Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/25/2025 du 10.01.2025 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 10 janvier 2025
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Alexandre ALIMI, avocat
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Le 6 octobre 1998, Monsieur A______, né le ______ 1980 et originaire de Guinée et d'Espagne, a déposé en Suisse une demande d'asile, laquelle a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière et de renvoi. Dans le cadre de cette procédure, l'intéressé avait été attribué au canton de Berne.
2. Le 9 août 2018, M. A______ a été condamné par le Ministère public zurichois pour opposition aux actes de l'autorité.
3. Le 18 juillet 2024, M. A______ a été arrêté par les forces de l'ordre genevoises dans le cadre d'un trafic de cocaïne. Il ressort de l'audition de l'intéressé par les enquêteurs que celui-ci n'avait aucun lieu de résidence fixe en Suisse, où il n'avait par ailleurs aucune attache particulière, ni source légale de revenu.
4. Par jugement du 8 janvier 2025, le tribunal de police (statuant au terme d'une procédure simplifiée) a reconnu M. A______ coupable d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; art. 19 al. 1 let. b et al. 2 let. a LStup) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois (sous déduction de 175 jours de détention avant jugement), avec sursis. Simultanément, l'autorité de jugement a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans ainsi que sa libération immédiate.
5. Les autorités en charge du refoulement de l'intéressé ont immédiatement procédé à la réservation, en faveur de l'intéressé, d'une place sur un vol à destination de Madrid. Le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) ont toutefois informé lesdites autorités de ce que le passeport de l'intéressé étant échu, une demande de réadmission devait être diligentée.
6. Le même jour, M. A______ s'est vu notifier par l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) une décision de non-report de la mesure d'expulsion judiciaire prononcée à son endroit, après avoir eu l'occasion de faire valoir son droit d'être entendu à cet égard.
7. Le 8 janvier 2025, à 17h36, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de six semaines, en application des art. 76 al. 1 let. b ch. 1, en lien avec l’art. 75 al. 1 let. g et h LEI, ch. 3 et 4 LEI.
Entendu dans ce cadre, l’intéressé a déclaré qu'il était d’accord de retourner en Espagne.
8. Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.
9. Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a confirmé être toujours d'accord de retourner en Espagne. Sur question de son conseil, il a indiqué qu’en Espagne il continuerait ses activités ainsi que de voir sa famille qu’il n’avait plus vue depuis plus d’un an. Il souhaitait également retourner en Espagne afin de renouveler son passeport.
La représentante du commissaire de police a versé à la procédure la demande adressée au SEM le 8 janvier 2025 en vue de la réadmission en Espagne de M. A______. Hier, le SEM n’avait pas encore accusé réception de cette demande. Ceci fait, il devrait la transmettre aux autorités espagnoles qui avaient en principe un délai de 24 heures ouvrables pour répondre. A réception de l’accord des autorités espagnoles, un vol pourrait être réservé moyennant un délai d’annonce impératif. Selon notre expérience, le délai de 24 heures ouvrables était rarement respecté. Elle a plaidé et conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines. Le désir de collaboration de M. A______ n’était pas avéré. A cet égard, elle renvoyait à la pièce n° 2 du dossier du commissaire de police.
Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention administrative de son client et à sa mise en liberté immédiate, les conditions de sa détention administrative n'étant pas remplies. Son client avait toujours déclaré souhaiter retourner en Espagne et il ne fallait pas faire de généralités s’agissant des contraints qui ne collaboreraient pas à leur départ.
1. Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; 9 al. 3 LaLEtr).
2. En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 8 janvier 2025 à 17h36.
3. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (cf. ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).
4. Selon l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, renvoyant à l’art. 75 al. 1 LEI, après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment lorsqu'elle menace sérieusement d'autre personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l'objet d'une poursuite pénale ou a été condamnée pour ce motif (let. g) ou a été condamnée pour crime, par quoi il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (let. h) (cf. art. 10 al. 2 CP ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 consid. 4a).
5. Selon la jurisprudence constante, la participation à un trafic de stupéfiant comme de l'héroïne ou de la cocaïne constitue une menace pour les tiers et une grave mise en danger de leur vie ou de leur intégrité (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_293/2012 du 18 avril 2012; ATA/185/2008 du 15 avril 2008 ; ATA/65/2008 du 15 février 2008 ; ATA/39/2008 du 22 janvier 2008 ; ATA/352/2007 du 26 juillet 2007 et les arrêts cités).
6. De même, une mise en détention administrative est envisageable si des éléments concrets font craindre que la personne entend se soustraire au renvoi ou à l'expulsion, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer en vertu de l'art. 90 LEI (art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI), ou encore si son comportement permet de conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (art. 76 al. 1 let. b ch. 4 LEI).
7. Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit respecter le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 Cst. et art. 80 et 96 LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Elle doit non seulement apparaître proportionnée dans sa durée, envisagée dans son ensemble (ATF 145 II 313 consid. 3.5 ; 140 II 409 consid. 2.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1), mais il convient également d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si elle constitue une mesure appropriée et nécessaire en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi ou d'une expulsion (cf. art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 143 I 147 consid. 3.1 ; 142 I 135 consid. 4.1 ; 134 I 92 consid. 2.3 , 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.4 ; 2C_263/2019 du 27 juin 2019 consid. 4.1 ; 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi ou de l'expulsion de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. aussi ATF 130 II 425 consid. 5.2).
8. Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; ATA/611/2021 du 8 juin 2021 consid. 5a ; ATA/1367/2020 du 24 décembre 2020 consid. 7 et les références citées).
9. En l'occurrence, M. A______ fait l'objet d’une mesure d'expulsion judiciaire. Il a par ailleurs été condamné pour infraction grave à la LStup (trafic de cocaïne), soit une infraction constitutive de crime (art. 160 ch. 1 al. 1 cum 10 al. 2 CP). Sa détention se justifie donc déjà en application de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 let. g et h LEI, sans qu’il soit nécessaire d’analyser si la détention pourrait être fondée sur un autre motif, étant rappelé que l’intéressé n’a ni attaches, ni lieu de résidence, ni source de revenu légale en Suisse et à Genève.
L'assurance de son départ effectif répond en outre à un intérêt public certain et les autorités suisses doivent s'assurer du fait qu'il quittera effectivement le territoire à destination de l'Espagne (cf. not. art. 8 par. 6 de la Directive sur le retour et 15f de l'ordonnance sur l'exécution du renvoi et de l'expulsion d'étrangers du 11 août 1999 - OERE - RS 142.281). Au vu des circonstances, notamment du comportement que M. A______ a adopté jusqu'ici, toute autre mesure moins incisive que la détention administrative serait vaine pour assurer sa présence au moment où il devra quitter le pays. Dans son principe, sa mise en détention respecte donc aussi le principe de la proportionnalité.
Enfin, l'autorité chargée du renvoi a agi avec diligence et célérité au sens de l'art. 76 al. 4 LEI, dès lors qu'elle a immédiatement adressé une demande au SEM en vue de la réadmission en Espagne de M. A______, lequel devrait encore la transmettre aux autorités espagnoles qui avaient en principe un délai de 24 heures ouvrables pour répondre. A réception de l’accord des autorités espagnoles, un vol pourrait être réservé moyennant un délai d’annonce impératif, étant précisé que le délai de 24 heures ouvrables était rarement respecté.
10. Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).
11. La durée de la détention doit être proportionnée par rapport aux circonstances d’espèce (arrêts du Tribunal fédéral 2C_18/2016 du 2 février 2016 consid. 4.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 2.3). En particulier, le principe de la proportionnalité interdit que la durée de la mesure soit insuffisante pour atteindre son objectif (ATF 2C_497/2017 du 5 mars 2018, consid. 4.2.2, in fine, et ATF 2C_431/2017 du 5 mars 2018, consid. 4.3.3, in fine, et ATA/787/2018 du 24 juillet 2018, consid. 6b et ATA/1044/2018 du 5 octobre 2018, consid. 6c).
12. En l’espèce, la durée de l’ordre de mise en détention respecte pleinement le cadre légal précité et apparait proportionnée au vu des démarches en cours et à entreprendre. Il se justifie dès lors de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de six semaines.
13. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 8 janvier 2025 à 17h36 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 18 février 2025 inclus ;
2. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| La greffière |