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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/433/2019

ATA/1281/2019 du 27.08.2019 ( NAT ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/433/2019-NAT ATA/1281/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2019

 

dans la cause

 

Madame A______

contre


OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS


EN FAIT

1) Madame A______ est née le ______ 1966 à Urdaneta aux Philippines, pays dont elle est originaire. Elle est arrivée en Suisse en 1992 pour y rejoindre son mari, dont elle a divorcé en 2004. Le couple a eu une fille, née le ______ 1994, et Mme A______ a eu un second enfant, né le _____ 2003 et décédé le ______ 2004, avec un ressortissant suisse.

2) Depuis le 15 mai 2005, Mme A______ est au bénéfice d'une carte de légitimation délivrée par département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE), en tant que domestique privée d'un haut fonctionnaire de l'organisation mondiale de la santé (ci-après : OMS) à Genève. Elle a également été au bénéfice d'une telle carte du 11 février 2000 au 5 janvier 2004, en tant que domestique privée d'un ancien fonctionnaire du CERN à Genève.

3) Le 22 décembre 2017, Mme A______ a, par le biais de son conseil, formé auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de naturalisation ordinaire suisse et genevoise, accompagnée de plusieurs pièces, par le biais du formulaire jaune ad hoc à remplir par les candidats à la naturalisation (ci-après : le formulaire jaune). L'extrait du casier judiciaire suisse était « à produire ».

Parmi les pièces jointes figuraient notamment un extrait du registre des poursuites du 15 décembre 2017 (le courrier de son conseil mentionnait à ce propos « nouvel extrait à produire »). Cet extrait mentionnait sept poursuites, dont six relatives au créancier Mutuel Assurance-maladie SA, et trois actes de défaut de biens dont le créancier était Intrum Justitia AG, le tout pour un montant d'un peu moins de CHF 10'000.-.

4) Le 1er janvier 2018 est entrée en vigueur la nouvelle loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0), abrogeant la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 (ci-après : aLN).

5) Le 3 janvier 2018, Mme A______ a transmis, en complément de sa requête, un extrait du casier judiciaire suisse daté du 20 décembre 2017 et une correspondance de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) justifiant de son exemption.

6) Le 16 janvier 2018, Mme A______ a fait parvenir à l'OCPM un extrait du registre des poursuites établi le 9 janvier 2018, lequel était identique à celui annexé à sa demande de naturalisation.

 

7) Le 13 juillet 2018, l'OCPM a informé Mme A______ de son intention de ne pas engager la procédure de naturalisation soumise à l'ancien droit, en raison de l'absence au 31 décembre 2017 d'une attestation de l'office des poursuites (ci-après : OP) certifiant qu'elle n'avait aucune poursuite en force ni actes de défaut de biens dans les cinq ans. Elle était invitée à faire valoir son droit d'être entendu.

8) Le 17 juillet 2018, Mme A______ a fait parvenir à l'OCPM un nouvel extrait du registre des poursuites, daté du 20 juillet 2018, lequel attestait qu'elle ne faisait l'objet d'aucune poursuite et acte de défaut de biens. Elle précisait que l'extrait mentionnait un acte de défaut de biens qui avait été dûment réglé, de même que l'émolument visant à la radiation de ladite poursuite correspondante.

9) Le 24 juillet 2018, Mme A______ a répondu au courrier de l'OCPM, relevant que l'affirmation de ce dernier, selon laquelle elle n'avait pas fourni d'extrait du registre des poursuites n'était pas exacte, dans la mesure où elle avait bien fourni ce document ; ce dernier faisait certes apparaître quelques poursuites et actes de défaut de biens mais pour des montants qui avaient été réglés depuis lors. Elle précisait encore que certains montants avaient été réglés il y a plusieurs années et que demeuraient les émoluments de radiation de l'OP et les actes de défaut de bien correspondant. Compte tenu de ces précisions, l'examen de sa demande de naturalisation ordinaire devait se poursuivre.

10) Par décision du 21 décembre 2018, déclarée exécutoire nonobstant recours, l'OCPM a refusé d'engager la procédure de naturalisation en faveur de Mme A______ en application de l'art. 11 al. 6 let. b du règlement d'application de la loi sur la nationalité genevoise du 15 juillet 1992 (RNat - A 4 05.01).

Au 31 décembre 2017, la requérante n'avait pas été en mesure de produire une attestation de l'OP certifiant qu'aucune poursuite ni acte de défaut de biens dans les cinq ans n'était ouvert à son encontre. La procédure de naturalisation ne pouvait être engagée conformément au droit cantonal, puisque l'ensemble des documents requis ne figurait pas au dossier de la candidate au moment du dépôt de sa demande.

11) Par acte du 1er février 2019, Mme A______ a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle trouvait cette décision injuste et demandait à l'autorité de lui accorder la citoyenneté suisse. Le 22 décembre 2017, elle avait bien déposé, avec son dossier de naturalisation, une attestation de l'OP qui indiquait sept poursuites et trois actes de défaut de biens après saisie, équivalant à moins de CHF 10'000.- ; certaines poursuites avaient été payées plusieurs années auparavant, mais l'assurance-maladie n'avait pas confirmé ces paiements, raison pour laquelle son conseil avait dû envoyer un courrier. Dans sa requête, elle avait annoncé l'envoi d'une nouvelle attestation car elle avait payé toutes ses dettes dès qu'elle avait pu et que son assurance-maladie lui avait confirmé ces paiements. Les poursuites avaient été supprimées et une attestation « vierge » de l'OP avait été envoyée à l'OCPM le 24 juillet 2018. Elle ne comprenait pas pourquoi ladite autorité avait rendu une décision négative à un moment où son dossier répondait déjà à toutes les conditions. Elle précisait qu'elle avait toujours dû aider financièrement ses parents malades aux Philippines, avait dû participer à des frais de funérailles et que, malgré ce fardeau financier, elle avait réussi à honorer son obligation de payer ses poursuites et les avait remboursées avant que la décision ne soit prise. Elle avait au demeurant appris qu'un dossier pouvait être suspendu quand une condition de la loi n'était pas complète mais pourrait l'être à l'avenir.

12) L'OCPM a conclu au rejet du recours. L'art. 11 al. 1 et 6 RNat ne laissait aucune marge d'appréciation à l'autorité quant aux conditions de recevabilité et d'engagement d'une procédure de naturalisation ordinaire dans le canton de Genève. Le caractère de la disposition était clair tout comme la volonté du législateur et du constituant genevois de simplifier et d'accélérer le traitement des procédures de naturalisation. Mme A______ ne contestait pas ne pas avoir été en mesure de présenter, avant le 1er janvier 2018, une attestation vierge de l'OP, soutenant qu'elle avait payé depuis lors toutes les poursuites. Il ressortait du tampon apposé sur la formule ad hoc qu'elle lui avait été remise le 24 avril 2015, soit plus de deux ans et demi avant l'abrogation de l'aLN. Mme A______ aurait dès lors largement eu le temps de s'acquitter de ses dettes, respectivement d'obtenir une attestation de l'OP conforme à l'art. 11 al. 1 et 6 RNat. La suspension de la procédure n'était pas possible, dans la mesure où les art. 13 et 14 RNat n'étaient applicables que lors de l'enquête, ce qui impliquait que la procédure soit déjà engagée. À titre superfétatoire, l'autorité intimée rappelait qu'il était toujours possible pour les titulaires de cartes de légitimation d'obtenir un titre de séjour à des conditions facilitées même s'il n'était plus possible de déposer une demande de naturalisation.

13) La recourante a répliqué, précisant qu'elle avait commencé ses démarches en 2015 mais qu'elle avait eu beaucoup de problèmes à obtenir les documents originaux aux Philippines ainsi que celui de l'état civil. Lorsqu'elle avait pu recevoir ce dernier, l'état civil lui avait dit que son jugement de divorce prononcé à Genève comportait une erreur de date et qu'il devait être rectifié, ce qui avait finalement été fait le 10 novembre 2017. Elle n'avait pas su que les poursuites de son assurance-maladie figuraient toujours sur l'extrait de l'OP, car elle les avait payées ; elle ne s'en était rendue compte qu'à la réception de l'extrait et avait alors réagi. Elle connaissait des ressortissants philippins qui avaient obtenu une suspension de la procédure en attente du paiement de leurs dettes et estimait qu'elle n'avait pas été traitée de la même manière.

14) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le présent litige soulève la question de la conformité au droit du refus d'engager la procédure de naturalisation, décidé par le secteur naturalisations du service suisses de l'OCPM, au motif que l'attestation de l'OP, datant de moins de trois mois, ne certifiait pas que la recourante ne faisait l'objet d'aucune poursuite en force ni n'avait d'acte de défaut de biens avant le 1er janvier 2018.

3) S'agissant du droit applicable, l'art. 50 al. 1 LN dispose que l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l'ancien droit jusqu'à ce qu'une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

La demande de naturalisation de l'intéressée ayant été reçue par l'autorité compétente le 21 décembre 2017, soit avant l'entrée en vigueur de la LN, elle doit être traitée en application de l'ancien droit.

4) En matière de naturalisation (ordinaire) des étrangers par les cantons, la Confédération édicte des dispositions minimales et octroie l'autorisation de naturalisation (art. 38 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Elle dispose d'une compétence concurrente à celle des cantons. Une réinterprétation de cette disposition constitutionnelle implique que la compétence dont dispose la Confédération lui permet de fixer des principes et, ainsi, de prévoir dans la loi des conditions dites « maximales », que les cantons sont tenus de respecter et qu'ils ne peuvent outrepasser. Tel est notamment le cas des règles sur la procédure de vote sur les demandes de naturalisation au niveau cantonal et communal (art. 15 à 15c aLN), sur les voies de recours (art. 50 aLN) et sur les émoluments de naturalisation (art. 38 aLN ; ATA/914/2019 du 21 mai 2019 consid. 4 et les références citées).

Les dispositions de l'aLN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, en respectant toutefois le droit supérieur, pour autant qu'ils n'entravent pas l'application du droit fédéral, par exemple en posant des exigences élevées au point de compliquer inutilement la naturalisation ou de la rendre tout simplement impossible (ATF 139 I 169 consid. 6.3 ; 138 I 305 consid. 1.4.3 ; 138 I 242 consid. 5.3).

Bien que ni le droit fédéral ni le droit cantonal n'accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation, il n'en reste pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/914/2019 précité consid. 4).

5) En vertu de l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Selon le Tribunal fédéral, le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 130 V 177 consid. 5.4.1). L'excès de formalisme peut résider dans la règle de comportement qui est imposée au plaideur ou dans la sanction qui est attachée à cette règle (ATF 132 I 249 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_145/2014 du 1er mai 2014 consid. 3.1).

En tant que tel, le respect des règles de procédure est indispensable pour assurer l'égalité devant la loi et la sécurité du droit. Le principe postule une sorte d'application du principe de la proportionnalité, sous l'angle de l'exigence d'un rapport raisonnable entre le but poursuivi et les moyens employés à cette fin (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 3ème éd., 2013, n. 1316). Dans l'exercice de ses compétences, toute autorité administrative est tenue de respecter le principe de la proportionnalité découlant des art. 5 al. 2 et
36 al. 3 Cst., qui commande que la mesure étatique en cause soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu'elle soit dans un rapport raisonnable avec l'atteinte aux droits des particuliers qu'elle entraîne (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1).

6) a. Selon l'art. 5 al. 1 Cst., le droit est la base et la limite de l'activité de l'État. Le principe de la légalité se compose de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l'exigence de la base légale. Le premier signifie que l'autorité doit respecter l'ensemble des normes juridiques ainsi que la hiérarchie des normes. Le second implique que l'autorité ne peut agir que si la loi le lui permet ; son action doit avoir un fondement dans une loi (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 621s, 624 et 650 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 448, 467 ss et 476 ss).

b. Au niveau fédéral, le principe de la séparation des pouvoirs est implicitement contenu dans la Constitution fédérale (Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 458). Il s'agit d'un droit constitutionnel dont peut se prévaloir le citoyen (ATF 130 I 1 consid. 3.1). Le principe de la séparation des pouvoirs interdit à un organe de l'État d'empiéter sur les compétences d'un autre organe ; en particulier, il interdit au pouvoir exécutif d'édicter des dispositions qui devraient figurer dans une loi, si ce n'est dans le cadre d'une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; 138 I 196 consid. 4.1 ; 134 I 322 consid. 2.2).

c. Dans le canton de Genève, l'art. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) consacre expressément le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 80 Cst-GE). Le Conseil d'État est chargé de l'exécution des lois et adopte à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE). À moins d'une délégation expresse, le Conseil d'État ne peut pas poser de nouvelles règles qui restreindraient les droits des administrés ou leur imposeraient des obligations, même si ces règles étaient conformes au but de la loi (ATF 134 I 313 consid. 5.3 ; 133 II 331 consid. 7.2.2 ; 130 I 140 consid. 5.1 ; ATA/914/2019 précité consid. 6 ; ATA/52/2015 du 13 janvier 2015 consid. 2 ; ACST/28/2018 du 12 décembre 2018 consid. 8b).

Le mécanisme de la délégation législative est solidement ancré dans le droit public cantonal (ATA/914/2019 précité consid. 6 ; ATA/585/2014 du 29 juillet 2014 consid. 4e). Il est en effet admis que le législateur cantonal a le droit de déléguer au gouvernement la compétence d'adopter des lois au sens matériel et de l'autoriser à créer des règles de droit sous forme d'ordonnance de substitution dépendante, fondée précisément sur une délégation législative. Ce droit est limité par quatre règles établies par une longue jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 128 I 113 consid. 2 ; 118 Ia consid. 3 ; 115 Ia 277 consid. 7) et qui ont valeur constitutionnelle. La délégation ne doit pas être prohibée par le droit cantonal. Elle doit se limiter chaque fois à une matière déterminée. Elle doit figurer dans une loi au sens formel. La norme de délégation doit indiquer le contenu essentiel de la réglementation. Un acte législatif qui ne respecte pas l'une ou l'autre de ces quatre conditions ainsi qu'une décision qui se base sur une telle ordonnance, manquent de base légale et violent le principe de la séparation des pouvoirs (ATA/914/2019 précité consid. 6 ; ATA/52/2015 précité consid. 2b ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., p. 543 ss.).

Le gouvernement peut édicter des règles de droit soit dans des ordonnances législatives d'exécution, soit dans des ordonnances législatives de substitution fondées sur une délégation législative. Les ordonnances d'exécution concrétisent les règles qui figurent dans la loi en précisant les modalités pratiques de son application, les questions d'organisation et de procédure, ou les termes légaux vagues et imprécis. Elles doivent rester dans le cadre tracé par la loi ; elles ne peuvent contenir que des normes dites secondaires. Une norme secondaire est une règle qui ne déborde pas du cadre de la loi, qui ne fait qu'en préciser certaines dispositions et fixer, lorsque c'est nécessaire, la procédure applicable. Par contre, les ordonnances de substitution fondées sur une délégation législative contiennent des normes dites primaires. Une norme primaire est une règle dont on ne trouve aucune trace dans la loi de base, une règle qui étend ou restreint le champ d'application de cette loi, confère aux particuliers des droits ou leur impose des obligations dont la loi ne fait pas mention. Ces normes primaires doivent toutefois respecter le cadre légal défini par la clause de délégation législative ; celle-ci doit notamment être ancrée dans la loi formelle et indiquer le contenu essentiel de la réglementation (ATF 134 I 322 consid. 2.4 ; 133 II 331 consid. 7.2.2 ; 132 I 7 consid. 2.2 ; 104 Ib 205 consid. 3b ; ATA/52/2015 précité consid. 2c ; ATA/571/2014 du 29 juillet 2014 consid. 6 ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., p. 540 ss ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 244 ss et 251 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 323 ss et 371).

Pour déterminer l'étendue du pouvoir réglementaire, il faut interpréter la loi quelle que soit la nature de la norme (Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 244 ss).

7) De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l'occasion de l'examen d'un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/914/2019 précité consid. 7 ; ATA/319/2018 du 10 avril 2018 consid. 6a et les arrêts cités ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 345 ss n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l'art. 49 al. 1 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1 ; ATA/914/2019 précité consid. 7). D'une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 141 V 455 consid. 6.1 et l'arrêt cité ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 3ème éd., 2013, p. 786 ss n. 2337 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/914/2019 précité consid. 7 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

8) Dans la procédure ordinaire de naturalisation, la nationalité suisse s'acquiert par la naturalisation dans un canton et une commune (art. 12 al. 1 aLN). Elle implique pour le candidat l'obtention d'une autorisation fédérale de naturalisation délivrée par l'office compétent (art. 12 al. 2 aLN) et l'octroi de la naturalisation cantonale et communale par les autorités cantonales et communales, en fonction des conditions et des règles de procédure déterminées par la législation du canton concerné (art. 15a al. 1 aLN).

Selon la jurisprudence, toutes les conditions de naturalisation doivent être remplies tant au moment du dépôt de la demande que lors de la délivrance de la décision de naturalisation (ATF 140 II 65 consid. 2.1 ; 128 II 97 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.2).

9) Au niveau fédéral, les conditions de la naturalisation sont énoncées aux art. 14 (conditions d'aptitude, matérielles) et 15 (conditions de résidence, formelles) aLN. Aux termes de l'art. 14 aLN, pour obtenir la nationalité suisse, l'étranger doit en particulier s'être intégré dans la communauté suisse (let. a), s'être accoutumé au mode de vie et aux usages suisses (let. b), se conformer à l'ordre juridique suisse (let. c) et ne pas compromettre la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (let. d).

a. Selon le Message du Conseil fédéral du 26 août 1987 concernant la révision de la loi sur la nationalité du 23 mars 1990 (FF 1987 III 285, 296), le candidat à la naturalisation doit avoir bonne réputation en matière pénale et en matière de poursuites et faillites. De plus, son comportement lors de l'exercice de ses droits et de l'accomplissement de ses devoirs doit pouvoir être pris en compte. D'après le Message du Conseil fédéral du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (FF 2011 2639, 2647), le respect de l'ordre juridique comprend notamment le respect de décisions des autorités et l'observation des obligations de droit public ou des engagements privés (par exemple, absence de poursuites ou de dettes fiscales, paiement ponctuel des pensions alimentaires).

b. Dans le domaine de la nationalité, le secrétariat d'État aux migrations
(ci-après : SEM) a établi le « Manuel sur la nationalité pour les demandes jusqu'au 31.12.2017 » (ci-après : Manuel ; consultable sur internet à l'adresse « https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/weisungen-kreisschreiben/ buergerrecht.html »), qui est applicable ratione temporis en conformité avec l'art. 50 LN et dont la chambre de céans, bien qu'elle n'y soit pas liée, peut tenir compte au titre de l'expression d'une pratique (ATA/269/2019 du 19 mars 2019 consid. 6i et les références citées). Le chapitre 4 du Manuel porte sur les conditions générales et les critères de naturalisation (ci-après : chapitre 4 du Manuel). Concernant la condition de l'aptitude à la naturalisation, les critères matériels sont généralement identiques pour l'ensemble des modes de naturalisation (ex : le respect de l'ordre juridique ou l'absence de menace pour la sûreté intérieure ou extérieure) ou au moins comparables (ex : intégration selon l'art. 14 LN pour la naturalisation ordinaire et intégration selon l'art. 26 LN pour la naturalisation facilitée ; chapitre 4 du Manuel, p. 3).

Le terme d'intégration comprend une vaste gamme de critères, parmi lesquels figure la conformité à l'ordre juridique suisse. Dans chaque cas, il est indispensable de procéder à une évaluation générale de la situation en matière d'intégration, en tenant compte de la situation personnelle des requérants, notamment aussi de facteurs tels que l'âge, la formation, les handicaps, etc. Les conditions d'intégration requises sont en règle générale examinées lors d'un entretien entre le requérant et l'autorité compétente pour la naturalisation. Certains cantons exigent la passation de tests de langue et de naturalisation (chapitre 4 du Manuel, p. 24). Dans le cadre d'une naturalisation ordinaire, la vérification de l'intégration incombe largement aux cantons, de sorte que le rôle de la Confédération se limite fondamentalement à vérifier si le requérant se conforme à l'ordre juridique suisse et s'il ne compromet pas la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (chapitre 4 du Manuel, p. 26). S'agissant de la conformité à la législation suisse, applicable tant pour la naturalisation ordinaire que la naturalisation facilitée, il s'agit, d'après la pratique, d'un critère se référant tant à la situation en matière de droit pénal qu'à la réputation financière (chapitre 4 du Manuel, p. 34). Une réputation financière exemplaire inclut, selon le SEM, l'absence d'actes de défaut de biens et de poursuites, mais aussi la satisfaction aux obligations fiscales à l'égard de la collectivité (chapitre 4 du Manuel, p. 40).

Dans le cadre d'une naturalisation ordinaire, l'examen de la réputation financière est généralement laissé aux cantons. Dans des cas spéciaux, la Confédération peut s'opposer à la délivrance de l'autorisation de naturalisation, par exemple lorsque la valeur des actes de défaut de biens établis est supérieure à CHF 50'000.-. En matière de poursuites et de faillite, les actes de défaut de biens et les poursuites en cours sont un obstacle à la naturalisation facilitée, étant précisé que la Confédération ne prend en considération les actes de défaut de biens établis que pendant cinq ans suivant leur émission. Pour évaluer si une poursuite ou une faillite constitue un obstacle à la naturalisation, il faut toujours examiner la situation dans son ensemble (chapitre 4 du Manuel, p. 40).

10) a. À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b de la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 - LNat - A 4 05, dans sa teneur actuelle et dans sa teneur antérieure à la dernière modification législative entrée en vigueur le 4 avril 2018). Selon l'art. 210 al. 2 Cst-GE, l'État facilite la naturalisation des personnes étrangères. La procédure est simple et rapide. Elle ne peut donner lieu qu'à un émolument destiné à la couverture des frais.

Le candidat doit notamment remplir les conditions prévues à l'art. 12 let. c et d LNat  à savoir : jouir d'une bonne réputation et avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge.

En vertu de l'art. 54 al. 1 LNat, le Conseil d'État est chargé d'édicter le règlement d'application de la LNat.

b. Sous l'intitulé « Introduction de la requête », l'art. 11 RNat (inchangé depuis le 1er juin 2017 sous réserve de modifications de dénominations) précise les documents qui doivent obligatoirement accompagner la demande de naturalisation (al. 1 à al. 5).

Parmi ceux-ci figure notamment une attestation de l'OP, datant de moins de trois mois, certifiant que le candidat n'a fait l'objet d'aucune poursuite en force ni acte de défaut de biens dans les 5 ans (art. 11 al. 1 let. d RNat).

À teneur de l'art. 11 al. 6 RNat, la procédure de naturalisation est engagée si : la durée du séjour répond aux normes fédérales et cantonales (let. a) ; tous les documents requis sont présentés (let. b) ; le candidat est au bénéfice d'un titre de séjour valable (let. c) ; le séjour en Suisse du candidat n'a pas subi d'interruption de fait de plus de six mois (let. d).

c. L'étranger adresse sa demande de naturalisation au Conseil d'État
(art. 13 al. 1 LNat). Selon l'art. 14 al. 1 LNat, le Conseil d'État délègue au département chargé d'appliquer la présente loi la compétence de procéder à une enquête sur la personnalité du candidat et sur celle des membres de sa famille ; il s'assure notamment que les conditions fixées à l'art. 12 LNat sont remplies. Le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : le département) est chargé de l'application de la LNat (art. 1 al. 1 RNat). Il délègue cette tâche au service cantonal des naturalisations sous réserve des attributions conférées au service d'état civil et légalisations (art. 1 al. 2 RNat).

Le département procède à l'enquête prescrite par la loi (art. 13 al. 1 RNat). La procédure peut être suspendue par le département jusqu'à amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête (art. 13 al. 6 RNat). Selon
l'art. 14 al. 1 RNat, une procédure est classée, soit à la demande du candidat, soit par décision du département, si la requête est déclarée irrecevable ou si elle a été suspendue pendant plus de trois ans.

L'art. 14 al. 7 LNat dispose que le Conseil d'État peut déclarer irrecevable une requête lorsque le candidat ne prête pas le concours nécessaire que l'on peut attendre de lui.

Une enquête sur la personnalité du candidat et les membres de sa famille est conduite par un enquêteur assermenté du département ou de la commune
(art. 15 al. 1 RNat). L'enquête constate les aptitudes du candidat à se faire naturaliser (art. 15 al. 2 RNat).

Conformément à l'art. 18 al. 1 LNat, dans tous les cas, le Conseil d'État examine le préavis du conseil administratif ou du maire, ou la délibération du conseil municipal. Il statue par arrêté ; sa décision, communiquée également à la commune concernée, est motivée en cas de refus. L'art. 21 al. 1 RNat précise que le Conseil d'État examine les requêtes en naturalisation suisse et genevoise qui lui sont soumises par le département.

d. Dans une affaire jugée en mai 2019 (ATA/914/2019 précité), la chambre administrative a annulé la décision de l'OCPM refusant d'entrer en matière sur une requête de naturalisation ordinaire formée par un fonctionnaire international et son épouse. L'OCPM s'était fondé sur le fait que les époux n'avaient pas été en mesure de présenter une attestation de l'AFC-GE certifiant de l'acquittement intégral de leurs impôts. Leur dossier était ainsi incomplet, ne comportant pas tous les documents requis au moment du dépôt de la demande. Rappelant que la notion de « tous les documents requis » figurant à l'art. 11 al. 6 let. b RNat ne pouvait - sous peine de violer le principe de la légalité - se référer qu'aux aspects formels du document mentionné à l'art. 11 al. 1 let. f RNat à l'exclusion de son contenu, la chambre de céans a relevé que les requérants avaient transmis une attestation de l'AFC-GE datant de moins de trois mois sur la question de leurs impôts et ainsi satisfait aux conditions formelles de naturalisation. Elle a ainsi partiellement admis le recours, considérant que l'OCPM aurait dû entrer en matière pour autant que les autres conditions fixées à l'art. 11 al. 6 RNat soient remplies.

Dans une affaire jugée en août 2019 (ATA/1223/2019 du 13 août 2019), la chambre administrative a également annulé la décision de l'OCPM refusant d'entrer en matière sur une requête de naturalisation ordinaire, se fondant sur le fait que le recourant n'avait pas été en mesure de présenter une attestation de connaissance orale de la langue nationale visée à l'art. 11 al. 1 let. f LNat, son dossier étant ainsi incomplet. Se référant à sa précédente jurisprudence, la chambre de céans a précisé que l'appréciation du contenu de l'attestation prévue à l'art. 11 al. 1 let. f RNat était une question qui relevait du fond de la demande de naturalisation ; en conséquence, elle a retenu que, dans la mesure où le recourant avait effectivement transmis plusieurs attestations démontrant son niveau de langue, il avait satisfait aux conditions formelles de naturalisation. Elle a ainsi partiellement admis le recours, considérant que l'OCPM aurait dû entrer en matière pour autant que les autres conditions fixées à l'art. 11 al. 6 RNat soient remplies.

11) En l'espèce, il n'est pas contesté que la recourante a fourni à l'OCPM, en décembre 2017, un extrait de l'OP, conformément aux exigences de nature formelle posées à l'art. 11 al. 1 let. d RNat. Le problème est que le contenu de l'attestation produite ne correspond pas à ce qui est prévu dans cette disposition réglementaire, à savoir l'absence de poursuite en force et d'acte de défaut de biens dans les cinq ans. La question à trancher est donc de savoir si le service compétent de l'OCPM pouvait refuser d'engager la procédure de naturalisation sur la base de l'art. 11 al. 1 let. d RNat, estimant que « tous les documents requis [n'étaient pas] présentés ». Ce refus a pour conséquence de priver la recourante à la fois d'une enquête sur sa situation et de l'appréciation de celle-ci par le Conseil d'État.

L'absence de poursuites et d'acte de défaut de bien est une condition figurant au seul art. 11 al. 1 let. d RNat. La demande d'extrait de l'OP n'est mentionnée ni dans la LNat ni dans l'aLN. Il ne s'agit pas d'une condition de naturalisation au sens de l'une de ces deux lois. Elle peut cependant être rattachée à l'art. 12 let. c et d LNat (exigeant une bonne réputation du candidat étranger et d'une situation financière permettant de subvenir à ses besoins) et à l'art. 14 let. a et c aLN (critère d'intégration et exigence de la conformité à l'ordre juridique suisse). Ces deux dispositions concernent l'aptitude du requérant à la naturalisation, à savoir une condition matérielle de naturalisation. L'absence de poursuites peut, dans ce cadre légal, être considérée comme un élément important à prendre en compte dans le cadre de l'application de ces deux normes. Toutefois, comme cela a été exposé plus haut, pour évaluer si une poursuite ou une faillite constitue un obstacle à la naturalisation, il faut toujours examiner la situation dans son ensemble. En l'espèce, la recourante a donné des explications au sujet de ses poursuites et les a intégralement réglées dans les mois suivants, au point qu'elle a pu fournir une attestation vierge en juillet 2018. Dans ces circonstances, l'existence de poursuites lors du dépôt de la requête en naturalisation de la recourante en décembre 2017 - dont le montant total ne dépassait alors pas la somme de CHF 50'000.- - n'est pas, au regard du droit fédéral, un motif suffisant pour écarter d'emblée sa demande.

Certes, le droit fédéral permet, comme évoqué ci-dessus, aux cantons de prévoir des exigences concrètes supplémentaires en matière d'aptitude. Toutefois, malgré l'importance incontestable de ce type de donnée, l'absence d'actes de poursuite et de défaut de biens n'est pas une condition d'aptitude prévue à l'art. 12 LNat. Il ne peut s'agir, vu la clause de délégation en faveur de l'exécutif genevois de l'art. 54 al. 1 LNat, que d'un critère à prendre en compte lors de l'examen des conditions de l'art. 12 LNat, en particulier sous l'angle de la bonne réputation - financière - des candidats.

L'absence d'actes de poursuite et de défaut de biens ne permet ainsi pas en soi d'exclure la réalisation d'une de ces conditions, en particulier s'agissant de celles de l'art. 12 let. c et d LNat exigeant la bonne réputation - financière - du candidat à la naturalisation. Dans la mesure où « la bonne réputation » est une notion juridique indéterminée, elle implique une large part d'appréciation et doit être précisée dans le cadre d'un examen global et concret de la situation des requérants. Ainsi, seule une exigence de nature purement formelle - telle que l'obligation de produire une attestation de l'OP récente sur la question de l'état des poursuites, par opposition à l'absence d'actes de poursuite et de défaut de biens - peut être assortie de la conséquence prévue à l'art. 11 al. 6 RNat, sans enfreindre la clause de délégation contenue à l'art. 54 al. 1 LNat et le principe de la séparation des pouvoirs. En effet, une telle exigence permet de préciser les conditions de la « bonne réputation » et de la situation financière, prévues à l'art. 12 let. c et d LNat en recueillant entre autres des renseignements sur le respect des obligations fiscales par les candidats, sans toutefois créer, à leur charge et en l'absence d'un fondement légal dans la LNat, une nouvelle obligation formelle (l'absence d'actes de poursuite et de défaut de biens) assortie d'une conséquence d'irrecevabilité (le refus d'engager la procédure de naturalisation). Ladite exigence assure également l'égalité de traitement entre tous les candidats à la naturalisation, dans la mesure où ils sont tous tenus de présenter une attestation de l'OP datant de moins de trois mois sur la question de l'état de leurs poursuites. Dès lors, la notion de « tous les documents requis » figurant à l'art. 11 al. 6 let. b RNat ne peut - sous peine de violer le principe de la légalité - se référer qu'aux aspects formels du document mentionné à l'art. 11 al. 1 let. d RNat, à l'exclusion de son contenu. Cette interprétation n'empêche pas l'autorité compétente de prendre en compte, lors de la décision au fond, la question de l'existence d'actes de poursuite et de défaut de biens par les candidats en tant qu'un des critères de l'appréciation de la condition de la bonne réputation financière prévue à l'art. 12 let. c et d LNat et de lui accorder le cas échéant une importance prépondérante.

De plus, l'examen des conditions matérielles de l'art. 12 LNat se fait, en droit genevois, dans le cadre de l'enquête sur la personnalité des candidats à la naturalisation (art. 14 al. 1 LNat, art. 15 al. 2 RNat). Le fait que cette enquête soit, vu les délégations de compétence en faveur du département et du service cantonal des naturalisations (art. 14 al. 1 LNat, art. 13 al. 1 RNat, art. 1 al. 2 RNat), du ressort de l'autorité intimée, ne permet cependant pas à celle-ci de refuser, sans autre, l'entrée en matière sur la demande de la recourante. En effet, cette dernière a collaboré sur tous les points et a produit, au moment du dépôt de sa requête, avant le 31 décembre 2017, l'attestation demandée, et ainsi satisfait aux exigences formelles posées par l'art. 11 al. 1 let. d RNat.

En refusant d'engager la procédure de naturalisation de la recourante sur la base de l'art. 11 al. 6 let. b RNat, au motif que l'attestation de l'OP mentionnait des poursuites et actes de défaut de biens, l'autorité intimée s'est en réalité prononcée sur une question d'ordre matériel. L'appréciation de la réalisation de conditions matérielles dans un cas concret relève de la compétence du Conseil d'État, qui doit statuer sur les demandes de naturalisation (art. 18 LNat et 21 RNat). Cette appréciation ne saurait être écartée par une décision d'irrecevabilité, à savoir le refus d'engager la procédure de naturalisation, fondée sur une exigence réglementaire de nature matérielle, qui ne respecte pas - comme exposé supra - le principe de la légalité et celui de la séparation des pouvoirs. Admettre la manière de faire de l'autorité intimée dans la présente affaire reviendrait à lui donner une faculté que la loi ne lui accorde pas, à savoir celle d'exclure de la naturalisation les candidats produisant des attestations de l'OP mentionnant l'existence de poursuites à une date déterminée alors que l'examen de la condition de la bonne réputation financière - prévue à l'art. 12 let. c et d LNat - implique une appréciation globale de la situation des candidats. En outre, il découle de la systématique du RNat la possibilité de suspendre, après l'entrée en matière, la procédure de naturalisation jusqu'à « amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête » (art. 13 al. 6 RNat). La manière de procéder en l'espèce de l'autorité intimée empêche les candidats à la naturalisation de bénéficier le cas échéant de cette possibilité.

Par conséquent, l'appréciation du contenu de l'attestation prévue à l'art. 11 al. 1 let. d RNat est une question qui relève du fond de la demande de naturalisation. Elle se confond avec l'appréciation des conditions matérielles de naturalisation prévues à l'art. 12 LNat, en particulier avec celle de la bonne réputation financière (let. c et d). L'autorité intimée peut l'examiner lors de l'enquête sur la personnalité des candidats à la naturalisation comme cela est prévu par l'art. 14 al. 1 LNat et l'art. 15 al. 2 RNat, en procédant à une instruction sur ce point, le cas échéant en ordonnant une suspension de procédure au sens de l'art. 13 al. 6 RNat. Elle ne peut cependant pas, par une décision d'irrecevabilité comme en l'espèce, décider de l'impact du contenu de la pièce précitée sur les conditions de naturalisation, cette compétence ressortant du seul Conseil d'État.

En refusant d'engager la procédure de naturalisation de la recourante au seul motif que l'attestation de l'OP mentionnait l'existence de poursuites en cours, l'autorité intimée a violé le principe de la légalité et celui de la séparation des pouvoirs pour les motifs susmentionnés. La décision litigieuse n'est donc pas conforme au droit et doit être annulée.

Le dossier sera retourné à l'autorité intimée afin qu'elle entame le traitement - sous l'ancien droit, en application de l'aLN - de la requête de naturalisation de la recourante, et, le cas échéant, après une éventuelle instruction complémentaire, la transmette au Conseil d'État pour décision.

12) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), la procédure étant gratuite s'agissant d'une décision en matière de naturalisation (art.  12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, qui n'a pas exposé de frais (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2019 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 21 décembre 2018 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 21 décembre 2018 ;

renvoie le dossier à l'office cantonal de la population et des migrations pour traitement de la demande de naturalisation de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______, ainsi qu'à l'office cantonal de la population et des migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :