Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2630/2019

ATA/1229/2019 du 13.08.2019 ( MARPU ) , ADMIS

Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;SOUMISSIONNAIRE;PRIX;COMPARAISON DE PRIX;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : AIMP.1; AIMP.11; RMP.40.al2; RMP.41; RMP.42.al1.lete
Parties : UNLIMITED PERSPECTIVE SA / METALOID SA, DIRECTION DES RENOVATIONS ET TRANSFORMATIONS
Résumé : En présence d’une offre anormalement basse, l’autorité adjudicatrice doit demander des renseignements complémentaires au soumissionnaire concerné. L’autorité doit formellement l’interpeller afin qu’il s’explique et justifie son prix. Faute de l’avoir fait dans le cas d’espèce, l’autorité a violé le droit d’être entendu de la société recourante. La décision contestée, en tant qu’elle exclut l’offre de la recourante et qu’elle attribue le marché à une autre société, est annulée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2630/2019-MARPU ATA/1229/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 août 2019

 

dans la cause

 

UNLIMITED PERSPECTIVE SA
représentée par Me Julien Pacot, avocat

contre

 

DÉPARTEMENT DES INFRASTRUCTURES

et

METALOÏD SA



EN FAIT

1. Le 21 février 2019, l'office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA ou office), qui fait partie du département des infrastructures (ci-après : le DI ou le département), a publié dans le système d'information sur les marchés publics en Suisse simap.ch (ci-après : SIMAP) un appel d'offres, en procédure ouverte et soumis à l'accord GATT/OMC et aux accords internationaux, avec délai de dépôt au 4 avril 2019, pour la rénovation des salles et accès publics de l'Hôtel-de-Ville à Genève, lot 31 / CFC 221.4 - fenêtres en métal léger.

À teneur du ch. 4.7 du dossier d'appel d'offres, les critères d'adjudication étaient le prix de l'offre, y compris celui de la maintenance (40 %), les références et expériences (30 %), l'organisation pour l'exécution du marché et qualité technique de l'offre (25 %) et la formation professionnelle (5 %).

Il n'était pas prévu de procéder à une ouverture publique des offres ; le procès-verbal de cette ouverture pouvait être obtenu uniquement sur demande écrite adressée à l'adjudicateur après le 15 avril 2019.

2. Le 4 avril 2019, jour de clôture du délai pour le dépôt des offres, l'OCBA avait reçu cinq offres, dont l'une a été écartée sans que cela ne soit contesté.

Unlimited Perspective SA (ci-après : Unlimited) avait déposé une offre pour la somme totale de CHF 211'586.40 TTC, les autres offres étant de CHF 460'000.- pour la société Metaloïd SA (ci-après : Metaloïd), CHF 512'443.- et CHF 546'298.25 TTC pour la plus onéreuse.

3. Par courriel du 8 avril 2019 et à la demande de l'OCBA, Unlimited a remis l'attestation LPP requise, après quoi l'assistante administrative de l'office lui a notamment écrit « Tout est donc en ordre et votre offre est recevable ».

4. Le 6 mai 2019, Unlimited a été auditionnée par l'office. Les questions qui lui avaient été posées visaient à vérifier que certains prix annoncés comprenaient certaines variantes, que certains prix étaient aussi valables pour d'autres postes que celui strictement mentionné, que le prix annoncé correspondait aux prestations demandées et que certaines prestations étaient incluses dans le prix annoncé. Selon le procès-verbal, six questions ont été posées, lesquelles ont toutes reçues la réponse « oui » sans autre commentaire.

5. a. Par courrier électronique du 4 juin 2019 adressé à tous les candidats, l'OCBA leur a posé les questions suivantes :

« - Quel est le ratio fourniture / d'oeuvre (sic) dans le prix offert à l'article 121 [ Fourniture et pose de fenêtres selon l'intégralité des spécificités présentes dans le poste 100 ] ?

- Quel est le nom du fournisseur des cadres décrits à l'article 100 de la soumission ?

- Quel est le modèle du cadre fourni ? »

b. Le 6 juin 2019, Unlimited a répondu :

« - Fourniture 60 %, pose 40 %

- Panoramah!

- PH38 »

Elle soulignait qu'elle était l'une des seules entreprises spécialisées et dédiées uniquement au développement et à l'installation de ce type de système, et que la plupart des autres concepteurs sous-traitaient la pose des produits à des entreprises de serrurerie générale.

c. De son coté, Metaloïd a répondu :

« - le ratio fourniture/main-d'oeuvre s'élève à environ 40 % pour la fourniture pour 60 % la main-d'oeuvre (personnel qualifié).

- C'est la société Suisse Vitrocsa, qui créé se profils (sic), ses ferrements et réalise l'intégralité des cadres dans leurs ateliers à Neuchâtel. Un service après-vente local, permet de garantir le bon entretien des ouvrages dans le temps.

- Le modèle fourni est la gamme TH+ testé minergie sur bancs d'essais Suisse. »

6. a. Par courrier électronique, l'OCBA a demandé à Unlimited et à deux autres candidats de bien vouloir indiquer le nombre d'heures de pose prévu pour le prix offert à l'article 121 « fourniture et pose de fenêtres selon l'intégralité des spécifications présentes dans le poste 100 » ?

b. Le 17 juin 2019, Unlimited a indiqué qu'elle avait prévu 204 heures de pose (treize journées avec une équipe de deux poseurs).

c. Metaloïd a répondu, le 26 juin 2019 :

« Suite à une évaluation sur site, étude approfondie du projet de vos demandes, dépose des vitraux existants et emballage, réalisation à l'échelle du prototype posé sur site, nous avons estimé :

-            Pose des 12 châssis fixes Vitrocsa.

-            Pose des 12 motorisations et contrepoids.

-            Pose des châssis aluminium guillotines et mise en place des 24 verres spéciaux de lourdes charges Okalux.

-            Mise en fonction, finitions.

-            Trajets.

816 heures à deux monteurs, en moyenne (soit 68 heures par fenêtre à deux) dont une grosse intervention à six poseurs pour la manipulation et pose des gros verres (compris dans les 816 heures). »

7. Selon une note rédigée le 18 juillet 2019 par une cheffe de service de l'OCBA, elle avait eu, le 18 juin 2019, un entretien téléphonique avec Unlimited. Cette entreprise avait indiqué que le prix du transport était également inclu dans le prix de l'offre, les coûts étant mutualisés pour différentes livraisons à destination de la Suisse, en provenance du Portugal, sans toutefois donner davantage d'explications à ce sujet.

8. Un rapport d'adjudication a été établi par l'OCBA avec son mandataire et validé le 4 juillet 2019.

S'agissant de l'analyse de la crédibilité des prix, l'offre d'Unlimited était de 51 % inférieure à la seconde offre et de 28 % au montant prévu au devis général. Les écarts pour la fourniture et pour la pose n'étaient pas justifiés. Une partie des prestations effectuées en l'occurrence au Portugal présentait un risque élevé de sous-enchère. Cette offre devait être écartée car anormalement basse.

Il était proposé d'adjuger le marché à Metaloïd.

9. Les offres des trois soumissionnaires autres qu'Unlimited ont fait l'objet d'un « tableau justificatif des notes » avec des commentaires.

10. Par décision du 5 juillet 2019, l'OCBA a informé Unlimited qu'après vérification de son dossier par rapport aux conditions de participation, le DI avait écarté son offre, laquelle était anormalement basse et dont les justificatifs étaient insuffisants, et avait adjugé le marché en cause à Metaloïd, pour le montant total de CHF 456'468.71 TTC avec le contrat de maintenance.

Était annexé un tableau multicritères, dans lequel l'offre d'Unlimited n'était pas notée.

11. Interpellé par Unlimited le 8 juillet 2019, l'OCBA, par courrier du 9 juillet 2019, a indiqué que les justificatifs insuffisants étaient principalement le manque d'indications permettant de justifier le prix de revient de la fourniture, y compris de son transport, de même que le nombre d'heures nécessaires à la pose des fenêtres. Dès lors que son offre avait été écartée, elle n'apparaissait pas dans le tableau multicritères.

12. Par acte déposé le 11 juillet 2019 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Unlimited a formé recours contre cette décision, concluant préalablement à des mesures superprovisionnelles et provisionnelles, ainsi qu'à l'octroi de l'effet suspensif au recours, au fond, principalement à l'annulation de ladite décision et, cela fait, au renvoi de la cause à l'office afin qu'il rende une nouvelle décision d'adjudication.

Elle avait répondu, de manière complète et limpide, aux questions de l'OCBA. Ce dernier n'avait jamais sollicité des justificatifs, notamment à la suite de sa réponse du 17 juin 2019 selon laquelle elle avait prévu 204 heures (treize journées avec une équipe de deux poseurs) pour la pose prévue dans le prix offert à l'art. 121 (« Fourniture et pose de fenêtres selon l'intégralités des spécifications présentes dans le poste 100 »). L'office avait donc constaté les faits de manière inexacte.

Elle pouvait de bonne foi considérer, depuis le 8 avril 2019, que son dossier de soumission était complet et recevable. En outre, il n'était aucunement prouvé que les informations complémentaires demandées à Unlimited l'avaient été également aux autres soumissionnaires. Plusieurs règles des marchés publics, en particulier les art. 16 al. 2 et 27 let. e du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), étaient violées.

13. Par lettre du 12 juillet 2019, le juge délégué de la chambre administrative a interdit à l'OCBA de conclure le contrat d'exécution de l'offre jusqu'à droit jugé sur la requête de restitution de l'effet suspensif.

14. Le 17 juillet 2019, Metaloïd a conclu au refus de la restitution de l'effet suspensif et au rejet du recours.

Le nombre d'heures de travail prévu par la recourante ne correspondait pas du tout à la réalité et donnait à penser qu'il avait été sous-évalué. Pour sa part, Metaloïd estimait le nombre d'heures nécessaires à plus de 800.

15. Le 18 juillet 2019, l'OCBA s'est déterminé tant sur la question de la restitution de l'effet suspensif que sur le fond du recours.

Ce dernier devait être déclaré irrecevable, dès lors qu'Unlimited n'avait visé que la décision d'adjudication dans son recours, et conclu à son annulation sans remettre en question la décision qui écartait son offre.

La demande de restitution de l'effet suspensif devait être rejetée au vu des faibles chances de succès du recours et de l'urgence à terminer les travaux, la salle de l'Hôtel-de-Ville devant accueillir les séances du Grand Conseil du canton de Genève et celles du conseil municipal de la Ville de Genève.

Au fond, l'offre d'Unlimited était anormalement basse. Elle était inférieure de plus de 51 % à l'offre de Metaloïd, avec le deuxième prix, et de 28 % à l'estimation de l'OCBA, de CHF 311'044.-. Cette société devait s'attendre à la suite de l'ouverture des offres, à ce que des vérifications approfondies soient effectuées. Les informations obtenues n'étaient pas suffisamment convaincantes pour justifier une offre anormalement basse, qu'il s'agisse du nombre d'heures nécessaire à la pose des fenêtres ou au coût du transport, effectué depuis le Portugal.

La procédure prévue par la législation sur les marchés publics en cas d'offre anormalement basse avait été respectée, au vu des demandes d'information complémentaires adressées à la recourante.

Deux personnes, soit le chef de projet chargé du suivi au sein de l'OCBA et le mandataire en charge de la direction des travaux, devaient être entendues dans le cadre de l'instruction du dossier.

16. Le 29 juillet 2019, Unlimited a exercé son droit à la réplique, maintenant ses conclusions initiales tant sur effet suspensif qu'au fond.

La décision du 5 juillet 2019 était visée par le recours, même s'il aurait été préférable de parler de décision d'exclusion plutôt que de décision d'adjudication. Ce courrier était intitulé « offre écartée et décision d'adjudication ».

L'OCBA n'avait jamais sollicité plus de détails à réception des réponses données par la recourante, alors même que cette dernière avait indiqué être à disposition si nécessaire.

Son offre ne pouvait être écartée avant que l'OCBA ne lui ait demandé des explications complémentaires que cet office jugeait nécessaire.

17. Sur quoi, la cause a été gardée à juger tant sur effet suspensif qu'au fond, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

1) a. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vues (art. 15 al. 1, al. 1bis let. e et al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi du 12 juin 1997 autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'AIMP - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. e et 56 al. 1 RMP ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2 1ère phr.).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/1307/2018 du 5 décembre 2018 consid. 1d ; ATA/1243/2017 du 29 août 2017 consid. 2a ; ATA/518/2017 du 9 mai 2017 consid. 2a).

En l'espèce, la chambre administrative relèvera en premier lieu que la décision litigieuse était intitulée « offre écartée et décision d'adjudication ». Les conclusions du recours, certes imprécises puisqu'elles mentionnent la décision d'adjudication, ne sont pas équivoques et permettent de saisir sans ambiguïté la volonté de la recourante, soit l'annulation de la décision d'écarter son offre puis de voir cette dernière être évaluée avant le prononcé de l'adjudication.

c. En définitive, le recours est recevable.

2) L'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l'accord GATT/OMC ainsi que de l'accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let.  c AIMP) et permettre l'utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

3) Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à plusieurs reprises (ATA/970/2019 du 4 juin 2019 et les références citées). L'autorité adjudicatrice doit ainsi procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme. L'interdiction du formalisme excessif, tirée des garanties des art. 9 et 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), de même que le principe de la proportionnalité, interdisent cependant d'exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité (arrêt du Tribunal fédéral 2P.219/2003 du 17 juin 2005 consid. 3.3 ; ATA/457/2011 du 26 juillet 2011 ; Olivier RODONDI, Les critères d'aptitude et les critères d'adjudication dans les procédures de marchés publics, RDAF 2001 I 237). L'interdiction du formalisme excessif ne saurait toutefois porter atteinte aux principes d'intangibilité des offres et d'égalité de traitement entre soumissionnaires, qui limitent le droit de requérir des précisions après le dépôt des offres (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2010 et 2C_198/2010 précités consid. 6.1).

4) En présence d'une offre qui serait anormalement basse, l'autorité adjudicatrice a l'obligation, selon l'art. 41 RMP, de demander des renseignements complémentaires au soumissionnaire concerné (arrêt du Tribunal fédéral 2D_44/2009 du 30 novembre 2009 consid. 4 ; ATA/633/2008 du 16 décembre 2008), et cela dans la forme prévue à l'art. 40 al. 2 RMP, soit en principe par écrit, et s'ils sont recueillis au cours d'une audition, en établissant un procès-verbal signé par les personnes présentes. C'est seulement si le soumissionnaire n'a pas justifié les prix d'une telle offre, conformément à l'art. 41 RMP, que son offre doit être écartée d'office et qu'elle ne participe pas à la phase d'évaluation des offres (art. 42 al. 1 let. e RMP). Une offre particulièrement favorable, le cas échéant même si elle est inférieure au prix de revient, n'est pas impérativement à exclure si les renseignements fournis par le soumissionnaire permettent de conclure qu'il est capable d'exécuter à satisfaction les travaux mis en soumission et qu'il remplit les critères d'aptitude et les conditions légales réglementant l'accès à la procédure (ATF 141 II 353 consid. 8.3.2 ; 130 I 241 consid. 7.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_876/2014 du 4 septembre 2015 consid 8.3.2, 2D_44/2009 précité, consid. 3.2.1 ; 2P_70/2006 et 2P_71/2006 du 23 févier 2007 consid. 4.3 ; Etienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p. 195 n. 313 ; Peter GALLI /André MOSER/Elisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrecht, 2013, p. 517).

Si le prix proposé apparaît trop bas, en particulier parce qu'il s'écarte de plus de 30 % de la moyenne des offres rentrées ou du prix « juste » déterminé à l'avance par le pouvoir adjudicateur, le soumissionnaire doit être formellement interpellé pour s'expliquer et justifier le prix avantageux qu'il offre ; dans l'hypothèse où les renseignements obtenus de sa part ne seront pas convaincants et laissent apparaître un risque d'insolvabilité, leur offre pourra être écartée (Bertrand REICH, le prix, in Aktuelles Vergaberecht 2016 / Marchés publics 2016, n. 61 p. 440). L'élément essentiel pour fonder la décision est la capacité du soumissionnaire à exécuter l'offre dans le respect de l'appel d'offres et des exigences légales, et non pas la couverture de ses frais (arrêt ADM 119/2012 de la Cour administrative du canton du Jura du 21 novembre 2013, cité par DC/BR 2014 p. 204).

5) En l'espèce, l'offre de la recourante, du fait de son prix, a été considérée à juste titre par l'autorité adjudicatrice comme étant anormalement basse. Il appartenait dès lors à cette autorité de mettre en oeuvre le processus de vérification et de droit d'être entendu de la recourante, ainsi que rappelé ci-dessus.

Elle aurait dû être formellement informée des doutes de l'OCBA, et invitée à justifier ses prix, son aptitude à respecter l'appel d'offres, et cela aussi du point de vue des exigences sociales mentionnées dans ce dernier.

Les questions posées à la recourante, que cela soit par courrier électronique ou par téléphone, ne répondent pas à ces exigences. Dans le cadre des courriers électroniques, la recourante était invitée à répondre à des questions précises, dont rien n'indiquait que les réponses devaient être justifiées et comporter plus d'informations que les éléments objectifs demandés. S'agissant des frais de transport, la situation est semblable.

La formulation des questions posées invitait la société à transmettre des informations, et non des justifications.

Cela est d'autant plus vrai qu'elle n'a jamais été informée formellement du fait que son offre était nettement inférieure à celle de ses concurrents. La possibilité d'accéder au prix proposé par les autres candidats était limitée, dès lors que l'ouverture des offres n'était pas publique et que, si le procès-verbal d'ouverture pouvait être demandé par écrit (cf article 4.5 du dossier d'appel d'offres), aucune demande de ce type ne figure dans le dossier.

6) Il ressort des éléments qui précèdent que, lors de la prise de la décision d'écarter l'offre de la recourante, cette dernière n'a pas pu exercer son droit d'être entendue dans le respect des exigences jurisprudentielles.

En conséquence, la décision litigieuse, tant en ce qu'elle exclut l'offre de la recourante, qu'en ce qu'elle attribue le marché à Metaloïd, sera annulée.

Le dossier sera retourné à l'autorité intimée afin que cette dernière donne à la recourante la possibilité de justifier son offre pour l'ensemble des éléments apparaissant problématiques à l'autorité. Une fois cette possibilité d'être entendu donnée, il appartiendra à l'OCBA de statuer à nouveau, dans le respect des principes rappelés ci-dessus. Il pourra alors soit à nouveau exclure - par une décision formelle et motivée - l'offre de la recourante, soit l'évaluer, puis prononcer une nouvelle décision d'adjudication.

7) Au vu de cette issue, une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, à la charge de l'État de Genève. Aucun émolument ne sera mis à la charge de Metaloïd bien qu'elle succombe, au vu des spécificités de la procédure (art. 87 al. 1 et al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 juillet 2019 par Unlimited Perspective SA contre la décision du département des infrastructures du 5 juillet 2019 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision d'exclusion et d'adjudication du département des infrastructures du 5 juillet 2019 ;

renvoie le dossier au département des infrastructures au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à Unlimited Perspective SA, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Julien Pacot, avocat de la recourante, au département des infrastructures, ainsi qu'à Metaloïd SA.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :