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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/362/2024

JTAPI/94/2024 du 05.02.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS)
Normes : LEI.76.al1.letb.ch1; LEI.75.al1.letc; LEI.76.al1 .letb.ch3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/362/2024 MC

JTAPI/94/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 5 février 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Matthieu GISIN, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1988, est ressortissant gambien.

2.             Il a déposé une demande d'asile en Suisse le 28 juillet 2010. Par décision du 17 mai 2011, sa requête a fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière et de renvoi.

3.             L'intéressé a été renvoyé dans son pays d'origine le 14 mai 2013. Revenu en Suisse, il a, à nouveau, été renvoyé le 23 juin 2014.

4.             Il fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse, notifiée le 15 avril 2021 et valable jusqu'au 14 avril 2026.

5.             Selon l'extrait de son casier judiciaire, il a été condamné à sept reprises entre le 3 janvier 2014 et le 4 janvier 2022, essentiellement pour délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et infractions à l'art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

6.             Revenu en Suisse, il a fait l'objet d'une décision de renvoi le 14 janvier 2022 et placé en détention aux fins d'exécuter les peines prononcées à son encontre.

7.             Libéré le 21 mai 2022, il a été placé en détention administrative, avant d'être renvoyé le 30 mai 2022 en Espagne.

8.             Le 31 janvier 2024, M. A______ a été condamné par le Ministère public de Genève, à une peine privative de liberté de 150 jours et à une amende de CHF 100.- pour infractions aux arts. 19 al. 1 et 19a ch. 1 LStup et 115 al. 1 let. a LEI.

Il lui était notamment reproché d'avoir, le 30 janvier 2024, à Genève, détenu 38.9 gr. de marijuana et 4.1 gr. d'ecstasy, destinés à la vente, et d'avoir pénétré en Suisse, sans droit, à réitérées reprises, entre le 5 janvier 2022 et le 30 janvier 2024.

Entendu les 30 et 31 janvier 2024, M. A______ a notamment déclaré transiter de France en Suisse tous les jours et vivre à Barcelone. Il n'avait aucun lien avec la Suisse.

9.             A sa sortie de prison, le 1er février 2024, l'Office cantonal de la population et des migrations a notifié à l'intéressé une décision de renvoi de Suisse, exécutoire nonobstant recours.

10.         Le 1er février 2024, à 17h47, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de deux mois.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son renvoi en Espagne mais qu’il s’opposait à son renvoie en Gambie.

11.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

12.         Le 2 février 2024, les services compétents ont adressé une demande de réadmission de l'intéressé en Espagne.

13.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il était revenu en Suisse pour la première fois depuis le 30 mai 2022, en janvier 2024. Il avait pris un train depuis Barcelone jusqu'à Annemasse. Il était venu à Genève pour acheter des culottes et des pantalons. Il ne pouvait pas les acheter en Espagne car elles n'existaient qu'en Suisse. Il ne savait pas qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'entrée et de décisions de renvoi. Il n'avait ni famille ni amis, ni aucun lien avec la Suisse. Il ne dormait pas à Genève, mais à Annemasse. Ses parents vivaient en Espagne où il travaillait en qualité d'électricien et dans les fermes.

La représentante du commissaire de police a transmis un chargé de pièces dont la demande de réadmission déposée le 2 février 2024, laquelle était en cours. Elle a conclu à la confirmation de l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de deux mois.

Le conseil de l'intéressé a conclu à ce que la durée de la détention administrative de son client ne dépasse pas un mois.

 

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 1er février 2024, à 16h00.

3.            À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI (cum art. 75 al. 1 let. c LEI), après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si elle a franchi la frontière malgré une interdiction d’entrer en Suisse et n'a pu être renvoyée immédiatement. Il découle de la jurisprudence qu'une décision d'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP vaut comme interdiction d'entrée pour la durée prononcée par le juge pénal (ATA/615/2022 du 9 juin 2022 consid. 2a ; ATA/730/2021 du 8 juillet 2021 consid. 4 ; ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4).

4.            L'art. 76 al. 1 let. b LEI stipule que lorsqu'une décision de renvoi a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée si des éléments concrets font craindre qu'elle entende se soustraire au renvoi, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer (ch. 3) ou si son comportement permet de conclure qu'elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (ch. 4).

5.            Ces deux dispositions décrivent toutes deux des comportements permettant de conclure à l’existence d’un risque de fuite ou de disparition, de sorte que les deux éléments doivent être envisagés ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).

6.            Selon la jurisprudence, un risque de fuite existe notamment lorsque l'étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.2 ; 2C_806/2010 du 21 octobre 2010 consid. 2.1 ; 2C_743/2009 du 7 décembre 2009 consid. 4), qu'il tente d'entraver les démarches en vue de l'exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires ou encore s'il laisse clairement apparaître, par ses déclarations ou son comportement, qu'il n'est pas disposé à retourner dans son pays d'origine (cf. ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; 130 II 56 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1139/2012 du 21 décembre 2012 consid. 3.2 ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014).

7.            Lorsqu’il existe un risque de fuite, le juge de la détention administrative doit établir un pronostic en déterminant s’il existe des garanties que l’étranger prêtera son concours à l’exécution du renvoi, soit qu’il se conformera aux instructions de l’autorité et regagnera ainsi son pays d’origine le moment venu, c’est-à-dire lorsque les conditions seront réunies. Dans ce cas, le juge de la détention dispose d’une certaine marge d’appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C.400/2009 du 16 juillet 2009 consid. 3.1).

8.            Comme le prévoit expressément l'art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEI, il faut qu'il existe des éléments concrets en ce sens (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.2 ; 2C_142/2013 du 1er mars 2013 consid. 4.2 ; 2C_1017/2012 du 30 octobre 2012 consid. 4.1.1 ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014). Ne constituent pas des éléments suffisants le seul fait que l'étranger soit entré en Suisse de façon illégale ou le fait qu'il soit démuni de papiers d'identité (cf. ATF 129 I 139 consid. 4.2.1). De même, le fait de ne pas quitter le pays dans le délai imparti à cet effet n'est pas à lui seul suffisant pour admettre un motif de détention au sens de l'art. 76 al. 1 ch. 3 ou 4 LEI, mais peut tout au plus constituer un indice parmi d'autres en vue d'établir un risque de fuite (ATF 140 II 1 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_142/2013 du 1er mars consid. 4.2 in fine ; ATA/315/2014 du 2 mai 2014). En effet, si tel était le cas, il aurait appartenu au législateur d'indiquer expressément à l'art. 76 al. 1 LEI que le non-respect du délai de départ constitue à lui seul un motif justifiant la mise en détention de l'étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.2 et les références citées). Dans la même ligne, le fait de travailler au noir ne constitue pas non plus un indice d'un risque de fuite (ATF 140 II 1 consid. 5.4.2 p. 5). A l'inverse, la circonstance que la personne concernée s'est tenue, assez longtemps et de manière ininterrompue, en un endroit stable à la disposition des autorités plaide en défaveur du risque de fuite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.2 et les références citées).

9.            En l'occurrence, M. A______ fait l’objet d'une interdiction d'entrée en Suisse et de plusieurs décisions de renvoi. En revenant en Suisse, à tout le moins en janvier 2024, il a violé les interdictions qui lui ont été faites de revenir dans ce pays, alors qu’il avait été refoulé en Espagne le 30 mai 2022. Par ailleurs, le comportement de l’intéressé, qui n’a ni domicile ni source de revenu légale en Suisse, dénote un mépris total de l’ordre juridique suisse et des décisions prises à son encontre. Il existe donc de nombreux éléments faisant craindre qu'il se soustraie à son refoulement de Suisse et disparaisse dans la clandestinité s’il était remis en liberté. Les conditions d’une détention sont dès lors fondées sur la base de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1, 3 et 4 LEI.

10.        Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité « peut » prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

11.        Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

12.        En l'espèce, compte tenu du fait que M. A______ n’a pas respecté, à plusieurs reprises, l'interdiction d'entrée en Suisse ainsi que les décisions de renvoi prononcées à son encontre, on ne voit pas pour quelles raisons, s’il était remis en liberté, il les respecterait davantage, et ce même s'il n'est pas opposé à son renvoi en Espagne. Partant, sa détention administrative paraît être le seul moyen d’assurer sa nouvelle expulsion. Les autorités suisses ont par ailleurs agi avec toute la diligence possible dès lors qu'elles ont immédiatement procédé aux démarches utiles en déposant une demande de réadmission auprès de autorités espagnoles, ouvrant la possibilité d'une réservation d'un vol en faveur de l'intéressé, à destination de l'Espagne.

13.        Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

14.        En outre, la durée de la détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

15.        En l’espèce, la durée de la détention décidée respecte le cadre légal fixé par l'art. 79 al. 1 LEI et n’apparait pas d'emblée disproportionnée. Celle-ci est toutefois relative puisqu’elle prendra fin automatiquement lorsque M. A______ prendra le vol sur lequel une place lui a été réservée. Par contre, si le renvoi ne pouvait être exécuté à destination de l'Espagne, la durée de la détention permettra aux autorités d’entreprendre les démarches nécessaires en vue d'un renvoi en Gambie, cas échéant, solliciter la prolongation de la détention.

16.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.

17.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 1er février 2024 à 17h47 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 31 mars 2024 inclus  ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière