Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1114/2020

ATA/866/2020 du 08.09.2020 ( AIDSO ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1114/2020-AIDSO ATA/866/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 septembre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1977, a bénéficié de prestations d'aide sociale financières versées par l'hospice général (ci-après : hospice) du 1er août 2005 au 30 novembre 2013.

2) Monsieur B______, son père, a bénéficié de prestations financières de l'hospice du 1er août 2001 au 31 janvier 2016.

3) Suite au contrôle, le 17 septembre 2013, des dossiers de Mme A______ et de M. B______, gérés par des centres d'action sociale (ci-après : CAS) différents, il est apparu que les loyers des intéressés avaient été pris en charge à double, à certaines périodes précises.

4) Par décision du 18 février 2015, l'hospice a demandé à M. B______ le remboursement de la somme de CHF 49'690.- en capital, indûment perçue.

5) L'opposition de M. B______ a été rejetée par décision du 2 décembre 2016.

6) a. M. B______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision.

b. Par décision du 29 septembre 2017, le juge délégué a appelé en cause Mme A______.

c. Par arrêt du 12 juin 2018 (ATA/590/2018) la chambre administrative a admis partiellement le recours de M. B______ et réduit la somme dont la restitution lui était réclamée de CHF 49'690.- à CHF 41'233.50.

Au regard de l'ensemble des circonstances, que ce soit pour la période du 1er juin 2007 au 1er juillet 2012 ou pour celle du 2 juillet 2012 au 30 septembre 2013, il ne pouvait pas échapper au recourant que sa fille aînée et lui-même recevaient chacun un montant de l'hospice pour un seul et même loyer, et que le fait que tous deux vivaient en ménage commun avait des conséquences sur l'ampleur des prestations octroyées par l'hospice et devait être annoncé à ce dernier immédiatement.

7) Le 28 septembre 2018, l'hospice a réclamé à Mme A______ la somme de CHF 33'458.-, représentant la somme qu'elle avait indûment perçue du fait qu'elle n'avait pas annoncé sa cohabitation avec son père.

Les loyers du studio situé au C_____ à Genève et de l'appartement au D_____ à Versoix avaient été payés deux fois par l'hospice, une fois par le CAS de Saint-Jean, pour son père, et une fois par le CAS des Pâquis, dans le cadre de son dossier.

Les bulletins de versement fournis par les deux intéressés étaient identiques. Mme A______ ne les avait par ailleurs pas informés qu'elle cohabitait avec son père depuis juin 2007. Le forfait d'entretien avait été calculé sur une base erronée compte tenu des déclarations des administrés.

Au vu du délai de péremption de dix ans, les prestations étaient réclamées à compter de septembre 2008. Un tableau détaillé était joint à la décision.

8) Le 23 octobre 2018, Mme A______ a fait opposition à cette décision.

9) Par décision du 28 février 2020, notifiée le 4 mars 2020, le directeur de l'hospice a rejeté l'opposition.

10) a. Le 13 mars 2020, Mme A______ a sollicité de l'hospice un délai supplémentaire pour décider d'un éventuel recours devant la chambre administrative. Elle avait de graves problèmes de santé, avait été hospitalisée du 7 février au 2 mars 2020, avait subi trois opérations et continuait ses dialyses à raison de 2h30, cinq fois par semaine.

L'hospice a transmis ce courrier à la chambre de céans pour raison de compétence.

b. La recourante a été interpellée par la chambre de céans sur ses intentions. La soeur de l'intéressée a, par pli du 22 avril 2020, détaillé l'état de santé, fortement altéré, de Mme A______ et les difficultés, notamment administratives, liées à la Covid-19, pour faire valoir ses droits.

c. Dans le délai imparti par la chambre de céans, la recourante a complété ses écritures et précisé conclure à l'annulation de la décision. Elle était victime d'une anorexie mentale depuis 2005. La maladie avait gravement porté atteinte à sa santé. Elle subissait des séquelles physiques et psychiques quotidiennes, difficulté dont l'hospice n'avait pas tenu compte.

11) L'hospice a conclu au rejet du recours, reprenant les éléments ressortant de la décision sur opposition.

12) Mme A______ n'a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti.

13) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 52 de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04), étant précisé que selon l'art. 63 al. 1 let. a LPA, les délais en jours fixés par la loi ne courent pas du septième jour avant Pâques au septième jour après Pâques inclusivement, et que l'ordonnance du Conseil fédéral sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus du 20 mars 2020 (COVID-19 - RS 818.101.24) a suspendu les délais légaux ou les délais fixés par les autorités ou par les tribunaux entre le 21 mars 2020 et le 19 avril 2020.

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

b. Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/821/2018 du 14 août 2018 consid. 2 ; ATA/1243/2017 du 29 août 2017 consid. 2a).

c. En l'espèce, la recourante n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision dans son recours du 13 mars 2020. L'on comprend toutefois de son complément au recours qu'elle conteste le bien-fondé de la décision de l'hospice et le fait de devoir rembourser la somme réclamée. Le recours est ainsi recevable.

3) Le litige a trait à la demande de restitution des prestations d'aide financière accordées par l'intimé à la recourante entre le 1er septembre 2008 et le 31 juillet 2013, d'un montant total de CHF 33'458.-.

4) a. Selon l'art. 36 LIASI, est considérée comme étant perçue indûment toute prestation qui a été touchée sans droit (al. 1). Par décision écrite, l'hospice réclame au bénéficiaire le remboursement de toute prestation d'aide financière perçue indûment par la suite de la négligence ou de la faute du bénéficiaire (al. 2). Le remboursement des prestations indûment touchées peut être réclamé si le bénéficiaire, sans avoir commis de faute ou de négligence, n'est pas de bonne foi (al. 3). L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (al. 5).

b. Celui qui a encaissé des prestations pécuniaires obtenues en violation de son obligation de renseigner est tenu de les rembourser selon les modalités prévues par la LIASI qui concrétisent tant le principe général de la répétition de l'enrichissement illégitime que celui de la révocation, avec effet rétroactif, d'une décision administrative mal fondée, tout en tempérant l'obligation de rembourser en fonction de la faute et de la bonne ou mauvaise foi du bénéficiaire (ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3c et les références citées).

5) a. L'action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l'hospice a eu connaissance du fait qui ouvre le droit au remboursement. Le droit au remboursement s'éteint au plus tard dix ans après la survenance du fait (art. 36 al. 5 LIASI ; ATA/1083/2016 du 20 décembre 2016).

Lorsqu'il s'agit d'une créance de droit public, la prescription s'examine d'office. En revanche, elle ne s'examine que sur exception de l'État, lorsque c'est un particulier qui est créancier (ATF 138 II 169 consid. 2.2 in RDAF 2013 II 101 et la jurisprudence citée ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 745 p. 263).

b. En l'espèce, s'agissant d'une créance de droit public, la prescription s'examine d'office.

À teneur de la décision sur opposition du 28 février 2020, l'hospice a pris connaissance des faits reprochés à la recourante le 17 septembre 2013 lorsqu'il a découvert avoir pris en charge les loyers de l'appartement sis C______ à Genève tant dans le dossier de la recourante que dans celui de son père pour la période du 1er juin 2007 au 31 août 2012 et avoir également pris en charge le loyer de l'appartement sis D______ à Versoix dans les deux dossiers de décembre 2012 à septembre 2013.

La demande de remboursement du 28 septembre 2018 ne respecte dès lors pas le délai de prescription de cinq ans à compter de la connaissance des faits.

c. La prescription est interrompue lorsque le débiteur reconnaît la dette, notamment en payant des intérêts ou des acomptes, en constituant un gage ou en fournissant une caution (art. 135 ch. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). Le débiteur peut également renoncer à se prévaloir de la prescription lorsque le délai court et même lorsque le délai est écoulé (ATF 132 III 226 consid. 3.3.7). La renonciation peut intervenir par actes concluants, mais il faut des indices clairs (arrêt du Tribunal fédéral 4A_495/2011 du 15 novembre 2011 consid. 2.3.1). Il suffit que le débiteur manifeste sa conviction que la dette existe encore (arrêt du Tribunal fédéral 4A_276/2008 du 31 juillet 2008 consid. 4) et qu'il reconnaisse l'obligation dans son principe ; peu importe qu'il soit dans l'incertitude quant à son étendue, sa déclaration n'ayant pas à se rapporter à une somme déterminée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_269/2014 du 17 mars 2015 consid. 9.1.1 et les références citées).

La prescription est également interrompue lorsque le créancier fait valoir ses droits par une action devant un tribunal (art. 135 ch. 2 CO).

Les conditions d'interruption de la prescription sont plus souples en droit public que celles prévues par l'art. 135 CO. Il s'agit de tout acte propre à faire admettre la prétention en question, visant à l'avancement de la procédure et accompli dans une forme adéquate. L'administré interrompt la prescription par toute intervention auprès de l'autorité compétente tendant à faire reconnaître ses droits. Pour l'autorité, le délai est interrompu en particulier dès lors qu'elle déclare son intention d'ouvrir une procédure et par tout acte qu'elle prend pendant
celle-ci : par exemple par l'envoi au contribuable d'une formule de déclaration fiscale et, par la suite, par les actes qui, jusqu'à la décision, visent à établir la créance puis, ensuite, à la recouvrer. En revanche, des actes préparatoires tels que des mesures d'instruction ne suffisent pas. Le débiteur doit avoir reçu connaissance du fait interruptif (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 100 et la jurisprudence citée).

d. En l'espèce, aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu de la part de l'hospice à l'encontre de la recourante dans le délai de cinq ans, soit avant le 17 septembre 2018 puisque le premier courrier par lequel il lui a réclamé le
trop-perçu remonte au 28 septembre 2018. La procédure de recours ayant abouti à l'arrêt de la chambre de céans du 12 juin 2018 ne modifie pas ce qui précède, s'agissant des prétentions de l'hospice à l'encontre du père de la recourante. En effet, l'appel en cause a permis de sauvegarder le droit d'être entendue de l'intéressée sur la question de son propre domicile et sur l'articulation avec celui de son père. Ladite procédure ne portait toutefois pas sur les prétentions de l'hospice à l'encontre de Mme A______.

Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours et à l'annulation de la décision de remboursement.

6) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante n'ayant pas engagé de frais (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 mars 2020 par Madame A______ contre la décision de l'Hospice général du 28 février 2020 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du directeur de l'Hospice général du 28 février 2020 et de l'Hospice général du 28 septembre 2018 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :