en cause aucune question de principe, dont la résolution appellerait de manière impérieuse une réponse au fond. Par conséquent, faute d’intérêt actuel, le recours sera déclaré irrecevable.

3. Au vu de l'issue du litige, un émolument de procédure, en CHF 1’500.-, sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA). En revanche, il n'y a pas lieu de condamner le recourant à une amende pour téméraire plaideur (art. 88 LPA).

déclare irrecevable le recours interjeté le 16 juillet 2004 par Monsieur M.__________ contre la décision département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures du 23 juin 2004;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi;

communique le présent arrêt à Monsieur M.__________ ainsi qu'au département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures, au conseil de Monsieur S.__________ ainsi qu’à Monsieur le Procureur général et à l’office fédéral de la justice.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :