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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/330/2023

JTAPI/1136/2023 du 18.10.2023 ( LCI ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : AMENDE;REMISE EN L'ÉTAT
Normes : LCI.137
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/330/2023 LCI

JTAPI/1136/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 octobre 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Cyril AELLEN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de Satigny, sise en zone agricole, mais non en zone d’assolement.

2.             Le 31 mai 2019, faisant suite à une dénonciation et après avoir ouvert le dossier d’infraction n° I-1______, le département du territoire (ci-après : le département) a interpellé M. A______ afin qu’il s’explique sur la présence d’une plate-forme située le long de la limite nord-est de sa parcelle.

3.             Par courrier reçu le 11 juin 2019, M. A______ a répondu au département ne pas comprendre ce qui lui était reproché.

4.             Le 20 juin 2019, le département lui a précisé l’installation en question, photographie à l’appui, et lui a imparti un délai de soixante jours pour remettre en état la parcelle, en procédant à cet effet à la suppression de la plate-forme en granulat bitumeux et à la remise en état du terrain conformément à la zone d’affectation, ainsi que pour transmettre un reportage photographique ou toute autre preuve univoque de la mise en conformité. Il l’a enfin informé qu’il lui était loisible de déposer une demande d’autorisation de construire dans un délai de trente jours pour tenter de régulariser l’aménagement concerné. En cas de non-respect de cet ordre, toute nouvelle mesure ou sanction était réservée.

5.             Sur demande de M. A______ et de son avocat, une séance avec le département a eu lieu sur la parcelle en cause le 17 juillet 2019.

6.             Le 7 août 2019, suite à une requête de report de délai pour déposer une demande d’autorisation de construire, le département a accordé à M. A______ un délai au 30 septembre 2019 pour déposer une telle demande.

7.             Le 27 février 2020, M. A______ a déposé une demande d’autorisation afin de régulariser la création d’un accès et la modification topographique de la parcelle. Elle a été enregistrée sous la référence DD 2______.

8.             Par décision du 8 février 2021, le département a délivré l’autorisation DD 2______, qui stipulait, en son point 4, que les conditions figurant notamment dans le préavis de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) du 10 décembre 2020 devaient être respectées et faisaient partie intégrante de l’autorisation.

Ce préavis, favorable sous conditions, exigeait que la largeur du chemin, de 3,50 m maximum, soit scrupuleusement respectée et que les surfaces supplémentaires en infraction situées de part et d’autre dudit chemin, soient remises en état et rendues aptes à être exploitées pour l’agriculture et la viticulture. A cet effet, les matériaux d’excavation, graves concassés, granulat bituminé, etc. devaient être évacués et le sol reconstitué en respectant la typologie des sols viticoles voisins.

9.             Le même jour, le département a infligé une amende d’un montant de CHF 5’000.- à M. A______ pour avoir réalisé l’accès et la modification topographique sans autorisation. En outre, il lui a imparti un délai de quatre mois pour procéder à la mise en conformité des éléments présents sur la parcelle, conformément à la DD 2______, notamment s’agissant des conditions du préavis de l’OCAN.

10.         Le 12 mars 2021, suite à une requête de prolongation du délai pour procéder à la remise en état - vu ses difficultés financières consécutives à la pandémie - du 5 mars 2021, le département a accordé à M. A______ un délai au 30 juin 2021 pour se conformer à la remise en état exigée.

11.         Par décision du 24 septembre 2021, faute de la remise d’une preuve de l’exécution de la remise en état dans le délai fixé, le département a sanctionné M. A______ d’une amende de CHF 500.-. Toute nouvelle mesure ou sanction était réservée en cas de non-respect de cet ordre.

12.         Les 21 octobre et 6 décembre 2021, par le biais de son conseil, M. A______ a fait valoir d’importantes difficultés financières, a sollicité un délai à juin 2022 pour pouvoir procéder à la remise en état et a réclamé que l’amende de CHF 500.- soit annulée.

13.         Le 11 janvier 2022, le département a requis la remise des preuves des difficultés financières ayant empêché les travaux.

14.         Le 14 janvier 2022, il a octroyé un dernier délai à M. A______ au 30 avril 2022 pour se conformer à la remise en état ; toute nouvelle sanction étant réservée en cas de non-respect.

15.         Le 21 janvier 2022, par le biais de son conseil, M. A______ a communiqué au département les preuves de sa situation financière. Il avait subi une perte de CHF 1______ en 2020, avait été contraint de contracter un prêt COVID-19 pour un montant de CHF 2______ et la récolte de l’année 2021 avait été catastrophique, de sorte qu’il subissait un déficit de près de CHF 3______ au 18 janvier 2022. Il a réitéré sa demande de délai à juin 2022 et s’est engagé à respecter l’ordre de remise en état dans ce délai. Il a également requis la confirmation que l’amende de CHF 500.- avait été annulée.

16.         Le 17 février 2022, le département a octroyé un « ultime délai exceptionnel » de soixante jours à M. A______ pour se conformer à la remise en état.

17.         Le 26 août 2022, le département a requis, au vu du délai échu, que les preuves de l’exécution de la remise en état lui soient communiquées d’ici au 12 septembre 2022. Il a accepté de suspendre la facture relative à l’amende de CHF 500.- infligée le 24 septembre 2021.

18.         Le 12 septembre 2022, sous la plume de son conseil, M. A______ s’est étonné de cette demande, compte tenu de sa demande d’autorisation de construire déposée pour la réalisation d’un hangar polyvalent agricole et d’une place de lavage (pour des travaux d’un montant de CHF 4______) le 12 avril 2022 (DD 3______). À son sens, sa parcelle ne pourrait légalement être mise en conformité qu’une fois ladite demande d’autorisation octroyée.

19.         Le 7 octobre 2022, le département a informé M. A______ que l’ordre de mise en conformité n’était aucunement lié à l’autorisation de construire DD 3______ en cours d’instruction, laquelle ne concernait qu’une petite portion de la parcelle.

Il lui a infligé une amende de CHF 5’000.- et a fixé un nouveau délai échéant au 18 novembre 2022 pour qu’il procède à la mise en conformité exigée.

20.         Cette amende, non contestée, a été payée.

21.         Le 24 novembre 2022, lors d’une visite sur place, un collaborateur du département a constaté que la mise en conformité requise n’avait pas été réalisée.

22.         Par décision du 9 décembre 2022, le département a relevé le non-respect de son ordre de mise en conformité dans le délai imparti et a, en conséquence, infligé une amende de CHF 10’000.- à M. A______ au regard de son attitude répétée à ne pas se conformer à l’ordre du 8 février 2021 et « dans la mesure où les travaux de remise en état n’ont à ce cette date pas été réalisés » ainsi que du cas de récidive (vu les infractions précédentes I-5’704, I-5’173 et I-6’364 notamment).

Un ultime délai au 28 février 2023 lui a été imparti pour prouver la remise en état de la parcelle.

23.         Le 15 décembre 2022, sous la plume de son conseil, M. A______ a informé le département, photographie à l’appui, que les travaux de remise en état avaient été initiés, qu’ils devaient aboutir avant le 28 février 2023 et qu’il avait payé les diverses amendes. Dans ces circonstances, il a demandé l’annulation de l’amende de CHF 10’000.-, infondée et au surplus disproportionnée.

24.         Le 11 janvier 2023, après une relance de M. A______ du 9 janvier 2023, le département a répondu qu’il ne serait pas procédé au dégrèvement de l’amende en question.

25.         Par acte du 27 janvier 2023, M. A______ a, par le biais de son conseil, interjeté recours contre la décision du 9 décembre 2022 auprès du tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant principalement à son annulation, subsidiairement à la réduction du montant de l’amende à CHF 500.-, le tout sous suite de frais et dépens.

Il exploitait un domaine viticole et agricole d’une superficie d’environ vingt-sept hectares de vignes, accessible par le C______, l’entrée principale dudit domaine ainsi que depuis les terrains agricoles. Le chemin d’accès était nécessaire pour permettre l’accès à des camions emportant le vin encavé et vendu dans les bâtiments de l’exploitation situés à D______.

En 2008, le propriétaire de la parcelle voisine avait obtenu une autorisation pour modifier l’accès à sa propriété en la construction de deux nouvelles bordures en pavés, malgré l’opposition de son père, M. B______. Les véhicules essentiels à l’exploitation de son entreprise ne pouvaient, de ce fait, plus accéder à sa parcelle par le village. Il avait alors été contraint d’élargir et stabiliser le chemin agricole déjà existant à l’arrière de sa parcelle pour pouvoir continuer à accéder et desservir son exploitation. En raison de l’urgence de la situation, il n’avait pas déposé de demande d’autorisation de construire. Il avait ensuite sollicité une telle autorisation afin de régulariser les modifications apportées audit chemin et cette autorisation avait été délivrée le 8 février 2021.

Il avait de bonne foi toujours eu l’intention de remettre le chemin en conformité avec cette autorisation, mais les éléments financiers et météorologiques ne lui avaient pas permis de procéder de la sorte dans les différents délais impartis par le département. Il avait justifié ces impossibilités, documents à l’appui, auprès de celui-ci, lequel ne pouvait donc pas faire fi des considérations et éléments particuliers du cas d’espèce. En outre, il convenait de relativiser la gravité de l’atteinte, dès lors qu’ayant obtenu l’autorisation de construire, il devait uniquement rétrécir le chemin de sa parcelle, étant relevé qu’une partie de celui-ci serait en tout état recouverte par une construction faisant l’objet de la demande d’autorisation de construire DD 3______. Le chemin ne se trouvait en outre pas sur une surface d’assolement. Ainsi, la gravité de l’atteinte était ténue, ce qui aurait dû être pris en compte pour fixer le montant de l’amende. Au surplus, les travaux de remise en conformité avaient été initiés mais n’avaient pas pu être finalisés dans le délai imparti compte tenu des conditions météorologiques, impossibilité non-fautive de sa part. L’autorité intimée ne pouvait donc affirmer que les travaux de remise en état n’avaient pas été « réalisés ». Enfin, dans la mesure où il avait prolongé le délai imparti pour remettre en état le terrain litigieux, le département ne pouvait pas valablement prétendre que le montant de l’amende tenait compte de « l’attitude répétée » à ne pas se conformer à l’ordre du 8 février 2021.

Le département faisait preuve de formalisme excessif. L’amende contestée n’était en rien nécessaire dès lors que les travaux avaient d’ores et déjà été entrepris avant son prononcé. Une simple prolongation de délai aurait été suffisante et aurait porté une atteinte moindre à ses intérêts privés. Le sacrifice qui lui était imposé, alors même qu’il traversait une situation financière difficile, était disproportionné au regard de l’atteinte légère que constitue la « construction » en cause, soit un chemin devant être rétréci. Le montant de l’amende était par conséquent disproportionné. À titre comparatif avec les pratiques du département, des administrés, ayant déjà reçu huit amendes et refusant de se conformer à des décisions administratives, n’avaient reçu qu’une amende de CHF 8’000.-. Il en allait de même pour des administrés ayant construit une piscine à usage personnel sur un terrain agricole alors qu’il s’agit d’une claire violation de la délimitation entre les zones agricoles et celles constructibles.

Par ailleurs, son droit d’être entendu avait été violé. En effet, au vu de la motivation de la décision querellée, il ne connaissait pas la pondération liée à sa potentielle faute, ni les éléments pris en compte s’agissant de sa situation personnelle.

26.         Par complément de recours du 13 février 2023, le recourant a encore fait valoir que le résultat de son exploitation agricole était demeuré déficitaire (de CHF 5______) en 2021 et que les charges salariales augmentaient en raison de l’inflation qui se répercutait sur le salaire minimum de ses différents employés. Au vu de sa situation financière fragile, lui infliger une amende de CHF 10’000.-, alors qu’il avait de bonne foi entrepris les travaux de remise en état du chemin litigieux, apparaissait être un procédé infondé et inutilement chicanier.

27.         Le 28 février 2023, le recourant a remis au tribunal un reportage photographique attestant de la partielle remise en état du chemin litigieux. Il a précisé que le chemin avait été intégralement remis en état sous réserve du périmètre concerné par la DD 3______ en cours d’instruction. Il allait de soi que si celle-ci devait être refusée, ce périmètre serait également remis en état dans les meilleurs délais.

28.         Dans ses observations du 6 avril 2023, le département s’est rapporté à justice s’agissant de la recevabilité du recours et a conclu à son rejet et à la confirmation de la décision entreprise.

Après de multiples reports de délai et le non-respect de deux échéances (amendes des 6 décembre 2021 et 7 octobre 2022), le recourant ne s’était toujours pas conformé à l’ordre de mise en conformité de la parcelle en date du 18 novembre 2022, ce qui avait pu être constaté sur place le 24 novembre 2022. Le recourant ne le contestait d'ailleurs pas. Le courrier de son avocat ne faisait état du commencement de la remise en état qu’en date du 15 décembre 2022 et indiquait expressément qu’à cette date, ces travaux n’étaient pas terminés. Partant, il était patent que cet ordre n’avait pas été respecté, de sorte que l’amende était parfaitement justifiée.

Les considérations relatives à l’obtention de l’autorisation DD 2______, à l’absence de surfaces d’assolement ou encore à l’ampleur de l’infraction de base étaient sans pertinence. Celles-ci ne présentaient qu’un intérêt éventuel par rapport à la décision du 8 février 2021, relative à la sanction infligée pour la réalisation illégale de l’accès, au demeurant en force.

La demande d’autorisation DD 3______, déposée le 12 avril 2022 et concernant la construction d’un hangar agricole et d’une place de lavage, n’était aucunement liée à la décision litigieuse. De plus, le département n’avait en aucune manière sursis à l’exécution de la remise en état demandée, même pour la petite partie du chemin d’accès que ce projet toucherait. Partant, cette procédure ne saurait justifier l’absence de remise en état dans le délai fixé au 18 novembre 2022.

Le fait que les travaux n’avaient pas pu être réalisés dans le délai en raison des conditions météorologiques ne saurait raisonnablement être retenu pour atténuer la faute du recourant, au vu du nombre de délais déjà accordés et du fait qu’il n’avait pas sollicité un nouveau report pour ce motif.

S’agissant de la quotité de l’amende, il avait pris en compte l’attitude répétée du recourant à ne pas se conformer à l’ordre de remise en état. Il s’agissait de la troisième amende qui lui était infligée pour non-respect de l’ordre de mise en conformité notifié initialement le 8 février 2021. Or, la jurisprudence avait confirmé que dès lors qu’une première amende n’avait pas suffi à faire respecter les ordres du département, une amende ultérieure plus élevée se justifiait pleinement. En l’espèce, dans la mesure où l’amende précédente de CHF 5’000.- n’avait pas suffi à ce que la remise en état ordonnée soit réalisée, une amende plus importante se justifiait pleinement et paraissait la seule mesure apte à atteindre le but recherché. Cela s’était d’ailleurs démontré puisque le recourant avait sérieusement initié les travaux de mise en conformité exigés, après l'administration de la première amende. De plus, la situation de récidive avait été prise en compte dans la mesure où le recourant faisait état, et il ne le contestait d’ailleurs pas, de plusieurs infractions enregistrées au département. Du point de vue de l’examen de la proportionnalité, l’aptitude et la nécessité de la sanction s’avéraient données, s’agissant d’assurer le respect de la loi en réprimant la violation du droit commise par un administré. L’octroi d’un nouveau délai pour réaliser la remise en état requise n’aurait pas suffi à atteindre le but recherché, une telle solution n’ayant comme effet que de retarder encore plus la mise en conformité exigée. De plus, les reports de délais largement octroyés au recourant n’avaient pas permis de régler la situation, et ce près de deux ans après le premier ordre de remise en état.

La situation financière du recourant avait également été prise en compte dans le cadre de la décision litigieuse, mais elle ne saurait justifier l’absence de sanction ou une amende moins élevée que celle infligée sous peine de ne pas parvenir au résultat de mise en conformité attendu. Le recourant avait des projets de constructions pour un montant de CHF 4______ et son épouse avait annoncé le succès de la location d’une salle d'exploitation dans un reportage télévisé. Dès lors, on pouvait se montrer quelque peu dubitatif quant aux actuelles difficultés financières invoquées par le recourant. Le département avait fait preuve de patience et de clémence à l’encontre du recourant et l’amende querellée, qui se situait dans la fourchette basse du maximum possible, s’avérait pleinement proportionnée.

Au surplus, la décision était dûment motivée. Le recourant reprenait d’ailleurs cette motivation dans son recours et se déterminait à son propos, ce qui démontrait qu’il avait parfaitement pu se rendre compte de sa portée, d’en comprendre les raisons et de la déférer au tribunal en toute connaissance de cause. Un éventuel défaut de motivation ne saurait justifier un renvoi de la cause, celui-ci pouvant être réparé par le recours.

29.         Par réplique du 5 mai 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Ses différentes demandes de délais ne reposaient pas uniquement sur les conditions météorologiques, puisque les délais avaient également été demandés en raison des difficultés financières, prouvées et documentées. Les conditions météorologiques désastreuses des mois de novembre et décembre 2022 expliquaient le fait qu’il n’avait pas pu procéder à la remise en état du terrain litigieux dans le délai prolongé par le département.

Le reportage télévisuel dans lequel apparaissait son épouse était publicitaire et avait pour but de redresser les finances de son exploitation. Les allégations indiquant le succès d’une location ne permettaient nullement de nier les difficultés financières, prouvées par documents. Ce succès lui avait permis de palier aux pertes subies du fait de la pandémie, mais ces revenus locatifs ne sauraient toutefois compenser le prêt COVID-19 de CHF 2______.

Les montants destinés au projet sujet à la DD 3______ étaient un investissement à long terme pour les engins exploités quotidiennement, sachant que le bon entretien des machines et outils de l’exploitation permettait de réduire considérablement les coûts de nettoyage et de réparation.

30.         Par duplique du 1er juin 2023, le département a persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

5.             Le recourant prétend que son droit d’être entendu aurait été violé, le département n’ayant pas suffisamment motivé la décision litigieuse.

6.             Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, classiquement, le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2 ; 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3).

Ce droit implique également pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision (ATF 146 II 335 consid. 5.1). L’art. 46 al. 1 LPA fait ainsi obligation aux autorités administratives de rendre des décisions motivées. Selon une jurisprudence constante, le droit d’être entendu implique pour l’autorité l’obligation de motiver sa décision afin que le destinataire puisse la comprendre, l’attaquer utilement s’il y a lieu et afin que l’autorité de recours puisse exercer son contrôle. L’autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. Elle n’a toutefois pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige. La motivation peut d’ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 6B_468/2022 du 12 janvier 2023 consid. 1.1). L’autorité peut passer sous silence ce qui, sans arbitraire, lui paraît à l’évidence non établi ou sans pertinence. Il n’y a ainsi violation du droit d’être entendu que si elle ne satisfait pas à son devoir minimum d’examiner les problèmes pertinents (ATF 129 I 232 consid. 3.2).

La réparation d’un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d’être entendu, n’est possible que lorsque l’autorité dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_240/2017 du 11 décembre 2018 consid. 3.2). Elle dépend toutefois de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception. Elle peut cependant se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/802/2020 du 25 août 2020 consid. 4c et les références cités).

7.             En l’espèce, la décision litigieuse est claire. Elle mentionne en effet les bases légales applicables et énonce le motif pour lequel le département a infligé l’amende et les éléments ayant conduits à fixer le montant à CHF 10’000.-. Au demeurant, la simple lecture du recours suffit à démontrer que le recourant a saisi le sens et la portée de la décision, ce qui lui a permis d’exercer son droit de recours à bon escient. Il a aussi eu l’occasion de prendre connaissance des arguments développés le 6 avril 2023 par le département et d’y répliquer, de sorte qu’une éventuelle violation de son droit d’être entendu sous l’angle d’une absence de motivation aurait amplement été réparée dans le cadre de la présente procédure. Le renvoi de la cause à l’autorité intimée constituerait ainsi une vaine formalité.

Ce grief sera dès lors écarté.

8.             Selon l’art. 137 al. 1 LCI, est passible d’une amende administrative de CHF 100.- à 150’000.- tout contrevenant :

a) à la présente loi ;

b) aux règlements et arrêtés édictés en vertu de la présente loi ;

c) aux ordres donnés par le département dans les limites de la présente loi et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci.

Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l’amende, du degré de gravité de l’infraction. La violation des prescriptions par cupidité, ainsi que les cas de récidive constituent notamment des circonstances aggravantes (art. 137 al. 3 LCI).

9.             L’art. 137 al. 1 let. c LCI érige la contravention aux ordres donnés par le département en infraction distincte de la contravention à la LCI et à ses règlements d’application (let. a et b). De par sa nature, cette infraction est très proche de celle visée par l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), soit l’insoumission à une décision de l’autorité, qui, d’une part, constitue un moyen d’exécution forcée, dans la mesure où elle permet d’exercer une certaine pression sur le destinataire d’une injonction de l’autorité, afin qu’il s’y conforme, et, d’autre part, en tant que disposition pénale, revêt un caractère répressif (ATA/147/2014 du 11 mars 2014 consid. 11 ; Alain MACALUSO/ Laurent MOREILLON/ Nicolas QUELOZ [éd.], Commentaire romand du Code pénal II, Art. 111-392 CP, 2017, n. 2 ad art. 292 p. 1887).

À l’instar de cette disposition pénale, la condamnation de l’auteur pour infraction à l’art. 137 al. 1 let. a LCI n’a pas pour effet de le libérer du devoir de se soumettre à la décision de l’autorité. S’il persiste dans son action ou son omission coupable, il peut être condamné plusieurs fois pour infraction à l’art. 137 al. 1 let. c LCI, sans pouvoir invoquer le principe ne bis in idem, dès lors que l’on réprime à chaque fois une autre période d’action ou d’omission coupables. De plus, la sanction de l’insoumission peut être augmentée chaque fois qu’une menace de l’appliquer est restée sans effet (ATA/147/2014 du 11 mars 2014 consid. 11 et les références citées ; ATA/456/2000 du 9 août 2000 consid. 3e ; ATA/455/2000 du 9 août 2000 consid. 3e).

10.         Selon la jurisprudence constante, les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions, pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/870/2023 du 22 août 2023 consid. 9.2 ; ATA/174/2023 du 28 février 2023 consid. 2.1.3 et les références citées).

11.         En vertu de l’art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s’appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/440/ 2019 du 16 avril 2019 et les références citées).

Il est ainsi en particulier nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020 consid. 7c).

12.         L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine). La culpabilité doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l’acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l’acte et son mode d’exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l’intensité de la volonté délictuelle, ainsi que les motivations et les buts de l’auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l’auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l’acte et au cours de la procédure (ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 ; 136 IV 55 ; 134 IV 17 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_28/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.1 ; 6B_1276/ 2015 du 29 juin 2016 consid. 2.1 ; ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7e) et ses capacités financières (ATA/719/2012 du 30 octobre 2012 consid. 20 et les références citées).

13.         S’agissant de la quotité de l’amende, la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative) précise que le département jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour en fixer le montant et n’est censuré qu’en cas d’excès. Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de la proportionnalité (ATA/702/2023 du 27 juin 2023 consid. 6.1 ; ATA/19/2018 du 9 janvier 2018 consid. 9d confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_80/2018 du 23 mai 2019).

En outre, l’administration doit faire preuve de sévérité, afin d’assurer le respect de la loi (ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d ; ATA/147/2021 du 9 février 2021 consid. 4d et e ; ATA/403/2019 du 9 avril 2019 consid. 7c). L’autorité ne viole le droit en fixant la peine que si elle sort du cadre légal, si elle se fonde sur des critères étrangers à l’art. 47 CP, si elle omet de prendre en considération des éléments d’appréciation prévus par cette disposition ou, enfin, si la peine qu’elle prononce est exagérément sévère ou clémente au point de constituer un abus du pouvoir d’appréciation (ATF 136 IV 55 consid. 5.6 ; 135 IV 130 consid. 5.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_28/2016 du 10 octobre 2016 consid. 5.1 ; 6B_1276/2015 du 29 juin 2016 consid. 2.1).

14.         Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité garanti par l’art. 5 al. 2 Cst. (ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d et les références citées ; ATA/313/2017 du 21 mars 2017), lequel commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 140 II 194 consid. 5.8.2 ; 139 I 218 consid. 4.3).

15.         En l’occurrence, il convient de relever en premier lieu que le recourant n’avait pas, en date du 18 novembre 2022, procédé à la remise en état qu’il devait effectuer, ainsi que constaté par le département six jours plus tard, et cela sans avoir sollicité un nouveau délai. Partant, l’amende prononcée est justifiée dans son principe.

S’agissant de sa quotité, il faut retenir que le recourant n’a effectué la remise en état requise, et encore que de manière partielle compte tenu du fait qu’il reste dans l’attente de l’issue de la DD 3______ alors qu’il n’a pas sollicité de suspension à cet égard, qu’au début de l’année 2023, soit deux ans après la décision du 8 février 2021. Ce laps de temps s’explique certes par les nombreux délais de prolongation requis et obtenus par le recourant, voire par des mauvaises conditions météorologiques comme il le soutient, mais il n’en demeure pas moins long pour exécuter des travaux de somme toute peu d’importance, étant relevé que l’infraction n’est d’ailleurs elle-même pas d’une importance considérable. Il faut également considérer que le département, ne parvenant toujours pas à faire respecter ses ordres, a fait preuve d’une certaine modération en commençant tout d’abord par infliger au recourant, par décision du 8 février 2021, une amende de CHF 5’000.-, puis, par décision du 24 septembre 2021, une amende de CHF 500.-, et enfin, par décision du 7 octobre 2022, une amende de CHF 5’000.-. Dans ces circonstances, le département pouvait retenir que la possibilité de contraindre le recourant à se soumettre à l’ordre qui lui avait été donné en février 2021 apparaissait illusoire s’il ne faisait pas l’objet d’une sanction plus sévère que celles qui avaient été jusqu’ici prononcées contre lui. Cela étant et compte tenu aussi de sa situation économique, attestée par pièces, il faut relever que l’amende litigieuse de CHF 10’000.- constitue un doublement de la précédente amende et, il ne faut pas l’oublier, sanctionne non plus les travaux entrepris de manière illicite il y a une quinzaine d’années, mais uniquement la persistance du recourant à ne pas se conformer à l’ordre de remise en état prononcé par l’autorité intimée. Dans cette mesure, il apparaît plus conforme au principe de proportionnalité que les sanctions prononcées pour ce motif à l’encontre du recourant suivent une progressivité plus modérée, en n’oubliant pas que chaque nouvelle amende s’ajoute aux précédentes et que le total des amendes joue aussi un rôle à la longue. Par conséquent, l’amende sera ramenée à CHF 8’000.-, montant conforme au principe de proportionnalité.

Le recours sera très partiellement admis dans ce sens.

16.         Vu cette issue, un émolument réduit de CHF 600.- sera mis à la charge du recourant, dès lors qu’il n’obtient que partiellement gain de cause (art. 87 al.1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnité en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est couvert par l’avance de frais. Le solde de l’avance de frais, soit CHF 300.-, lui sera restitué.

Une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’autorité intimée, sera par ailleurs allouée au recourant (art. 87 al. 2 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 27 janvier 2023 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du 9 décembre 2022 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             dit que l’amende prononcée le 9 décembre 2022 par le département du territoire à l’encontre de Monsieur A______ est fixée à CHF 8’000.- ;

4.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 600.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

5.             ordonne la restitution au recourant du solde de l’avance de frais de CHF 300.- ;

6.             alloue au recourant, à la charge du département du territoire, une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Aurèle MULLER et Oleg CALAME, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

Le greffier