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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3734/2008

ATA/633/2008 du 16.12.2008 ( FOND ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ; MARCHÉS PUBLICS ; APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS) ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; PRIX ; ERREUR ; INADVERTANCE MANIFESTE
Normes : RMP.7 ; RMP.39.al1 ; RMP.39.al2 ; RMP.41 ; AIMP.7 ; AIMP.8
Parties : SEICAL SARL / GATTO S.A., FONDATION LA "VESPERALE"
Résumé : En présence d'une offre anormalement basse, l'adjudicateur est dans l'obligation de demander des explications complémentaires au soumissionnaire. En octroyant le marché à un tiers, sans l'avoir fait, il a violé le droit de la recourante. Ce vice grave ne pouvant être réparé devant lui, le tribunal de céans annulera la décision d'adjudication et retournera le dossier à l'adjudicatrice.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3734/2008-MARPU ATA/633/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 16 décembre 2008

 

dans la cause

 

SEICAL SARL
représentée par Me Romain Jordan, avocat

 

contre

 

 

FONDATION "LA VESPÉRALE"

représentée par Me Julien Blanc, avocat

 


et

 

GATTO S.A.

appelée en cause

 

 


EN FAIT

1. La fondation pour l'exploitation de pensions pour personnes âgées « La Vespérale » (ci-après : la fondation) est une fondation de droit public qui a pour but la construction, la gestion et l'exploitation, sur le territoire du canton de Genève, de pensions, homes ou foyers d'accueil pour personnes âgées.

2. Par avis d'appel d'offres publié le 28 avril 2008 dans la Feuille d’avis officielle (ci-après : FAO), la fondation a mis au concours, en procédure ouverte, l'exécution de carrelages et de revêtements de parois en céramique dans le cadre de la construction d'un établissement médico-social (ci-après : EMS) de 73 lits.

3. Six entreprises ont déposé une offre dans le délai imparti, à savoir :

SEICAL Sàrl

CHF 198'000.-

GATTO S.A.

CHF 212'937.55

JACQUES MASSON S.A.

CHF 214'083.-

BAGATTINI S.A.

CHF 214'275.70

BONVIN REVÊTEMENTS S.A.

CHF 230'264.-

DI CHIARA S.A.

CHF 256'309.50

 

4. Par décision du 8 octobre 2008, la fondation a adjugé le marché à GATTO S.A., pour un montant de CHF 213' 475,50, au motif qu'il s'agissait de l'offre la plus avantageuse selon les critères annoncés. Cette décision a été publiée dans la FAO le 13 octobre 2008, avec indication du délai et de la voie de recours.

5. Par acte déposé le 20 octobre 2008 auprès du Tribunal administratif, SEICAL Sàrl (ci-après : SEICAL) a recouru contre la décision susmentionnée, concluant principalement à son annulation et à l'adjudication du marché à elle-même. Préalablement, elle a demandé de constater que le recours avait effet suspensif, subsidiairement de le lui accorder.

La décision attaquée n'était pas motivée, de sorte qu'il n'était pas possible de savoir selon quels critères elle avait été prise. En particulier, le montant des offres figurant dans le procès-verbal d'ouverture de celles-ci ne correspondait pas à celui retenu dans l'adjudication. Or, sauf en cas de procédure de gré à gré, qui n'était pas applicable en l'espèce, aucune négociation sur les prix n’était autorisée entre l'autorité adjudicatrice et les soumissionnaires.

6. Le 20 octobre 2008, le juge délégué a appelé en cause l'adjudicataire et a fixé à celui-ci et à la fondation, un court délai pour se déterminer sur l'effet suspensif.

7. Le 28 octobre 2008, la fondation s'est opposée à la restitution de l'effet suspensif au recours de SEICAL. Dès la première séance d'examen des offres, une erreur avait été constatée dans celle de SEICAL, qui proposait le carrelage et la faïence à un prix manifestement trop bas, soit CHF 18.- par mètre carré, alors que l'ensemble de ses concurrents avait fixé le prix de ces fournitures entre CHF 25.- et CHF 30.- le mètre carré. Un alignement de tous les offrants sur le prix catalogue réel des fournitures concernées, soit CHF 30.- pour les carrelages et CHF 27, 88 pour les faïences, avait été effectué. Dès lors, l'offre de SEICAL s'était retrouvée au quatrième rang, la première place étant désormais tenue par GATTO S.A. C'est à cette dernière que le marché avait été finalement attribué.

8. GATTO S.A. ne s'est pas déterminée.

9. Le 29 octobre 2008, réagissant à la transmission des écritures susmentionnées, SEICAL a persisté dans ses conclusions sur effet suspensif.

10. Par décision du 6 novembre 2008, le vice-président du Tribunal administratif a restitué l'effet suspensif au recours. Celui-ci n'apparaissait pas d'emblée dépourvu de chances de succès, vu les modalités d'adjudication décrites par la fondation. Un délai était imparti à SEICAL pour transmettre les justificatifs des prix des fournitures mentionnées dans son offre.

11. Par courrier du 12 novembre 2008, SEICAL indiqué au juge délégué qu'elle estimait que la production des justificatifs demandés n'était pas pertinente au stade actuel de la procédure et, par ailleurs, la forcerait à révéler à un concurrent les détails de ses arrangements avec ses fournisseurs.

12. Le 14 novembre 2008, le Tribunal administratif a invité SEICAL à produire les pièces requises. Elle avait l'obligation de collaborer en application de l'article 22 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et la protection du secret des affaires pouvait être assurée dans ce cadre.

13. Le 25 novembre 2008, SEICAL a produit les justificatifs des prix des fournitures mentionnées dans son offre. Un document mettait en évidence la fourniture des matériaux litigieux au prix de CHF 18.- le mètre carré.

14. Le 28 novembre 2008, la fondation s'est déterminée sur le fond du recours, concluant à son rejet. Elle reprenait, en la développant, son argumentation précédente. SEICAL n'avait pas sollicité la motivation de la décision querellée, de sorte que l'autorité adjudicatrice n'était pas tenue d'expliquer de manière détaillée les motifs qui l'avaient amenée à écarter une offre. Il apparaissait clairement que l'entreprise SEICAL avait commis une erreur sur la fixation du prix des fournitures.

15. GATTO S.A. n'a pas présenté d'observations.

16. Le 2 décembre 2008, le Tribunal administratif a informé la fondation et l'adjudicataire que SEICAL avait produit l'offre de son fournisseur fixée à CHF 18.- le mètre carré. La pièce produite n'était pas consultable.

Les parties étaient informées que la cause était gardée à juger en l'état.

EN DROIT

1. a. L'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) entré en vigueur pour Genève le 9 décembre 1997 s'applique notamment à la passation des marchés publics en matière de constructions dont la valeur-seuil totale estimée s'élève à CHF 9'575'000.- hors taxes pour les ouvrages (art. 7 AIMP ; annexe 1), la fondation, entité de droit public, étant un pouvoir adjudicateur (art. 8 al. 1 let a AIMP ; art. 7 al. 1 let a du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP- L 6 05.01).

En l'espèce, la valeur de l'ensemble de l'ouvrage est supérieur à CHF 20'000'000.- et dépasse ainsi la valeur-seuil précitée.

b. Les modifications du 30 novembre 2006 apportées à la loi autorisant le Conseil d'Etat à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (LAIMP - L 6.05.0), portant sur l'adhésion à l'AIMP dans sa version du 15 mars 2001, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2008, de même que le RMP.

En l'espèce, l'appel d'offres a été publié le 28 avril 2008, de sorte que c'est le nouveau droit qui est applicable.

c. Le recours contre les décisions d'adjudication doit être interjeté auprès du Tribunal administratif dans un délai de 10 jours dès la notification de celle-ci (art. 15 al. 2 AIMP ; art. 56 al. 1 RMP ; art. 63 al. l litt b LPA) auprès du Tribunal administratif (art. 56B al. 4 litt c de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 LAIMP et 15 AIMP).

Le recours est ainsi recevable.

2. Le Tribunal administratif a ordonné à la recourante de lui transmettre une pièce qui doit être traitée de manière confidentielle dans le cadre de la procédure d'adjudication. La production n'étant pas volontaire, ladite pièce peut être soustraite à la consultation des autres parties (art. 45 al. 1 et 3 LPA). Son contenu essentiel ayant été porté à la connaissance de ces dernières, elle peut être utilisée, cas échéant, à leur désavantage (art. 45 al. 3 LPA).

3. La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue.

Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2a et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41ss LPA) et le droit administratif spécial (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.742/1999 du 15 février 2000 consid. 3a ; ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 1998 publié in RDAF 1999 II 97 consid. 5a p. 103). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) qui s’appliquent (Arrêts du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2b ; 1P.545/2000 du 14 décembre 2000 consid. 2a et les arrêts cités ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 198).

Tel qu’il est garanti par l’article 29 alinéa 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 et les arrêts cités). La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a également déduit du droit d’être entendu le droit d’obtenir une décision motivée. Cette exigence vise à ce que le justiciable puisse comprendre la décision dont il est l’objet et exercer ses droits de recours à bon escient. Elle vise également à permettre à l’autorité de recours d’exercer son contrôle. Il suffit que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle fonde sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. Elle n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 124 II 146 consid. 2 p. 149 ; 122 IV 8 consid. 2c p. 14 ; ATA/126/2007 du 20 mars 2007 ; ATA/595/2006 du 14 novembre 2006 ; ATA/140/2006 du 14 mars 2006 ; ATA/875/2004 du 9 novembre 2004).

En matière de marchés publics, cette obligation se manifeste par le devoir qu’a l’autorité d’indiquer au soumissionnaire évincé les raisons du rejet de son offre (J.-B. ZUFFEREY/C. MAILLARD/N. MICHEL, Le droit des marchés publics, Fribourg 2002, p. 256). Ce principe est concrétisé par les articles 13 lettre h AIMP et 45 RMP, qui prévoient que les décisions d'adjudication doivent être sommairement motivées.

En l'espèce, la décision attaquée comporte une motivation sommaire, à savoir que l'offre retenue était la plus avantageuse selon les critères annoncés. Le montant de ladite offre étant également publié, la recourante disposait ainsi des éléments minimaux pour contester sa mise à l'écart. Elle ne s'y est pas trompée, puisqu'elle a saisi le tribunal de céans. La décision querellée satisfait ainsi à l'exigence peu élevée posée par l'AIMP et le RMP en matière de motivation.

4. Il convient d'examiner si l'intimée a, à juste titre, estimé que l'offre de la recourante contenait une erreur dans le prix des fournitures dans la mesure où celui-ci était beaucoup plus bas que ceux des autres soumissionnaires.

A teneur de l'article 39 alinéa 1 RMP, l'autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage. Les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d'écriture, sont corrigées (art. 39 al. 2 RMP). En présence d'une offre paraissant anormalement basse, l'autorité adjudicatrice doit demander au soumissionnaire de justifier ses prix (art. 41 RMP).

Bien qu'il s'agisse d'une disposition réglementaire, elle fait obligation à l'adjudicatrice de demander des explications complémentaires si l'offre d’un soumissionnaire lui paraît anormalement basse, le recours au verbe « devoir » utilisé dans cette disposition étant suffisamment clair au regard de l'interprétation littérale à laquelle le Tribunal fédéral donne sa préférence (ATF 115 Ia 122; 102 Ia 217 consid. 6 b.; ATA/ 94/2005 du 1er mars 2005 ; ATA/333/2000 du 23 mai 2000).

C’est seulement si les renseignements obtenus du soumissionnaire ne sont pas convaincants ou laissent apparaître un risque d’insolvabilité que son offre peut ensuite, dans un second temps, être écartée ou pénalisée (ATF 130 I 241, consid. 7.3 ; Zufferey/Maillard/MicheL, op. cit., p. 121 ; Galli/Moser/Lang, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 2003, n° 540 et 544 ; E. Poltier, op. cit. p. 306).

En tous les cas, il n’est pas admissible d’exclure automatiquement des offres financièrement avantageuses sans avoir établi préalablement qu’elles constituent des tentatives de dumping illicites ou que l’entreprise en cause n’est pas capable de réaliser les travaux pour le prix offert (cf. arrêt du Tribunal administratif fribourgeois du 22 mai 2001 in DC 2/2002, p. 75). Une telle pratique irait à l’encontre de l’objectif d’économie des deniers publics poursuivi par le droit des marchés publics (ATA/94/2005 déjà cité).

En l'espèce, l'intimée a considéré que le prix des fournitures mentionné par la recourante dans son offre constituait une erreur manifeste, car inférieur de près de 30 % à ceux proposés par les autres soumissionnaires. Elle a estimé, qu'il n'était pas possible d'obtenir un tel rabais d'un fournisseur. Or, cette hypothèse est précisément celle visée par l'article 41 RMP. C'est donc à tort que la fondation a fait application de l'article 39 alinéa 2 RMP.

Dès lors, et en application de l'article 41 RMP, la recourante aurait dû être interpellée sur le prix qu’elle proposait pour les fournitures. N'ayant pas été invitée à justifier celui-ci avant que la décision d’adjudication ne soit rendue, son droit d’être entendue a été violé. Ce vice grave ne peut être réparé par le tribunal de céans, quand bien même elle a pu s'exprimer devant lui (ATA/834/2004 du 26 octobre 2004, consid. 7 ; ATF 130 I 241, consid. 7.3).

5. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis. La décision d'adjudication annulée et le dossier retourné à l'autorité adjudicatrice pour qu'elle procède dans le sens des considérants.

6. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la fondation exclusivement, l'appelée en cause n'ayant pris aucune conclusion. Une indemnité de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, à la charge exclusive, par identité de motif, de l'intimée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 octobre 2008 par SEICAL Sàrl contre la décision d'adjudication de la fondation "La Vespérale" du 8 octobre 2008 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du 8 octobre 2008 ;

retourne le dossier à la fondation "La Vespérale" pour qu’elle procède dans le sens des considérants ;

met à la charge de la fondation "La Vespérale" un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'500.-, à la charge de la fondation "La Vespérale" ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Julien Blanc, avocat de la fondation "La Vespérale" et à GATTO S.A.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le vice- président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :