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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/134/2025

JTAPI/710/2025 du 24.06.2025 ( LDTR ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : CHANGEMENT D'AFFECTATION;LOGEMENT
Normes : RDTR.4A; LCI.137
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/134/2025 LDTR

JTAPI/710/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 juin 2025

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Christian D'ORLANDO, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Madame A______ est propriétaire d'un appartement de cinq pièces situé à l'adresse ______[GE], sis sur la commune de B______ (ci-après : la commune).

2.             Le 15 septembre 2023, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) a interpellé Mme A______ sur le fait qu'à l'occasion d'un contrôle inopiné, il avait constaté que son logement était mis en location sur la plateforme C______, tout en lui indiquant que cette situation pourrait être considérée, à certaines conditions, comme un changement d'affectation, précisant qu'il n'avait pas trouvé dans ses dossiers de décision autorisant le changement d'affectation du logement pour une exploitation en résidence meublée. Il l'invitait à transmettre copie des baux et/ou contrats relatifs à la mise à disposition du logement sur ladite plateforme depuis le début de cette activité, ainsi que tous justificatifs concernant les périodes d'utilisation du logement ainsi que les noms des personnes y ayant séjourné durant cette période. Elle devait également renseigner l'autorité sur les conditions d'occupation du logement lorsqu'il n'était pas mis à disposition par le biais de plateformes de location.

L'impression de l'annonce ayant trait à son logement, parue sur la plateforme informatique précitée, était jointe.

3.             Par courrier du 2 octobre 2023, Mme A______ a expliqué à l'OCLPF qu'à réception de son courrier du 15 septembre 2023, elle avait immédiatement donné instruction à l'agence D______ Sàrl (ci-après : l'agence), qui gérait son appartement, de supprimer le compte sur la plateforme C______. Pour des motifs personnels, elle avait souvent été amenée à effectuer des allers-retours entre Genève, Neuchâtel et E______ (France). Entre 2018 et 2020, elle avait décidé de louer son appartement pendant les vacances estivales et durant les fêtes de fin d'années par l'intermédiaire de l'agence précitée. Elle avait prolongé la mise en location de son appartement pour des courtes périodes, suite à la grave détérioration de l'état de santé de son père. Après son décès en 2022, elle avait décidé de rejoindre son mari à E______ (France), là où ce dernier séjournait pour des raisons professionnelles, avec leur fils, tout en faisant des allers-retours à Genève. Elle avait été dépassée par les évènements et n'avait pas vérifié les jours loués. L'agence ne lui avait plus rendu compte régulièrement de son activité et lui avait versé les loyers de manière irrégulière et incomplète. C'était grâce au courrier de l'OCLPF qu'elle avait pu obtenir les informations nécessaires et regrettait la situation. Elle précisait qu'elle comptait s'installer durablement à E______ (France) dès 2024 et avait décidé de mandater une régie de la place pour mettre en location son bien, sans plus passer par des séjours de courtes durées.

Elle joignait le décompte des jours de location obtenu de l'agence en annexe.

4.             Par courrier du 6 décembre 2023, l'OCLPF a informé Mme A______ qu'il ressortait du décompte de l'agence qu'un nombre important de nuitées avait été enregistré entre l'année 2021 et 2023, soit 108 nuitées en 2021, 218 nuitées en 2022 et 109 nuitées en 2023, lui rappelant la teneur de l'art. 4A du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01) et que cette situation était susceptible de constituer une infraction à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Il l'invitait à faire valoir ses observations dans un délai au 29 janvier 2024. Un dossier d'infraction a été ouvert (I-200'058).

5.             Le 25 janvier 2024, Mme A______ a transmis ses observations.

Après avoir rappelé en substance le contenu de son courrier du 2 octobre 2023, elle a précisé qu'elle avait personnellement occupé l'appartement durant les années 2017 à 2020 et l'avait loué durant les vacances d'été et les fêtes de fin d'année à raison de 49 jours pour l'année 2018, 47 jours pour l'année 2019 et 26 jours pour l'année 2020 via l'agence. Aujourd'hui, l'appartement n'était pas mis en location, car elle l'occupait encore.

6.             Par décision du ______ 2024, le département du territoire (ci-après : le département) a ordonné le rétablissement d'une situation conforme au droit en procédant à la remise en location ordinaire de l'appartement et a infligé à Mme A______ une amende administrative de CHF 39'000.-, considérant que les art. 1 al. 1 let. b LCI, 7 LDTR et 4A RDTR n'avaient pas été respectés.

Ce montant tenait compte de la gravité tant objective que subjective de l'infraction commise du fait que l'appartement avait été mis en location sur la plateforme C______ pendant plus de trois ans, au-delà du cadre légal autorisé de 90 jours par année, ce qui lui avait permis d'obtenir un gain substantiel.

Elle devait également faire parvenir tous documents et justificatifs démontrant la remise en location ordinaire de l'appartement, soit en fournissant une preuve attestant qu'elle y avait bien établi son centre de vie principal, soit en fournissant un contrat de bail du nouveau locataire occupant le logement.

7.             Par acte du 10 janvier 2025, Mme A______, sous la plume de son conseil, a formé recours contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Depuis 2024, son vœu de pouvoir rejoindre son mari à E______ (France) avait été abandonné et elle continuait d'occuper personnellement le logement, de sorte qu'il n'était plus loué depuis l'interpellation de l'OCLPF. Elle avait uniquement accepté de mettre à disposition gratuitement l'une des deux chambres de son appartement pour héberger le fils d'un ami de longue date.

Elle ne contestait pas le principe de l'amende, puisqu'elle avait effectivement mis en location son appartement pour de courtes périodes excédant la limite légale entre 2021 et 2023.

Elle contestait cependant son montant, lequel était excessif et disproportionné. La circonstance aggravante du gain substantiel traduisait la vision de l'autorité intimée selon laquelle elle aurait fait preuve de cupidité. Aucune disposition légale n'imposait la fixation d'un loyer durant la durée des 90 jours autorisés selon l'art. 4A RDTR. Entre 2021 et 2023, particulièrement en 2022, elle avait été accaparée par des soucis familiaux l'obligeant à se rendre au chevet de son père malade à Neuchâtel pour seconder sa mère durant toute cette période jusqu'au décès de ce dernier en janvier 2023. En parallèle, elle devait gérer le départ de son mari pour E______ (France) sans pouvoir se déterminer si elle allait ou non l'y suivre plus tard et organiser le départ de son fils à ______ (France). Durant cette période, ce n'était pas la cupidité qui l'avait nourri, mais un débordement affectif et émotionnel qui avait remis en arrière-plan toute autre considération matérielle.

Durant les années 2018 à 2020, alors que sa situation familiale était stable, elle n'avait pas dépassé la durée maximale autorisée. L'autorité intimée semblait s'être focalisée sur les seuls revenus obtenus, sans mettre dans la balance la situation qu'elle avait traversé durant la période d'infraction.

En outre, elle avait fait preuve de transparence totale avec l'OCLPF, en lui remettant l'intégralité des documents demandés sans tenter de minimiser le revenu obtenu. Elle avait entièrement collaboré et n'avait jamais eu d'intention délictuelle, de sorte que seule une négligence pourrait être retenue. L'infraction portait sur un seul logement qui constituait depuis 2017 son logement principal et la réaffectation en logement était aisée. Par ailleurs, elle n'avait pas récidivé et n'avait pas d'antécédent. Le montant de l'amende devait ainsi être réduit pour tenir compte des circonstances atténuantes que l'autorité intimée n'avait pas prises en compte. Il fallait également tenir compte du fait qu'entre son courrier du 6 décembre 2023 et la décision querellée du 22 novembre 2024, elle n'avait plus eu aucune nouvelle de l'autorité intimée, ce qui l'avait amenée à penser que ses arguments avaient été entendus.

Enfin, le montant était totalement disproportionné au regard des amendes prononcées dans d'autres cas où la collaboration de la partie avait été mauvaise, même devant l'autorité de recours, où la faute grave avait été retenue et où l'infraction portait sur plusieurs appartements avec un appât du gain flagrant. Le montant de l'amende devrait se situer entre CHF 1'500.- et CHF 3'000.-

8.             Le 17 mars 2025, le département a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il a conclu au rejet du recours, sous suite de frais.

Prenant en considération le fait que l'appartement de la recourante avait été mis en location sur une plateforme internet à de nombreuses reprises pendant une période dépassant largement la limite des 90 jours de l'art. 4 RDTR, et cela pendant trois années consécutives, et vu le gain qui s'en était résulté, d'un montant de plus de CHF 40'000.-, l'amende prononcée était pleinement justifiée.

9.             Le 26 mars 2025, la recourante a informé le tribunal qu'elle n'entendait pas formuler de réplique.

10.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a LCI).

4.             Sous réserve de l’art. 3 al. 4 LDTR, nul ne peut, sauf si une dérogation lui est accordée au sens de l’art. 8 LDTR, changer l’affectation de tout ou partie d’un bâtiment au sens de l'art. 2 al. 1 LDTR, occupé ou inoccupé (art. 7 LDTR).

5.             Par changement d’affectation, on entend toute modification, même en l’absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel. Sont également assimilés à des changements d’affectation, le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (art. 3 al. 3 let. a LDTR).

6.             A l’exclusion des chambres meublées isolées, la résidence meublée est un logement qui est loué meublé à des fins commerciales dans une maison d’habitation (art. 4 al. 1 RDTR)

7.             La location de la totalité d'un logement au travers de plates-formes de location est considérée comme un changement d'affectation au sens de la loi si elle excède 90 jours par an (art. 4A RDTR).

L'art. 4A RDTR n'introduit aucune nouvelle interdiction, mais se limite à préciser la notion de changement d'affectation telle qu'elle découle déjà de la LDTR, s'agissant de la mise à disposition de logements pour un hébergement de courte durée moyennant rémunération (arrêt du Tribunal fédéral 1C_472/2018 du 25 mars 2019, consid. 5.2).

8.             Les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 LCI (art. 131 LCI). Le département notifie aux intéressés, par lettre recommandée, les mesures qu'il ordonne. Il fixe un délai pour leur exécution, à moins qu'il n'invoque l'urgence (art. 132 al. 1 LCI).

La responsabilité du mandant ne saurait être dissociée de celle de son mandataire. En effet, le premier est responsable des actes de celui qui le représente et répond de toute faute de ses auxiliaires (ATA/370/2024 du 12 mars 2024 consid. 2.5). 

9.             Est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI, à ses règlements d'application ainsi qu'aux ordres du département (art. 137 al. 1 LCI).

Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction ; la violation des prescriptions par cupidité ainsi que les cas de récidive constituent notamment des circonstances aggravantes (art. 137 al. 3 LCI).

10.         Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C'est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/508/2020 du 26 mai 2020 consid. 4 ; ATA/206/2020 du 25 février 2020, consid. 4b ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020, consid. 7b). En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), il y a en effet lieu de faire application des dispositions générales (art. 1 à 110) du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

11.         En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/611/2016 du 12 juillet 2016 consid. 10c et les références citées). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence (cf. not. ATA/625/2021 du 15 juin 2021 consid. 4b; ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020 consid. 7c ; ATA/1828/2019 du 17 décembre 2019 consid. 13c ; ATA/1277/2018 du 27 novembre 2018 consid. 6c ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd., 2020, p. 343 n. 1493).

12.         La culpabilité doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle, ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure (cf. ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 ; 136 IV 55 ; 134 IV 17 consid. 2.1 ; 129 IV 6 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1024/2020 du 25 janvier 2021 consid. 1.1 ; 6B_28/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.1 ; 6B_1276/2015 du 29 juin 2016 consid. 2.1 ; cf. aussi ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7e) et ses capacités financières (cf. ATA/719/2012 du 30 octobre 2012 consid. 20 et les références citées).

13.         Néanmoins, toujours selon la jurisprudence constante, l'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et, selon l'art. 47 CP, jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende (ATA/313/2017 du 21 mars 2017 ; ATA/124/2016 du 9 février 2016 ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/886/2014 du 11 novembre 2014), le juge ne la censurant qu'en cas d'excès (ATA/313/2017 du 21 mars 2017 ; ATA/124/2016 du 9 février 2016 ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 ; ATA/147/2014 du 11 mars 2014). L'autorité ne viole le droit en fixant la peine que si elle sort du cadre légal, si elle se fonde sur des critères étrangers à l'art. 47 CP, si elle omet de prendre en considération des éléments d'appréciation prévus par cette disposition ou, enfin, si la peine qu'elle prononce est exagérément sévère ou clémente au point de constituer un abus du pouvoir d'appréciation (cf. ATF 136 IV 55 consid. 5.6 ; 135 IV 130 consid. 5.3.1 ; 134 IV 17 consid. 2.1 ; 129 IV 6 consid. 6.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_28/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.1 ; 6B_1276/2015 du 29 juin 2016 consid. 2.1).

14.         Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; cf. ATA/313/2017 du 21 mars 2017 ; ATA/871/2015 du 25 août 2015 ; ATA/824/2015 du 11 août 2015), lequel commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu'elle soit raisonnable pour la personne concernée (cf. ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 140 II 194 consid. 5.8.2 ; 139 I 218 consid. 4.3).

15.         Doivent être notamment prises en compte au titre de circonstances aggravantes la qualité de mandataire professionnellement qualifié ainsi que celle de professionnel de l'immobilier des recourants (arrêt du Tribunal fédéral 1C_209/2020 du 16 octobre 2020 consid. 2.3.2 ; ATA/706/2022 du 5 juillet 2022 consid. 5 et les références citées, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_468/2022 du 21 avril 2023), le fait de mettre l'autorité devant le fait accompli (ATA/174/2023 précité consid. 2.2.1 et les références citées), le fait d’avoir agi par cupidité, la récidive ainsi que le nombre élevé ou la proportion importante des appartements ou immeubles concernés par la violation de la LDTR. La cupidité est définie comme le trait de caractère de l'auteur qui se montre particulièrement avide d'avantages financiers, qui par exemple pour se procurer de l'argent outrepasse habituellement et sans scrupules les limites tracées par la loi, la bienséance ou les bonnes moeurs et qui n'hésite donc pas à se procurer un gain illicite (ATF 101 IV 134, ATF 94 IV 100 et les références). Il est donc admis que la cupidité va au-delà du simple dessein d'enrichissement ou de se procurer un avantage; elle ne saurait non plus être confondue avec le souci de l'intérêt personnel (ATF 101 IV 134, ATF 94 IV 100). Dans un arrêt du 7 mars 2023, le Tribunal fédéral a retenu que la circonstance aggravante de la cupidité était en l'occurrence réalisée au vu de l'ampleur des montants perçus abusivement (CHF 212'501.50), du nombre de locataires touchés (treize) et du nombre d'années durant lesquelles la recourante avait accepté une situation qu'elle savait illégale (trois ans), tout en confirmant l'amende administrative de CHF 100'000.- prononcée à son égard, précisant que ce montant correspondait à la moitié des montants indument encaissés (1C_264/2022, consid. 3.4). Au titre de circonstances atténuantes, doivent être prises en compte notamment l’absence de volonté délictuelle, une violation de la LDTR sur un appartement ou un immeuble isolé seulement et le fait qu’une réaffectation en logement soit aisée. Il doit être tenu compte de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/174/2023 précité consid. 2.1.9 et les références citées).

Si les antécédents constituent une circonstance aggravante, l’absence d’antécédents est une circonstance neutre qui n’a pas l’effet de minorer la sanction (ATA/174/2023 précité consid. 2.2.2). La chambre administrative a également indiqué que le dépôt d'une demande d'autorisation de construire à la suite d'un ordre du département est une obligation et non une faculté laissée au bon vouloir des administrés et qu'une bonne collaboration est attendue, dans la mesure où elle est nécessaire au traitement efficace d'un dossier, ce qui amène à relativiser la portée de ces circonstances atténuantes (ATA/1334/2023 du 12 décembre 2023 consid. 12.8).

16.         En l'espèce, la recourante ne conteste pas le principe de l'amende et reconnait avoir violé l'art. 4A RDTR en mettant en location son appartement sur des périodes dépassant 90 jours entre 2021 et 2023. Elle reconnait ainsi sa faute. Elle conteste en revanche le montant de l'amende, de sorte que l'examen du tribunal se limitera à cet aspect de la sanction.

En l'occurrence, si le tribunal ne minimise pas l'impact des évènements personnels vécus par la recourante et s'il est incontestable qu'elle a fait preuve de collaboration avec l'autorité intimée, n'a pas d'antécédents et que la situation ne porte que sur un seul logement, il ne faut cependant pas oublier que l'autorité intimée a été mise devant le fait accompli et que c'est uniquement suite à l'interpellation de l'OCLPF que la recourante a mis fin à la mise en location de l'appartement sur la plateforme C______ et ainsi à la situation litigieuse. En outre, si elle prétend que l'agence ne lui aurait pas rendu régulièrement compte de l'activité et lui aurait versé les loyers de manière irrégulière, il ne faut pas perdre de vue que la recourante répond des actes de son mandataire. Par ailleurs, la violation de l'art. 4A RDTR qui lui est reproché porte sur trois années consécutives. Selon le décompte de l'agence produit, il appert clairement que la recourante a mis en location son appartement sur la plateforme C______ 108 nuits en 2021, soit 18 nuits de plus qu'autorisé, 218 nuits en 2022, soit 128 nuits de plus qu'autorisé et 109 nuits en 2023, soit 19 nuits de plus qu'autorisé, alors qu'elle connaissait l'existence de cette limite légale. Sur l'ensemble des trois années litigieuses, elle a réalisé un gain total (avec déduction des frais d'agence et de location) de plus de CHF 134'000.-, soit CHF 28'934.- en 2021, CHF 68'634.- en 2022 et CHF 36'444.- en 2023. En appliquant à chacun de ces montants la proportion de dépassement de la limite de 90 jours autorisés par l'art. 4A RDTR, on arrive à un montant total de gain réalisé hors des limites légales de CHF 49'030.- sur les trois années cumulées. Elle a ainsi réalisé un gain substantiel en violation de la loi.

Il y a dès lors lieu d'effectuer une appréciation d'ensemble de la situation. Objectivement, la mise en location du logement sur une durée excédant 90 jours, sur trois années consécutives a engendré un gain substantiel d'approximativement CHF 49'000.-. Cet état de fait revêt en soi une certaine gravité compte tenu de l'intérêt public au maintien du parc locatif poursuivi par l'art. 4A RDTR et du fait accompli devant lequel le département a été mis. La faute de la recourante apparaît ainsi importante, en raison de la réalisation de deux des circonstances aggravantes énoncées à l'art. 137 al. 3 LCI.

Ceci étant dit, il ressort de la motivation de la décision litigieuse et des observations du département que le montant de l'amende a été fixé uniquement en fonction du gain substantiel réalisé sur la période de trois ans. Or, si l'absence d'antécédents constitue certes à elle-seule une circonstance neutre, le fait que la recourante ait immédiatement mis fin à la situation illicite, qu'elle ait fait preuve d'une transparence ainsi que d'une collaboration totale et qu'elle ait répondu à pleine satisfaction et dans les meilleurs délais aux demandes du département tendent à démontrer une absence de volonté délictuelle de sa part, élément qui n'a manifestement pas été pris en considération par le département. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que si la recourante a certes réalisé un gain substantiel, elle ne s'est toutefois pas enrichie au détriment d'une tierce personne, à l'instar d'un trop-perçu de loyer obtenu par un bailleur suite à la réalisation de travaux non-autorisés. À cela s'ajoute que l'importance de la culpabilité d'une personne à l'origine d'une infraction ne saurait être déterminée uniquement sur la base du gain obtenu en l'absence d'autres éléments permettant d'y déceler la réalisation de la circonstance aggravante de la cupidité, comme en l'espèce, dès lors qu'il s'agit à l'évidence d'un évènement unique en raison d'une négligence de la part de la recourante, laquelle ne s'est manifestement pas montrée particulièrement avide d'avantage. En outre, dans l'arrêt 1C_264/2022 précité (consid. 3.4), le montant de l'amende a été fixée à près de la moitié du gain réalisé sans droit, alors que la volonté délictuelle et l'aggravante de la cupidité ont été retenues. Ainsi, dans la présente cause, le montant de l'amende administrative ne saurait ainsi être fixé à hauteur de près de 80 % du montant indument encaissé, uniquement en raison de l'importance de celui-ci, en l'absence de volonté délictuelle et de réalisation de l'aggravante de la cupidité.

Au vu des éléments précités et compte tenu des circonstances particulières du cas d'espèce, bien que la recourante n'ait pas fait état de difficultés patrimoniales particulières, alors qu'elle s'est exprimée par écrit sur le montant de l'amende, le tribunal de céans considère que si une sanction pouvait certes être infligée à la recourante pour avoir mis en location son appartement sur la plateforme C______ en dépassant la durée maximale autorisée de 90 jours durant trois années consécutives, réalisant ainsi un gain substantiel, le département a toutefois abusé de son pouvoir d'appréciation en infligeant une amende d'un montant de CHF 39'000.- en ne prenant pas en compte l'absence d'antécédents, de volonté délictuelle et de cupidité de la recourante, de même que la transparence et la collaboration totale de la recourante qui a mis fin à la situation illicite immédiatement.

Le montant de l'amende de CHF 39'000.- sera ainsi ramené à CHF 10'000.-, montant qui tient mieux compte de l'ensemble des circonstances tout en sanctionnant de manière proportionnée la faute de la recourante.

17.         La recourante fait également valoir que le délai écoulé entre le dernier courrier du 6 décembre 2023 de l'OCLPF et le prononcé de la décision querellée le 22 novembre 2024 l'avait amené à penser que ses arguments avaient été entendus par le département. Elle se prévaut ainsi implicitement d'une violation de la bonne foi. En outre, elle se prévaut également d'une violation du principe d'égalité de traitement en comparant sa situation à celle d'autres administrés ayant écopé d'amendes administratives pour des cas où une faute grave avait été retenue, avec un appât du gain flagrant et un défaut de collaboration.

18.         Valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_341/2019 du 24 août 2020 consid. 7.1).

À certaines conditions, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_626/2019 du 8 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_136/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2).

Le principe de la bonne foi ne peut avoir qu'une influence limitée dans les matières dominées par le principe de la légalité lorsqu'il entre en conflit avec ce dernier (ATF 131 II 627 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_659/2013 du 4 novembre 2013 consid. 3.1 ; ATA/1233/2024 du 21 octobre 2024 consid. 3.3).

La passivité de l’autorité qui n’intervient pas immédiatement à l’encontre d’une construction non autorisée n’est, en règle générale, pas constitutive d’une autorisation tacite ou d’une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées. Seul le fait que l’autorité aurait sciemment laissé le propriétaire construire de bonne foi l’ouvrage non réglementaire, ou qu’elle aurait incité le constructeur à édifier un bâtiment, pourrait obliger cette autorité à tolérer ensuite l’ouvrage en question (ATA/610/2017 du 30 mai 2017 consid. 7d ; ATA/303/2016 du 12 avril 2016 consid. 6c ; ATA/19/2016 du 12 janvier 2016 consid. 7b).

19.         Une décision viole le principe de l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 al. 1 Cst., lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. L’inégalité de traitement apparaît ainsi comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. Les situations comparées ne doivent pas nécessairement être identiques en tous points, mais leur similitude doit être établie en ce qui concerne les éléments de fait pertinents pour la décision à prendre (cf. ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; 144 I 113 consid. 5.1.1 et les références citées). Il n’y a pas d’arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle choisie semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable ; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 318 consid. 5.4 et les références citées).

20.         En l'espèce, il n’apparaît pas que l’autorité intimée aurait suscité d’une quelconque façon des expectatives qu’il se justifierait de protéger sous l’angle de la bonne foi, en particulier une absence de sanction. En effet, la recourante n'ignorait pas que la situation était passible d'une sanction, ce qui lui a notamment été indiqué dans le courrier de l'OCLPF du 6 décembre 2023. Si elle estimait le délai de traitement de son dossier trop long ou son issue incertaine, il lui était loisible de solliciter des informations complémentaires à ce sujet auprès du département, dans le cadre de la diligence attendue de tout administré se sachant visé par une procédure d'infraction, ce qu'elle n'a pas fait.

Sous l'angle de l'égalité de traitement, les situations dont se prévaut la recourante ne sont pas similaires à la sienne, comme elle l'admet elle-même en évoquant des situations notamment avec une absence de collaboration et avec un appât de gain flagrant, ce qui justifie déjà un traitement différent de sa situation. En outre, les exemples qu'elle cite ne concernent pas la même typologie d'infractions et n'ont pas la même portée financière. En effet, si l'ATA 1______ du ______ 2023 qu'elle cite porte sur une infraction à la LDTR, il s'agissait de la réalisation non-autorisée de travaux soumis à autorisation de construire, avec pour conséquence un trop-perçu sur les loyers à hauteur de CHF 15'000.- sur plusieurs années. L'ATA 2______ du ______ 2024 porte lui sur une infraction à la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) et aux manquements liés à la responsabilité du responsable de l'agence en cause. À cela s'ajoute que contrairement à ce que soutient la recourante, des amendes bien plus élevées que CHF 3'000.- ont été prononcées. Ainsi, le Tribunal fédéral a confirmé une amende de CHF 10'000.- par arrêt du ______ (1C 3______) contre un propriétaire ayant rénové sans autorisation un appartement de son immeuble, une amende de CHF 100'000.- le ______ 2023 (1C 4______) contre un propriétaire ayant rénové plusieurs appartements sans APA retenant la cupidité et la récidive, et pour lesquels il a dû rembourser CHF 212'501.- aux locataires, et une amende de CHF 15'000.- le ______ 2023 (1C_5______) contre l’architecte d’un propriétaire pour les travaux effectués sans autorisation retenant comme critères notamment sa qualité de professionnel du domaine et de récidiviste.

21.         En conclusion, il n'apparait pas que la décision querellée violerait les principes de la bonne foi ou d'égalité de traitement. Les griefs sont rejetés.

22.         Il résulte de ce qui précède que le recours sera partiellement admis.

23.         Vu cette issue, un émolument réduit de CHF 600.- sera mis à la charge de la recourante dès lors qu'elle n'obtient que partiellement gain de cause (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est couvert par l'avance de frais. Le solde de l'avance de frais lui sera restitué.

24.         Une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'autorité intimée, sera par ailleurs allouée à la recourante (art. 87 al. 2 LPA et 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 22 novembre 2024 par Madame A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2025 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             annule la décision précitée en tant qu'elle fixe le montant de l'amende infligée à Madame A______ à CHF 39'000.- ;

4.             réduit le montant de cette amende à CHF 10'000.- ;

5.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 600.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

6.             ordonne la restitution du solde de l'avance de frais à la recourante, soit CHF 300.-;

7.             alloue à la recourante, à la charge du département du territoire, une indemnité de procédure de CHF 500.-;

8.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Kristina DE LUCIA, présidente, Diane SCHASCA, Nadia CLERIGO CORREIA, Thierry ESTOPPEY et Manuel BARTHASSAT, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Kristina DE LUCIA

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

Le greffier