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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/88/2024

JTAPI/21/2024 du 11.01.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.76.al1.letb.ch1; LEI.75.al1.letc; LEI.75.al1.leth; LEI.75.al1.letg
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/88/2024 MC

JTAPI/21/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 11 janvier 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Joanna BÜRGISSER, avocate

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 2000, est originaire du Portugal.

2.             Il fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse du 10 mai 2021 au 10 mai 2024, valablement notifiée le 24 avril 2021.

3.             Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, l'intéressé a été condamné à dix reprises depuis le 28 août 2017, essentiellement pour des infractions aux lois fédérales sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), la dernière fois le 6 juin 2023 par le Tribunal de police du canton de Genève pour infraction grave aux art. 19 al. 1 let. c et d et al. 2 let. a LStup et infractions aux art. 115 al. 1 let. a et b et 119 LEI, à une peine privative de liberté de 13 mois.

4.             Son expulsion de Suisse pour une durée de 5 ans conformément à l'art. 66a al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) a également été prononcée par jugement du 6 juin 2023.

5.             Le 2 octobre 2023, le Tribunal d'application des peines et des mesures a ordonné la libération conditionnelle de l'intéressé avec effet au jour de son expulsion effective de Suisse, mais au plus tôt le 10 octobre 2023.

6.             Le 11 octobre 2023, M. A______ a été rapatrié au Portugal par les services de police genevois.

7.             Le 9 janvier 2024, l'intéressé a été interpellé par la police genevoise dans le quartier B______, démuni de tout document d'identité. Entendu par la police, il a expliqué ne pas être au courant qu'il devait quitter la Suisse, être revenu à Genève après son rapatriement au Portugal, dormir dans la rue et se rendre dans divers centres sociaux genevois pour se nourrir.

8.             Le 10 janvier 2024, M. A______ a été condamné par le Ministère public de Genève, pour rupture de ban (art. 291 CP), à une peine privative de liberté de 180 jours.

9.             Les démarches visant à obtenir l'accord des autorités portugaises en vue du refoulement de M. A______ ont été entamées le 10 janvier 2024 par les services de police.

10.         Le 10 janvier 2024, à 15h15, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée d'un mois.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son renvoi au Portugal.

11.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

12.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a confirmé qu'il avait été rapatrié au Portugal le 11 octobre 2023 et était revenu en Suisse le 20 décembre 2023. Il souhaitait récupérer son passeport qui se trouvait chez son ex-copine, laquelle vivait à Genève. Il n'était pas au courant qu'il ne pouvait pas revenir en Suisse malgré l'expulsion judiciaire prononcée le 6 juin 2023 et l'interdiction d'entrée en Suisse qui lui avait été notifiée le 24 avril 2021. On ne le lui avait pas expliqué. Lorsqu'il venait à Genève, il dormait des fois dans un foyer à la rue C______ ou dans la rue. Depuis qu'il était séparé, il n'avait plus de lien avec la Suisse. Il était d'accord de retourner au Portugal où il avait rendez-vous le 15 janvier pour un travail. Il voulait retrouver sa liberté au plus vite. D'ailleurs, il avait appelé l'ami qui se trouvait en possession de son passeport afin qu'il amène celui-ci à D______, ce qui aurait dû être fait le matin même.

Le représentant du commissaire de police a indiqué que les autorités suisses n'avaient pas encore reçu de réponse des autorités portugaises. Il a conclu à la confirmation de l’ordre de mise en détention administrative pour une durée d’un mois.

Le conseil du contraint a conclu principalement à la mise en liberté immédiate de son client, subsidiairement à la réduction de la durée de la détention de son client à deux semaines.

13.         Par courriel du 11 janvier 2024 à 13h48, le commissaire de police a informé le tribunal que la carte d'identité de l'intéressé avait été déposée au greffe de D______ et qu'en conséquence, un vol à destination de Lisbonne avait été réservé en sa faveur pour le 12 janvier 2024.

 

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 10 janvier 2024 à 15h10.

3.            À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI (cum art. 75 al. 1 let. c LEI), après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si elle a franchi la frontière malgré une interdiction d’entrer en Suisse et n'a pu être renvoyée immédiatement. Il découle de la jurisprudence qu'une décision d'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP vaut comme interdiction d'entrée pour la durée prononcée par le juge pénal (ATA/615/2022 du 9 juin 2022 consid. 2a ; ATA/730/2021 du 8 juillet 2021 consid. 4 ; ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4).

4.            Une mise en détention administrative peut également être ordonnée si la personne a été condamnée pour crime (art. 75 al. 1 let. h LEI), par quoi il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (cf. art. 10 al. 2 CP ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 consid. 4a ; ATA/997/2016 du 23 novembre 2016 consid. 4a ; ATA/295/2011 du 12 mai 2011 consid. 4) ou si elle menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamnée pour ce motif (art. 75 al. 1 let. g LEI).

5.            En l'occurrence, M. A______ fait l’objet d’une expulsion pénale et d'une interdiction d'entrée en Suisse, ce dont il a parfaitement connaissance malgré ses dénégations, ayant notamment été condamné à deux reprises pour entrée illégale depuis la notification de l'interdiction d'entrée en Suisse prononcée le 24 avril 2021 à son encontre. En revenant en Suisse, à tout le moins en janvier 2024, il a violé les interdictions qui lui ont été faites de revenir dans ce pays, alors qu’il avait été refoulé au Portugal le 11 octobre 2023. Démuni de documents d'identité et en provenance d'un pays non-limitrophe, il n'a pas pu être renvoyé immédiatement au Portugal lorsqu'il a été appréhendé le 10 janvier 2024. Dans ces circonstances, l'autorité doit solliciter un laissez-passer auprès de la représentation diplomatique portugaise avant de pouvoir réserver un vol en faveur du contraint, sans possibilité d'un renvoi immédiat. M. A______ a de plus été condamné pénalement pour infraction à l'art. 19 al. 2 LStup, soit une infraction susceptible de mettre sérieusement en danger la vie ou leur intégrité corporelle d’autres personnes (art. 75 al. 1 let. g LEI). Par ailleurs, le comportement de l’intéressé, qui n’a ni domicile fixe, ni lieu de résidence stable en Suisse, ni source de revenu légale, dénote un mépris total de l’ordre juridique suisse et des décisions prises à son encontre. Il existe donc de nombreux éléments faisant craindre qu'il se soustraie à son refoulement de Suisse et disparaisse dans la clandestinité s’il était remis en liberté. Les conditions d’une détention sont dès lors fondées sur la base de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1, renvoyant à l'art. 75 al. 1 let. c et g LEI.

6.            Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité « peut » prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

7.            Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

8.            En l'espèce, compte tenu du fait que M. A______ n’a pas respecté, à plusieurs reprises, l'interdiction d'entrée en Suisse ainsi que l'expulsion judiciaire prononcées à son encontre, on ne voit pas pour quelles raisons, s’il était remis en liberté, il les respecterait davantage, et ce même s'il n'est pas opposé à son renvoi au Portugal. Son souhait de vouloir y retourner le plus rapidement possible apparaît dicté par son désir, fort légitime, de recouvrer la liberté, plutôt que de rentrer dans son pays d'origine. Partant, sa détention administrative paraît être le seul moyen d’assurer sa nouvelle expulsion. Les autorités suisses ont par ailleurs agi avec toute la diligence possible dès lors qu'elles ont immédiatement procédé aux démarches utiles afin d'obtenir un laissez-passer des autorités portugaises ouvrant la possibilité d'une réservation d'un vol en faveur de l'intéressé, à destination du Portugal.

9.            Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

10.        En outre, la durée de la détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

11.        En l’espèce, la durée de la détention décidée respecte le cadre légal fixé par l'art. 79 al. 1 LEI et n’apparait pas d'emblée disproportionnée. Celle-ci est toutefois relative puisqu’elle prendra fin automatiquement lorsque M. A______ prendra le vol sur lequel une place lui a été réservée. Par contre, si le renvoi ne pouvait être exécuté à destination du Portugal, la durée de la détention permettra aux autorités d’entreprendre les nouvelles démarches nécessaires afin d'assurer celui-ci et, cas échéant, solliciter la prolongation de la détention.

12.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois.

13.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocate et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 10 janvier 2024 à 15h15 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 9 février 2024 inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocate, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière