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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/509/2024

JTAPI/704/2024 du 17.07.2024 ( OCIRT ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE TRAVAIL
Normes : LEI.21.al1; LEI.21.al3; LEI.18
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/509/2024

JTAPI/704/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 juillet 2024

 

dans la cause

 

A______ Sàrl, représentée par Me Thomas BARTH, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             A______ Sàrl (ci-après : la société) est une société qui a pour but la fourniture de services dans le domaine de la restauration. Elle a été inscrite au registre du commerce le ______ 2023.

Ses associés sont Messieurs B______ et C______, et Madame D______.

2.             Le 27 juin 2023, l’office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) a informé la société avoir enregistré son emploi vacant de cuisinier spécialisé « Mezze/Grill/Steak » (spécialiste dans les plats orientaux, turcs) à partir du 1er août 2023 pour un poste entre 80 et 100%, possédant de bonnes connaissances de turc.

3.             Le 4 juillet 2023, l’OCE a indiqué par courriel à la société ne pas avoir pu assigner de candidat inscrit auprès de lui répondant au profil recherché et clôturer son offre d’emploi.

4.             Le même jour, l’OCE a informé la société avoir réenregistré l’emploi vacant jusqu’au 25 juillet 2023.

5.             Le 9 août 2023, l’OCE a indiqué à la société ne pas avoir pu assigner de candidat répondant au profil recherché.

6.             Le 11 novembre 2023, M. E______ et la société ont signé un contrat de travail pour un poste de cuisinier à temps plein à partir du 15 janvier 2024 pour un salaire mensuel de CHF 5’633.35, 13ème salaire inclus.

7.             Par courrier du 5 décembre 2023, la société a déposé une requête en autorisation de séjour avec activité lucrative auprès de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) en faveur de Monsieur E______, ressortissant turc.

Après des recherches auprès de l’OCE, la société les avait étendues dans la Suisse, l’Europe et même en dehors de l’Europe, mais elles avaient été infructueuses. Les personnes ayant transmis leur candidature ne correspondaient pas au profil recherché : il était indispensable que le cuisinier sache cuisiner des mets turcs, son savoir-faire étant l’unique clé pour lancer ce nouveau projet.

M. B______ avait côtoyé M. E______ dans différents établissements en Turquie ; ce dernier était très professionnel et respectueux. Il avait été d’accord de venir en Suisse et de repartir si un jour son contrat devait prendre fin.

Selon le formulaire M annexé, le salaire prévu de M. E______ s’élevait à CHF 5'633.35 par mois. Dès son arrivée, il serait logé chez M. B______ et Mme D______.

8.             Par décision du 10 janvier 2024, l’OCIRT a refusé l’octroi de l’autorisation sollicitée au motif que l’admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse. De plus, l’ordre de priorité n’avait pas été respecté, l’employeur n’ayant pas démontré qu’aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d’un pays de l’UE ou de l’AELE n’avait pu être trouvé. Les autres conditions d’admission, notamment celles concernant plus spécifiquement les cuisiniers des spécialités n’avaient pas été examinées et demeuraient réservées.

9.             Par acte du 12 février 2024, la société, sous la plume de son conseil, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation et à l’octroi de l’autorisation sollicitée, sous suite de frais et dépens.

Il était notoire que la restauration faisait l’objet d’une forte demande de la part de la population et il paraissait fort vraisemblable que la population suisse était en recherche d’expériences culinaires, se concrétisant par expérimenter des gastronomies étrangères ; or, en ce sens, il était nécessaire d’engager des chefs cuisiniers expérimentés dans la cuisine étrangère en question. L’engagement du cuisiner turc servait les intérêts économiques de la Suisse et les ses siens propres.

Quant à l’ordre de priorité, elle avait démontré qu’elle avait annoncé le poste vacant à l’OCE et qu’aucune personne n’ayant postulé n’avait le profil recherché. Elle avait dès lors été contrainte de rechercher un ressortissant turc et M. E______ était un cuisinier amplement qualifié. Elle avait ainsi démontré par pièces qu’aucun travailleur suisse ou ressortissant d’un pays de l’UE ou des l’AELE n’avait pu être trouvé pour le poste de chef cuisinier.

10.         L’OCIRT s’est déterminé sur le recours le 15 avril 2024, concluant à son rejet. Il a produit son dossier.

Le curriculum vitae de M. E______ étant en turc, il était difficile de se prononcer sur son contenu. Le fait de parler le turc n’était pas un atout pertinent pour le poste recherché. M. E______ ne disposait ni de qualifications ni d’une expérience à ce point particulière qu’il ne fut impossible à la recourante de recruter un travailleur doté des compétences requises sur le marché local ou titulaire d’un passeport européen au sein de l’UE/AELE.

Selon la jurisprudence, la publication par l’OCE de l’annonce d’une place dans le système EURopean Employment Services (EURES) n’était pas suffisant. Or, la recourante n’avait apporté aucune preuve d’avoir étendu ses recherches dans la Suisse, en Europe et même en dehors de l’Europe comme elle l’affirmait. De plus, plus de quatre mois s’étaient écoulés entre l’annonce à l’OCE et la demande d’autorisation, ce qui laissait présumer que la demande déposée en faveur de M. E______ relevait principalement de la convenance personnelle. Enfin, la recourante avait fourni trois candidatures, dont celle de Monsieur F______ qui aurait pu correspondante au profil recherché mais aucune suite ne semblait avoir été donnée à cette postulation. Dès lors, la recourante n’avait pas fait d’effort pour trouver un travailleur correspondant au profil requis en Suisse ou au sein de l’UE/AELE et n’avait pas conséquent pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement.

De plus, aucun élément du dossier ne démontrait que l’emploi de M. E______ pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l’économie de la Suisse, que ce soit en termes de création de places de travail, d’investissements ou de diversification de l’économie régionale, étant rappelé qu’il convenait de ne pas confondre l’intérêt économique de la Suisse avec celui de l’employeur à engager une personne particulière.

11.         La recourante a répliqué le 24 mai 2024, persistant intégralement dans ses conclusions.

Contrairement à ce que l’OCIRT retenait, elle avait fait toutes les recherches qui pouvaient être attendues d’elle, ayant entrepris des démarches via l’OCE, canal qui s’étendait sur tout la Suisse ainsi qu’en Europe. Or, aucune candidature reçue ne correspondait au profil recherché.

Elle avait également entrepris des recherches au sein de la communauté turc/kurde présente à Genève mais également en Europe via des connaissances et/ou familles, sans succès.

Le restaurant A______ présentait un concept bien précis ; il n’était dès lors pas envisageable d’engager un candidat remplissant uniquement un seul critère, comme envisagé par l’OCIRT.

A______ était aujourd’hui dans une situation économiquement difficile dans la mesure où, pour combler le manque d’une personne compétente, elle devait employer, deux, voire trois personnes beaucoup moins compétentes.

12.         Le 5 juin 2024, l’OCIRT a indiqué au tribunal que les écritures de la recourante n’étaient pas de nature à changer sa décision. Elle maintenait intégralement ses conclusions.

13.         Sur demande du tribunal, la recourante a transmis, le 24 juin 2024, la traduction du curriculum vitae et des certificats de travail et diplômes de M. E______. Elle a par ailleurs indiqué que M. E______ n’avait aucun lien de parenté avec M. B______, comme cela ressortait des registres de famille produits.

14.         Le détail des pièces sera repris dans la partie « En droit » dans la mesure utile.


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             Selon l'art. 11 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l'autorité compétente du lieu de travail envisagé (al. 1). Est considérée comme activité lucrative toute activité salariée ou indépendante, qui procure normalement un gain, même si elle est exercée gratuitement (al. 2). En cas d'activité salariée, la demande d'autorisation est déposée par l'employeur (al. 3).

6.             À teneur de l'art. 18 LEI, un étranger peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a), son employeur a déposé une demande (let. b) et les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies (let. c), notamment les exigences relatives à l'ordre de priorité (art. 21 LEI), les conditions de rémunération et de travail (art. 22 LEI), ainsi que les exigences portant sur les qualifications personnelles requises (art. 23 LEI). Ces conditions sont cumulatives (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b et les arrêts cités).

7.             En raison de sa formulation potestative, l'art. 18 LEI ne confère aucun droit à la recourante (arrêts du Tribunal fédéral 2C_798/2018 du 17 septembre 2018 consid. 4.1 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b) et les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de son application (arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.2 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b). De même, en tant qu'employeur, la société ne dispose d'aucun droit à engager cette dernière en vue de l'exercice d'une activité lucrative en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 3 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5b).

8.             La notion d’«intérêt économique du pays », formulée de façon ouverte, concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s'agit, d'une part, des intérêts de l'économie et de ceux des entreprises. D'autre part, la politique d'admission doit favoriser une immigration qui n'entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l'équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, in FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d'activité, il existe une demande durable à laquelle la main d'œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ;C-5912/2011 du 26 août 2015 consid. 7.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.1 et les références citées ; C_8717/2010 du 8 juillet 2011 consid. 5 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5d ; ATA/1018/2017 du 27 juin 2017 consid. 4c). L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (cf. ATA/896/2018 du 4 septembre 2018 consid. 6b ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 s. et les références citées).

9.             Selon les directives et commentaires du SEM (domaine des étrangers, état au 1er juin 2024 ; ci-après : directives LEI, ch. 4.3.1, qui ne lient pas le juge, mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré, pourvu qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 ; ATA/896/2018 du 4 septembre 2018 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015), il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l'évolution économique durable et de la capacité de l'étranger concerné à s'intégrer. Il ne s'agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; C-857/2013 du 19 mai 2014 consid. 8.3 ; C-3518/2011 du 16 mai 2013 consid. 5.1 ; C-2485/2011 du 11 avril 2013 consid. 6 ; C-6135/2008 du 11 août 2008 consid. 8.2 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015 consid. 12 ; ATA/940/2015 du 15 septembre 2015 consid. 7c).

10.         Un étranger ne peut en outre être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative que s'il est démontré qu'aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d'un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n'a pu être trouvé (art. 21 al. 1 LEI).

En d'autres termes, l'admission de ressortissants d'États tiers n'est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE ne peut être recruté. Le principe de la priorité des travailleurs résidants doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l'économie et du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2C_434/2014 du 8 août 2014 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c).

11.         Les conditions d'admission ont matériellement pour but de gérer de manière « restrictive » l'immigration ne provenant pas de la zone UE/AELE, de servir conséquemment les intérêts économiques à long terme et de tenir compte de manière accrue des objectifs généraux relatifs aux aspects politiques et sociaux du pays et en matière d'intégration (ATAF 2011/1 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.3.1 ; C-6198/2014 du 18 mai 2015 consid. 6.1 ; C-857/2013 consid. 5).

12.         Les employeurs sont tenus d'annoncer le plus rapidement possible aux offices régionaux de placement les emplois vacants qu'ils présument ne pouvoir repourvoir qu'en faisant appel à du personnel venant de l'étranger. Les offices de placement jouent un rôle clé dans l'exploitation optimale des ressources offertes par le marché du travail sur l'ensemble du territoire suisse. L'employeur doit, de son côté, entreprendre toutes les démarches nécessaires - annonces dans les quotidiens et la presse spécialisée, recours aux médias électroniques et aux agences privées de placement - pour trouver un travailleur disponible. On attend des employeurs qu'ils déploient des efforts en vue d'offrir une formation continue spécifique aux travailleurs disponibles sur le marché suisse du travail (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c et les arrêts cités ; directives LEI, ch. 4.3.2.1).

13.         Il revient à l'employeur de démontrer avoir entrepris des recherches à une grande échelle afin de repourvoir le poste en question par un travailleur indigène ou ressortissant d'un État membre de l'UE/AELE et qu'il s'est trouvé dans une impossibilité absolue de trouver une personne capable d'exercer cette activité (ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6074/2010 du 19 avril 2011 consid. 5.3). L'employeur doit être en mesure de rendre crédibles les efforts qu'il a déployés, en temps opportun et de manière appropriée, en vue d'attribuer le poste en question à des candidats indigènes ou à des candidats ressortissants de l'UE/AELE. Des ressortissants d'États tiers ne seront contactés que dans le cas où les efforts entrepris n'ont pas abouti. Il convient dès lors de veiller à ce que ces démarches ne soient pas entreprises à la seule fin de s'acquitter d'une exigence. Elles doivent être engagées suffisamment tôt, dans un délai convenable avant l'échéance prévue pour la signature du contrat de travail. En outre, il faut éviter que les personnes ayant la priorité ne soient exclues sur la base de critères professionnels non pertinents tels que des séjours à l'étranger, des aptitudes linguistiques ou techniques qui ne sont pas indispensables pour exercer l'activité en question, etc. (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3286/2017 du 18 décembre 2017 consid. 6.2 ; F-1992/2015 du 10 mars 2017 consid. 5.5 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c).

Même si la recherche d'un employé possédant les aptitudes attendues de la part de l'employeur peut s'avérer ardue et nécessiter de nombreuses démarches auprès des candidats potentiels, de telles difficultés ne sauraient, à elles seules, conformément à une pratique constante des autorités en ce domaine, justifier une exception au principe de la priorité de recrutement énoncée à l'art. 21 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral C_8717/2010 du 8 juillet 2011consid. 8.1 ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5c ; ATA/1368/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3c).

14.         Conformément à l'art. 90 LEI, l'étranger et les tiers participant à une procédure prévue par la loi doivent collaborer à la constatation des faits déterminants pour son application. Ils doivent en particulier fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (let. a) et fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s'efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable (let. b).

15.         En l’espèce, au vu des écritures des parties et des pièces versées à la procédure, le tribunal parvient à la conclusion que l’OCIRT n’a pas violé les dispositions légales énoncées plus haut ou mésusé de son pouvoir d’appréciation en refusant l'octroi de l’autorisation de travail sollicitée par la recourante en faveur de M. E______.

Sous l’angle de l’art. 21 al. 1 LEI, force est d’admettre que les démarches initiées par la recourante en juin 2023 en vue de trouver un chef cuisinier spécialisé « Mezze/Grille/Steak », plats orientaux/turcs, n’ont effectivement de loin pas atteint le niveau de recherches requis par la loi et la jurisprudence. Elle s’est en effet contentée d’annoncer la vacance du poste à l’OCE le 4 juillet 2023, office qui n’est pas parvenu à présenter de candidats. Elle a par ailleurs reçu trois candidatures dont le tribunal ignore tant la provenance que les suites qui leur ont été données. La recourante a indiqué avoir étendu ses recherches dans la Suisse, en Europe et même en dehors de l’Europe sans en avoir apporté la moindre preuve. Ses démarches qu’elle allègue également avoir entreprises auprès de connaissances ou de familles ne sont pas plus documentées.

Compte tenu des difficultés que la recourante allègue avoir rencontrées pour trouver un cuisinier remplissant les conditions requises par le poste, il lui aurait appartenu d’entreprendre des recherches bien plus poussées et de plus grande envergure sur les marchés du travail tant suisse que de l’UE/AELE, par exemple en faisant appel à des agences de recrutement et en publiant des annonces sur des sites internet spécialisés, en Suisse et en Europe, et dans la presse spécialisée. Dans ces conditions, force est de retenir, avec l’autorité intimée, que la recourante n’est pas parvenue à démontrer qu’elle aurait réellement et concrètement été dans l’impossibilité de trouver un travailleur correspondant aux exigences du poste sur le marché local ou européen. Enfin, même en retenant que la recherche d’un candidat ayant des connaissances en cuisine « Mezze/Grille/Steak », plats orientaux/turcs, serait particulièrement ardue, cette difficulté ne saurait à elle seule justifier une exception au principe de la priorité dans le recrutement énoncé par la loi. S'il est peut-être difficile de trouver des candidats indigènes répondant aux exigences de la recourante, on peut penser qu'il n'y a pas de réelles difficultés à trouver, dans un certain nombre de pays de l'UE, une personne ayant les qualifications requises.

Dès lors, les démarches effectuées ne suffisent pas, en l’état des règles en vigueur, pour considérer que la société recourante se serait acquittée de ses obligations légales en matière de priorité du marché suisse ou européen.

Le principe de priorité n’ayant pas été respecté, il n'est pas nécessaire d'examiner si les autres conditions cumulatives posées par l’art. 18 LEI sont réalisées.

16.         Cela étant, le tribunal relèvera toutefois qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que l’activité de cuisinier que M. E______, aussi compétent soit-il (ce qui ne saurait en soi être remise en cause), serait amenée à déployer au sein de l’établissement A______ pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l’économie suisse et, ainsi, représenter un intérêt pour la Suisse au sens de l’art. 18 let. a LEI, tel que défini plus haut, que ce soit en termes de création de places de travail, d'investissements ou de diversification de l'économie régionale, étant rappelé qu'il convient de ne pas confondre l’intérêt économique de la Suisse avec celui de l'employeur à engager une personne particulière.

17.         Au vu de ce qui précède, le tribunal considère que la décision querellée ne viole pas le droit fédéral.

18.         Mal fondé, le recours sera rejeté.

19.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

20.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 février 2024 par A______ Sàrl contre la décision de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 10 janvier 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière