Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/16479/2012

ACPR/190/2020 du 11.03.2020 sur OCL/1323/2019 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Recours TF déposé le 08.05.2020, rendu le 26.08.2020, REJETE, 1B_224/2020, 1B_225/2020, S 11582/63
Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;CONSULTATION DU DOSSIER;LIMITATION(EN GÉNÉRAL);ENTRAIDE JUDICIAIRE PÉNALE
Normes : CPP.101; CPP.108; CPP.319

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16479/2012 ACPR/190/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 11 mars 2020

Entre

La ville de A______, Kazakhstan, comparant par Mes Christophe EMONET et Pierre de PREUX, avocats, Pestalozzi Avocats SA, Cours de Rive 13, 1204 Genève,

recourante

 

contre la "décision" du 4 septembre 2019 et contre l'ordonnance de classement du
12 novembre 2019, rendues par le Ministère public

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

B______ et C______, domiciliés ______ [GE], tous deux comparant par
Me Marc HENZELIN, avocat, Etude LALIVE, rue de la Mairie 35, 1207 Genève,

D______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Paul GULLY-HART,
avocat, Etude Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

intimés

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 18 septembre 2019, la ville de A______ recourt contre la "décision" du 4 précédent par laquelle le Ministère public informe les parties qu'il examinera sa qualité de partie plaignante et son accès au dossier "dans le cadre de la décision à venir".

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette "décision" et à l'injonction au Ministère public de statuer sur sa qualité de partie plaignante, sa participation à la procédure et son accès au dossier avant de lui impartir un délai pour présenter ses réquisitions de preuve. À titre préalable, elle demande l'effet suspensif.

b. Par ordonnance du 19 septembre 2019 (OCPR/47/2019), la Direction de la procédure a rejeté la demande d'effet suspensif et astreint la recourante à verser des sûretés en CHF 1'500.-. La recourante a versé ce montant en temps utile.

B. a. Par acte déposé le 25 novembre 2019, A______ recourt contre l'ordonnance de classement du 12 précédent par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de la procédure dirigée contre B______, C______ et D______ et lui a refusé l'accès à la documentation séquestrée également pour les besoins d'une commission rogatoire internationale.

La recourante conclut principalement, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ces points et à ce que le Ministère public soit invité à poursuivre l'instruction préliminaire.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

C. a. Par acte déposé le 25 novembre 2019, B______ et C______ recourent contre l'ordonnance de classement du 12 précédent, en tant qu'elle confirme la qualité de partie plaignante de A______, leur refuse toute indemnisation et met à leur charge les frais de la procédure (CHF 4'400.-), à raison de la moitié chacun.

Les recourants concluent principalement, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ces points et à l'allocation de CHF 728'790.- pour leurs frais de défense et de CHF 1.- pour tort moral et atteinte à leur réputation.

b. Par acte expédié le 25 novembre 2019, D______ recourt contre l'ordonnance de classement du 12 précédent, en tant qu'elle confirme la qualité de partie plaignante de A______ et lui refuse toute indemnisation.

Le recourant conclut principalement, sous suite de frais et dépens, à l'annulation
de ces points et à l'allocation de CHF 201'400.- pour ses frais de défense, CHF 2'312'515.91 pour son dommage économique et CHF 5'000.- pour tort moral.

c. Sa demande de mesures provisionnelles, consistant à ne pas accorder à A______ d'accès au dossier plus large que celui concédé par le Ministère public jusqu'à la décision entreprise, a été admise le 27 novembre 2019 (OCPR/58/2019).

D. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 22 novembre 2012, le Ministère public a ouvert, d'office, une instruction contre inconnu du chef de blanchiment d'argent, se référant à une demande d'entraide judiciaire internationale formée le 20 février 2012 par le Kazakhstan.

b.        Le 22 août 2017, la ville de A______ (Kazakhstan), se constituant demanderesse au pénal, a déposé plainte contre B______, C______ et D______. B______, dont C______ était l'ex-femme et D______ le fils, avait été ______ [fonction] de la ville entre juin 1997 et décembre 2004; dans ces fonctions, il s'était enrichi par l'acquisition et la revente frauduleuses de biens publics, avec la participation de sa femme et de son fils. Les faits relevaient du blanchiment d'argent et de l'organisation criminelle.

A______ a, notamment, produit la commission rogatoire du 20 février 2012, ainsi que trois autres (des 14 septembre 2012, 7 mars 2013 et 7 septembre 2015) et sept procès-verbaux d'auditions recueillies pour les besoins de l'entraide.

c.              Ses avocats ont été avisés le 14 septembre 2017 qu'elle était admise à la procédure en qualité de partie plaignante.

d.             Le Ministère public a convoqué, à titre de prévenus, B______, C______ et D______ pour une audience fixée le 19 octobre 2017. À réception, ce dernier a demandé si une décision avait été rendue sur la qualité de partie plaignante de A______ et a requis que le droit de celle-ci et de ses avocats de participer à l'administration des preuves fût suspendu jusqu'à décision définitive sur la question.

e.              Le 19 octobre 2017, B______, C______ et D______ ont été prévenus de blanchiment d'argent. Ils se sont opposés à la présence des avocats de A______ et à ce que la qualité de partie plaignante soit "reconnue" à celle-ci, dans la crainte d'un détournement de l'entraide. Le Procureur leur a répondu qu'il rendrait de "futures décisions d'accès au dossier" et que la plainte avec ses annexes était par définition connue de A______. Par ailleurs, il a autorisé les prévenus à se déterminer par écrit (sine die) sur chacune des opérations visées dans la plainte.

f.              Interpellé le 22 décembre 2017 par le défenseur de B______ et C______, le Procureur a confirmé que A______ n'avait pas demandé à consulter le dossier et que, "en l'état", elle n'était "pas autorisée à le faire" (sic).

g.             Le 7 juin 2018, le Ministère public a déclaré irrecevable la demande d'entraide judiciaire présentée par le Kazakhstan [cf. observations du Ministère public du
10 janvier 2020, p. 2].

h.             Le 25 juin 2018, B______ et C______ ont produit les déterminations demandées, soutenant que A______ devait se voir refuser l'accès au dossier, à l'exception de la plainte, des annexes à celle-ci et de procès-verbaux [non spécifiés] transmis spontanément au Kazakhstan par voie d'entraide. Le 19 septembre 2018, le Ministère public a transmis ces passages-là, exclusivement, du texte à A______, en l'invitant à prendre position. Le 31 octobre 2018, A______ a rejeté toutes les objections et demandé au Ministère public d'en faire de même.

i.               Le 7 mars 2019, A______ a demandé une décision formelle consacrant sa participation et son droit d'accès à la procédure.

j.               Le 13 mai 2019, B______ et C______ ont demandé au Ministère public de classer la poursuite, excipant du principe ne bis in idem après leur condamnation, le
8 octobre 2018, par un tribunal kazakh (dont ils ont fourni la traduction du jugement).

k.             Le 24 juin 2019, A______ a demandé au Ministère public de lui reconnaître au plus vite le droit d'accès au dossier. Le 15 juillet 2019, le Ministère public lui a répondu qu'il statuerait "d'ici la première quinzaine du mois d'août 2019".

l.               Le 4 septembre 2019, le Ministère public a émis l'avis de prochaine clôture, annonçant le classement de la procédure et invitant les parties à lui soumettre leurs réquisitions de preuve avant la fin du mois courant. Dans une lettre du même jour, il a informé les parties qu'il "examinerait" dans le cadre de cette décision la qualité de partie plaignante et l'accès au dossier de A______. En l'état, cet accès n'allait pas au-delà de celui "indiqué lors de l'audience du 19 octobre 2017" et de l'extrait des déterminations de B______ et C______ du 25 juin 2018.

m.           Par acte du 18 septembre 2019, A______ a recouru contre cette "décision, respectivement ce déni de justice" (cf. let. D. infra).

n.             Le 30 septembre 2019, elle a demandé au Ministère public des investigations complémentaires et s'est plainte d'un déni de justice et d'une violation de son droit d'être entendue. Le 4 octobre 2019, elle a déclaré étendre sa constitution de partie plaignante au civil.

o.             Le 30 septembre 2019, B______ et C______ ont demandé à être indemnisés pour leurs frais de défense, leur tort moral et l'atteinte à leur réputation. Le 4 octobre 2019, D______ a demandé à être indemnisé des mêmes chefs, ainsi que pour son dommage économique.

p.             Le 12 novembre 2019, le Ministère public a ordonné le classement de la procédure. Il admet que A______ doit être reconnue comme partie plaignante. Cependant, comme la municipalité était étroitement liée à l'État du Kazakhstan, au point d'avoir choisi les mêmes avocats et de s'être référée aux écritures de ce dernier dans la procédure d'entraide, où elle apparaissait comme victime d'agissements de B______ et C______, la documentation recueillie pour les besoins de l'instruction suisse risquerait de tomber aux mains des autorités kazakhes par un contournement des règles de l'entraide. Or, celle-ci n'avait pas été accordée, ce dont les autorités kazakhes avaient été informées au mois d'octobre 2018. A______ n'aurait par conséquent pas le droit de consulter ces documents.

Le Ministère public analyse ensuite trois "épisodes" mis en évidence dans la plainte pénale. Le plus ancien était prescrit; le deuxième n'avait pas de rattachement avec la Suisse; le dernier se fondait sur des éléments avancés par les autorités kazakhes dans leur commission rogatoire à la Suisse, sans autre élément accréditant les soupçons. Les réquisitions de preuve soumises par A______ ne semblaient pas aptes à apporter de nouveaux éléments.

Enfin, toute indemnisation des prévenus a été écartée, et les frais de procédure ont été mis à la charge de deux d'entre eux.

q.             À réception de cette décision, A______, par ses conseils, a demandé au Ministère public, dans l'éventualité d'un recours, à recevoir une copie des documents non frappés de restriction et à consulter "les autres". Par télécopie, le Procureur a répondu, au moyen d'une annotation manuscrite en pied de cette lettre, que le dossier se trouvait au greffe de la Chambre de céans. Le 19 novembre 2019, après avoir pris l'attache du Ministère public, le greffe a informé A______, par message électronique, que les pièces qui lui seraient accessibles consistaient en sa plainte avec annexes, l'extrait des déterminations des prévenus du 25 juin 2018 et le procès-verbal de l'audience du 19 octobre 2017. Le 27 novembre 2019, la Direction de la procédure de la Chambre de céans, sur requête de D______, a rendu l'ordonnance de mesures provisionnelles formalisant ces délimitations (cf. let. C.c. supra).

D. a. Dans son recours du 18 septembre 2019, A______ reproche au Ministère public d'avoir reporté la décision sur ses droits après que l'instruction serait close, et l'ordonnance de classement rendue, l'écartant ainsi matériellement de toute l'instruction préliminaire. Or, le Ministère public avait reconnu sa qualité de partie plaignante dès le 14 septembre 2017, l'avait admise à participer à l'audience du
19 octobre suivant et lui avait imparti le 4 septembre 2019 un délai pour présenter des réquisitions de preuve. Les prévenus n'avaient jamais combattu sa constitution de partie plaignante, mais avaient seulement demandé une restriction de ses droits. Le report de la décision qu'elle attendait depuis de longs mois, ou le refus de trancher en temps voulu, constituait un déni de justice.

b. le Ministère public propose de rejeter le recours et annonce l'imminence des décisions promises le 4 septembre 2019.

c. B______ et C______, d'une part, et D______, d'autre part, concluent à l'irrecevabilité du recours, faute d'être dirigé contre une décision au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, ou pour être un recours déguisé contre l'avis de prochaine clôture.

E. a. Dans son recours contre le classement, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendue, car sa qualité de partie plaignante avait été reconnue et confirmée, sans qu'elle n'ait pour autant pu exercer ses droits avant le prononcé attaqué et sans avoir obtenu au préalable de décision sur son accès au dossier. Elle avait ainsi été matériellement écartée de la procédure préliminaire, qui n'avait "manifestement pas bougé d'un iota" depuis 2012. Lui restreindre l'accès au dossier ne pouvait plus se fonder sur la conduite parallèle de l'entraide internationale, puisque celle-ci était close et que B______ et C______, condamnés au Kazakhstan, n'avaient qu'un intérêt négligeable à s'opposer à cette consultation. L'autorité de recours pourrait, le cas échéant, assortir celle-ci de conditions. Quant aux motifs du classement, le Ministère public ne s'était exprimé que sur les faits expressément mis en exergue dans la déclaration de constitution de partie plaignante, qui n'étaient que des exemples; il retenait à tort que certains d'entre eux seraient prescrits ou ne relèveraient pas du blanchiment d'argent; et il s'était abstenu de la solliciter, que ce soit sur la trace documentaire des fonds ou sur des faits insuffisamment détaillés. Des investigations restaient en cours au Kazakhstan, sur d'autres aspects que ces épisodes. Le classement semblait intervenu précipitamment, mais aussi en violation du principe de célérité.

b. Dans ses observations, le Ministère public explique que l'entraide avait été refusée au Kazakhstan pour non-conformité de son système judiciaire avec les standards internationaux, au sens "de l'art. 2" de la loi sur l'entraide pénale internationale (EIMP; RS 351.1). Seuls les procès-verbaux d'audition des "30 juin 2014, 22 décembre 2014 et 21 avril 2016" [non présents dans le dossier remis à la Chambre de céans] avaient été transmis au Kazakstan, avec l'accord des intéressés. Si A______ accédait à la documentation que la Suisse n'avait pas transmise au Kazakhstan, les règles de l'entraide pourraient être contournées. L'analyse d'un compte bancaire de D______, prétendument concerné par "l'épisode 3", n'avait révélé aucune opération qui puisse y être rattachée.

c. Au terme de leurs observations respectives, B______ et C______, d'une part, et D______, d'autre part, se rangent, en substance, derrière le Ministère public.

d. A______ ne réplique pas.

F. a. À l'appui de leur recours, B______ et C______ soutiennent que A______ ne remplit pas les conditions pour être partie plaignante, faute d'avoir étayé qu'elle serait titulaire du patrimoine prétendument lésé. Le Ministère public ne disait mot du crime préalable au blanchiment d'argent. Le jugement rendu au Kazakhstan ne mentionnait pas A______, et les intérêts qui y apparaissaient lésés étaient ceux de l'État kazakh, auquel la municipalité était entièrement subordonnée, sans avoir l'autonomie "inhérente et nécessaire" à la constitution de partie plaignante. Par conséquent, elle n'avait aucun droit d'accéder au dossier, sauf à lui laisser celui accordé le 4 septembre 2019. La charge des frais violait la présomption d'innocence. L'indemnisation des frais de défense devait être accordée, car les faits étaient complexes et remontaient à quelque 20 ans et l'instruction avait pris 7 ans, ce qui avait nécessité un important travail, juridique, de traduction, de réunions, etc. L'"exposition médiatique" et le retentissement de l'affaire les avaient contraints à engager une agence de communication.

b. Le Ministère public renvoie à la motivation de sa décision.

c. A______ estime s'être appuyée sur des pièces suffisamment probantes en déposant sa plainte pénale. Les prévenus s'étaient uniquement opposés à son accès au dossier, non à sa qualité de partie plaignante. Le jugement rendu au Kazakhstan en 2018 confirmait, précisait et actualisait les infractions dont elle avait été la victime, à savoir l'aliénation illicite du patrimoine communal; elle avait été dûment représentée aux débats. La Chambre de céans, contrairement à sa jurisprudence, ne devrait pas entrer en matière sur la contestation élevée par les prévenus recourants et déclarer leurs recours irrecevables sur ce point.

d. En réplique, B______ et C______ soutiennent notamment, avis de droit à l'appui, que A______ était une "entité sub-étatique", comme telle dépourvue de la capacité d'ester en justice à l'étranger.

e. A______ duplique, appelant à distinguer une procédure nationale d'une procédure inter-étatique devant une juridiction internationale.

G. a. Dans son recours, D______ soulève, en substance, les mêmes griefs que B______ et C______. A______ n'était investie que d'un pouvoir de gestion des biens municipaux, i.e. ne disposait pas de l'autonomie nécessaire à se constituer partie plaignante. L'ordonnance querellée ne réglait pas l'accès au dossier de A______ de la même façon que pendant l'instruction. Or, la correspondance échangée ne saurait, non plus, être portée à la connaissance des autorités kazakhes. Pour le surplus, le Ministère public ne se référait à aucune pièce dont A______ n'aurait pas déjà connaissance.

b. Le Ministère public renvoie à la motivation de sa décision.

c. A______ produit des déterminations identiques à celles déposées sur le recours de B______ et C______.

d. D______ réplique que le caractère étatique ou semi-étatique de A______ suffit à légitimer l'ouverture d'une voie de recours contre sa participation à la procédure.

 

 

 

 

EN DROIT :

1.             Vu leur connexité évidente, tous les recours seront joints.

2.             A______ conclut à l'irrecevabilité des recours des prévenus contre sa qualité de partie plaignante.

2.1.       La Chambre de céans ne voit aucune raison de revenir sur sa pratique qui consiste à se prononcer au cas par cas sur la recevabilité du recours exercé par un prévenu contre l'admission (ou la confirmation) d'une partie plaignante. Ainsi entre-t-elle en matière lorsque des inconvénients juridiques pourraient en résulter pour le prévenu, par exemple lorsqu'il s'agit de protéger des secrets d'affaires ou lorsque le plaignant est un État (ACPR/462/2019; ACPR/637/2015; ACPR/369/2015) ou une société d'État dotée de ressources supérieures à celles d'une partie plaignante ordinaire (ACPR/724/2018). Par ailleurs, les conditions de l'art. 93 LTF ne régissent pas le recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP (cf. ATF 143 IV 457 consid. 2.6 p. 480), et la Chambre de céans n'est pas liée par la jurisprudence du Tribunal pénal fédéral sur ces questions (ACPR/369/2016; ACPR/355/2016). L'intérêt juridique-ment protégé (art. 382 al. 1 CPP) n'est donc pas automatiquement admis lorsqu'un prévenu s'en prend à l'admission ou au maintien d'une partie plaignante.

2.2. En l'occurrence, et contrairement à ce qu'ils affirment aujourd'hui, les prévenus n'ont jamais contesté la participation de A______ à la procédure ni demandé formellement son éviction, mais ont tout au plus émis des "réserves" sans aucune portée. La procédure ne contient pas trace d'une demande de leur part invitant le Ministère public à reconsidérer sa position et à rendre formellement une (nouvelle) décision. Ils ont uniquement insisté sur la limitation des droits procéduraux de A______, soit essentiellement l'accès au dossier (car le procès-verbal du 19 octobre 2017 ne montre pas que les conseils de A______, présents, auraient dû quitter l'audience par suite des objections des prévenus). Après que le Ministère public eut promis de "futures décisions d'accès", ils se sont tout au plus enquis de savoir si la partie plaignante avait effectivement consulté le dossier. On ne s'explique donc guère ce qui a conduit le Ministère public à réexaminer, puis à "confirmer" la qualité de partie plaignante de A______, sauf à rapprocher son initiative des conclusions expressément prises dans ce sens par la ville dans son recours du 18 septembre 2019, dont il a eu connaissance.

Cela étant, les prévenus font valoir que, parmi les pièces du dossier, la consultation par A______ de la documentation bancaire et de la correspondance pourrait servir à un État étranger. Cette question relève de l'accès au dossier, qui fait l'objet d'un point spécifique dans le dispositif de l'ordonnance attaquée, est contesté pour lui-même et sera traité aussi pour lui-même (consid. 4. et 6. infra).

En d'autres termes, la présence de la partie plaignante, dans les conditions concrètes de la cause, ne représente pour les prévenus qu'un inconvénient inhérent au système du CPP.

Par conséquent, ils n'ont aucun intérêt juridiquement protégé à s'en prendre aujourd'hui à cette question, par le détour d'un point de la décision attaquée qui n'avait en réalité pas lieu d'être et dont ils ne sont pas à l'origine.

3.             Contrairement à ce que laisse accroire A______, la lettre du 4 septembre 2019 contre laquelle elle recourt ne revêt pas le caractère d'une "décision", au sens de l'art. 393
al. 1 let. a CPP. Le Ministère public ne fait qu'y exposer qu'il "examinera" ultérieurement sa qualité de partie plaignante et sa demande d'accès (complet) au dossier. Il précise vouloir le faire non pas "après" - comme semble le croire la recourante -, mais "dans le cadre" de "la décision à venir". Au vu de l'avis de prochaine clôture signifié le même jour, cette décision-là ne pouvait être que l'ordonnance de classement annoncée.

3.1.       On pourrait, certes, se demander si, en tant qu'il confirme ne pas vouloir étendre l'accès de la partie plaignante à d'autres pièces que celles dont elle dispose déjà ou auxquelles elle a déjà accès, le Ministère public n'a pas implicitement rejeté sa requête de consulter le dossier complet. Peu importe, à vrai dire. La recourante ne conclut pas à ce que l'accès à la procédure lui soit octroyé intégralement et immédiatement, mais seulement à ce que le Ministère public statue à ce propos avant de régler le sort de la poursuite. Tel est l'objet du litige, et la Chambre de céans, même non liée par les conclusions prises devant elle (art. 391 al. 1 let. b CPP), ne saurait aller au-delà de ce que demande la partie recourante (principe "tantum devolutum, quantum appelatum"; G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e édition, Genève 2011, n. 1945).

3.2.       Ainsi circonscrit, le recours du 18 septembre 2019 ne peut être traité que comme un recours pour déni de justice. La recourante l'a du reste bien vu, puisqu'elle se prévaut expressément de ce grief et conclut expressément à ce que le Ministère public soit invité à rendre une décision sur les points qu'elle soulève. Le recours pour déni de justice n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). En l'espèce, il a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP) et émane de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui revêtait alors cette qualité de manière indiscutée et qui avait un intérêt juridiquement protégé à ce qu'il soit statué dans un délai raisonnable sur sa demande d'accéder à l'intégralité de la procédure (art. 382 al. 1 CPP).

3.3.       Ce recours n'a toutefois plus d'objet. En effet, dans l'ordonnance ultérieure de classement, le Ministère public a statué sur les points soulevés par la recourante, soit sa qualité de partie plaignante et l'accès au dossier. Lorsque l'autorité rend une décision alors qu'un recours pour déni de justice est pendant, le recourant ne dispose, en principe, plus d'un intérêt actuel à faire constater le prétendu déni (arrêts du Tribunal fédéral 5A_670/2016 du 13 février 2017 consid. 2; 5A_709/2016 du
30 novembre 2016 consid. 4.2; 2C_313/2015 du 1er mai 2015 consid. 4; H.259/03 du 22 décembre 2003 consid. 4). Si l'intérêt actuel disparaît en cours de procédure, le recours devient sans objet (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 p. 143). Tel est donc le cas.

4.             Pour le surplus, les recours sont recevables, pour avoir été déposés chacun selon les forme et délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des aspects d'une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 3 et 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et b CPP), qui ont qualité pour agir, ayant chacune un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des points qu'elles contestent (art. 382 al. 1 CPP).

5.             La partie plaignante soutient que la décision de classement attaquée aurait été rendue, tout à la fois, précipitamment et en violation du principe de la célérité.

On peine à la suivre.

Pour une instruction dans laquelle elle n'est intervenue qu'en milieu de l'année 2017, le temps écoulé jusqu'à l'ordonnance de classement, pris dans son ensemble (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1 p. 377), ne dénote pas de carence notable du Ministère public dans la conduite de la procédure préliminaire. Avant le 7 mars 2019, la recourante ne s'est pas plainte que l'instruction ne progressait pas, mais que les décisions qu'elle réclamait tardaient. Considéré pour lui-même, l'intervalle entre l'avis de prochaine clôture et la décision de classement n'a rien d'excessif, d'autant moins que le délai imparti pour présenter des réquisitions de preuve et des demandes d'indemnités a été fixé au 30 septembre 2019; que, dans sa lettre du 12 septembre 2019, la recourante le trouvait "très court"; et que toutes les parties l'ont utilisé (brièvement prolongé, dans le cas d'un prévenu) pour y donner suite de façon circonstanciée. Le caractère prétendument "précipité" de l'ordonnance ne transparaît pas de sa motivation, dont la recourante ne prétend pas qu'elle serait hâtive ou bâclée, mais erronée, ce qui relève du bien-fondé des critiques qu'elle lui décoche.

Pour le surplus, son grief se confond avec celui d'un retard injustifié, qui n'a plus d'objet, puisqu'une décision sur le fond a été rendue (consid. 3.3. supra).

6.             La partie plaignante se plaint de n'avoir pas eu accès à l'intégralité du dossier.

6.1.       Aux termes de l'art. 101 al. 1 CPP, les parties peuvent, sous réserve de l'art. 108 al. 1 CPP, consulter le dossier d'une procédure pénale pendante, au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public. Il s'agit là d'une composante du droit d'être entendu (ATF
132 II 485 consid. 3.2 p. 494; cf. art. 107 al. 1 let. a CPP), qui bénéficie notamment à la partie plaignante (cf. art. 104 al. 1 let. b CPP; 118 al. 1 CPP). Le droit de consulter les pièces du dossier concrétise également le principe de l'égalité des armes, lequel suppose notamment que les parties aient un accès identique aux pièces versées au dossier (ATF 137 IV 172 consid. 2.6 p. 176; ATF 122 V 157 consid. 2b p. 163 s.; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd. Bâle 2019, n. 21 ad art. 3 CPP).

Dans la mesure où l'accès au dossier - et, par conséquent, à des données personnelles - constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_344/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.1 ; 1B_399/2018 du 23 janvier 2019 consid. 2.1; 1B_261/2017 du 17 octobre 2017 consid. 2), l'intérêt du prévenu doit en principe passer au second plan par rapport à celui de la partie plaignante à pouvoir valablement exercer son droit d'être entendue, garanti notamment par les art. 6 § 1 CEDH et 29 al. 2 Cst.

Il en va de même en tant que des documents versés au dossier sont couverts par le secret bancaire, celui-ci n'étant pas susceptible d'empêcher les parties d'exercer leur droit d'être entendues, à tout le moins lorsqu'il s'agit de la consultation de pièces versées à un dossier pénal (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_112/2019 du 16 octobre 2019 consid. 3.2.3 et les références).

Les pièces obtenues légalement dans la procédure pénale suisse peuvent
ensuite être librement utilisées par les parties, en particulier la partie plaignante,
qui peut, notamment, les produire dans d'autres procédures, y compris étrangères (M. LUDWICZAK, À la croisée des chemins du CPP et de l'EIMP la problématique de l'accès au dossier, RPS 133/2015 295, p. 303).

Le droit à la consultation du dossier n'est toutefois pas absolu. Ainsi, conformément à l'art. 108 al. 1 CPP, les autorités pénales peuvent restreindre le droit d'une partie à être entendue, et partant à consulter le dossier, lorsqu'il y a de bonnes raisons de soupçonner que cette partie abuse de ses droits (let. a) ou lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (let. b). Des restrictions au droit de consulter le dossier
doivent toutefois être ordonnées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 1B_245/2015 du 12 avril 2016 consid. 5.1; 1B_315/2014 du 11 mai 2015 consid. 4.4). C'est à la Direction de la procédure qu'il appartient de statuer sur la consultation des dossiers. Elle prend dans ce cadre les mesures nécessaires pour prévenir les abus et les retards et pour protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP).

6.2.       Les dispositions sur le droit d'accès au dossier dans la procédure pénale doivent s'appliquer dans le respect des principes applicables en matière d'entraide judiciaire (cf. art. 54 CPP). La jurisprudence a souligné maintes fois ce principe, insistant sur la nécessité d'éviter tout risque de dévoilement intempestif d'informations en cours de procédure (cf. ATF 127 II 104 consid. 3d p. 109 et ATF 125 II 238). L'autorité d'instruction qui conduit de front la procédure pénale et l'exécution de l'entraide judiciaire doit prendre en compte les intérêts de l'une comme de l'autre. Elle doit ménager les droits des parties à la procédure pénale, sans compromettre une correcte exécution de la demande d'entraide judiciaire. Le droit de consulter le dossier et de participer à l'instruction peut ainsi être limité ou suspendu dans toute la mesure nécessaire pour préserver l'objet de la procédure d'entraide (ATF 139 IV 294 consid. 4.2 p. 298; 127 II 198 consid. 4c p. 207).

La jurisprudence constante du Tribunal fédéral considère que le droit de consulter le dossier, en particulier lorsque la partie plaignante est un État ou est liée à celui-ci, peut être limité ou suspendu dans toute la mesure nécessaire pour préserver l'objet d'une procédure d'entraide pendante. L'autorité d'instruction doit prendre toute mesure idoine pour éviter que la partie plaignante ne prélève de copies de pièces du dossier avant que la procédure d'entraide soit terminée (arrêt du Tribunal fédéral 1A.63/2004 du 17 mai 2004 consid. 2.2. in fine). La jurisprudence envisage aussi la possibilité d'obtenir un engagement formel de l'État étranger de ne pas utiliser dans sa propre procédure les renseignements obtenus dans le cadre de la consultation du dossier pénal (ATF 139 IV 294 consid. 4.2 p. 298; 127 II 198 consid. 4c p. 207).

Dans un arrêt 1B_457/2013 du 28 janvier 2014, le Tribunal fédéral a confirmé une décision de la Chambre de céans (ACPR/525/2013) permettant à la partie plaignante un accès au dossier, sans lever de copie et avec obligation de garder le silence. Le Tribunal fédéral y rappelle la nécessité, pour le ministère public, de concilier les exigences de l'entraide judiciaire et les droits des parties à la procédure pénale. Dans ce cadre, il appartient à la Direction de la procédure de trouver des solutions praticables en tenant compte de l'ensemble des circonstances, notamment les risques effectifs de transmission prématurée, les liens de la partie plaignante avec l'étranger, son attitude procédurale et la confiance que l'on peut avoir dans le respect des conditions posées. En fonction de l'évolution de ces risques, l'autorité peut envisager des assouplissements tels qu'un accès partiel ou indirect, un accès sans possibilité de lever de copies ni d'emporter des pièces, voire des engagements spécifiques de la part de la partie plaignante. Dans tous les cas, il appartient à la Direction de la procédure de s'assurer qu'aucun abus ne soit commis.

Pour qu'il y ait détournement des règles de la procédure d'entraide, les renseignements doivent, d'une part, correspondre à l'objet de la demande d'entraide et, d'autre part, être directement utilisables comme moyens de preuve par les autorités de l'État requérant (arrêt 1B_457/2013 précité, consid. 2.2.).

6.3.       En l'espèce, la nécessité de préserver le respect des règles sur l'entraide pénale internationale paraît avoir disparu et, dès lors, devoir céder devant l'intérêt de la partie plaignante à consulter tout le dossier. En effet, il n'y a a priori plus de risque de contournement de l'entraide, maintenant que celle-ci a été refusée et que la procédure y relative est clôturée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_521/2017 du
14 mars 2018 consid. 3.2.).

Le Ministère public craint cependant qu'un tel risque ne subsiste.

Il n'est pas d'emblée évident que la recourante, collectivité municipale, se confondrait avec l'État du Kazakhstan, même si elle a produit des commissions rogatoires décernées par ce pays et des procès-verbaux d'auditions menées à cette suite par le Ministère public; même si l'extension au civil de sa constitution de partie plaignante n'intervient qu'après que la coopération judiciaire a été refusée - refus qui coupait court à toute perspective de restitution de valeurs à l'ayant droit (cf. art. 74a al. 1 et 2 EIMP) -; et même si ses conseils représentaient l'État kazakh dans la procédure d'entraide - ce que les intéressés n'ont pas démenti -.

En revanche, les motifs qui, selon le Ministère public, ont conduit la Suisse à refuser de coopérer - et qui ne peuvent être que ceux de l'art. 2 let. a EIMP, soit la conduite d'une procédure pénale non conforme aux principes de procédure fixés par la CEDH ou par le Pacte ONU II - sont suffisamment significatifs et récents pour que toute forme de subordination ou de dépendance de la partie plaignante envers
l'État du Kazakhstan ne puisse pas être catégoriquement exclue. Le risque pourrait même exister que, sur la base de son droit interne, la recourante ne puisse pas
refuser de communiquer aux autorités pénales de son pays - voire soit tenue de dénoncer spontanément - le fruit d'une consultation intégrale de la procédure suisse. Ce risque apparaît d'autant plus sérieux que, comme cela résulte sans ambiguïté du jugement kazakh rendu le 8 octobre 2018 (traduction, pp. 4 et 5), la nomination à la fonction de ______ de A______ appartient au ______ [fonction] de la République du Kazakhstan, dont la personne ainsi désignée devient le représentant et devant lequel elle répond.

La partie plaignante objecte que les prévenus n'auraient guère d'intérêt à s'opposer à son accès aux pièces bancaires, au motif que deux d'entre eux, B______ et C______, ont été condamnés ce 8 octobre 2018. L'argument rejoint l'invocation par ces derniers du principe ne bis in idem pour appuyer le classement querellé.

Il n'est pas convaincant.

Ni la recourante ni les intimés n'ont essayé de démontrer que les faits jugés au Kazakhstan seraient identiques à ceux visés dans les commissions rogatoires internationales (recte : que ces actes constitueraient les crimes préalables dont les produits auraient été blanchis en Suisse, au sens de l'art. 305bis ch. 3 CP). Ce n'est pas à la Chambre de céans de le vérifier, si les principaux intéressés estiment pouvoir s'en abstenir, d'autant moins que certaines des commissions rogatoires fournies par la recourante ne sont pas rédigées dans la langue de la procédure (cf. art. 13 LaCP) ni même dans une langue nationale. Il suffit de constater que le numéro de la procédure pénale kazakhe mentionné dans la plainte pénale du 26 juillet 2017 est différent de la référence portée en première page du jugement du 8 octobre 2018 et que les quatre commissions rogatoires produites par la recourante n'en portent aucun. Enfin, voire surtout, le jugement du 8 octobre 2018 apparaît, si ce n'est antérieur, en tout cas concomitant, à l'annonce officielle par la Suisse aux autorités kazakhes que l'entraide ne leur serait pas accordée. En effet, dans la décision attaquée, le Ministère public explique que cette annonce fut faite précisément au mois d'octobre 2018. Il est donc peu plausible que les débats devant le tribunal aient été ouverts dans la foulée, puis clos le 8 octobre déjà; et il est tout aussi peu plausible que B______ et C______ aient été déclarés coupables d'infractions pour lesquels l'entraide venait d'être refusée, sauf à y voir la corroboration que la procédure étrangère menée contre eux n'était pas conforme à l'art. 2 let. a EIMP.

Dès lors, dans la mesure où le Ministère public explique que la documentation bancaire versée au dossier coïncide avec celle qu'il destinait à l'État du Kazakhstan, la Chambre de céans ne peut exclure que l'accès, par la partie plaignante, à ces informations - non transmises à l'État requérant - ne permette à celui-ci non seulement d'engager de nouvelles procédures pénales contre B______ et C______, voire contre le troisième prévenu, non visé par le jugement rendu en 2018, mais encore de faciliter des poursuites toujours ouvertes. La recourante ne dément pas vraiment ce dernier aspect, elle qui explique, au contraire, que "des investigations" sont toujours en cours au Kazakhstan au sujet d'autres "épisodes".

Là réside le risque d'abus.

6.4.       Doit par conséquent être examinée la remise de copies de pièces en mains des avocats de la recourante exclusivement, à l'encontre desquels il n'existe aucun soupçon d'abus, le cas échéant assortie de l'interdiction de les divulguer à leur cliente et à ses organes (ACPR/414/2019 du 7 juin 2019 consid. 4), d'autant plus que la recourante semblerait s'en accommoder (mémoire de recours p. 24).

Le mandataire d'une partie a, en principe, droit à la remise des pièces du dossier, et un refus ne saurait lui être opposé, en vertu de l'art. 108 al. 2 CPP, qu'en raison de son propre comportement. Ce statut privilégié repose sur la considération qu'en tant qu'auxiliaire de la justice, l'avocat professionnel doit exercer son mandat avec diligence et en toute indépendance (cf. art. 12 let. a et b de la loi sur les avocats, LLCA, RS 935.61) et s'abstenir de tout procédé allant au-delà de ce qu'exige la défense de son client. Sur ce point, l'avocat professionnel bénéficie d'une présomption qui lui permet, notamment, de recevoir en mains propres et sous sa responsabilité les éléments du dossier, indépendamment des doutes qui pourraient exister à l'égard de son client (arrêt du Tribunal fédéral 1B_445/2012 du 8 novembre 2012 consid. 3.3.2. = SJ 2013 I 370).

Cependant, en dépit des engagements pris par l'avocat avec l'accord de son client, l'avocat demeure tenu par son devoir de fidélité qui comprend une obligation d'information, de conseil et de représentation inhérente à son mandat. Selon l'art. 398 al. 2 CO, le mandataire est, en effet, responsable, envers le mandant, de la bonne et fidèle exécution du mandat (voir également art. 12 let. a LLCA). S'il ne s'oblige pas à un résultat, il doit néanmoins, en vertu de son obligation de diligence, entreprendre tout ce qui est propre à parvenir à ce résultat. La consultation du dossier par les seuls avocats leur permet certes de procéder à l'analyse de la situation. Toutefois, l'avocat s'oblige également à conseiller son client, en lui indiquant les diverses options envisageables, les démarches (judiciaires ou non, urgentes ou non) à accomplir et les chances et risques liés à chaque option (F. BOHNET / V. MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, pp. 1086 ss.). On ne saurait d'ailleurs écarter le risque que les mandataires commettent involontairement des indiscrétions, sur des questions intéressant en premier chef leurs clients (telles que des informations leur permettant de recouvrer des fonds). Dans de telles circonstances, l'interdiction totale de consulter des pièces impliquant un risque de divulgation est seule adéquate (ATF
139 IV 294 consid. 4.5 s. p. 300 s.).

Par conséquent, il convient que les avocats de la partie plaignante ne prennent pas connaissance du résultat des recherches bancaires, sous quelque forme que ce soit, ce qui s'étend aux lettres responsives des établissements interpellés et à la documentation et aux relevés de compte transmis, le cas échéant, au Ministère public. Une telle restriction à l'égard du client ne cause en tant que telle aucun préjudice à l'exercice des droits procéduraux de la partie concernée, y compris si le Ministère public décidait de l'assortir de la commination prévue à l'art. 292 CP (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_319/2019 du 3 octobre 2019 consid. 2.4.). Dans les relations avocat-client, la Chambre de céans a déjà validé pareille mise en garde pénale, lorsque le conseil d'une partie plaignante voulait l'accès intégral à des pièces du dossier relatives à une autre partie plaignante (ACPR/90/2015 du 16 février 2015 consid. 2.2.), voire l'a imposée d'elle-même au défenseur demandant l'accès à la déposition filmée d'une victime (art. 116 al. 1 CPP) de son client (ACPR/58/2013 du 11 février 2013 consid. 3.3.2. in fine).

En revanche, les actes de procédure proprement dits du Ministère public et des parties - ce qui comprend les ordonnances (y compris les recherches bancaires), les procès-verbaux d'audition (qu'ils aient été transmis ou non en exécution simplifiée de l'entraide, au sens de l'art. 80c EIMP), la correspondance échangée par les parties avec le Ministère public, y compris l'intégralité du mémorandum du 25 juin 2018 - n'ont pas à être soustraits à la consultation des avocats de la recourante.

6.5.       Cela ne scelle toutefois pas encore le sort du recours.

Le ch. 2 du dispositif de la décision attaquée n'excepte désormais de la consultation que les pièces correspondant - strictement - à celles recueillies pour les besoins de l'entraide. Le prévenu D______, qui a bien vu que cette délimitation est nouvelle, se contente de s'y opposer sans explication, alors que le risque d'abus est suffisamment pallié par une consultation qui serait limitée aux seuls avocats de la recourante.

Or, malgré ce prononcé, le Ministère public a de facto maintenu la restriction en vigueur jusqu'alors. En effet, sauf l'ajout du procès-verbal du 19 octobre 2017, la partie plaignante ne s'est, en réalité, pas vue conférer d'accès plus large que celui accordé ce jour-là (qui n'allait pas au-delà de sa propre plainte), puis complété le
19 septembre 2018 (par l'extrait du mémorandum du 25 juin 2018).

Le droit d'être entendu de la partie plaignante a donc été violé, puisque le droit de consulter le dossier en est une composante. Peu importe que la Direction de la procédure de la Chambre de céans ait maintenu le statu quo sur mesures provisionnelles (art. 388 CPP), car elle ne pouvait pas réformer elle-même l'interprétation, si ce n'est la modification a posteriori, que le Ministère public apportait au ch. 2 du dispositif querellé.

Le maintien quasi inchangé des restrictions imposées en 2017 et en 2018 a eu pour conséquence que la partie plaignante n'a pas pu exercer un droit de recours effectif et efficace, notamment son droit de proposer des réquisitions de preuve fondées sur l'état du dossier à sa clôture et de contester utilement les motifs du classement, ce qui relève également du droit d'être entendu. Le fait que la partie plaignante ait tout de même agi par des réquisitions de preuve et le dépôt d'un recours n'y change rien : le droit d'être entendu revêt un caractère formel, dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226; 127 V 431 consid. 3d/aa p. 437; 126 V 130 consid. 2b p. 132 et les arrêts cités).

En d'autres termes, la situation rencontrée en l'espèce est telle que la confirmation de son statut de partie plaignante n'a été d'aucune utilité à la recourante.

7.             Son recours doit, ainsi, être admis partiellement, sur les conclusions présentées "plus subsidiairement", et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il ouvre aux avocats de la recourante, et à eux seuls, l'accès au dossier qui résulte du ch. 2 de sa propre décision, le cas échéant sous la commination d'appliquer l'art. 292 CP. Une fois la consultation du dossier achevée selon ces modalités, la partie plaignante devra se voir offrir la possibilité de présenter à nouveau des réquisitions de preuve, sur lesquelles le Ministère public statuera. Puis, celui-ci rendra une nouvelle décision sur le sort de la poursuite, conformément à l'art. 299 al. 2 CPP.

Il s'ensuit nécessairement que le classement (ch. 1 du dispositif) doit être annulé.

8.             Comme il s'ensuit aussi qu'une nouvelle décision devra être rendue sur les frais et indemnités - la procédure préliminaire étant rouverte -, l'ordonnance attaquée sera intégralement mise à néant. Cette issue rend sans objet les recours des prévenus, qui portent sur ces questions.

9.             Le sort des frais et dépens doit être examiné séparément pour chacun des recours.

9.1.       Lorsqu'un recours devient sans objet, les frais afférents à la procédure sont fixés en tenant compte de l'état de fait existant avant l'événement mettant fin au litige et de l'issue probable de celui-ci (cf. ATF 125 V 373 consid. 2a p. 375).

Or, la partie plaignante n'eût pas obtenu gain de cause dans son recours en déni de justice.

Elle n'avait d'intérêt juridiquement protégé qu'à provoquer la ou les décision(s) promise(s) sur l'accès complet au dossier. Or, elle n'en a rien fait avant le 7 mars 2019, date à laquelle elle a demandé - pour la première fois - une décision formelle. Sans réponse, elle a réitéré sa requête le 24 juin 2019, formulant clairement sa volonté de se voir conférer l'accès à l'intégralité de la procédure. Le Ministère public lui a répondu qu'il statuerait avant la mi-août 2019. Il n'a donc pas refusé de statuer. À l'échéance, la recourante ne s'est pas manifestée; elle n'a réagi qu'après que le Ministère public lui eut fait part de ses intentions, par la lettre du 4 septembre 2019. À la date à laquelle la recourante a saisi la Chambre de céans, le dépassement de l'échéance de la mi-août ne pouvait être tenu pour un retard inadmissible à statuer.

Peu importe que le Ministère public ait montré quelques hésitations pouvant laisser entendre qu'il se pencherait à nouveau sur la qualité de partie plaignante : ce statut n'a été ni suspendu ni retiré, avant d'être confirmé formellement dans la décision attaquée. Par ailleurs, et pour le même motif, la recourante pouvait et devait exercer son droit à la preuve à l'occasion d'un recours contre la décision de classement qui s'annonçait (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_940/2016 du 6 juillet 2017 consid. 3.3 et les références; ACPR/437/2012 du 15 octobre 2012; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 19 ad art. 318).

Par conséquent, les frais causés par le recours du 18 septembre 2019 seront intégralement mis à la charge de la partie plaignante, puisqu'elle aurait succombé (art. 428 al. 1 CPP).

9.2.       Pour ce qui concerne son recours contre l'ordonnance de classement, la partie plaignante obtient largement gain de cause (cf. consid. 7.). Elle n'assumera donc pas de frais (art. 428 al. 4 CPP). Elle conclut à une "indemnité équitable au titre des dépens de l'instance", mais il lui incombait d'en justifier d'emblée et spontanément (art.433 al. 2, 2e phrase, CPP). Aussi ne sera-t-il pas entré en matière sur sa demande.

9.3. Les prévenus, qui ont conclu à l'irrecevabilité du premier recours susmentionné et au rejet du second, n'ont pas gain de cause. Ils ne sauraient être indemnisés. Peu importe que l'annulation de la totalité de l'ordonnance attaquée leur profite aussi partiellement, dans la mesure où les points relatifs aux indemnités (ch. 4 et 6 à 8 du dispositif) et aux frais (ch. 5) sont mis à néant, car cette situation procédurale particulière n'est pas due au bien-fondé de leurs prétentions à ce sujet. En d'autres termes, ils n'ont pas obtenu gain de cause sur leurs propres recours. Cependant, vu le renvoi de la cause au Ministère public, ils n'assumeront pas les frais liés (art. 428 al. 4 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours interjetés par la ville de A______, B______ et C______ et D______ dans la procédure P/16479/2012.

Déclare sans objet le recours du 18 septembre 2019 de la ville de A______ et les recours de B______ et C______ et de D______.

Admet partiellement le recours de la ville de A______ du 25 novembre 2019, annule l'ordonnance de classement du 12 novembre 2019 et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision, au sens des considérants.

Condamne la ville de A______ aux frais de la procédure de recours en déni de justice, fixés en totalité à CHF 1'500.-, et dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées, le solde de celles-ci étant à restituer.

Laisse le solde des frais de l'instance à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante (soit, pour elle, ses conseils), aux prévenus (soit, pour eux, leurs défenseurs) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/16479/2012

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'395.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'500.00