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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2498/2014

ATA/53/2015 du 13.01.2015 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : PROCÉDURE ADMINISTRATIVE ; MANDATAIRE NON PROFESSIONNEL ; FORMALISME EXCESSIF ; BREF DÉLAI
Normes : LPA.9.al1 ; Cst.29.al2
Résumé : Conformément à la jurisprudence du tribunal fédéral, fait preuve de formalisme excessif l'autorité qui déclare irrecevable le recours déposé dans le délai de recours par un mandataire non professionnellement qualifié sans avoir au préalable imparti un bref délai au recourant pour venir signer personnellement les écritures déposées, quand bien même cela serait intervenu hors délai de recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2498/2014-FPUBL ATA/53/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 janvier 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Samuel Thétaz, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été nommé sapeur-pompier au service d’incendie et de secours de la Ville de Genève en juin 2001. Il a actuellement le grade de caporal.

2) Le 20 octobre 2013, il a adressé à la commission de domiciliation une demande de dérogation à l’obligation d’être domicilié à l’intérieur d’un territoire restreint fixé par une directive communale. Son épouse avait reçu un terrain sis à Font dans le canton de Fribourg et le couple projetait d’y construire son logement familial.

3) Le 17 mars 2014, après avoir entendu l’intéressé, la commission de domiciliation a refusé la dérogation sollicitée.

4) Par courrier du 17 avril 2014, intervenant en qualité de mandataire de M. A______, Monsieur B______, « conseiller juridique » et directeur de l’« Agence C______ », a recouru auprès du Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : Conseil administratif) contre la décision susmentionnée.

5) Le 19 mai 2014, le Conseil administratif a demandé à M. B______ de démontrer qu’il agissait en qualité de mandataire professionnellement qualifié, notamment en exposant ses qualifications dans le domaine concerné par la procédure en cours, et de transmettre tout justificatif utile à cet égard. Un délai au 31 mai 2014 lui était imparti pour ce faire. Après quoi l’autorité statuerait en l’état du dossier.

6) En date du 23 mai 2014, M. B______ a répondu qu’il n’aurait pas le temps de s’entretenir avec son client et qu’il reviendrait très prochainement au Conseil administratif.

7) Le 2 juin 2014, le Conseil administratif a octroyé à M. B______ un ultime délai au 11 juin 2014 pour démontrer sa qualité de mandataire professionnellement qualifié.

8) Le 2 juin 2014 également, le Conseil administratif a reçu une lettre de constitution d’un avocat pour la défense des intérêts de M. A______.

L’avocat avait pris note du courrier du 19 mai 2014 concernant le problème de représentation pour le recours déposé par M. B______. Il devait être considéré désormais comme l’unique représentant de M. A______ et il sollicitait un délai de quelques jours afin de lui permettre de réparer le vice de forme du recours.

9) Le 3 juin 2014, le Conseil administratif a transmis à l’avocat de M. A______ copie du courrier du 2 juin 2014 adressé à M. B______ et l’a invité à faire parvenir jusqu’au 11 juin 2014 sa détermination relative à la recevabilité du recours.

10) Par pli du 11 juin 2014, M. B______ a informé le Conseil administratif qu’il se « [démettait] de la présente cause » et renvoyait pour le surplus à l’avocat constitué.

11) Le 11 juin 2014, agissant par l’entremise de son avocat, M. A______ a persisté dans la demande de délai pour produire un nouveau recours. Celui déposé par M. B______ contenait les éléments de droit de fond requis pour admettre sa recevabilité. S’il devait être déclaré irrecevable, un recours serait déposé pour formalisme excessif.

12) Par décision du 25 juin 2014, exécutoire nonobstant recours, le Conseil administratif a déclaré irrecevable le recours du 17 avril 2014, faute pour M. B______ d’avoir démontré, dans le délai imparti, les qualifications professionnelles lui permettant de représenter valablement M. A______.

13) Le 26 août 2014, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision susmentionnée, concluant à ce qu’elle soit réformée en ce sens que le recours contre la décision de la commission de domiciliation était admis, l’intéressé devant être autorisé à se domicilier dans la commune de Font (FR). Subsidiairement, dite décision devait être réformée en ce sens qu’un délai était imparti à l’intéressé pour produire un recours signé par un avocat inscrit au Barreau. Plus subsidiairement, la décision querellée devait être annulée et la cause renvoyée à l’autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La décision du Conseil administratif violait l’interdiction du formalisme excessif en ce qu’elle refusait d’impartir un délai supplémentaire à un avocat pour former un nouveau recours. Par ailleurs, le Conseil administratif avait dénié sans raison valable à M. B______, lequel pratiquait de façon professionnelle le conseil juridique, la notion (sic) de mandataire professionnellement qualifié. Il était choquant qu’un ascendant ou un descendant majeur, sans connaissance juridique aucune, puisse représenter un justiciable en matière administrative, alors qu’un professionnel du droit bien que dépourvu d’un brevet d’avocat, ne le pouvait pas. M. B______ conseillait ses clients et pratiquait dans toute la Suisse romande dans les matières où il était habilité à le faire et représentait ainsi les justiciables auprès de nombreuses autorités. Il ne pouvait pas justifier de ses qualités professionnelles, sauf à violer son secret professionnel en produisant par-devant l’autorité inférieure l’intégralité des causes qu’il traitait.

14) Le 26 septembre 2014, la Ville de Genève a conclu au rejet du recours. Le Conseil administratif avait demandé à M. B______ de justifier de sa qualité de mandataire professionnellement qualifié dans la mesure où le titre de « conseiller juridique » par lequel il se présentait ne démontrait pas en quoi il disposerait des compétences spécifiques dans le domaine concerné par la décision du 17 mars 2014. Il lui avait donné l’occasion de prouver ses qualifications, ce qu’il n’avait pas fait. Le recours qu’il avait déposé ne pouvait dès lors qu’être déclaré irrecevable.

N’ayant à aucun moment accepté de considérer M. B______ comme représentant autorisé de M. A______, le Conseil administratif n’avait pas fait preuve de formalisme excessif en refusant d’octroyer à l’avocat de M. A______ un délai pour produire un nouveau recours.

Si la chambre administrative devait annuler la décision querellée, elle ne pouvait trancher le fond du litige directement, sauf à priver M. A______ d’un degré de juridiction, puisque le Conseil administratif avait rendu une décision d’irrecevabilité et n’était pas entré en matière sur le fond.

15) Le 2 octobre 2014, M. A______ a persisté dans son recours.

16) Le 7 octobre 2014, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), étant précisé que le délai de recours était suspendu du 15 juillet au 15 août inclusivement (art. 17A al. 1 let. b LPA).

2) a. Les parties, à moins qu’elles ne doivent agir personnellement ou que l’urgence ne le permette pas, peuvent se faire représenter par un conjoint, un ascendant ou un descendant majeur, respectivement par un avocat ou par un autre mandataire professionnellement qualifié pour la cause dont il s’agit (art. 9 al. 1 LPA).

Par cette disposition, reprise de la loi genevoise instituant un code de procédure administrative du 6 décembre 1968, le législateur cantonal a manifesté son intention de ne pas réserver le monopole de représentation aux avocats en matière administrative, dans la mesure où un nombre important de recours exigent moins de connaissances juridiques que de qualifications techniques. L’art. 9 LPA n’a pas pour but de permettre la représentation et l’assistance des parties par tout juriste qui n’est pas titulaire du brevet d’avocat, mais repose sur le constat que certaines personnes, qui ont des qualifications techniques dans certains domaines, comme les architectes ou les comptables, sont à même de représenter avec compétence leur client dans le cadre de procédures administratives, tant contentieuses que non contentieuses (Mémorial des séances du Grand Conseil 1968, p. 3027 ; ATA/108/2010 du 16 février 2010 ; ATA/619/2008 du 9 décembre 2008 ; ATA/527/2001 du 27 août 2001).

b. L’aptitude à agir comme mandataire professionnellement qualifié doit être examinée de cas en cas, au regard de la cause dont il s’agit à la date de la requête, ainsi que de la formation et de la pratique de celui qui entend représenter une partie à la procédure. Il convient de se montrer exigeant quant à la preuve de la qualification requise d’un mandataire aux fins de représenter une partie, dans l’intérêt bien compris de celle-ci et de la bonne administration de la justice (ATF 125 I 166 consid. 2b/bb p. 169 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.416/2004 du 28 septembre 2004 consid. 2.2, confirmant l’ATA/418/2004 du 18 mai 2004), surtout en procédure contentieuse (ATA/527/2001 du 27 août 2001 ; ATA/472/1996 du 28 août 1996). Pour recevoir cette qualification, le mandataire doit disposer de connaissances suffisantes dans le domaine du droit dans lequel il prétend être à même de représenter une partie (ATA/636/2011 du 11 octobre 2011 ; ATA/162/2010 du 9 mars 2010 ; ATA/108/2010 du 16 février 2010 ; ATA/330/2005 du 10 mai 2005).

De telles restrictions sont compatibles avec le droit à la liberté économique, garantie par l’art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), dans la mesure où elles reposent sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.). Selon la jurisprudence, il est admis que la protection du public contre les personnes incapables représente l’un de ces intérêts (ATF 105 Ia 67 ; ATA/173/2004 du 2 mars 2004).

c. Si les avocats bénéficient de par la loi d’une présomption de fait quant à leur aptitude à représenter efficacement les intérêts des parties dans les procédures administratives, le but de l’art. 9 LPA s’oppose à l’admission comme mandataire professionnellement qualifié de tout conseiller juridique indépendant. En effet, la situation d’un juriste indépendant est différente de celle d’un juriste employé : les juristes qui se chargent de la défense des intérêts des administrés en procédure administrative agissent dans le cadre de l’association, de la société, de la fiduciaire, de la société de protection juridique ou encore du syndicat qui les emploient, lesquels sont spécialisés dans un ou quelques domaines du droit, ce qui les distinguent de la situation d’un conseiller juridique indépendant qui se vouerait à la défense générale des administrés. Cette différence de traitement entre un juriste indépendant et les organismes précités est également justifiée du point de vue de la protection des administrés, but visé par l’art. 9 LPA. La qualité de mandataire professionnellement qualifié ne doit ainsi être donnée qu’à des personnes dont il est évident, aux yeux des administrés, qu’elles ne sont compétentes que dans le domaine du droit dont il s’agit, mais qu’elles n’ont pas les pouvoirs de représentation d’un avocat (ATA/108/2010 du 16 février 2010).

En l’espèce, M. B______ est intervenu au stade du recours contre la décision de la commission de domiciliation en qualité de représentant de M. A______, en se désignant comme « conseiller juridique » et directeur de sa propre « agence juridique ». Ces mentions n’emportant aucune présomption de qualification professionnelle dans le domaine concerné par la décision litigieuse, ni d’aptitude ou expérience en matière de défense des administrés, le Conseil administratif a demandé à M. B______ de justifier de sa qualité de mandataire professionnellement qualifié pour la cause dont il s’agit, conformément à la jurisprudence susmentionnée. M. B______ a bénéficié d’un délai, prolongé après qu’il se soit contenté de répondre à l’autorité intimée qu’il n’aurait pas le temps de s’entretenir avec son client, au terme duquel il a indiqué ne plus représenter M. A______. Il n'a fourni aucun justificatif de ses compétences professionnelles dans un quelconque domaine juridique. Il n’a pas même démontré avoir suivi une formation juridique et être titulaire d’un diplôme en droit. C’est le lieu de relever que le conseil actuel du recourant allègue en vain que cette discrétion serait justifiée par le secret professionnel : outre qu’il lui faudrait préalablement démontrer qu’il entre dans l’une des catégories pouvant s’en prévaloir, l’intéressé pouvait sans mentionner les identités de ses clients fournir des éléments pertinents de son parcours et de ses activités professionnelles permettant au Conseil administratif d’apprécier sa qualité de mandataire professionnellement qualifié.

C’est dès lors à juste titre que l’autorité intimée a considéré que M. B______ n’avait pas la qualité de mandataire professionnellement qualifié au sens de l’art. 9 al. 1 LPA.

3) Le recourant soutient que le Conseil administratif aurait fait preuve de formalisme excessif en n’octroyant pas à son avocat un délai pour produire un nouveau recours en bonne et due forme.

Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 2 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 130 V 177 consid. 5.4.1 p. 183 ; 128 II 139 consid. 2a p. 142 ; 127 I 31 consid. 2a/bb p. 34 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.343/2006 du 26 mars 2007 consid. 3.1 ; ATA/594/2014 du 29 juillet 2014 consid. 9b).

En l’espèce, le Conseil administratif a appliqué correctement l’art. 9 LPA, donnant au mandataire initialement choisi par le recourant toute possibilité de justifier de sa qualité. N'ayant aucune réponse propre à l’éclairer utilement à cet égard,il ne pouvait s'en tenir à cette seule démarche. En possession d'un mémoire de recours, émanant dudit mandataire, il devait accorder au recourant un bref délai pour venir signer personnellement les écritures déposées en son nom, quand bien même cela serait intervenu hors délai de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_39/2013 du 11 mars 2013). En déclarant le recours irrecevable sans cette invite préalable, le Conseil administratif a fait preuve de formalisme excessif.

4) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision querellée sera annulée et la cause renvoyée à la Ville de Genève pour décision au fond après instruction.

Contrairement à ce que soutient le recourant, la chambre de céans ne peut en effet statuer directement au fond, même si l'intimée a indiqué que sa réglementation laissait peu de place à une réponse favorable à la demande de dérogation sollicitée. Elle dispose en effet d'un pouvoir d'instruction et d'appréciation auquel elle ne peut renoncer et dont il ne peut être privé (art. 19, 20 et 46 LPA), pas plus que le recourant ne peut être privé d'un degré de juridiction (art. 6 LPA et 132 LOJ).

5) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de la Ville de Genève (art 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2014 par Monsieur A______ contre la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 25 juin 2014 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 25 juin 2014 ;

renvoie la cause à la Ville de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de la Ville de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samuel Thétaz, avocat du recourant ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :