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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/498/2020

ATA/1121/2020 du 10.11.2020 ( FORMA ) , ADMIS

Descripteurs : FORMATION(EN GÉNÉRAL);ÉTUDES UNIVERSITAIRES;RÈGLEMENT DES ÉTUDES ET DES EXAMENS;ÉLIMINATION(FORMATION);EXCLUSION(EN GENERAL);CIRCONSTANCE EXTRAORDINAIRE;PROPORTIONNALITÉ;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : RE.40.al3; RE.41.al3; unistatut.58.al4
Résumé : Admission du recours d'un étudiant ayant atteint le délai limité à six semestres pour obtenir la maîtrise en droit, ce qui a entraîné son élimination de la faculté. Compte tenu notamment de son activité professionnelle importante, une dérogation visant à prolonger ses études d'un semestre peut lui être accordée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/498/2020-FORMA ATA/1121/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 novembre 2020

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Sebastiano Chiesa, avocat

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1973, domicilié en Italie, est marié et père de deux filles nées en 2006 et 2007.

2) Depuis 2001, il exerce en Italie la profession d'avocat et est inscrit aux barreaux de B______ et de C______. Il est en outre, depuis 2015, habilité à plaider devant la Cour de cassation et « autres juridictions supérieures » italiennes.

3) Au début de l'année académique 2016-2017, M. A______ s'est inscrit à la faculté de droit (ci-après : la faculté) de l'Université de Genève (ci-après : l'université) afin de suivre un cursus de maîtrise universitaire en droit.

4) Il a également suivi des cours de français pour étudiants non francophones auprès de l'université entre 2016 et 2017.

5) En 2017, M. A______ a remporté un concours lui permettant de devenir enseignant d'économie et droit au collège en Italie à plein temps, soit dix-huit heures par semaine, dès le 1er septembre 2017. Une autorisation lui a été accordée par « la direction de l'enseignement » pour exercer cette activité parallèlement à celle d'avocat.

6) Au cours de l'année 2019, il a reçu cinq missions spécifiques en qualité de conseil représentant des communes et administrations publiques italiennes, lesdites missions s'ajoutant à son activité d'avocat.

7) Le 1er juillet 2019, la conseillère aux études de la faculté a contacté M. A______ suite à la publication des résultats d'examens de la session de mai-juin 2019, attirant son attention sur le fait que le délai de réussite de sa maîtrise arrivait à échéance en septembre 2019, et que son plan d'études comportait un examen non réussi qui n'allait pas pouvoir être, sur le plan informatique, abandonné lors de son inscription aux prochains examens. En résumé, pour réussir la maîtrise de droit en septembre 2019, M. A______ allait devoir, lors de son inscription à la session d'examens d'août-septembre 2019, abandonner la note de « WTO » (droit de l'Organisation mondiale du commerce), s'inscrire à deux examens du plan d'études et réussir son mémoire de séminaire.

8) À l'issue de la session d'examens d'août-septembre 2019, soit après six semestres d'études, M. A______ avait validé des enseignements pour un total de 78 crédits du système européen de transfert et d'accumulation de crédits (soit European Credit Tranfer System ; ci-après : ECTS).

9) Le 16 septembre 2019, il a demandé au doyen de la faculté (ci-après : le doyen) une dérogation visant à prolonger la durée de ses études pour les deux cours à option qu'il lui restait à valider, étant précisé que ses activités d'avocat et d'enseignant en Italie avaient entravé sa présence régulière aux cours à Genève.

10) À teneur du relevé de notes final établi le 18 septembre 2019, la formation n'était pas réussie et M. A______ était éliminé de la faculté en application de l'art. 40 al. 3 du règlement d'études de la faculté du 15 octobre 2004 (ci-après : RE) disposant que les 90 crédits ECTS requis pour la maîtrise devaient avoir été obtenus dans un délai maximum de six semestres dès le début des études de maîtrise.

11) Le 15 octobre 2019, le doyen a refusé la demande de dérogation du 16 septembre 2019 et confirmé la décision d'élimination du 18 septembre 2019.

L'inobservation du délai de six semestres, depuis son inscription, pour valider les 90 crédits ECTS requis pour obtenir la maîtrise avait entraîné l'élimination de M. A______ de la faculté. L'examen de son relevé de notes démontrait qu'il ne lui aurait pas été possible de réussir son cursus dans le délai réglementaire, dès lors qu'il n'était pas inscrit à tous les examens nécessaires pour ce faire. Il n'avait ainsi pas même tenté de se conformer à l'exigence de l'obtention de 90 crédits ECTS pour terminer sa formation dans un délai de six semestres. Enfin, les éléments de son dossier ne permettaient pas de conclure que sa situation relevait de circonstances exceptionnelles au sens de l'art. 58 al. 4 du statut de l'université du 22 juin 2011 (ci-après : le statut).

12) Le 28 octobre 2019, M. A______ a formé opposition contre la décision précitée et demandé l'autorisation de terminer ses études de maîtrise. Outre les enseignements qu'il avait validés à hauteur de 78 crédits ECTS, il en avait suivi trois dans lesquels il n'avait pas pu passer, le cas échéant repasser l'examen, pour des raisons indépendantes de sa volonté. Par ailleurs, il devait être tenu compte de circonstances exceptionnelles en raison de son activité professionnelle importante, ainsi que d'une charge de famille lourde.

13) Par décision du 7 janvier 2020, le doyen a rejeté l'opposition du 28 octobre 2019 et confirmé sa décision du 15 octobre 2019 rejetant la demande de reconsidération de la décision d'élimination du programme de maîtrise en droit du 18 septembre 2019.

Il faisait sienne la motivation du préavis rendu le 24 décembre 2019 par la commission des oppositions de la faculté, selon laquelle M. A______ ne contestait pas se trouver dans une situation d'élimination. Il avait par ailleurs été averti par la conseillère aux études de ce que son délai de réussite arrivait à échéance, celle-ci lui ayant donné les recommandations utiles pour terminer son cursus dans les temps. Il était toutefois regrettable que le précité n'ait pas pris la mesure de cette mise en garde. Au surplus, la charge de famille et les activités professionnelles dont il se prévalait -dont rien au dossier ne permettait de penser qu'elles ne découlaient pas d'un choix de vie, tout honorable qu'il fût - ne constituaient pas des justes motifs. Le doyen n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant la dérogation sollicitée.

14) Le 7 février 2020, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition précitée, concluant à son annulation et à ce qu'une dérogation lui soit octroyée pour prolonger la durée de son cursus de maîtrise d'un semestre. Il sollicitait préalablement son audition.

Il avait entrepris des études de maîtrise à Genève dans le but d'approfondir ses connaissances en droit international. Après six semestres de cours, deux examens relatifs à des enseignements à option n'étaient pas réussis. Il n'avait pas pu présenter une seconde fois ces examens à la session d'août-septembre 2019 ; le professeur de l'un de ces deux cours avait pris sa retraite et l'examen du second cours ne pouvait pas être présenté avant le printemps suivant, après avoir suivi à nouveau le séminaire. Il avait également suivi un autre enseignement mais n'avait pas pu présenter l'examen en raison d'un problème informatique de l'université. Or, s'il avait pu valider les trois enseignements précités, il aurait obtenu sa maîtrise dans le délai imparti.

Il avait, à tout le moins au début de son cursus, effectué chaque semaine les déplacements entre la Suisse et l'Italie, vivant à Genève du dimanche au jeudi et rentrait chez lui du jeudi au samedi. Sa nomination en tant qu'enseignant l'avait contraint à réduire son temps de présence à Genève et donc en cours. Il avait cependant à coeur de terminer sa maîtrise, pour laquelle il avait consenti d'importants sacrifices tant au niveau de sa vie familiale et professionnelle que financier.

Il était indispensable que la chambre de céans l'entende s'agissant, d'une part, de son cursus universitaire et, d'autre part, concernant ses différentes activités professionnelles en Italie, qui engendraient un rythme de vie très soutenu.

La décision attaquée était entachée d'arbitraire dès lors qu'elle était en contradiction avec la situation de fait et heurtait de manière choquante le sentiment de justice et d'équité. Contrairement à ce que prétendait le doyen et ainsi qu'en attestaient ses relevés de notes, il s'était inscrit à différents examens pour un total de 90 crédits ECTS dans le délai de six semestres, mais n'avait réussi à en valider que 78 en raison de deux examens non réussis qu'il n'avait pas pu représenter à la session d'août-septembre 2019 pour des raisons indépendantes de sa volonté. Par ailleurs, la décision entreprise semblait ne pas tenir compte de la réalité de ses activités professionnelles, au sujet desquelles il avait produit toutes pièces utiles. L'université se contentait d'indiquer que sa charge de travail découlait d'un choix de vie, sans se prononcer sur l'importance de son activité professionnelle. À défaut de jurisprudence précisant la notion d'activité professionnelle importante au sens de l'art. 41 al. 3 RE, il se demandait dans quelles circonstances cette disposition pouvait trouver application si tel n'était pas le cas dans sa situation peu commune.

Enfin, le doyen avait abusé de son pouvoir d'appréciation, et sa décision de ne pas lui accorder de dérogation pour un semestre supplémentaire lui permettant de présenter les deux derniers examens et de réussir sa maîtrise était disproportionnée. Il était difficile de comprendre pour quelle raison cette dérogation lui était refusée après trois années d'études, en dépit de son investissement dans ses études et de sa situation professionnelle, pour uniquement la validation de 12 crédits ECTS en un semestre supplémentaire.

15) Le 20 mars 2020, le doyen a conclu au rejet du recours.

M. A______ avait produit à l'appui de son recours de nombreuses pièces nouvelles.

Alors que la conseillère aux études de la faculté l'avait mis en garde concernant son délai d'études, il ne s'était pas inscrit aux examens de deux cours du programme de master pour la session d'août-septembre 2019, ni n'avait sollicité avant cette échéance une prolongation du délai de réussite de sa maîtrise. Ce n'était que par lettre du 16 septembre 2019 qu'il avait formé une telle demande de dérogation.

Il était erroné de la part du recourant d'affirmer avoir été empêché de représenter ses deux examens en août-septembre 2019 pour des raisons indépendantes de sa volonté ; d'une part, l'enseignant mentionné avait pris sa retraite en septembre 2017 et son cours n'avait plus fait l'objet d'examens depuis lors et, d'autre part, le second cours évoqué était un enseignement que le recourant avait suivi hors plan d'études, qui ne pouvait pas être validé pour l'obtention de la maîtrise qu'il briguait.

Enfin, le recourant exerçait une activité professionnelle non négligeable, laquelle découlait toutefois d'un choix de vie, tout comme le surcroît de travail résultant de ce qu'il avait assumé en cours d'études une activité d'enseignant et le fait qu'il exerçait ses activités à l'étranger. Il ne s'agissait pas d'une situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant. Cela étant, la faculté reconnaissait que cela relevait d'une question d'appréciation et qu'elle ne disposait pas de l'ensemble des pièces soumises à la chambre administrative lorsqu'elle avait rendu la décision attaquée.

16) Les 24 avril 2020, le recourant a indiqué n'avoir pas d'observations complémentaires à faire valoir.

17) Le 30 mai 2020, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 43 al. 1 et 2 de la loi sur l'université du 13 juin 2008 - LU - C 1 30 ; art. 36 al. 1 et 37 du règlement relatif à la procédure d'opposition au sein de l'université du 16 mars 2009 - RIO-UNIGE ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant sollicite au préalable son audition par la chambre de céans.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 144 I 11 consid. 5.3). Ce droit n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Le droit d'être entendu n'implique pas non plus une audition personnelle de l'intéressé, celui-ci devant simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause (art. 41 LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_83/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2 ; ATA/484/2020 du 19 mai 2020). Enfin, le droit d'être entendu ne contient pas d'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 145 IV 99 consid. 3.1 ; 141 III 28 consid. 3.2.4).

b. En l'espèce, le recourant a pu exposer sa situation par écrit à plusieurs reprises tant devant l'autorité intimée que devant la chambre de céans, et a renoncé à répliquer. En tant que l'audition sollicitée porte sur des faits déjà établis, non contestés ou dont la pertinence pour la solution du litige n'est pas établie, il sera renoncé à y donner suite. Pour le surplus, la chambre de céans dispose d'un dossier complet lui permettant de statuer en connaissance de cause.

3) Le présent litige porte sur la décision de l'intimée refusant d'accorder au recourant une dérogation visant à prolonger la durée de ses études et confirmant son élimination définitive du cursus de maîtrise en droit à l'issue de l'année académique 2018-2019.

4) a. Le litige s'examine à l'aune de la LU, du statut et du RE, ce qui n'est pas contesté.

b. Sous peine d'élimination, le candidat à la maîtrise doit s'être soumis à des évaluations pour des enseignements correspondant au moins à 30 crédits ECTS au plus tard deux semestres après avoir entamé ses études de maîtrise sous réserve de l'art. 31 al. 1. Les 90 crédits ECTS requis pour la maîtrise doivent avoir été obtenus dans un délai maximum de six semestres dès le début des études de maîtrise (art. 40 al. 3 RE).

c. Selon l'art. 41 al. 3 RE, sous réserve des dérogations accordées par le doyen pour justes motifs (tels que maladie, maternité, service militaire, activité professionnelle importante, charges de famille lourdes), l'inobservation du délai prévu à l'art. 31 al. 1 ou de ceux prévus à l'art. 40 al. 3 entraîne l'élimination de la faculté.

L'art. 58 ch. 4 du statut est réservé (art. 41 al. 4 RE).

d. L'art. 58 al. 4 du statut prévoit la prise en compte des situations exceptionnelles lors d'une décision d'élimination.

Selon la jurisprudence, l'admission d'une situation exceptionnelle doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, ce tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus. La chambre de céans n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; 131 I 467 consid. 3.1 ; ATA/716/2020 du 4 août 2020 et les références citées).

Ont été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant (ATA/906/2016 du 25 octobre 2016 ; ATA/155/2012 du 20 mars 2012).

En revanche, et toujours selon la jurisprudence constante en la matière, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte (ATA/357/2009 du 28 juillet 2009). Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/161/2009 du 31 mars 2009).

Dans l'exercice de ses compétences, toute autorité administrative doit respecter le principe de la proportionnalité, que ce respect soit imposé par l'art. 36 al. 3 Cst. ou, de manière plus générale, par l'art. 5 al. 2 Cst., dans ses trois composantes, à savoir l'aptitude, la nécessité et la proportionnalité au sens étroit. Ainsi, une mesure étatique doit être apte à atteindre le but d'intérêt public visé, être nécessaire pour que ce but puisse être réalisé, et enfin être dans un rapport raisonnable avec l'atteinte aux droits des particuliers qu'elle entraîne (ATF 136 I 87 consid. 3.2 ; 135 I 176 consid. 8.1 ; ATA/832/2013 du 17 décembre 2013 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème  éd., 2018, p. 197 ss n. 550 ss).

e. En l'état, la jurisprudence ne définit pas précisément la notion d'activité professionnelle lourde au sens de l'art. 41 al. 3 RE, qu'il conviendrait de considérer comme de justes motifs pouvant donner lieu à une dérogation permettant de prolonger le délai de six semestres pour réussir la maîtrise.

5) En l'espèce, le recourant, âgé de 47 ans, vit en Italie avec son épouse et leurs deux filles adolescentes. Il exerce, également dans ce pays, une activité professionnelle en tant qu'avocat depuis près de vingt ans. Il ressort du dossier qu'il a souhaité, à partir de l'année 2016, approfondir ses connaissances en droit international et décidé, pour ce faire, de commencer un cursus de maîtrise en droit à Genève. Il appert qu'à tout le moins durant sa première année d'études, le recourant s'est investi dans sa formation en suivant régulièrement les cours, en vivant une partie de la semaine à Genève et en prenant des cours de français, le tout en sus de son activité d'avocat et sa vie de famille à l'étranger. Comme l'a retenu à juste titre l'autorité intimée, il s'agissait d'un choix de vie que le recourant a opéré et qu'il estimait réalisable, y compris financièrement.

Il convient néanmoins de relever que le recourant a, dans un deuxième temps, été désigné comme enseignant, ce qui a augmenté sa charge de travail par l'adjonction de dix-huit heures de cours hebdomadaires, soit plus de deux jours de travail par semaine. Il y a également lieu de préciser que cette nomination est intervenue après que le recourant a gagné un concours, ce qui signifie qu'il n'était pas assuré de devenir enseignant au moment où il a entrepris les démarches dans le cadre de ce projet. Par ailleurs, et toujours après avoir commencé ses études à Genève, il a été mandaté par des institutions publiques italiennes pour les représenter dans des dossiers spécifiques ; il s'agissait d'une occasion professionnelle difficilement refusable pour un avocat de son expérience, mais qui a encore alourdi sa charge de travail.

Le recourant a lui-même admis que dans ces conditions il lui était devenu difficile de suivre assidûment les cours de maîtrise à Genève.

Le recourant aurait effectivement pu déposer plus tôt une demande de dérogation pour solliciter la prolongation de ses études, soit avant d'avoir eu connaissance de ses résultats à l'issue de la session d'examens d'août-septembre 2019. Il convient en outre de retenir que le recourant a allégué, mais n'a pas démontré devoir faire face à une charge familiale particulièrement lourde. Ces éléments n'auraient toutefois pas dû avoir d'incidence sur la décision litigieuse, compte tenu de ce qui suit.

Si la jurisprudence ne définit pas précisément la notion d'activité professionnelle importante au sens de l'art. 41 al. 3 RE, force est de constater, comme l'a d'ailleurs admis l'intimée, que le recourant exerce, parallèlement à ses études, une activité professionnelle non négligeable. Le recourant a produit, à l'appui de ses allégations, de nombreuses pièces démontrant l'ampleur de la charge de travail qu'il devait assumer en Italie en même temps que ses études à Genève. Il apparaît en outre évident que ses activités d'avocat et d'enseignant, qui nécessitent de nombreuses heures hebdomadaires, sont en lien de causalité avec les difficultés qu'il a rencontrées pour valider dans le délai imparti les 90 crédits ECTS requis pour obtenir la maîtrise en droit. Certes, cette combinaison d'obligations familiales, professionnelles et académiques nécessitant des déplacements résulte d'un choix de vie du recourant, qui n'a aucunement été contraint de mener de front ses différents projets. Il n'en demeure pas moins que sa situation présente, compte tenu notamment de son âge et de son parcours, un caractère exceptionnel qui ne peut pas être assimilé, par exemple, à la situation d'un étudiant devant suivre un cursus universitaire tout en devant s'occuper de sa famille ou exercer une activité professionnelle à temps partiel pour subvenir à ses besoins. Enfin, dans la mesure où le litige porte sur la prolongation d'un semestre d'études afin de valider deux examens manquants pour éviter l'élimination, la restriction avec laquelle doivent être admis les justes motifs, en l'occurrence une activité professionnelle importante, peut être légèrement relativisée.

Au vu ce qui précède, la décision du doyen refusant d'accorder au recourant une dérogation en vue du prolongement de ses études et confirmant l'élimination de ce dernier de la faculté aurait dû prendre en considération l'activité professionnelle importante du recourant. Ladite décision apparaît en outre disproportionnée dès lors que le recourant a déjà effectué trois années d'études, pour lesquelles il a consenti des sacrifices sur un plan personnel, professionnel et financier et validé 78 crédits ECTS sur les 90 crédits ECTS nécessaires, ce qui équivaut à seulement deux enseignements restant à valider, un semestre apparaissant suffisant pour y parvenir. Le fait d'autoriser le recourant à terminer sa maîtrise grâce à un semestre supplémentaire d'études n'apparaît en l'occurrence pas de nature à porter atteinte au but poursuivi par l'art. 41 al. 3 RE, ni à l'intérêt public protégé.

Ainsi, compte tenu des circonstances particulières du cas d'espèce, le recours sera admis. La décision entreprise sera annulée en tant qu'elle refuse au recourant l'octroi d'une dérogation visant à prolonger la durée de ses études pour lui permettre de terminer sa maîtrise en droit, et en tant qu'elle confirme la décision d'élimination du 18 septembre 2019. Le recourant disposera ainsi d'un semestre supplémentaire pour terminer son cursus de maîtrise en droit.

6) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 11 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, qui y a conclu, obtient gain de cause et a exposé des frais pour la défense de ses intérêts (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 février 2020 par Monsieur A______ contre la décision de l'Université de Genève du 7 janvier 2020 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de l'Université de Genève du 7 janvier 2020 refusant d'accorder au recourant une dérogation et confirmant le prononcé de son élimination du cursus de maîtrise universitaire en droit ;

dit que Monsieur A______ disposera d'un semestre supplémentaire pour réussir son cursus de maîtrise universitaire en droit ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à charge de l'Université de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sebastiano Chiesa, avocat du recourant ainsi qu'à l'Université de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :