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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7735/2007

ACPR/633/2018 du 05.11.2018 sur OMP/5949/2018 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : TRANSMISSION D'UN ACTE PROCÉDURAL ; CESSION D'UN PATRIMOINE OU D'UNE ENTREPRISE ; LOI SUR LA FUSION ; SUBSTITUTION DE PARTIE ; LÉSÉ ; DROIT DE PARTIE ; RÉTROCESSION(CRÉANCE)
Normes : CPP.329; CPP.379; CPP.120; CPP.121; LFus.69; LFus.73

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7735/2007 ACPR/633/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 novembre 2018

 

Entre

A______, domicilié ______, Pakistan, comparant par Me Marc HENZELIN, avocat, Etude LALIVE SA, rue de la Mairie 35, case postale 6569, 1211 Genève 6,

B______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me Guillaume VODOZ, avocat, Etude RVMH Avocats, rue Gourgas 5, case postale 31, 1211 Genève 8,

recourants

 

contre l'ordonnance rendue le 30 avril 2018 par le Ministère public

 

et

 

C______ AG/C______, comparant par Me Jean-Yves REBORD, avocat, Python, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève,

D______ SA, comparant par Me Matteo PEDRAZZINI, avocat, LHA Avocats, rue du Rhône 100, case postale 3403, 1211 Genève 3,

E______, p.a. F______ et G______, ______ Genève, comparant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6b, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565 - 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 11 mai 2018, B______ recourt contre l'ordonnance du 30 avril 2018, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a confirmé la qualité de partie plaignante de C______ AG dans la procédure pénale dirigée contre elle.

Elle conclut à l'annulation de cette décision et au rejet de la constitution de partie plaignante de la banque précitée.

b. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 14 mai 2018, A______ recourt contre la même ordonnance, rendue dans la même procédure pénale, aussi dirigée contre lui, et notifiée le surlendemain. Il conclut à l'annulation de cette décision et à la constatation que C______ AG n'a pas la qualité de partie plaignante.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a. Le 15 août 2013, le Ministère public a engagé l’accusation contre les prénommés, les renvoyant par-devant le Tribunal correctionnel (ci-après, TCo) pour qu’ils y répondent d’abus de confiance, de faux dans les titres et de gestion fautive, infractions présumées commises à Genève en 2004 et en 2005.

C______ AG était constituée partie plaignante, aux côtés d'autres banques.

b. Le 27 février 2015, le TCo a déclaré les prévenus coupables des infractions retenues contre eux, prononcé les peines de droit et mis à leur charge des montants à payer à C______ AG en réparation du dommage éprouvé par cette banque.

c. Le 22 janvier 2016, la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a rejeté les appels des condamnés.

d. Le 21 mars 2017, le Tribunal fédéral a annulé cet arrêt et renvoyé la cause à la juridiction d'appel pour reprendre certains aspects procéduraux et statuer à nouveau.

Notant avoir été informé par C______ AG que C______ (SUISSE) S.A. lui avait succédé comme créancier des prévenus (recourants), le Tribunal fédéral observait :

"D'après la Feuille officielle suisse du commerce [du ______ 2016], C______ AG a procédé, par contrat du ______ 2016, à un transfert de patrimoine en faveur de C______ (SUISSE) S.A. Bien que ce transfert soit intervenu après l'introduction de la présente procédure de recours, la prise en considération de ce fait nouveau est admissible (…). On ignore néanmoins si ce transfert porte sur les droits ici en cause. Cela serait-il le cas que le transfert en question ne conférerait pas à la société reprenante la qualité de partie plaignante dans la procédure pénale (cf. ATF 140 IV 162 consid. 4.9.5 p. 171; arrêt 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 3.2.1 et 3.2.2). Dans ces conditions, on ne voit pas que C______ (SUISSE) S.A. doive être substituée dans la présente procédure à l'actuelle partie plaignante et ici intimée C______ AG."

e. Dès le 19 avril 2017, la CPAR a consulté l'ensemble des parties sur la suite à donner à l'arrêt de renvoi, y compris sur le point de savoir si le transfert de patrimoine intervenu de C______ AG en faveur de C______ (SUISSE) S.A. s'étendait aux droits en cause dans la procédure dont elle était saisie.

f. À cet égard, C______ AG a versé au dossier, le 9 mai 2017, des extraits du contrat daté du 17 novembre 2016, rédigés en langues allemande et anglaise.

C______ AG mettait en avant l'art. 3.6 let. (b) de ce texte, à teneur duquel, en substance, les parties au contrat s'assuraient de leurs effort et appui mutuels pour que C______ (SUISSE) S.A. succède à C______ AG dans tout litige juridique pendant, "soweit unter den anwendbaren Verfahrensregeln zulässig". L'annexe 3.1 ch. 33 au contrat faisait exception pour deux procédures pénales pendantes à Genève contre des tiers.

C______ AG en déduisait que, à défaut d'effet suspensif accordé par le Tribunal fédéral aux deux recours qui avaient été interjetés par les prévenus, l'arrêt de la CPAR avait "titrisé" (sic) ses prétentions contre B______ et A______. En revanche, la décision du Tribunal fédéral avait pour conséquence que n'existait plus aucun jugement exécutoire sur ses prétentions civiles contre les prévenus. Raison pour laquelle, par acte du 5 mai 2017, C______ (SUISSE) S.A. lui avait rétrocédé celles-ci.

g. Par arrêt du 26 juin 2017 (AARP/218/2017), la CPAR a annulé le jugement du TCo et renvoyé la procédure au Ministère public pour nouvelle instruction et – afin de préserver le double degré de juridiction cantonal – pour décision sur la qualité de partie plaignante de C______ AG.

h. Le 26 octobre 2017, le Ministère public a entendu les parties notamment sur la qualité de partie plaignante de C______ AG – elles ont maintenu et confirmé leurs déterminations épistolaires à l'attention de la CPAR – et les a avisées qu'il statuerait "dans les prochaines semaines" sur cette question.

C. À teneur de l'ordonnance querellée, le Ministère public a statué sur la base des prises de position déposées par les parties devant la CPAR. Il maintient la qualité de partie plaignante de C______ AG au motif que le contrat du 17 novembre 2016 n'excluait pas la cession à C______ (SUISSE) S.A. des prétentions civiles de C______ AG contre les prévenus, mais que, selon le principe de la confiance, le texte ne pouvait pas être interprété comme une renonciation par cette dernière à ses droits de partie plaignante contre B______ et A______.

D. a. À l’appui de son recours, B______, invoquant une violation de l'art. 120 CPP, affirme que le contrat de rétrocession du 5 mai 2017 démontrait que C______ AG s'était départie de toutes ses créances, civiles et procédurales, contre elle et A______. L'information communiquée au Tribunal fédéral montrait que C______ AG avait renoncé à sa qualité de partie plaignante au profit de C______ (SUISSE) S.A. Le Tribunal fédéral lui-même évoquait un changement de créancier. Ni l'une ni l'autre des deux banques précitées ne pouvaient être partie plaignante : C______ AG y avait renoncé, et C______ (SUISSE) S.A. n'était pas un lésé direct.

b. À l’appui de son recours, A______ invoque lui aussi une violation de l'art. 120 CPP. Dans ses lettres et déterminations, C______ AG utilisait à plusieurs reprises les termes de "changement de partie", de sorte que la substitution qu'elle entendait opérer ne faisait pas de doute. Le but du contrat du 5 mai 2017 n'était donc pas de dissocier les prétentions civiles des prétentions pénales. Or, la renonciation à des droits procéduraux était définitive. Le "rétropédalage" auquel les deux banques s'étaient livrées par la convention précitée ne pouvait pas faire renaître la qualité de partie plaignante de C______ AG.

c. Par écritures distinctes, mais identiques, C______ AG estime douteuse la recevabilité de chacun des recours, faute de violation d'un intérêt juridiquement protégé. Son maintien à la procédure n'entraînait aucune conséquence sur le fond, même si la culpabilité des recourants était confirmée une troisième fois. Le transfert de patrimoine, au sens des art. 69 ss. de la loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine (LFus; 221.301), était intervenu après que l'arrêt de la juridiction d'appel fut devenu exécutoire. La lettre-type que C______ (SUISSE) S.A. avait fait parvenir, notamment, au Tribunal fédéral n'emportait aucune renonciation à des droits de C______ AG. Même si celle-ci l'avait voulu, la qualité de partie plaignante n'aurait pas pu passer à C______ (SUISSE) S.A. La seule question qui demeurait consistait à savoir si elle pourrait encore faire valoir ses prétentions civiles.

d. Le Ministère public propose de rejeter le recours. Il rejette l'allégation de A______ selon laquelle il aurait tenu compte de "l'assistance potentielle" de C______ AG pour la suite de la procédure.

e. B______ et A______ ont répliqué à C______ AG.

f. Les autres parties plaignantes ont déclaré s'en remettre à justice.

D. Le 21 juin 2018, B______ a déposé copie d'un commandement de payer requis par C______ (SUISSE) S.A.

EN DROIT :

1.             La décision querellée intervient après que la CPAR a renvoyé la cause au Ministère public en vue de (1) compléter l'instruction dans le sens précisé par le Tribunal fédéral et (2) trancher la qualité de partie plaignante de C______ AG. Les juges d'appel n'ont pas explicitement dit que l'affaire ne resterait pas pendante devant eux (art. 329 al. 3 CPP). Cependant, ils ont précisé dans leurs considérants qu'à l'issue de cette instruction complémentaire, un nouvel acte d'accusation pourrait devoir être dressé, et ce, en vue de la saisine du tribunal de première instance (AARP/218/2017 consid. 2.3. in fine). Par là, il ne peut être compris que leur dessaisissement au profit du Ministère public. Ce choix permet de clarifier les prérogatives incombant à ce dernier à la suite du renvoi : il se trouve ainsi à nouveau chargé de la direction de la procédure (ATF 143 IV 175 consid. 2.4 p. 178). Par conséquent, les décisions rendues dans ce contexte sont en principe soumises à recours, conformément à l'art. 393 al. 1 let. a CPP.

2.             Le Ministère public et C______ AG estiment que l'ordonnance attaquée ne causerait aucun préjudice irréparable aux recourants. La banque estime en conséquence "douteuse" la recevabilité des recours sous cet angle.

2.1.       Intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP) et préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ne sauraient être confondus (ATF 143 IV 475 consid. 2.9 p. 482). Sous la seule réserve de l'art. 394 let. b CPP, sans pertinence ici, l'autorité de recours, au sens de l'art. 20 CPP, doit uniquement examiner si le recourant invoque un intérêt juridiquement protégé, qui est une condition de recevabilité moins stricte que l'exigence d'un préjudice juridique irréparable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_339/2016 du 17 novembre 2016 consid. 2.4.); la Chambre de céans n'a donc pas à rechercher si des motifs conçus spécifiquement pour décharger le Tribunal fédéral (cf. ATF 143 précité consid. 2.6 p. 480) feraient obstacle à l'exercice du droit de recours prévu par les art. 393 ss. CPP.

2.2.       De manière générale, un droit de recours contre une décision d'admission de la qualité de partie plaignante à la procédure pénale n'est reconnu aux autres parties que pour autant qu'elles puissent se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé à son exclusion (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, note 12c ad art. 118). De simples inconvénients de fait résultant de la participation de la partie plaignante à la procédure, par exemple l'allongement de la procédure et l'augmentation de son degré de complexité, ne suffisent à cet égard pas. Un intérêt juridiquement protégé peut en revanche être admis si, par exemple, le statut de partie plaignante permet l'exploitation indue de secrets d'affaires ou si la qualité de partie plaignante est revendiquée par un État étranger (cf. ACPR/369/2016 du 16 juin 2016).

Pour le surplus, la Chambre de céans admet plutôt largement qu'un prévenu puisse contester la constitution d'une partie plaignante (ACPR/302/2018 du 31 mai 2018 consid. 2.2.), la situation de celui-là étant péjorée par la présence de celle-ci, autorisée à exercer ses droits procéduraux, à prendre des conclusions, tant civiles que pénales, contre lui et à faire appel d'un éventuel acquittement (cf. aussi ACPR/355/2016 du 13 juin 2016; ACPR/637/2015 du 25 novembre 2015). Dans l'ACPR/817/2017 du 28 novembre 2017, la Chambre de céans a laissée ouverte la question de savoir si les prévenus disposaient d'un intérêt juridiquement protégé actuel et pratique à contester la qualité de partie plaignante en cas d'infractions poursuivies d'office, dans un cas où ils n'avaient pas expliqué de quelle manière, concrètement, la participation des intimés serait de nature à influencer le sort de la cause. Dans l'arrêt ACPR/75/2018 du 8 février 2018, la question a également été laissée ouverte, la Chambre de céans considérant toutefois que le caractère actuel de l'intérêt juridiquement protégé du recourant semblait faire défaut. En effet, le recourant était prévenu d'infractions poursuivies d'office, de sorte que le rôle de la partie plaignante était atténué; en outre, le refus de la qualité de partie plaignante ne permettait pas d'éviter une procédure longue et coûteuse, car une autre partie plaignante, dont la qualité n'était pas remise en cause, soutenait déjà l'accusation.

2.3.       En l'espèce, les recourants sont immédiatement touchés par la décision entreprise et ont un intérêt juridique et pratique à obtenir que C______ AG ne soit plus partie plaignante, par suite du transfert de patrimoine opéré en novembre 2016 en faveur de C______ (SUISSE) S.A. La présence d'autres parties plaignantes pour un complexe de fait analogue et des infractions poursuivies d'office n'y change rien. En effet, le Ministère public est placé dans la même situation que celle où il doit donner suite à des réquisitions de preuve avant d'engager l'accusation. Même si, selon la CPAR, la prescription ne menace plus même après l'annulation du prononcé du TCo, la perspective de clore le supplément d'instruction pour retourner à nouveau devant le tribunal de première instance (quelle que soit sa composition, selon le degré de pénalité) avec une accusation dressée sur la base d'une instruction complétée ne représente pas seulement un inconvénient de fait pour les recourants : chacune de ces étapes touche ou touchera leurs intérêts juridiques, jusqu'à nouveau jugement sur le fond, et C______ AG, par ses droits de partie au procès, pourra s'exprimer et tenter d'influencer chacune d'elles. Dans ce sens, l'éventualité d'une participation indue de C______ AG à la suite de la procédure ne se résumera pas à une réparation par les éventuels dépens auxquels la banque pourrait être condamnée, si son éviction était in fine admise par le juge du fond (sic ses observations p. 4).

Pour le surplus, les deux actes de recours ont été déposés dans les délai et forme légaux (art. 390 al. 1 et 396 al. 1 CPP).

3.             Les recours, dirigés contre une même décision et soulevant des griefs identiques, seront joints. La Chambre de céans statuera par une seule décision.

4.             La recevabilité de la pièce produite par la recourante le 21 juin 2018 – soit après l'expiration du délai de recours – peut être laissée indécise, dès lors qu'elle a été annexée par C______ AG à ses propres observations.

5.             Les recourants invoquent une violation de l'art. 120 CPP. C______ AG avait cédé sa créance contre eux à C______ (SUISSE) S.A., et cette dernière, cessionnaire, n'était pas directement lésée par les actes qui leur étaient reprochés.

5.1.       En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 141 IV 1 consid. 3.1 p. 5 et les références citées). Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêts du Tribunal fédéral 6B_116/2015 du 8 octobre 2015 consid. 2.1; 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 2.1 = SJ 2014 I p. 372).

5.2.       Les successeurs d'une personne physique ou morale lésée doivent être considérés comme des lésés indirects, qui en principe (sous réserve des exceptions de l'art. 121 al. 1 et 2 CPP) ne peuvent se constituer partie plaignante dans la procédure pénale. Aux termes de l'art. 121 al. 2 CPP, seule la subrogation légale est concernée, à l'exclusion du transfert volontaire, comme le sont, par ex., la cession de créances et la reprise de dettes au sens des art. 164 ss et 757 al. 2 CO ou 260 LP, ou encore le transfert d'actifs par contrat de transfert ou de fusion au sens des art. 69 ss LFus (ATF 140 IV 162 consid. 4.9.5 p. 171).

5.3.       En vertu de l'art. 69 al. 1 LFus, l'entreprise individuelle peut transférer tout ou partie de son patrimoine avec actifs et passifs à un autre sujet de droit privé. Ce transfert nécessite un contrat de transfert (art. 70 s. LFus) et une inscription de ce transfert de patrimoine au registre du commerce (art. 73 al. 1 LFus). Ses effets se produisent dès l'inscription de celui-ci au registre du commerce (art. 73 al. 2 1ère phr. LFus), consistent en une succession universelle partielle et portent sur tous les actifs et passifs désignés dans l'inventaire accompagnant le contrat de transfert (art. 71 al. 1 let. b LFus). Or, l'art. 121 al. 2 CPP s'applique à la subrogation légale et non à la transmission volontaire de la créance fondée sur le dommage causé par l'infraction. Quand bien même la transmission concernerait l'ensemble du patrimoine du lésé, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une transmission fondée sur la volonté des parties. En particulier dans le cadre d'une fusion, le transfert des actifs et passifs prévu par l'art. 22 al. 1 LFus ne confère pas ("per se") à la société reprenante la qualité de partie dans la procédure pénale (ATF 140 IV 162 consid. 4.4 p. 166 et les références citées). La fusion n'implique par conséquent pas une subrogation légale au sens de l'art. 121 al. 2 CPP, lequel ne peut être appliqué à ce type de situation (ATF 140 IV 162 consid. 4.9.5 p. 171; arrêt du Tribunal fédéral 6B_549/2013 consid. 3.2.1 = SJ 2014 I p. 372).

5.4.       En l'occurrence, l'annexe 3.1 au contrat de cession du 17 novembre 2016 énumère des exceptions au patrimoine cédé. C______ AG en a produit une version expurgée, réservant (sous ch. 33) deux affaires alors en cours par-devant les autorités pénales du canton de Genève. La présente procédure n'en fait pas partie. Il s'ensuit que la cession a porté sur elle aussi, i.e. sur les créances allouées par l'arrêt de la CPAR du 22 janvier 2016. C______ AG ne peut donc plus faire valoir des droits à l'appui de créances dont elle n'est plus titulaire. Pour autant, C______ (SUISSE) S.A. ne peut pas lui succéder dans la procédure, puisque sa propre subrogation ne repose pas sur la loi, mais sur le contrat de transfert de patrimoine. Du reste, elle demande d'autant moins à être admise dans la procédure qu'elle a re-transféré sa créance à C______ AG, le 5 mai 2017.

5.5.       On ne voit pas ce que C______ AG veut tirer du fait que l'arrêt de la CPAR était exécutoire lorsque la cession a été inscrite au registre du commerce. Il est vrai que l'effet suspensif du recours en matière pénale ne s'étend pas à la décision sur les prétentions civiles (art. 103 al. 2 LTF). Mais il ne s'agit pas de savoir si les créances allouées à C______ AG par l'arrêt de la CPAR du 22 janvier 2016 pouvaient être recouvrées pendant qu'un tel recours était pendant – au demeurant, le Tribunal fédéral a depuis lors intégralement annulé cette décision –, mais de déterminer si C______ AG peut continuer à exercer ses droits procéduraux après le renvoi de la cause aux autorités pénales cantonales.

La réponse est négative. Comme on l'a vu, l'instruction a repris, et la procédure n'est pas terminée. Dès lors, la cession de patrimoine produisant ses effets dès le ______ 2016, date de son inscription au registre du commerce, C______ AG ne peut plus participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil.

La solution serait la même si l'on admettait que, pour avoir été communiquée aux autorités pénales avant la fin de la procédure, la cession du 17 novembre 2016 emportait renonciation aux droits conférés par le CPP. En effet, la renonciation est définitive à l'égard de ces autorités (art. 120 al. 1, 2e phrase, CPP). Il s'ensuit que la rétrocession du 5 mai 2017 ("Rückzession"; cf. Commentaire romand, Code des obligations I, 2e éd. 2012, n° 3 ad art. 164) ne replace pas C______ AG dans la situation qui était la sienne avant la cession originaire.

Les recours doivent par conséquent être admis, et l'ordonnance querellée sera annulée.

6.             L'admission du recours n'entraîne pas la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.             Les recourants, qui ont gain de cause, ont droit à l'indemnisation de leurs frais de défense en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP). La recourante a demandé CHF 2'000.-, sans détail, et le recourant conclut à des dépens, qu'il n'a pas chiffrés. Leurs moyens étant pareils, mais exposés dans un cas sur deux fois plus de pages que dans l'autre, il se justifie d'allouer une indemnisation identique à chacun d'eux. Elle sera fixée ex aequo et bono à CHF 1'500.-, TVA en sus pour la recourante, qui apparaît domiciliée en Suisse. Aucun cas d'application de l'art. 432 al. 1 CPP n'étant réalisé, ces montants seront mis à la charge de l'État (art. 429 al. 1 let. a CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les recours formés par A______ et par B______ contre l'ordonnance rendue le 30 avril 2018 par le Ministère public.

Les admet, annule l'ordonnance attaquée et rejette la constitution de partie plaignante de C______ AG.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'500.- pour ses frais de défense en procédure de recours.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'500.- (plus TVA à 7,7 %) pour ses frais de défense en procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux, leur conseil respectif, aux intimées, soit pour elles leur conseil respectif, à la E______ et au Ministère public.

Siégeant :

Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).