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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1066/2015

ACST/9/2015 du 30.04.2015 ( ABST ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1066/2015-ABST ACST/9/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Décision du 30 avril 2015

Sur effet suspensif

dans la cause

 

UNION DES CADRES DE L'ADMINISTRATION CANTONALE GENEVOISE (UCA)

Madame A______

Monsieur B______

Monsieur C______

Monsieur D______

Monsieur E______

Monsieur F______

Monsieur G______

Monsieur H______

Monsieur I______

Monsieur J______

Madame K______

Monsieur L______

Madame M______

Madame N______

Madame O______

représentés par Me David Hofmann, avocat

 

contre

GRAND CONSEIL


 

 

Attendu, en fait, que :

1) Le 13 novembre 2008, le Grand Conseil a adopté la loi 10250, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, qui introduisait notamment un nouvel article 23A dans la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15).

Cette disposition avait la teneur suivante : « Dès le 1er janvier 2009 et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle évaluation des fonctions, les cadres dès la classe 27 exerçant des responsabilités hiérarchiques peuvent percevoir une indemnité, égale à 8,3 % de leur salaire annuel, versée en 13 mensualités. Le traitement, indemnité incluse, ne peut dépasser le montant correspondant à la classe 33, position 21, de l'échelle des traitements. Le Conseil d'État fixe par règlement la liste des bénéficiaires ».

Le projet de loi (ci-après : PL) 10250 avait été déposé par le Conseil d'État le 19 avril 2008, et ne contenait pas la disposition en cause, dont le principe a été proposé – et refusé – en commission parlementaire (MGC 2008-2009/I A 196 et 199), et qui a été adoptée sous forme d'amendement en séance plénière (MGC 2008-2009/I D/2 155-173).

2) Le 3 décembre 2013, 11 députés ont déposé un PL 11328 modifiant la LTrait, projet intitulé « suppression du 14e salaire des cadres supérieurs, dans un esprit de partage et de solidarité » et visant uniquement à l'abrogation de l'art. 23A LTrait.

3) Le 29 janvier 2015, le Grand Conseil a adopté la loi 11328, qui, amendée durant les travaux parlementaires, abrogeait l'art. 23A LTrait et introduisait un article 23B LTrait dont la teneur était la suivante : « Dès l'entrée en vigueur de la loi 11328, du 29 janvier 2015, et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle évaluation des fonctions mais au plus tard jusqu'au 31 décembre 2017, les médecins des Hôpitaux universitaires de Genève dès la classe 27 exerçant des responsabilités hiérarchiques peuvent percevoir une indemnité, égale à 8,3 % de leur salaire annuel, versée en 13 mensualités. Le traitement, indemnité incluse, ne peut dépasser le montant correspondant à la classe 33, position 14, de l'échelle des traitements. Le Conseil d'Etat fixe par règlement la liste des bénéficiaires ».

4) La loi 11328 a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 6 février 2015.

5) Le délai référendaire ayant expiré sans avoir été utilisé, le Conseil d'État a adopté le 25 mars 2015 un arrêté de promulgation de la loi 11328, qui a été publié dans la FAO le 27 mars 2015.

6) La loi 11328 est entrée en vigueur le lendemain, soit le 28 mars 2015.

7) Par acte déposé le 31 mars 2015, l'Union des cadres de l'administration cantonale genevoise (ci-après : UCA), ainsi que Mesdames A______, K______, M______, N______ et O______ et Messieurs B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et L______, tous cadres supérieurs de l'administration cantonale auparavant bénéficiaires de l'indemnité d'encadrement prévue par l'art. 23A LTrait, ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la loi 11328, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours, et principalement à l'annulation de (l'abrogation de) l'art. 23A de la loi 11328 et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Si l'effet suspensif n'était que rarement accordé en matière de contrôle abstrait des normes, il convenait de faire une exception en l'espèce. Les cadres touchés par la loi, qui ne prévoyait aucun régime transitoire, verraient concrètement leur traitement être amputé de 8.3 %, ce qui pouvait avoir des conséquences difficiles pour eux, pouvant mettre en péril le versement de leurs acomptes provisionnels, de leurs contributions d'entretien ou de leurs frais de logement.

L'absence de restitution de l'effet suspensif entraînerait également le dépôt de très nombreux recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), qui auraient quant à eux un effet suspensif en principe automatique, et paralyseraient la chambre administrative alors que la question pouvait être traitée dans le cadre d'un seul recours par la chambre constitutionnelle.

Il convenait également de tenir compte du nombre important de personnes concernées, et des bonnes chances de succès du recours.

Sur le fond, les recourants invoquaient le principe de la bonne foi, qui imposait dans certains cas l'adoption d'un régime transitoire, la protection des droits acquis, en lien également avec le principe de la bonne foi, ainsi que l'interdiction de l'arbitraire dans la loi.

8) Le 27 avril 2015, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif au recours.

Le risque de préjudice financier des recourants était purement hypothétique, et non étayé par des éléments concrets. L'allégation au sujet du dépôt de nombreux recours auprès de la chambre administrative ne reposait également que sur des suppositions ; et si de tels recours étaient déposés et déployaient réellement un effet suspensif automatique, l'urgence nécessaire à la restitution de l'effet suspensif ne pourrait être retenue dans la présente cause. Le nombre de personnes concernées – environ 180 – n'était pas déterminant par rapport à la restitution de l'effet suspensif, mais plutôt la préservation des finances de l'État. Il existait en effet toujours une incertitude quant à la restitution, en cas de rejet du recours, de sommes allouées à des collaborateurs à titre provisoire, alors que l'État pourrait quant à lui faire face intégralement à ses obligations financières en cas d'admission du recours.

Au surplus, le recours devait être rejeté sur le fond.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) La question de la recevabilité du recours sera en l'état réservée, et son examen reporté à l'arrêt au fond.

2) Selon l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, le recours n’a pas effet suspensif (al. 2) ; toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, restituer l’effet suspensif (al. 3).

3) Les décisions sur mesures provisionnelles, y compris sur effet suspensif, sont prises par le président ou le vice-président ou, en cas d’urgence, par un autre juge de la chambre constitutionnelle (art. 21 al. 2 et 76 LPA).

4) Selon l'exposé des motifs du PL 11311 portant mise en œuvre de la Cour constitutionnelle, en matière de recours abstrait, il n'est pas concevable que le dépôt du recours bloque le processus législatif ou réglementaire ; il a dès lors été proposé de supprimer l'effet suspensif automatique, la chambre constitutionnelle conservant toute latitude pour restituer, totalement ou partiellement, l'effet suspensif lorsque les conditions légales de cette restitution sont données (PL 11311, p. 15).

5) a. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.1), l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

b. L'octroi de mesures provisionnelles – au nombre desquelles figure l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

6) Par ailleurs, et dans la pratique du Tribunal fédéral tout du moins, en matière de contrôle abstrait des normes, l'effet suspensif n'est en principe pas accordé, sous réserve que les chances de succès du recours apparaissent à ce point manifestes qu'il se justifie de déroger au principe (Claude-Emmanuel DUBEY, La procédure de recours devant le Tribunal fédéral, in François BELLANGER/Thierry TANQUEREL [éd.], Le contentieux administratif, 2013, 137-178, p. 167).

7) En l'espèce, la condition de l'urgence n'apparaît pas donnée. En effet, malgré l'absence de régime transitoire, et donc la diminution de traitement de 8.3 % qui s'en ensuivra assez abruptement, les personnes touchées sont, par définition, colloquées en classe 27 et au-delà de l'échelle des traitements, et ont ainsi en principe des revenus dont la diminution n'est guère susceptible d'entraîner des conséquences par trop dommageables sur leur situation financière, d'autant que certaines mesures – telles que, en ce qui concerne les impôts, des demandes d'adaptation des acomptes provisionnels – peuvent être prises pour limiter l'impact négatif de cette diminution de revenus, et que les recourants ne donnent pas de détails concrets concernant ne serait-ce que l'un d'entre eux permettant d'admettre un dommage imminent et sérieux.

8) En outre, les intérêts en jeu étant purement pécuniaires, l'intérêt privé des recourants doit céder le pas à l’intérêt public à la préservation des finances de l’État, conformément à la jurisprudence constante de la chambre administrative (ATA/300/2015 du 24 mars 2015 consid. 8 ; ATA/253/2015 du 6 mars 2015 consid. 8 ; ATA/991/2014 du 15 décembre 2014 ; ATA/525/2014 du 4 juillet 2014 et les références citées), que la chambre de céans peut sans difficulté reprendre à son compte en l'espèce. Il y a en effet, de manière générale, une incertitude quant à la capacité des recourants à rembourser les montants perçus en cas de confirmation de la loi querellée, alors que l’État de Genève serait à même de verser les montants dus en cas d’issue favorable du recours, et cela même si la cause ne pouvait être tranchée rapidement.

9) Quant au principe d'économie de procédure, que les recourants invoquent en substance en évoquant le dépôt de très nombreux recours auprès de la chambre administrative, il ne peut avoir qu'une influence marginale dans la pesée des intérêts à opérer, et ne saurait dès lors être décisif en l'espèce.

10) Au vu de ce qui précède, la demande de restitution de l’effet suspensif sera refusée, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me David Hofmann, avocat des recourants, ainsi qu'au Grand Conseil.


Le président :

 

Jean-Marc Verniory

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :