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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9351/2019

ACPR/686/2022 du 05.10.2022 sur OMP/10334/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;NOUVEAU MOYEN DE DROIT;NOUVEAU MOYEN DE FAIT;GESTION DÉLOYALE
Normes : Cst.29; CPP.323; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9351/2019 ACPR/686/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 octobre 2022

 

Entre

A______ SA, domiciliée, ______ Genève,

B______, domicilié, ______ Genève,

tous deux comparant par Me C______, avocat, ______, Genève,

recourants,

 

contre la décision de refus de reprise de la procédure préliminaire rendue le 16 juin 2022 par le Ministère public

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 29 juin 2022, A______ SA et B______ recourent contre la décision du 16 juin 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner la reprise de la procédure préliminaire.

Les recourants concluent à l'annulation de cette décision et à la reprise de la procédure pénale.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'500.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ SA est une société suisse dont le but est le commerce international de métaux précieux. Elle a été fondée le ______ 2010 par D______.

b. Le ______ 2018, B______ et E______ se sont portés acquéreurs de 100% des actions de A______ SA. Ils ont ensuite été nommés administrateurs de cette société.

c. Le 2 mai 2019, B______, en son nom et en qualité d'organe de A______ SA a déposé plainte pénale à l'encontre de D______ des chefs d'abus de confiance, gestion déloyale et escroquerie.

En substance, il lui reprochait de nombreuses malversations au détriment de A______ SA, notamment d'avoir détourné des fonds via plusieurs sociétés, à savoir F______ SA, G______ Ltd et H______ SA, dont il en était respectivement, le fondateur, le propriétaire et l'actionnaire unique. D______ avait également employé fictivement ses trois enfants et utilisé la carte de crédit de A______ SA pour des paiements privés, en particulier pour le paiement de billets d'avion pour ______[UAE] au nom de son épouse, I______. Lors des négociations, le mis en cause avait dissimulé le fait que la société était surendettée. Enfin, il avait réglé une créance de CHF 29'171.- en sa propre faveur alors qu'il s'était engagé à y renoncer.

À l'appui de leur plainte, les plaignants avaient transmis divers documents, notamment le contrat de vente de A______ SA et des relevés bancaires de la société.

d. Entendu par la police le 29 août 2019, D______ a contesté les faits reprochés. Il avait toujours veillé aux intérêts de la société dans la gestion de celle-ci. S'agissant de la créance de CHF 29'171.-, le remboursement était prévu dans le contrat de vente et il n'avait jamais été question de l'abandonner. Il s'était expliqué sur les prêts, décaissement et avances effectués en faveur des autres sociétés. Il avait fait le point en détail avec B______ et E______ sur les relations commerciales entre A______ SA et F______ SA. Ses enfants avaient effectivement travaillé pour A______ SA et des contrats de travail avaient été conclus. Il n'avait pas utilisé l'argent de la société à des fins privées, justifiant lesdites dépenses. En particulier, s'agissant de l'achat de billets d'avion pour ______[UAE] en faveur de son épouse, laquelle aurait travaillé comme salariée temporaire, le voyage n'avait en réalité pas eu lieu. Il en avait d'ailleurs informé B______ et lui avait suggéré de demander le remboursement des billets auprès de la compagnie. Enfin, concernant la dissimulation du surendettement de la société, B______ et E______ s'étaient personnellement rendus auprès de la fiduciaire J______ SA afin de consulter l'intégralité de la comptabilité de A______ SA et de poser toutes les questions sur la société. Ils étaient donc au courant de la situation et avaient, le 15 novembre 2018 – soit avant de signer le contrat –, consulté le grand livre, les comptes et le bilan définitif de la société pour l'année 2017. Le surendettement de la société ressortait tant du bilan au 31 décembre 2017, paraphé par les susnommés, que du contrat de vente qui mentionnait le terme "assainissement" à plusieurs reprises. Il avait produit de nombreux documents, soit des courriels, le contrat de vente de la société ainsi que les contrats de prêt et de portage salarial conclus avec la société F______ SA.

e. La société K______ SA est intervenue, au titre de courtier, dans le cadre des négociations de vente de l'entreprise A______ SA. L'un de ses employés a été auditionné par la police en qualité de personne appelée à donner des renseignements. Il a déclaré avoir eu plusieurs rendez-vous avec D______ et B______ avant la vente, afin de discuter ouvertement de la société, de son fonctionnement et de sa santé financière. B______ avait consulté les comptes de la société et semblait parfaitement conscient de sa mauvaise situation financière. Le prix de vente de la société était très bas, en raison d'un risque financier très élevé. À son sens, B______ était au courant des dettes de la société et savait que le rachat de celle-ci représentait un risque. Il n'avait pas constaté d'irrégularités, de malversations ou de détournements dans les comptes. Selon lui, D______ avait dû effectuer diverses démarches comptables pour éviter la faillite de la société.

f. Par décision du 26 avril 2021, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits dénoncés par B______ et A______ SA sur la base de l'art. 310 al. 1 let. a CPP.

Les éléments au dossier – en particulier les pièces produites et les déclarations de la personne appelée à donner des renseignements – ne permettaient pas d'établir que B______ avait été trompé par D______ lors de la vente de A______ SA, laquelle avait été conclue en toute transparence. Les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie n'étaient donc pas réunis.

Il en allait de même des éléments constitutifs de l'infraction de gestion déloyale. Aucun élément du dossier ne permettait d'établir que D______ avait adopté un comportement typique de la gestion déloyale. Il n'avait pas agi avec l'intention de violer son devoir de gestion et de créer un dommage pour la société. Rien ne permettait d'établir que les risques pris dans le cadre de la gestion de la société, le cas échéant, n'étaient pas conformes aux intérêts de celle-ci.

Pour le surplus, les éventuelles doléances de l'acheteur sur l'exécution du contrat ressortaient de la compétence des autorités civiles.

g. Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

h. Le 16 décembre 2021, B______ et A______ SA ont demandé au Ministère public la reprise de la procédure préliminaire, soulevant l'existence d'éléments nouveaux au sens de l'art. 323 al. 1 CPP. À l'appui de leur requête, ils ont produit un courrier de l'Administration fédérale des contributions (ci-après: AFC) du 14 juin 2021, faisant suite à la révision de la société effectuée le 1er juin 2021 et ayant notamment la teneur suivante: "Lorsqu'une société prend à sa charge des frais qui ne sont pas commercialement justifiés et que, dans ce contexte, ce sont en fait ses actionnaires ou des personnes proches de ceux-ci qui en bénéficient, sans qu'une contreprestation équivalente de leur part ne soit effectuée, la société leur consent une prestation appréciable en argent au sens des dispositions légales précitées. Il est à relever que seuls les frais d'acquisition du revenu qui sont indispensables à la recherche exclusive du but social sont considérés comme justifiés commercialement.

Lors de notre contrôle pour les exercices 2016 à 2018, nous avons relevé que la société avait pris à sa charge des frais non justifiés commercialement et effectué des avances à une société sœur que nous requalifions fiscalement comme étant des prêts simulés. Par conséquent, ces frais et ces avances sont assimilés à des prestations appréciables en argent soumises à l'impôt anticipé de 35% [ ]".

La décision précitée permettait d'établir que le mis en cause avait, en sa qualité d'ancien administrateur de A______ SA, manifestement agi en violation de ses devoirs avec l'intention de créer un dommage à la société à tout le moins de
CHF 280'000.- (correspondant aux charges non justifiées et avances pour les exercices 2016 à 2018) et de CHF 98'000.- (correspondant au montant de l'impôt anticipé).

En outre, après un nouvel examen des comptes bancaires de la société suivant le contrôle de l'AFC, de nouveaux prêts simulés en faveur de I______, d'un montant total de CHF 50'389.10, avaient été découverts, lesquels n'avaient pas pu être soulevés dans la plainte pénale du 2 mai 2019. Il avait encore été récemment découvert que le mis en cause avait procédé au retrait de 50 pièces d'Or Krugerrand du coffre de A______ SA, le 5 décembre 2016, ainsi qu'il avait effectué, le même jour, deux retraits en espèces de EUR 8'960.- et CHF 1'860.-.

Ces nouveaux éléments confirmaient également que le mis en cause, en sa qualité d'ancien administrateur de la société A______ SA, avait bel et bien adopté un comportement constitutif d'abus de confiance et de gestion déloyale.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a refusé d'ordonner la reprise de la procédure préliminaire, considérant que la décision de l'AFC – produite par les plaignants comme moyen de preuve nouveau – portait sur des faits déjà connus de l'autorité.

En tout état, même à supposer qu'il s'agissait d'éléments nouveaux, ceux-ci n'étaient pas susceptibles d'apporter des indices supplémentaires permettant d'envisager une responsabilité pénale du prévenu. Par ailleurs, les autres éléments fournis ne modifiaient en rien la conclusion selon laquelle les éléments constitutifs des infractions dénoncées n'étaient pas remplis. La non-entrée en matière se justifiait donc toujours.

Partant, la procédure pénale n'avait pas à être reprise.

D. a. À l'appui de leur recours, A______ SA et B______ reprochent, en premier lieu, au Ministère public d'avoir refusé de reprendre la procédure préliminaire, en dépit des faits nouveaux figurant dans la décision de l'AFC, confirmant la responsabilité de D______. En effet, bien que la mise à la charge de la société de frais non justifiés commercialement et l'octroi d'avances aient été effectués avant le prononcé de l'ordonnance de non-entrée en matière, il n'en demeurait pas moins que leur qualification en prêt simulé après le contrôle de l'AFC de même que le montant de CHF 98'000.- (payé au titre d'impôt anticipé) étaient des éléments nouveaux permettant de reconsidérer les faits comme constitutifs d'une infraction de gestion déloyale, ce d'autant que le principe in dubio pro duriore, s'appliquait au cas d'espèce. De même, les versements opérés en faveur de I______, en 2016, ainsi que les retraits effectués par D______, à la même époque, devaient également être considérés comme des moyens de preuve nouveaux, dès lors que ces éléments de fait avaient pu être découverts uniquement à la suite de la décision de l'AFC. C'était donc à tort que le Ministère public avait refusé la reprise de la procédure.

En second lieu, les recourants font valoir un déni de justice, dans la mesure où l'autorité intimée n'avait pas examiné, dans sa décision querellée, les faits nouveaux qu'ils avaient mis en exergue. En outre, la motivation de la décision était lacunaire, dès lors qu'elle ne leur permettait pas de comprendre les motifs du refus de leur requête en reprise de la procédure préliminaire.

b. Dans ses observations, le Ministère public persiste dans ses conclusions et conclut au rejet du recours comme étant mal fondé.

S'agissant de la décision de l'AFC, quand bien même elle était postérieure à l'ordonnance de non-entrée en matière, elle ne faisait pas apparaître de faits qui ne ressortaient pas du dossier antérieur et qui seraient de nature à apporter un éclairage nouveau à la procédure, étant donné qu'elle concernait des versements effectués en faveur de proches du mis en cause, faisant déjà l'objet de la plainte pénale du 2 mai 2019. Le mis en cause n'avait, en outre, pas participé à la révision de la société par l'AFC.

Concernant les autres "prêts simulés" en faveur des époux D/I______ découverts lors d'un nouvel examen des comptes, les recourants les connaissaient au moment de la procédure pénale, étant en possession des pièces bancaires et comptables de la société à cette époque déjà.

Quoiqu'il en soit, les versements mentionnés dans le recours n'étaient pas susceptibles d'influer sur l'état de faits qui fondait la décision de non-entrée en matière.

Par ailleurs, la vente de A______ SA en 2018 avait été conclue en toute transparence. B______ avait pu consulter l'intégralité de la comptabilité de la société avant l'achat de celle-ci et connaissait sa situation financière, y compris ses dettes.

Enfin, les recourants avaient clairement compris les fondements de la décision querellée, compte tenu des arguments développés dans leur recours, si bien qu'il n'existait ni violation de leur droit d'être entendu ni déni de justice.

c. Les recourants répliquent. Ils persistent dans leurs précédents développements et produisent une nouvelle pièce, à savoir un pli de l'AFC du 3 février 2022, à teneur duquel aucun revenu en provenance de la société A______ SA n'avait été déclaré aux autorités compétentes françaises par I______ alors même qu'"[ ] en tant que résidente fiscale française, Madame I______ devait déclarer les revenus de source française et étrangère.". Ce nouvel élément constituait une preuve suffisante que les explications du mis en cause étaient fallacieuses et qu'il avait agi en violation de ses devoirs, engageant ainsi sa responsabilité pénale.

Par ailleurs, A______ SA, en tant que plaignante, avait un intérêt propre à la bonne tenue de ses affaires et à une gestion diligente, de sorte que le fait que B______ ait eu connaissance de sa comptabilité lors de l'achat de la société n'était pas pertinent.

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il concerne en outre une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. La qualité pour recourir de la partie plaignante, du lésé ou du dénonciateur est subordonnée à la condition qu'ils soient directement touchés par l'infraction et puissent faire valoir un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 et les arrêts cités), ce qui exclut les personnes subissant un préjudice indirect ou par ricochet, tel le proche ou le créancier (ATF 92 IV 1 consid. 1 p. 2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_9/2015 du 23 juin 2015 consid. 2.3.1 et les références doctrinales citées; G. PIQUEREZ, Traité de procédure pénale suisse, 2006, p. 656 n. 1027).

Le patrimoine des sociétés anonymes est distinct de celui de son ou ses actionnaire(s); il n'est pas considéré comme confié à leurs organes dirigeants. Ce raisonnement est fondé sur la conception que les organes d'une société ne sont pas des tiers vis-à-vis de celle-ci, mais une composante d'elle-même; les organes ne reçoivent ainsi pas à proprement parler le patrimoine de la société aux fins de le gérer dans l'intérêt de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 6B_326/2012 du 14 janvier 2013 consid. 2.5.3). Ainsi, les actes de disposition illicites opérés par l'auteur avec le patrimoine social, dans le cadre de son activité en tant qu'organe, remplissent les éléments constitutifs objectifs de la gestion déloyale, au sens de l'art. 158 CP, lorsque la société est, de la sorte, lésée. Il en résulte notamment que, lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésé, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3 p. 386; 140 IV 155 consid. 3.3.1 p. 158).

1.2.2. En l'occurrence, la plainte des recourants dénonçait un abus de confiance et une gestion déloyale, soit des infractions protégeant le patrimoine, en lien avec des transferts touchant exclusivement les avoirs de A______ SA.

Cette société dispose donc de la qualité pour recourir, dès lors qu'elle paraît, prima facie, avoir été directement lésée par les faits dénoncés.

Par conséquent, le recours formé par A______ SA est recevable.

1.2.3. B______, en ses qualités d'administrateur et actionnaire, n'a pas été directement touché par les agissements du mis en cause. Il en résulte qu'il ne dispose d'aucun intérêt juridique protégé pour recourir contre la décision de refus de reprise de la procédure préliminaire.

Son recours est, partant, irrecevable.

1.3. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.1 et 3.2 et 1B_768/2012 du 15 janvier 2013 consid. 2.1).

2.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue et d'un déni de justice.

2.1. L'autorité qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante et pertinent pour l'issue du litige, commet un déni de justice formel proscrit par l'art. 29 al. 1 Cst.. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 p. 565). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_23/2009 du 25 mai 2009 consid. 3.1).

2.2. En l'espèce, il apparaît que l'autorité intimée a explicitement fait référence à la décision de l'AFC produite et a clairement évoqué les motifs de son refus, à savoir que les éléments contenus dans cette décision n'étaient pas nouveaux et n'amenaient aucun indice supplémentaire permettant d'envisager une responsabilité pénale du prévenu. La recourante a clairement compris les fondements de la décision litigieuse, tel qu'elle le démontre par les motifs invoqués dans son recours.

Partant, le grief portant sur la violation du droit d'être entendu et le déni de justice sera rejeté.

3.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas avoir ordonné la reprise de la procédure préliminaire.

3.1. Selon l'art. 323 al. 1 CPP, le ministère public ordonne la reprise d'une procédure préliminaire close par une ordonnance de classement entrée en force s'il a connaissance de nouveaux moyens de preuves ou de faits nouveaux qui remplissent les conditions suivantes : ils révèlent une responsabilité pénale du prévenu (let. a) ; ils ne ressortent pas du dossier antérieur (let. b).

Ces deux conditions doivent être cumulativement remplies et supposent que les faits ou les moyens de preuve concernent des événements antérieurs à la décision de classement, soit à la décision sur laquelle l'autorité entend revenir (ATF 141 IV 194 consid. 2.3 p. 197; arrêts du Tribunal fédéral 6B_653/2016 du 30 mars 2017 consid. 2.2.2 et 6B_1015/2013 du 8 avril 2014 consid. 5.1).

Cet article vise une sorte de "révision étroite" : seuls deux motifs (applicables de manière cumulative) exhaustivement énumérés dans la loi peuvent ouvrir la révision (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 1 ad art. 323).

3.2. En raison du renvoi de l'art. 310 al. 2 CPP, les conditions pour la reprise de la procédure posées à l'art. 323 al. 1 CPP s'appliquent également à la procédure close par une ordonnance de non-entrée en matière. Dans ce dernier cas, les conditions de la reprise sont cependant moins sévères qu'en cas de reprise après une ordonnance de classement (ATF 141 IV 194 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1135/2016 du 24 novembre 2017 consid. 3.1 et 6B_1015/2013 du 8 avril 2014 consid. 5.1).

Quand bien même les exigences pour la reprise de la procédure au sens de l'art. 323 al. 1 CPP sont moindres par rapport à celles prévalant en matière de révision au sens des art. 410 ss CPP, il n'en demeure pas moins que des nouvelles mesures d'instruction doivent alors être justifiées sur la base de nouveaux indices permettant concrètement d'envisager une responsabilité pénale du prévenu (arrêts du Tribunal fédéral 6B_92/2014 du 8 mai 2014 consid. 3.1 et 1B_662/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3.1 et les références citées). Il faut en somme que le nouveau moyen de preuve rende vraisemblable une modification de la décision (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1135/2016 du 24 novembre 2017 consid. 3.1 et les références citées et 6B_92/2014 du 8 mai 2014 consid. 3.1).

Lorsqu'une ordonnance de non-entrée en matière a été rendue en raison de la non-réalisation manifeste des éléments constitutifs de l'infraction ou des conditions à l'ouverture de l'action pénale (art. 310 al. 1 let. a CPP), les faits ou moyens de preuve nouveaux doivent remettre en cause les certitudes que le ministère public devait être à même d'afficher pour rendre une telle décision et, dans le même temps, fonder des soupçons suffisants laissant présumer qu'une infraction a été commise (cf. art. 309 al. 1 let. a CPP; ATF 144 IV 81 consid. 3.2 et les références citées = SJ 2018 I 421; arrêt du Tribunal fédéral 6B_178/2017 du 25 octobre 2017 consid. 2.2.2).

3.3. Les moyens de preuves sont nouveaux s'ils étaient inconnus au moment de rendre l'ordonnance de classement ou de non-entrée en matière. Ce qui est décisif est de savoir si des informations pertinentes figuraient déjà au dossier ou non. Les moyens de preuve ne sont pas considérés comme nouveaux s'ils ont été cités, voire administrés, lors de la procédure close, sans être toutefois complètement exploités. En revanche, un fait ou un moyen de preuve sera qualifié de nouveau lorsque le ministère public ne pouvait pas en avoir connaissance dans la procédure antérieure, même en ayant fait montre de la plus grande diligence (ATF 141 IV 194 consid. 2.3).

Si le ministère public ou une partie (notamment la partie plaignante) a eu connaissance à l'époque d'un moyen de preuve ou d'un fait important mais ne l'a pas soulevé dans la procédure ayant conduit au classement ou à la non-entrée en matière, le principe de la bonne foi ou l'interdiction de l'abus de droit devrait en règle générale faire obstacle à une reprise de la procédure dans de telles conditions, au détriment du prévenu (FF 2006, p.1258).

3.4. En l'occurrence, le Ministère public n'avait pas connaissance de la décision de l'AFC du 14 juin 2021 au moment où il a rendu sa décision de non-entrée en matière. Il est dès lors question d'un élément nouveau.

Par ailleurs, l'ordonnance de non-entrée en matière n'est plus susceptible d'une voie de recours ordinaire selon le CPP et est ainsi entrée en force.

Reste à examiner si la décision de l'AFC peut être considérée comme un moyen de preuve nouveau au sens de l'art. 323 CPP.

Selon la recourante, cette décision permettrait d'établir que le mis en cause avait manifestement fait passer ses intérêts propres et ceux de ses proches avant ceux de la société, violant ainsi ses obligations légales et créant un dommage total à la société de l'ordre de CHF 511'537.-.

Certes, la décision administrative retient que des frais et des avances déclarés par la société pour les exercices 2016 à 2018 ne sont pas justifiés et constituent fiscalement des "prêts simulés", devant être assimilés à des prestations appréciables en argent soumises à l'impôt anticipé de 35%.

Toutefois, elle ne fait pas apparaître de faits qui ne ressortiraient pas du dossier antérieur et qui seraient de nature à apporter un éclairage nouveau à la procédure, notamment s'agissant de l'intention du mis en cause, niée par le Ministère public. Les "frais non justifiés commercialement" au sens de la demande de reprise de la procédure relèvent de montants versés à des proches du mis en cause ou payés pour ces derniers. De tels versements faisaient déjà partie des reproches contenus dans la plainte pénale du 2 mai 2019, laquelle mentionnait notamment que l'intéressé avait employé fictivement des personnes de son entourage, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par la recourante. De même, les avances effectuées à une société sœur apparaissaient déjà dans la plainte pénale du 2 mai 2019.

Ainsi, les arguments du Ministère public conservent toute leur pertinence, la qualification des versements en "prêts simulés" par une autorité administrative ne suffisant pas pour admettre l'intention de violer le devoir de gestion, dès lors qu'elle ne permet pas d'établir que l'intéressé aurait volontairement utilisé l'argent de la société à des fins privées ni qu'il aurait délibérément créé un dommage à la société tels qu'exigés par l'art. 158 ch. 1 al. 1 CP.

Partant, il faut conclure que les éléments contenus dans cette décision ne permettent pas de révéler de responsabilité pénale du mis en cause, la recourante se contentant globalement de réitérer ses précédents griefs.

La recourante invoque encore avoir découvert, à l'aune d'un nouvel examen des comptes de la société, de "nouvelles infractions" en lien avec, d'une part, des versements effectués en faveur de l'épouse du mis en cause et, d'autre part, avec des retraits effectués par le mis en cause en sa faveur. Les versements et retraits visés sont intervenus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016. Manifestement, de tels griefs ne sont pas nouveaux puisque la recourante soutenait déjà dans la plainte pénale du 2 mai 2019 avoir procédé "à une analyse approfondie des paiements effectués lors des exercices 2016, 2017 et 2018", de laquelle il ressortait que le mis en cause avait, selon elle, commis de nombreuses malversations au détriment de A______ SA sous diverses formes (plainte pénale du 2 mai 2019, p. 2, n°10). Dans ce contexte, rien n'explique – et la recourante ne le fait pas elle-même – qu'elle se soit abstenue de produire les relevés et quittances bancaires (pièces 72 à 76) au moment du dépôt de la plainte, dès lors qu'elle était vraisemblablement déjà en possession de ces documents, au vu de leurs dates. Dans ces conditions, le principe de la bonne foi fait obstacle à une reprise de cette procédure sur la base desdites pièces, le pli de l'AFC du 3 février 2022 (cf. D. c.) ne permettant pas de remettre en cause ce constat.

On relèvera enfin que les éventuelles doléances de l'acheteur en lien avec l'exécution du contrat de vente de la société est un problème de nature strictement civile, qu’il n’appartient pas aux juridictions pénales de trancher.

Au vu des éléments exposés ci-dessus, il faut conclure que les faits invoqués ne remplissent pas les conditions de l'art. 323 CPP.

Pour ces motifs, le Ministère public était fondé à rejeter la demande de reprise de la procédure préliminaire.

4. Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

5. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ SA et B______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ SA et B______, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9351/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'500.00