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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1240/2023

JTAPI/423/2023 du 20.04.2023 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

REJETE par ATA/450/2023

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);LEVÉE DE LA DÉTENTION DE L'ÉTRANGER;INTERNET;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LEI.80.al5; LEI.81.al2; CEDH.3; CEDA.13; CEDA.18; CEDA.30; RFavra
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1240/2023 MC

JTAPI/423/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 avril 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1971 - alias B______, né le ______ 1971 -, est originaire d'Algérie.

2.             Il est arrivé en Suisse en 2019 et s'est présenté devant les autorités helvétiques sous son alias, M. B______.

3.             En date des 10 mars 2019, 8 juin 2019 et 1er avril 2020, M. A______ a été condamné - sous son nom d'alias - par ordonnances pénales du Ministère public pour infractions au Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; dommages à la propriété - art 144 CP - et lésions corporelles simples - art. 123 al. 1 CP) et à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; entrée et séjours illégaux - art 115 al. 1 LEI). A ces occasions, le Ministère public a retenu que le prévenu était célibataire, sans domicile fixe, démuni de revenus et sans aucune attache avec la Suisse.

4.             Le 16 juin 2020, les Pays-Bas ont rejeté la demande de reprise en charge de l'intéressé qui leur avait été soumise par la Suisse.

5.             Par courriel du 29 juin 2020, le secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: SEM), a informé les services de police genevois que l'intéressé avait déclaré être retourné dans son pays d'origine à la fin de l'année 2017 et qu'il n'était dès lors pas possible d'envoyer une demande de réexamen aux autorités des Pays-Bas. Le cas de M. A______ devait être traité par les autorités cantonales en vue d'un renvoi dans son pays d'origine.

6.             Le 6 juillet 2020, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de Justice a ordonné l'expulsion judiciaire de l'intéressé du territoire suisse pour une durée de trois ans conformément à l'art. 66a bis CP.

7.             Par jugement du 14 avril 2021, M. A______ a été condamné par le Tribunal de police pour rupture de ban (art. 291 CP), voies de fait (art. 126 al. 1 CP) et dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP).

8.             Deux procédures pénales supplémentaires ont été ouvertes en 2021 par le Ministère public à l'encontre de M. A______ pour rupture de ban, violation de domicile et vol simple, lesquelles sont actuellement en cours.

9.             Le 12 octobre 2021, le SEM a informé l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) que l'intéressé avait été identifié par les autorités algériennes sous le nom de M. A______, né le ______ 1971 à C______ en Algérie. Un entretien consulaire (Counseling) devait avoir lieu avant la réservation d'une place sur un vol. A l'issue de ce Counseling, une place pourrait être réservée auprès de swissREPAT dont la date devait être communiquée trente jours ouvrables auparavant. A réception du laissez-passer par le SEM, le document serait envoyé directement à swissREPAT.

10.         En date du 18 novembre 2022, M. A______, démuni de document d'identité, a été interpellé par la police genevoise à la rue des D______ à E______, après qu'il se fut montré violent avec une employée de l'association « F______ » suite au refus de celle-ci de le laisser entrer dans les locaux.

Selon le rapport d’arrestation, M. A______ lui aurait craché dessus, et un agent de sécurité aurait été très légèrement blessé après avoir expulsé M. A______ des locaux de l'association. Les recherches dans les bases de données de la police ont révélé qu’il faisait l'objet de trois mandats d’arrêt pour une peine privative de liberté totale de quarante-sept jours ou CHF 1'010.-.

11.         Entendu par la police le même jour, M. A______ a contesté s'être battu avec l'agent de sécurité et a déclaré qu'il voulait récupérer certaines de ses affaires restées dans l'association du temps où il logeait là-bas. Il était démuni d'argent et ne pouvait pas payer la peine de jours-amende à laquelle il avait été condamné. Il n'était pas non plus au courant de l'expulsion judiciaire et des trois ordres d’exécution de peine dont il faisait objet. M. A______ a refusé de répondre aux autres questions posées par la police lors de cet interrogatoire.

12.         Le 19 novembre 2022, M. A______ a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon pour purger ses condamnations.

13.         Le 22 novembre 2022, l'OCPM a informé le SEM que M. A______ était actuellement en détention pénale et l’a prié de poursuivre le processus d'identification et d'obtention d'un document de voyage.

14.         Par courriel du 29 novembre 2022, le SEM a proposé aux autorités genevoises de présenter l’intéressé aux auditions consulaires de l'Algérie le 21 décembre 2022.

15.         M. A______ n'a finalement pas pu être présenté mais demeure sur la liste d'attente pour le canton de Genève.

16.         Libéré de détention pénale le 23 décembre 2022, M. A______ a été remis aux services de police.

17.         Le même jour, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de quatre mois, en application des art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI, précisant que les démarches relatives à l'organisation d'un entretien avec le Consul d'Algérie en vue de la délivrance d'un laissez-passer se poursuivaient.

Au commissaire de police, l’intéressé a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en Algérie.

18.         Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal) le même jour.

Le lieu de détention administrative de l’intéressé était l’établissement de détention administrative de Favra (ci-après : Favra).

19.         Par courriel du 26 décembre 2022, le commissaire de police a transmis au tribunal une copie d’une communication du même jour adressée au SEM, indiquant que M. A______ était détenu administrativement et que, dès lors, il demandait que son cas soit traité de manière prioritaire.

20.         Entendu le 27 décembre 2022 par le tribunal, M. A______ a déclaré qu’il ne s’opposait plus à son renvoi en Algérie, ayant changé d’avis, et qu'il était d’accord d’être présenté aux autorités algériennes afin qu'elles puissent délivrer un laissez-passer. Il n'avait pas de documents d'identité. Il avait été logé à Genève, soit chez une amie, soit dans un foyer de l'Armée du Salut et avait vécu grâce à des aides d'associations et d'amis. Depuis 2019, il n'avait jamais quitté Genève. Lors de son interrogatoire le 19 novembre 2022, c'était la police qui avait répondu à sa place et qui lui avait fait signer deux documents. Sur question de son conseil, il a indiqué avoir été auditionné par le Ministère public le 5 décembre 2022 pour une procédure pénale concernant une rupture de ban et que cette procédure avait été renvoyée au Tribunal de police. Il avait également reçu un jugement du Tribunal de police le 30 juin 2022, pour des infractions de rupture de ban et de séjour illégal contre lequel son conseil avait fait appel.

La représentante du commissaire de police a indiqué qu’elle n’avait pas d'autres informations concernant le futur entretien avec les autorités consulaires algériennes et, comme indiqué dans la dernière pièce produite, la police avait demandé à ce que M. A______ soit entendu prioritairement. Entre l'audition par les autorités algériennes, la délivrance du laissez-passer et la date d'un vol, il fallait compter en tous cas trente jours. Elle a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention pour la durée requise.

Le conseil de M. A______ a conclu à la mise en liberté immédiate de son client vu les procédures pénales en cours, subsidiairement à la réduction de la durée de la détention à un mois.

21.         Par jugement du 27 décembre 2022 (JTAPI/1______), le tribunal a confirmé l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de dix semaines, soit jusqu'au 2 mars 2023 inclus.

M. A______ faisait l’objet d’une décision d’expulsion judiciaire de Suisse prononcée le 6 juillet 2020 pour une durée de trois ans, laquelle était en force. Il avait fait l’objet de très nombreuses condamnations, notamment pour séjour illégal et rupture de ban, et n’avait jamais entrepris la moindre démarche en vue de se soumettre à la décision d’expulsion prononcée à son encontre le 6 juillet 2020. Il s’était présenté sous une fausse identité aux autorités suisses, ce qui avait rendu son identification plus difficile. Il avait indiqué devant le commissaire de police, notamment lors son audition du 23 décembre 2023, qu’il s’opposait à son renvoi de Suisse ; le fait qu'il avançât pour la première fois, manifestement pour les besoins de la cause, ne plus être opposé à retourner en Algérie, ne permettait certainement pas de considérer qu'il serait désormais disposé à collaborer à son départ. Il était enfin sans domicile fixe en Suisse, sans aucune source de revenu et sans attaches particulières, et ayant été totalement aidé financièrement depuis son arrivée en Suisse. Au vu ce de qui précédait, son comportement laissait apparaître qu’il n’avait pas l’intention de se soumettre aux décisions des autorités et le risque qu’il disparaisse dans la clandestinité était avéré, étant rappelé que seul un renvoi à destination de l’Algérie était possible, puisqu’il s’agissait du seul pays dans lequel M. A______ était autorisé à se rendre. Les conditions de la détention administrative étaient donc remplies. Les autorités avaient par ailleurs agi avec diligence et célérité.

Concernant la durée de la détention de quatre mois, elle paraissait toutefois disproportionnée et serait réduite à dix semaines.

22.         Par requête motivée du 17 février 2023, l’OCPM a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de six mois, exposant que l'intéressé serait présenté à une prochaine audition consulaire de l'Algérie qui devrait intervenir d'ici au mois de juin 2023. Un vol pourrait ensuite être organisé.

23.         Devant le tribunal, lors de l'audience du 28 février 2023, M. A______ a déclaré se nommer en réalité Monsieur B______ et être né le ______ 1978. Il n'avait toutefois en sa possession aucun document d'identité. Le représentant de l'OCPM s'est référé à la pièce 5 de l'ordre de mise en détention. Il s'agissait d'un courrier du SEM du 12 octobre 2021, indiquant que l'intéressé avait été identifié par les autorités algériennes en tant que M. A______, né le ______ 1971. M. A______ a rajouté avoir essayé de joindre les autorités algériennes pour obtenir des documents d'identité. Il était tombé à chaque fois sur une boîte vocale. Il avait envoyé également à l'Ambassade une lettre il y avait environ deux mois, mais il n'avait pas reçu de réponse. Il n'avait pas fait de copie de cette lettre. Il a enfin confirmé être toujours d'accord de retourner en Algérie. Le représentant de l'OCPM a versé à la procédure un mail d'un collaborateur de l'OCPM du 6 janvier 2023 indiquant avoir rencontré M. A______ le jour précédent, et qu'il l'avait informé qu'afin d'accélérer les démarches, il pouvait prendre contact avec son ambassade. M. A______ a répondu que c'était bien ce qu'il avait fait mais qu'il ne parvenait à joindre personne. Son avocate a précisé qu'elle avait également tenté de les contacter téléphoniquement mais qu'effectivement, on tombait sur une boîte vocale. Elle avait par ailleurs vérifié l'adresse à laquelle son client avait adressé le courrier, à l'Ambassade. Elle s'est toutefois engagée à effectuer elle-même des démarches auprès de l'Ambassade pour essayer de faire accélérer les choses.

Le représentant de l'OCPM a précisé que s'agissant de l'audience consulaire à laquelle devait être présenté l'intéressé, il y en avait une de prévue chaque mois, mais que la liste d'attente était longue au vu du nombre de personnes devant y être présentées par les cantons. Ils avaient toutefois indiqué au SEM que le dossier était prioritaire. Quand la demande venait des autorités suisses, les autorités algériennes ne faisaient pas de distinction entre le fait que l'un de ses ressortissants serait volontaire ou pas, mais si M. A______ se déclarait volontaire et qu'il contactait lui-même son Ambassade pour attester de ce fait, la procédure irait plus vite et les autorités algériennes délivreraient immédiatement un laissez-passer.

Le conseil de M. A______ a remis ses extraits de compte au 1er novembre 2022, montrant qu'il avait travaillé à Favra et qu'il pouvait en partie financer son billet de retour. M. A______ a précisé avoir obtenu en totalité plus de CHF 1'000.-.

Le représentant de l'OCPM a conclu à la confirmation de la demande de prolongation pour une durée de six mois. Le conseil de M. A______ a conclu à la mise en liberté immédiate de son client.

24.         Par jugement du 28 février 2023, le tribunal a prolongé la détention administrative de M. A______ pour une durée de cinq mois, soit jusqu'au 2 août 2023 inclus.

25.         Par acte expédié le 6 mars 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), M. A______, agissant en personne, a recouru contre ce jugement. Malgré sa volonté de retourner en Algérie, l’OCPM lui demandait de se présenter au Consulat d’Algérie pour obtenir un laissez-passer jusqu’au mois de juin 2023, ce qu’il trouvait « assez sévère ».

Par courrier du 10 mars 2023, l’avocate nommée d’office pour la défense des intérêts de M. A______ a confirmé la volonté de son client de recourir contre le jugement précité. Elle a conclu, au nom de celui-ci, à l’annulation du jugement et, principalement, à sa mise en liberté immédiate. Préalablement, son audition devait être ordonnée. Subsidiairement, le recourant a conclu qu’il soit enjoint à ne pas quitter le canton de Genève et, plus subsidiairement, à ce que sa détention administrative soit limitée au 30 juin 2023.

Le commissaire de police a conclu à la confirmation du jugement.

Dans sa réplique, le recourant a rajouté deux chefs de conclusions « plus subsidiaires », tendant à ce que sa détention administrative soit limitée au 31 mars 2023, respectivement au 30 avril 2023.

26.         Par arrêt du 16 mars 2023 (ATA/2______), la chambre administrative a partiellement admis le recours en tant que la détention administrative était confirmée mais pour une durée de quatre mois, soit jusqu’au 2 juillet 2023.

Vu la décision d’expulsion le 6 juillet 2020, les condamnations dont il faisait l’objet, l’absence de toute démarche documentée en vue de quitter la Suisse et se conformer à ces décisions, le comportement adopté jusqu’ici et sa situation en Suisse, il n’apparaissait pas que le recourant avait l’intention de retourner dans son pays et le risque qu’il disparaisse dans la clandestinité était élevé. Les conditions de la détention administrative étaient donc remplies. L’intérêt public à l’exécution de son refoulement était certain et une mesure moins incisive, comme celle l’enjoignant à se présenter régulièrement à un poste de police jusqu’à sa présentation à l’Ambassade d’Algérie et l’octroi d’un laissez-passer, ne paraissait pas apte à s’assurer de sa présence lors de cette présentation et au moment du départ de son vol pour l’Algérie. Cet intérêt public l’emportait également sur son intérêt privé à ne pas subir de détention administrative. Cela étant, dans la mesure où les présentations auprès de l’Ambassade d’Algérie devaient en tout cas se faire d’ici à fin juin 2023, il n’y avait, en l’état, pas de motif justifiant que la détention administrative soit prononcée au-delà de cette date et la durée de celle-ci devait ainsi réduite à quatre mois, soit au 2 juillet 2023.

27.         Le 8 avril 2023, un détenu placé en détention administrative a été retrouvé mort dans sa cellule de Favra. Il s’agirait d’un suicide. Le même jour, un autre détenu aurait tenté de mettre fin à ses jours.

28.         Par requête du 11 avril 2023 reçue par le tribunal le même jour, M. A______, sous la plume d’un mandataire, a déposé une demande de mise en liberté, exprimant qu’il se trouvait dans une réelle détresse en raison des conditions de sa détention. Il était détenu à Favra depuis le 23 décembre 2022. Il avait entamé une grève de la faim depuis 52 jours aujourd'hui et ceci sans que personne ne s'en soucie. Il était par ailleurs détenu dans une infrastructure insalubre et dans des conditions totalement indignes. Samedi 8 avril 2023 au matin, une personne détenue au sein du même établissement avait été retrouvée inanimée dans sa cellule. Ce tunisien avait mis fin à ses jours en raison de ses conditions de détention et du fait qu'il devait être renvoyé en Autriche.

S'agissant spécifiquement de Favra, depuis la réaffectation de cette prison pénale à la détention administrative en 2014, la Ligue suisse des Droits humains, section genevoise (ci-après : la LSDH-GE) de même que d'autres associations et instances de contrôle comme la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) dénonçaient les conditions de détention indignes qui y prévalaient, lesquelles ne répondaient même pas aux standards minimaux applicables à la détention administrative, et appelaient sans relâche à sa fermeture. Dans l'ensemble, l'infrastructure n'était pas adaptée à la détention administrative. En particulier, l'espace disponible ainsi que l'aménagement et la conception des pièces ne permettaient pas d'offrir aux détenus un régime de détention plus souple qui répondrait aux standards en matière de détention administrative. Ces associations avaient par ailleurs alerté les autorités sur les graves lacunes en termes d'accès aux soins des personnes placées en détention administrative, qui étaient dans leur immense majorité extrêmement vulnérables, tant sur le plan physique que psychique. Or, en application de l’art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), l'Etat devait s'assurer que tout prisonnier était détenu dans des conditions qui étaient compatibles avec le respect de la dignité humaine que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettait pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier étaient assurés de manière adéquate.

En l’espèce, dans la mesure où sa santé était clairement en danger et que FAVRA n'était pas à même de le protéger en respectant les standards minimaux en matière de détention, il y avait lieu de constater l'illégalité des conditions de sa détention et de le libérer avec effet immédiat.

29.         Par courrier du 14 avril 2023, le conseil de M. A______ a requis du tribunal qu’il procède à un transport sur place à Favra afin de constater l’illicéité des conditions de détention prévalant au sein de ce centre.

30.         Le 18 avril 2023, le tribunal a procédé à une audience conjointe, d’entente entre les parties, dans les causes A/1240/2023, A/1262/2023 et A/1264/2023, ces deux dernières causes concernant Monsieur G______. A cette occasion, il a entendu Monsieur H______, membre du comité de la commission de détention administrative (CDA) de la LSDH-GE et Madame I______, directrice de Favra, tous deux assermentés et pour la dernière, levée de son secret de fonction.

Le conseil de M. A______ a versé à la procédure un bordereau de titres, soit une notification du 13 avril 2023 de mise à l’isolement de son client du 13 au 15 avril 2023, pour avoir proféré les menaces auto agressives suivantes : « Si c’est comme ça, je vais me pendre comme le tunisien du 3ème », indiquant que cette mesure était ordonnée en raison des risques que l’intéressé faisait courir à lui-même et les inconvénients engendrés par le détenu envers la communauté des co-détenus, conformément à l’art. 48 du règlement de l'établissement de détention administrative de Favra du 1er novembre 2017 (RFavra - F 2 12.09) et que cette décision pouvait faire l’objet d’un recours dans un délai de trente jours à la chambre administrative, son courrier du 13 avril 2023 à la direction de Favra concernant cette mesure et la réponse du médecin généralise de son client à Favra du 17 avril 2023. Il ressort en particulier dudit courrier que M. A______ était suivi notamment en raison de sa grève de la faim. A « J50 » de cette dernière, il était affaibli sur le plan somatique et mentale. A l’évaluation psychiatrique du 13 avril 2023, il n’avait pas d’idée noir ni suicidaire. Il avait été informé et était conscient des risques pour sa santé. Devant sa détermination l’équipe médico-soignante du service de médecine pénitentiaire était inquiète quant à l’issue de ce jeune.

Le représentant de l’OCPM a versé à la procédure un courrier du SEM du 11 avril 2023, demandant la délivrance d’un laissez-passer au Consulat d’Algérie en faveur de M. A______, vu la réservation d’un vol le 2 mai 2023, la réservation dudit vol ainsi que la demande d’asile déposée par l’intéressé le 5 avril 2023.

Le conseil de M. G______ a versé à la procédure un courrier du 17 avril 2023 adressé à la direction de Favra au sujet des fouilles intégrales subies par son client lors de chacun de ses déplacements en audiences et l’invitant à ne pas y procéder en vue de l’audience de ce jour ou, dans le cas contraire, à lui expliciter les motifs d’une telle mesure, ainsi que la réponse de la direction du 18 avril 2023, renvoyant à une jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 141 I 141) et aux art. 44 et 45 RFavra.

Sur question du tribunal, M. H______ a expliqué visiter Favra depuis 2014, date de son affectation à la détention administrative. Il s’y rendait déjà quand cet établissement était affecté à la détention pénale. Il réalisait ces visites en sa qualité de membre de la LSDH-GE. A ce même titre, il visitait également Frambois. En sa qualité de co-responsable de la CDA, il était par ailleurs le porte-parole des visiteurs bénévoles de ces deux centres, lesquels s’y rendaient en moyenne chaque trois semaines. Il récoltait leurs témoignages et assurait la supervision des démarches (juridiques, sociales, médicales) qui pouvaient et/ou devaient être prises en faveur des détenus administratifs. Il assurait un monitoring des conditions de détention ainsi qu'un suivi général et individualisé des personnes visitées. Il s’était rendu pour la dernière fois à Favra il y avait six mois. Lors de leurs visites, ils s’installaient dans un local dédié et les détenus venaient les voir, selon leurs besoins. Ils avaient également des échanges avec les gardiens et la direction, notamment quant à des besoins précis de détenus. Ils faisaient également un point de situation périodique avec la direction et les autorités sur les conditions de détention à Favra et Frambois. Dès 2014, il avait pu constater que les conditions de détention à Favra ne répondaient pas aux standards minimaux applicables à la détention administrative. Il a confirmé l'ensemble des problématiques pointées par les conseils de MM. A______ et G______, après que la présidente lui en fait la lecture. Lors de sa réaffectation, ce centre était prévu pour des détentions de courtes durées et temporaires.

S’agissant de ses constats aujourd’hui, il a relevé qu’il n'y avait pas d'accès extérieur à Favra, hormis une cour extrêmement petite (qui avait encore été restreinte suite à des évasions), bétonnée et entièrement grillagée. On lui avait rapporté que les détenus se plaignaient d'un manque d'activités au sein de l'établissement. Il n'y en avait pratiquement aucune. À titre d'activité, on avait par exemple proposé aux détenus de repeindre leur chambre. Il ignorait si c'était contre rémunération. Les détenus n'avaient rien à faire de toute la journée. La salle de sport était vétuste et les installations dangereuses, à tel point que les détenus renonçaient à s'y rendre. La communication avec l'extérieur posait également problème, les détenus n'ayant pas accès à des téléphones portables, à des ordinateurs et à internet. Les appels vers l'extérieur étaient payants, ce qui les limitait. Le cachot n'avait pas d’accès direct à la lumière, hormis une demi-lucarne. Il était régulièrement utilisé. Il n’avait jamais vu un cachot de ce type dans aucun lieu de détention qu’il avait visité en Suisse. La bibliothèque disposait d'un choix de livres très restreint et pas forcément dans des langues connues des détenus. L'accès au soin était problématique. La prise en charge et le suivi étaient clairement insuffisants. Cela ressortait des doléances des détenus, mais également de leurs constats lors des visites. À sa connaissance, deux infirmières et un médecin se rendaient chaque semaine à Favra. Les suivis psychiatriques n’étaient pas assurés, alors même que la plupart des détenus étaient atteints dans leur santé psychique. Il y avait de fréquentes tentatives de suicide et il avait pu constater de nombreuses automutilations chez les détenus. Souvent, le seul suivi consistait en une médication lourde. L’absence de présence médicale sur place leur faisait craindre que les situations d'urgence ne soient pas toujours diagnostiquées. Concernant les conditions d'hygiène, les visiteurs n’avaient pas accès aux cellules. On lui avait cependant indiqué qu'il y avait des nuisibles (cafards) dans l'établissement, ce qu’il avait personnellement pu constater. Les gardiens provenant en général d'établissement pénaux, les détenus leur avaient indiqué qu'ils avaient peu d'échanges avec ces derniers, ce qui participait à leur sentiment d'isolement. Ils leur avaient également fait part d'un manque de soutien et d'informations sur le plan juridique. Les détenus n'avaient souvent pas connaissance de leurs droits, particulièrement dans le cadre des procédures Dublin.

Mme I______ a expliqué que la circulation dans l'établissement ainsi que dans la cour sécurisée était libre de 7h30 à 21h45. En dehors de ces horaires, la circulation était libre dans les quartiers, au nombre de trois. Dans chacun des quartiers, les détenus avaient accès aux sanitaires, communs, ainsi qu'à une kitchenette avec micro-onde. L'établissement comptait sept demi-étages ; au rez, les détenus avaient accès à une salle de loisirs comportant une table de ping-pong, un babyfoot, une bibliothèque, des canapés, des jeux de société. Au demi-étage supérieur, ils avaient accès à une petite salle de sport. Ils avaient récemment acquis des nouveaux engins et des vélos pour cette salle, qu’ils comptaient encore améliorer prochainement. Sur cet étage, il y avait également la buanderie, qui était une activité proposée aux détenus. S'agissant des activités et ateliers occupationnels, le travail n'était pas obligatoire en détention administrative. La rémunération était de CHF 3.- la semaine et de CHF 4.5.- le week-end. Actuellement, en période de Ramadan, ils avaient peu de demandes pour les activités proposées. De manière générale, ils avaient toutefois plus de demandes que d'activités. Ils mettaient alors les détenus sur liste d'attente. Ils s’efforçaient, dans la mesure du possible de leur offrir une activité, parfois en dédoublant ces dernières. A titre d’activités, ils avaient actuellement une activité en collaboration avec le J______, qui leur fournissait en échange des livres et des vêtements, et une activité de tri des câbles de K______. Sur le plan médical, les détenus faisaient l'objet d'une première évaluation à leur arrivée par l'équipe infirmière mobile. Ils avaient ensuite une consultation avec un médecin somatique et/ou psychiatrique dans les 48 voire 72 heures, en fonction de l'évaluation qui était faite. En cas d'urgence, ils faisaient appel au 144. L’équipe infirmière était présente à Favra les mercredis et vendredis matin ; le médecin somatique le mercredi après-midi et le médecin psychiatre le vendredi après-midi. La présence des médecins n’était pas systématique et dépendait de l'évaluation, en première ligne, de l’équipe infirmière, laquelle tournait entre les différents établissements de détention. Tous les détenus pouvaient la consulter. Il leur suffisait de déposer une demande de consultation dans la boîte aux lettres prévue à cet effet et strictement réservée aux aspects médicaux. La direction et les gardiens n'analysaient pas les demandes médicales, sauf les urgences. C’était le fait de l’équipe infirmière. Ils avaient un colloque tous les vendredis matins avec eux pour faire un point de situation. S'agissant de la communication avec l'extérieur, chaque étage disposait d'une cabine téléphonique, avec un cache garantissant la confidentialité des appels. Les détenus devaient disposer d'une carte téléphonique pour l'utiliser. S'ils n'avaient pas les moyens d’en acheter, ils avaient la possibilité de faire un appel vers l'extérieur depuis le téléphone du parloir. Ils avaient droit à un appel à l'arrivée et à un appel à la sortie. Ils avaient depuis peu la possibilité de faire des appels Skype. Un ordinateur avait été mis à la disposition des détenus pour ce faire, dans le parloir. Cette salle servant également pour les visites et les entretiens avec l'assistant social et les avocats, ils avaient dû mettre en place des horaires pour son utilisation. Pour pallier à cette problématique de salle, ils avaient élargi l'horaire des visites, qui étaient désormais possibles toute la semaine, les matins et après-midis. Les locaux étaient nettoyés tous les jours sous la surveillance des agents. Les détenus avaient la charge de l'entretien de leur cellule et disposaient à chaque étage du matériel nécessaire pour ce faire. L'entretien du reste du bâtiment était réparti entre plusieurs "activités" rémunérées. Elle prenait acte que des nuisibles avaient été vus dans l'établissement. Il y avait aujourd'hui dix détenus à Favra, pour une capacité de vingt places. Les transferts étaient du ressort des autorités de placement. Les transferts à l'UHPP - située dans le bâtiment de Curabilis, étaient effectués à la demande du médecin-psychiatre, ceux à l'UCH, aux HUG, à la demande du médecin somatique. S'agissant des sanctions, la direction les examinait toutes pour validation ou non, après audition de la personne concernée et examen du rapport d'incident. La direction était composée de personnes émanant du milieu social. La mise au cachot était vraiment l'ultima ratio. Toute sanction était communiquée à la direction générale de l'OCD [office cantonal de la détention]. Les mises au cachot étaient en outre communiquées à l'autorité de placement et au service médical. La direction était consciente que les infrastructures de Favra n’étaient pas idéales mais essayait de faire en sorte que la détention y soit aussi digne que possible et que les détenus puissent être renvoyés de la meilleure manière possible. Ils avaient des contacts réguliers avec un gestionnaire de l'OCPM qui se déplaçait régulièrement sur le site. Si un détenu souhaitait le rencontrer, ils faisaient le lien avec ce dernier. Elle était à Favra depuis fin octobre 2016. Effectivement, à son arrivée, il y avait la volonté d’y privilégier des détentions courtes et ensuite, dès l'identification de la personne et les premières démarches effectuées, de la transférer à Frambois. Aujourd'hui, les placements à Favra ou Frambois se faisaient surtout en fonction des places disponibles, cela à tout le moins depuis le début de la pandémie.

Sur question du conseil de M. A______, elle n’était pas en mesure de donner la taille de la cour intérieure. Outre cette dernière, les détenus avaient également accès à la partie verte des extérieurs de Favra, à condition qu'ils soient accompagnés d'un gardien. Cela dépendait des disponibilités de ces derniers. Ils y organisaient parfois des activités. Ils avaient beaucoup de demandes en été et en principe leurs effectifs leur permettaient d'y accéder. M. H______ a indiqué que la cour faisait environ un quart de la salle d'audience (G3). Elle était entièrement grillagée, soit sur l'ensemble de ses côtés et sur le dessus. Après que la photographie visible à l’adresse suivante : https://www.20min.ch/fr/story/apres-un-deces-des-associations-veulent-fermer-la-prison-de-favra-570931142134 leur ait été soumise, M. H______ et Mme I______ ont indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une photographie récente puisque l’on n’y voyait pas l'espace entièrement grillagé nouvellement installé. On y voyait l’autre espace extérieur.

Toujours sur question du conseil de M. A______, Mme I______ a confirmé que l'activité proposée avec le J______ était destinée à être pérenne. Ils avaient installé Skype le 16 janvier 2023. À sa connaissance, cette application n'avait jamais été utilisée par les détenus. Ils les avaient pourtant informés de la possibilité de communiquer gratuitement par ce biais avec l'extérieur. Elle-même avait personnellement informé, pas plus tard que le 8 avril 2023, l'ensemble des détenus de cette possibilité. Elle savait que l'information avait été faite aux nouveaux arrivants à compter du 16 janvier 2023. Elle ne savait pas si M. G______ avait reçu l'information. Sur ce point, M. H______ a expliqué que, suite à l'arrêt de la chambre administrative, ils avaient pris langue avec l'OCD, qui leur avait indiqué que seul un accès Skype et non pas internet serait proposé aux détenus. Lors de ses visites, ou de celles de visiteurs volontaires, ils avaient pu constater qu'aucun détenu n'était au courant de l'installation de cette application.

Sur question du conseil de M. A______, Mme I______ a expliqué que suite aux événements du 8 avril 2023, un médecin somatique était intervenu sur le site à 11h00. Il avait entendu, ensemble, les détenus, pour un debriefing. Ensuite, un médecin psychiatre était venu sur le site. Elle ne pouvait pas dire s'il avait vu tous les détenus mais il avait en tout cas rencontré ceux qui en avaient fait la demande. M. H______ a précisé sur ce point que, selon les informations qui lui avaient été rapportées par des détenus, seules les deux personnes qui avaient découvert le corps avaient eu un contact avec le médecin psychiatre, et ce, en présence du médecin somatique, malgré la demande de l'un d'eux de voir seul le psychiatre. Ces détenus lui avaient indiqué vouloir voir un psychiatre mais il ignorait s’ils avaient fait les démarches officielles pour ce faire.

Sur question du conseil de M. A______, Mme I______ a expliqué que suite au rapport d'incident qui lui avait été transmis le 13 avril 2023 concernant M. A______, elle avait décidé de le placer à l'isolement après l'avoir entendu et après qu'il ait pu rencontrer le psychiatre de l'unité mobile. Le lendemain, il avait par ailleurs rencontré les infirmières de ladite unité. Elle ne pouvait pas dire pour quelle raison elle avait opté pour une sanction sur la base de l'art. 48 plutôt que 3 al. 2 RFavra. Elle avait placé M. A______ en cellule d'isolement pour le préserver et avait organisé des rondes toutes les deux heures pour s'assurer qu'il allait bien. Elle ne connaissait pas la teneur de l'art. 27 du concordat sur l’exécution de la détention administrative à l’égard des étrangers du 4 juillet 1996 (CEDA - F 2 12).

Sur question du conseil de M. G______, ils procédaient à la fouille des personnes détenues conformément aux modalités prévues dans le RFavra. Les fouilles se faisaient en deux temps. Les personnes enlevaient le haut, le remettaient, puis enlevaient le bas. On leur demandait ensuite de faire une flexion. Elle a précisé avoir trente-quatre ans d'expérience dans les domaines de la détention pénale et pour mineurs.

M. A______ a expliqué que depuis qu’il était à Favra, il avait pu exercer une activité rémunérée de nettoyage, à raison de quatre heures par jour, sept jours sur sept. Suite à sa grève de la faim débutée le 20 mars 2023, il avait interrompu cette activité le 10 mars 2023 car il n’avait plus de forces. Il avait donné un préavis de deux jours. Il avait également fait une traduction contre rémunération. On ne lui avait pas proposé l'activité du J______. Les soutiens juridiques, sociaux et médicaux, étaient très limités. On ne répondait pas la plupart du temps à ses questions. C'était le KGB. Il était au courant que Skype avait été installé à Favra mais il ne l’avait jamais utilisé. Ce système de communication était démodé. Tout ce qu’il avait vu dans le parloir, c'était un écran noir HP. Il avait fait deux jours d'isolement, du 13 au 15 avril 2023, après avoir dit "je vais faire comme le tunisien", soit la personne qui s'était suicidée. Il n’avait pas demandé à rencontrer un psychiatre le jour en question, il n’était pas fou.

M. G______ a indiqué qu’on lui avait proposé un travail à son arrivée. Il l’avait accepté afin notamment de pouvoir s'acheter une carte téléphonique. Il pensait avoir travaillé environ six mois depuis qu’il était à Favra. Il n’avait pas poursuivi le travail du triage des câbles de K______, car cela impliquait de toucher du matériel très sale. Même si on leur donnait des gants, il avait des irritations aux avant-bras. Il s’agissait d'un travail dangereux pour la santé. Il y avait des odeurs nauséabondes. Il avait également constaté que des câbles étaient dénudés. À chaque convocation au tribunal, sortie et parloir, on leur faisait une fouille à nu, avec deux flexions. Ce n’était pas être traité avec dignité. Il n’y avait pas de possibilité concrète de communiquer avec l'extérieur via Skype. Ils n’avaient reçu aucune information ni explication à ce sujet. Cas échéant, les détenus se bousculeraient pour utiliser cette application, plutôt que de payer leurs conversations téléphoniques. Il n’avait jamais rien entendu concernant Skype alors qu’il était le détenu le plus ancien et le plus proche des gardiens. Suite aux événements du 8 avril 2023, on les avait fait quitter l'étage où la personne s’était suicidée afin de faire sortir le corps. Il avait ensuite eu un contact avec un médecin. Il était en colère et n’avait pas souhaité lui parler. Le soir, lorsque le gardien était venu fermer le quartier, il l’avait vu trembler et s’était enquis de son état. Il lui avait répondu que ça n'allait pas. Le gardien lui avait dit fallait qu’il parle avec quelqu'un et qu’il pouvait s'entretenir avec un psychiatre. Le lendemain, soit le 9 avril 2023, il avait pu voir ledit psychiatre. Les quartiers étaient fermés à 21h00 et non pas à 21h45, ce qu’a admis Mme I______. Il a contesté que le matériel de la salle de gym avait été remplacé par du matériel récent. Par ailleurs, depuis son arrivée et malgré quatre demandes, il n’avait jamais pu utiliser le 2ème terrain extérieur. Depuis dix mois, il n’avait jamais vu personne utiliser cet espace. Il y avait également un problème avec certains gardiens. L’un d’eux, qui s’occupait notamment de leur servir à manger, avait d'importants problèmes de peau, dont des morceaux tombaient parfois dans la nourriture. Lorsqu'il était au service, la plupart des détenus ne mangeaient pas. Ce problème avait été signalé, sans succès.

Interrogée à ces sujets, Mme I______ a indiqué ne pas pouvoir se déterminer quant au terrain extérieur et renvoyer à ses précédentes explications concernant son utilisation. L'été dernier, ils avaient ouvert cet espace tous les matins de bonne heure à l'ensemble des détenus. Elle était au courant de la situation du gardien et des mesures suffisantes avaient été prises, à savoir le port de gants et d’un l'uniforme à manches longues. M. H______ a expliqué que si l’espace extérieur n’était ouvert que tôt le matin, il n’était pas utilisé par les détenus qui, en général, dormaient encore à ce moment-là.

Concernant M. A______, le représentant de l’OCPM a expliqué qu’ils étaient désormais dans l'attente de la décision du SEM sur sa demande d'asile. Si cette dernière était refusée, ils reprendraient leurs démarches en vue de l'organisation d'un nouveau vol avec escorte et l’obtention d'un laissez-passer. La décision du SEM devrait leur parvenir rapidement car M. A______ faisait l'objet d'une expulsion pénale qui le rendait indigne à l'obtention de l'asile. Il n'aurait plus à être représenté au Consulat algérien.

M. A______ a relevé que son expulsion prendrait fin le 6 juillet 2023. Il avait perdu dix-huit kilos suite à sa grève de la faim et son moral était en berne. Il souffrait de problèmes dermatologiques, notamment en raison de la présence de calcaire dans l'eau de la douche. Il avait par ailleurs des crevasses au talon et la peau très sèche. Les infirmières lui avaient conseillé de mettre de la vaseline. Les douches étaient salles, insuffisantes et avaient des rideaux trop petits, voire, pour l’une, pas de rideau. Il fallait souvent déboucher les lavabos et il était difficile de se raser correctement car les miroirs étaient en métal, rayés et flous. Ils n’avaient pas de tondeuse à disposition, contrairement à Champ-Dollon, et la location de la télévision y était deux fois plus chère. Il n’avait pas parlé plus tôt de ses conditions de détention car ni les magistrats qui avaient examiné sa situation, ni ses précédents conseils, ne lui en avaient donné l'occasion. Si sa demande d'asile était refusée et si un nouveau vol était réservé, il s’y opposerait car il craignait pour sa vie en Algérie. Il devait en effet de l'argent à des personnes avec lesquelles il avait fait des affaires qui avaient mal marché en Irlande.

Sur question du tribunal, le représentant de l’OCPM a indiqué qu’ils n’envisageaient pas à ce stade pas le transfert de MM. A______ et G______ à Frambois ou, notamment, Zurich. Le canton de Genève disposait en pratique de sept places à Frambois. Ils y privilégiaient la détention des personnes inscrites sur des vols spéciaux ou avec accompagnement policier. Les conditions de détention à Zurich étaient à peu près les mêmes qu'à Favra. La durée de la détention envisagée pouvait également être un critère pour une détention à Frambois plutôt qu'à Favra, et inversement. La personne de Favra récemment transférée à Frambois l'avait été pour d'autres motifs, soit des motifs en lien avec sa sécurité et celle de l'établissement. Il ne pouvait pas confirmer qu’il s’agissait de Monsieur L______ qui aurait tenté de se suicider le 8 ou 9 avril 2023 comme indiqué par M. A______. Sur question du conseil de M. G______, il ignorait si la personne faisant l'objet de l'ATA/1218/2022 du 6 décembre 2022 avait été transférée, comme ordonné par la chambre administrative, si l'accès à Internet n'était pas mis en place. Il pourrait se renseigner. Le problème concernant M. G______ était qu'il était démuni de documents d'identité. Il n'avait pas été reconnu comme ressortissant tchadien suite à l'expertise LINGUA. Il pourrait toutefois s'adresser directement aux autorités tchadiennes afin d'obtenir la délivrance d'un laissez-passer. Ils avaient décidé de représenter M. G______ à une délégation guinéenne car cela arrivait que la personne soit reconnue après une deuxième présentation.

Entendu sur les conditions de sa détention, M. G______ a indiqué faire siennes les explications fournies par M. A______. Ce n'était pas sa détention qui importait mais ce qui était arrivé à son ami. Son décès lui avait cassé la tête. Il était d'accord de retourner en Afrique et participerait à d'autres auditions si besoin. Il avait déjà été entendu à sept reprises. Il n’était pas prêt à entreprendre des démarches en vue d'obtenir la délivrance d'un laissez-passer auprès des autorités tchadiennes. Il avait déjà entrepris oralement de telles démarches. Il s’était même rendu sur place, à l'aéroport, avec l'OCPM, auprès d'une délégation tchadienne. On ne lui avait pas laissé signer la demande de laissez-passer. Cela s'était passé en 2021, lorsqu’il était à Champ-Dollon. S'agissant de démarches proactives, il n’avait plus le temps. On lui avait proposé ce matin de changer de chambre. Il allait y réfléchir. Il n’avait pas fait une telle demande. Il ne souhaitait pas changer d'étage à cause de sa santé car, à son étage, c'était lui qui était en charge de l'entretien du quartier. A Favra, il avait développé plusieurs pathologies. Des examens de sa prostate étaient prévus, sauf erreur, le 26 avril 2023. La moitié des gardiens étaient gentils mais il y en avait un, surnommé "le nazi", qui était extrêmement sadique, ce dont les gardiens étaient conscients. Il y avait actuellement un détenu qui était suicidaire, il était gavé de médicaments, ce qu’a confirmé M. A______. Si on ne faisait rien, il y aurait d'autres morts. Il fallait être fort pour rester à Favra. La détention à Champ-Dollon était préférable car il y avait un accès à l'extérieur. Là, c’étaient des blocs. En dix mois, il avait vu beaucoup de choses.

Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu à la mise en liberté immédiate de MM. A______ et G______ et invité le tribunal à ordonner la fermeture de Favra, vu en particulier les nombreuses et réitérées demandes faites dans ce sens, tous milieux confondus, vu que le principe même de la détention administrative des migrants devait être abandonné, vu que seule une détention de courte durée n'était envisagée dans cet établissement lors de sa réaffectation, vu l'illicéité des conditions de la détention de son client au sein de cet établissement mise en exergue à réitérées reprises et démontrée ce jour, vu la violation de l'art. 3 CEDH que consacrait une telle détention, vu l'atteinte à la santé de son client, vu la sanction prononcée à son encontre, vu les événements du 8 avril 2023, vu l'absence d'accès à Internet au sein de cet établissement qui, selon l'ATA/1218/2022, devait conduire à la libération immédiate des précités.

Le conseil de M. G______, faisant sienne la plaidoirie du conseil de M. A______ a plaidé et conclu à son tour à la libération immédiate de MM. A______ et G______, la détention administrative dans son principe et en particulier concernant les précités, ne respectant pas les règles du Conseil de l'Europe et les recommandations de différentes commissions actives en matière de protection des droits humains et de prévention de la torture. Il a renvoyé pour le surplus aux rapports de la CNPT. Il n'était pas admissible de permettre la détention administrative dans de telles conditions, à des fins politiques, à savoir pour justifier la construction de prisons plus grandes. Il a réfuté que des rafraîchissements auraient été entrepris à Favra. Le PL 1341 de juin 2022 faisait état de dégradations avancées (page 36 sur 167).

Le représentant de l’OCPM a conclu au rejet des demandes de mise en liberté formées par MM. A______ et G______. Si les conditions de la détention devaient en effet être améliorées au sein de Favra, cela ne signifiait pas encore que leur détention était contraire à l'art. 3 CEDH. S'agissant des modalités de celle-ci, il a renvoyé aux explications de Mme I______ et au RFavra. M. A______ aurait pu rapidement mettre fin à sa détention en prenant place à bord du vol réservé pour lui le 2 mai 2023.

Dans la cause A/1264/2023, le représentant de l’OCPM a conclu à la prolongation de la détention administrative de M. G______ pour la durée requise, au vu des démarches encore à effectuer.

Le représentant de M. G______ a plaidé et conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative de son client ainsi qu'à sa libération immédiate, en l'absence de nouvelles démarches concrètes et/ou justifiées de la part des autorités - son client persistant à dire qu'il était ressortissant tchadien - et vu les conditions illicites de sa détention.

EN DROIT

1.            Le tribunal est compétent pour examiner les demandes de levée de détention faites par l'étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. g de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.            Selon l'art. 80 al. 5 LEI, l’étranger en détention peut déposer une demande de levée de détention un mois après que la légalité de cette dernière a été examinée. L’autorité judiciaire se prononce dans un délai de huit jours ouvrables, au terme d’une procédure orale.

Cela étant, l'art. 7 al. 4 let. g LaLEtr prévoit que la personne détenue peut déposer en tout temps une demande de levée de détention.

Sur ce point, il a été jugé que le droit cantonal peut déroger au droit fédéral, dans la mesure où il étend les droits de la personne détenue (DCCR du 27 mars 2008 en la cause MC/023/2008 et du 24 avril 2008 en la cause MC/026/2008).

Le tribunal statue alors dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine sur la demande de levée de détention (art. 9 al. 4 LaLEtr).

3.            En l'espèce, la demande de levée de la détention administrative formée par M. A______ le 11 avril 2023 est recevable et la décision du tribunal intervient dans le respect du délai légal susmentionné.

4.            M. A______ se plaint de ses conditions de détention à Favra relevant que cet établissement était insalubre et qu’il avait entamé une grève de la faim depuis 52 jours sans que personne ne s'en soucie. Le 8 avril 2023, une personne détenue au sein du même établissement avait d’ailleurs mis fin à ses jours en raison de ses conditions de détention et du fait qu'il devait être renvoyé en Autriche. Comme relevé par plusieurs associations, les conditions de détention dans cet établissement étaient indignes et ne répondaient même pas aux standards minimaux applicables à la détention administrative. Dans la mesure où sa santé était clairement en danger et que FAVRA n'était pas à même de le protéger en respectant les standards minimaux en matière de détention, il y avait lieu de constater l'illégalité des conditions de sa détention et de le libérer avec effet immédiat. Lors de l’audience du 18 avril 2023, il a explicité les conditions de sa détention à Favra ainsi que les motifs pour lesquels cette dernière doit être levée.

5.            À titre préalable, M. A______ sollicite un transport du tribunal à Favra ainsi que l’audition de toutes les personnes détenues dans cet établissement.

6.            Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_245/2020 du 12 juin 2020 consid. 3.2.1 ; ATA/631/2020 du 30 juin 2020 consid. 2a).

7.            En l’espèce, le conseil de M. A______ expose, dans sa demande de levée de détention, que différentes organisations qui s’étaient rendues sur place avaient signalé aux autorités que « l'infrastructure n'est pas adaptée à la détention administrative ». De surcroit, il avait été signalé que « l'espace disponible ainsi que l'aménagement et la conception des pièces ne permettent pas d'offrir au détenu un régime qui répondrait aux standards en matière de détention administrative ». Il faisait référence au document « Commission nationale de prévention de la torture, visite de suivi de la CNPT dans l'établissement de détention- administrative de Favra, 8 avril 2020 ». Dans ces circonstances, il serait opportun que le tribunal puisse apprécier lui-même cette réalité, de même que la vétusté, les conditions d'hygiène et la propreté des lieux, tout comme la question de l'accès à internet.

S’agissant des problématiques constatées par les différentes organisations qui se sont rendues sur place et qui ressortent en particulier du document de la CNPT, elles sont connues des juridictions administratives et leur réalité n’est pas contestée. L’on ne voit pas en quoi un transport sur place qui aurait pour objectif de constater ces mêmes éléments, serait utile. En outre, lors de l’audience du 18 avril 2023, tant les contraints que les témoins ont pu longuement s’exprimer sur les conditions et modalités d’exécution de la détention à Favra, en général et actuellement, dans leur cas particulier ainsi que sur les caractéristiques de cet établissement. Il en sera tenu compte ci-après.

Le tribunal estime dès lors disposer des éléments nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause et il ne sera pas donné suite aux actes d’instruction requis.

8.            Selon l'art. 80 al. 4 LEI, l'autorité judiciaire qui examine la décision de détention de maintien ou de levée tient compte de la situation familiale de la personne détenue et des conditions d'exécution de la détention.

9.            A teneur de l’art. 81 al. 2 LEI, la détention a lieu dans un établissement servant à l’exécution de la détention en phase préparatoire, de la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion ou de la détention pour insoumission. Si ce n’est exceptionnellement pas possible, notamment pour des raisons de capacités, les étrangers doivent être détenus séparément des personnes en détention préventive ou purgeant une peine. La forme de la détention doit tenir compte des besoins des personnes à protéger, des mineurs non accompagnés et des familles accompagnées d’enfants (al. 3). En outre, les conditions de détention sont régies : a. pour les cas de renvois à destination d’un pays tiers: par les art. 16, al. 3, et 17 de la directive 2008/115/CE240; b. pour les cas liés à un transfert Dublin: par l’art. 28, al. 4, du règlement (UE) no 604/2013241 ( ) (al. 4).

10.        Si les conditions de détention ne respectent pas les exigences légales, il appartient au juge d'ordonner les mesures qui s'imposent ou – s'il n'est pas possible d'assurer une détention conforme à la loi dans les locaux de l'établissement de détention préventive – de faire transférer à bref délai le recourant dans d'autres locaux. Si la situation légale n'est pas rétablie dans un délai raisonnable, le recourant doit être libéré (ATF 122 II 299 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 5.2).

11.        La rétention et la détention sont exécutées dans un établissement fermé, à l'intérieur duquel la liberté de circulation est garantie dans les limites imposées par la gestion d'une structure communautaire. Les conditions d’exécution de la détention sont régies par le chapitre troisième du concordat sur l’exécution de la détention administrative à l’égard des étrangers du 4 juillet 1996 (CEDA - F 2 12) (art. 12A LaLEtr).

12.        L’art. 13 al. 1 CEDA indique que la détention administrative a lieu dans un établissement fermé.

13.        Le détenu a droit au respect et à la protection de sa dignité, de son intégrité physique et psychique et de ses convictions religieuses (art. 14 al. 1 CEDA) et l’exercice de ses droits ne peut être restreint que dans la mesure requise par la privation de liberté, par les exigences de la vie collective dans l’établissement ou par le fonctionnement normal de l’établissement (al. 2).

14.        Conformément à l’art. 18 CEDA, dès que possible et au plus tard le quatrième jour qui suit son entrée dans l’établissement, le détenu passe une visite médicale (al. 1). L’établissement organise un service médical qui pourvoit aux soins ambulatoires et aux soins d’urgence (al. 2).

15.        Des occupations et activités, promenade, correspondance et visites sont possibles, selon les modalités définies aux art. 19 ss CEDA.

16.        Il peut être procédé à des fouilles et des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées (art. 26 et 27 CEDA).

17.        Selon l’art. 30 CEDA, les cantons concordataires disposent des établissements suivants pour l'exécution de la détention administrative des étrangers : a) le ou les établissements gérés par la fondation concordataire ; b) le ou les établissements gérés par l'un des cantons concordataires, reconnus par la Conférence romande des chefs de département compétents en matière de police des étrangers (ci-après : la Conférence). La reconnaissance (au sens de la let. b ci-dessus) est décidée par la Conférence en considération du respect par l'établissement cantonal des conditions matérielles et des exigences qualitatives applicables à la détention administrative. Elle peut être assortie de conditions ou être limitée dans le temps.

18.        Aux termes de l’art. 35 CEDA, les cantons concordataires s'engagent à placer dans les établissements concordataires les détenus administratifs relevant de leur autorité. L'établissement est tenu de recevoir ces détenus. Le placement ou le transfert d'un détenu dans un établissement non concordataire demeure réservé dans des circonstances particulières, notamment pour des motifs de sécurité ou de santé. Si, en cours de détention, la direction estime qu'un détenu doit être transféré dans un autre établissement, elle adresse une demande à l'autorité d'exécution du canton qui a ordonné la détention.

19.        L'autorité compétente de chaque canton (autorité d'exécution) procède au placement ou au transfert selon sa libre appréciation, notamment en fonction des formalités administratives à accomplir, des modalités prévisibles du refoulement et de considérations de sécurité ou d'ordre dans l'établissement (art. 36 al. 1 CEDA).

20.        Selon l'art. 3 CEDH, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Cette disposition fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d'exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (ACEDH Enoaie c. Roumanie du 4 novembre 2014, req. n° 36513/12, § 46 ; Kuda c. Pologne [GC] du 26 octobre 2000, req. n° 30210/96, rec. 2000-XI, § 94).

Le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d'une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent en principe constituer un traitement contraire à l'art. 3 CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 6B_504/2020 du 17 septembre 2020 consid. 3.1 et les ACEDH cités).

21.        A teneur de l’art. 1 RFavra, l'établissement de détention administrative de Favra (ci-après : l'établissement) est affecté exclusivement à l'exécution de la rétention et de la détention administrative des étrangers, telle que prévue par les articles 73 et 75 à 78 de la LEI (al. 1). L'établissement est reconnu par la Conférence romande des chefs de département compétents en matière de police des étrangers au sens de l'art. 30 al. 1 let. b CEDA (al. 2). Le régime de la détention est réglé aux art. 4 ss RFavra, l’art. 7 reprenant les principes fixés à l’art. 14 CEDA. L’assistance médicale, les activités et la communication au sein de l’établissement sont réglés aux art. 20 ss RFavra. L’accès aux soins y est en particulier garanti par le biais d’une unité médicale mobile (art. 20 al. 3 RFavra) et des transferts dans un établissement hospitalier pour raisons médicales sont possibles en cas de nécessité (al. 9). Des promenades et exercices physiques, visites ainsi qu’une assistance spirituelle et sociale sont notamment possibles (art. 33 ss RFavra). Les art. 44 et suivants RFavra traitent des fouilles, procédures disciplinaires et voie de recours.

22.        Le fait qu’une personne souffre de problèmes de nature psychiatrique n’est pas en soi un empêchement à la mise en détention administrative et une telle mesure ne constitue pas pour elle-même un traitement proscrit par l’art. 3 CEDH. La question doit être examinée en rapport avec l’objectif de pouvoir concrètement et effectivement procéder au renvoi de la personne concernée (ATA/184/2017 du 15 février 2017 consid. 10a ; ATA/228/2016 du 14 mars 2016 ; ATA/714/2015 du 9 juillet 2015 consid. 9). En outre, ni la détermination du recourant de mener une grève de la faim et de la soif, ni un risque suicidaire allégué ne sont de nature par eux-mêmes à rendre la détention administrative litigieuse incompatible avec l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ATA/419/2019 du 11 avril 2019 ; ATA/220/2018 du 8 mars 2018 ; ATA/184/2017 précité consid. 10a ; ATA/228/2016 précité consid. 11c). Ainsi, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'entame d'un jeûne de protestation ne constitue pas un motif susceptible de conduire à la libération de l'intéressé, à condition toutefois que ce jeûne soit encadré médicalement (ATF 124 II 1 consid. 3b ; arrêt 2A.686/2006 du 22 novembre 2006 consid. 2.2 ; cf. aussi ATF 136 IV 97 consid. 5.2.1 et 6 ; 124 II 49 consid. 3b/bb ; ATA/550/2016 du 28 juin 2016 consid. 8 ; ATA/625/2013 du 24 septembre 2013 consid. 8).

23.        L’admission d’un recours en raison de conditions de détention inadmissibles n’entraîne une libération que s’il n’est pas possible d’y remédier à court terme (ATF 122 II 299 consid. 8a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_765/2022 précité consid. 3.3).

24.        La légalité de la détention administrative au sein de Favra, dans son principe, a été régulièrement confirmée par la chambre administrative, la dernière fois le 16 mars 2023 (ATA/2______ concernant précisément M. A______ lequel avait alors déjà entamé sa grève de la faim et indiquait vivre très mal sa détention).

Dans un jugement du 10 août 2022 (JTAPI/808/2022 consid. 17), le tribunal a pour le surplus retenu qu’aucun élément ne permettait de considérer que cet établissement contreviendrait à l'art. 81 LEI ou aux dispositions du CEDA.

Cela étant, sur ordre de la chambre administrative, Favra s’est vu impartir un délai au 16 janvier 2023 pour installer une connexion internet (ATA/1218/2022 du 6 décembre 2022), étant rappelé qu’un tel accès pouvait être limité (ATA/83/2023 du 26 janvier 2023 consid. 9.4). Cet arrêt faisait suite à un arrêt récent du Tribunal fédéral, destiné à publication, dans lequel ce dernier avait analysé les conditions de détention administrative d’une personne étrangère détenue dans l’établissement de Moutier et considéré qu’il était important que les personnes en détention administrative puissent conserver des liens sociaux et des contacts avec leur pays d’origine, et par voie de conséquence qu’elles devraient avoir accès à internet. Un refus généralisé à un accès internet dans le cadre de la détention administrative, contraire aux recommandations internationales, ne se justifiait pas et constituait une restriction de la liberté d’opinion et d’information qui n’était pas imposée par le but de la détention et n’était pas proportionnée. En l’occurrence, l’absence d’accès à internet violait la liberté d’opinion et d’information du recourant et allait au-delà de ce qui paraissait nécessaire pour le but de détention des mesures de contrainte relevant du droit des étrangers. La restriction n’était justifiée ni par les exigences du fonctionnement de l’établissement ni pour des raisons de sécurité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_765/2022 du 13 octobre 2022 consid. 5.2 et 5.4 et les références citées).

Il est à noter que dans son ATA/1218/2022, la chambre administrative retenait qu’à Favra, les détenus pouvait notamment circuler librement, avaient un accès 24h/24h à un appareil téléphonique, pouvaient accéder à une salle de sport, bénéficier d’une promenade extérieure de 7h30 à 19h et recevoir des visites « librement et sans surveillance » à raison de deux heures par semaine, leur permettant une vie sociale beaucoup plus étendue que celle des personnes en détention dans l’établissement de Moutier, qui subissaient un enfermement en cellule dix-huit heures par jour (consid. f).

25.        En l’espèce et comme retenu par la jurisprudence, Favra, qui est un établissement destiné à la détention administrative, satisfait aux exigences légales de l'art. 81 LEI en matière de respect des personnes détenues administrativement. Il bénéficie notamment d'un service médical approprié, pourvoyant aux soins ambulatoires et d'urgence (cf. art. 18 al. 2 CEDA et art. 20 RFavra).

L'objectif de la mise en détention administrative étant, de permettre l'exécution du renvoi ou de l'expulsion, en aucun cas, la décision de placer M. A______ en détention, dans ces conditions, ne contrevient par elle-même au droit à la vie garanti par l’art. 2 § 1 CEDH et à l’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants garantie par l’art. 3 CEDH (cf. ATA/431/2019 du 11 avril 2019 consid. 4c ; ATA/184/2017 du 15 février 2017, consid. 10b).

Pour le surplus, en tant que tels, les problèmes dont se plaint M. A______ ne sauraient a priori conduire à sa mise en liberté. Tout d’abord et à ce stade, la grève de la faim qu’il a entamée vraisemblablement en relation avec l’imminence de son renvoi, ne saurait faire obstacle à son maintien en détention administrative. L’équipe médicale de Favra est informée de la situation et n’a émis aucune réserve à son maintien en détention. S’agissant des critiques liées à l’infrastructure, son manque d’hygiène, son inadéquation et sa vétusté, les carences relevées ne sauraient en soi et individuellement amener le tribunal à considérer que la détention administrative à Favra est incompatible avec la dignité humaine. Leur cumul et l’exacerbation de leur impact du fait de l’écoulement du temps et/ou d’évènements externes, tels ceux du 8 avril 2023, sont en revanche problématiques. Eu égard à ces derniers, qu’on ne peut que déplorer, si rien n’indique qu’ils seraient liés aux conditions de détention au sein de cet établissement et s’il est vrai qu’un soutien psychologique a été proposé à M. A______, leur impact sur des personnes en détention et vivant en vase-clos ne doit pas être sous-estimé. Or, actuellement, force est de retenir que les conditions et modalités d’exécution de la détention de M. A______ à Favra posent problème et, en particulier, l’exposent à des conditions dangereuses pour sa santé. Dans ce contexte, l’on ne peut que s’étonner qu’en réponse à son désarroi, à la suite des évènements tragiques du 8 avril 2023, l’intéressé ait été placé deux jours en isolement et ce alors même qu’il est attesté par le médecin de l’unité mobile qu’il est affaibli sur le plan somatique et mental en raison de sa grève de la faim. A cela s’ajoute l’absence d’accès à Internet, puisque Favra n’a pas donné suite à l’injonction de la chambre administrative dans ce sens, qui viole sa liberté d’opinion et d’information et implique qu’il soit transféré dans un lieu qui satisfait à l’exigence précitée. A toutes fins utiles, le tribunal relèvera que l’installation de l’application Skype sur un ordinateur, dans les conditions telles que décrites lors de l’audience, si tant est qu’elle permette effectivement aux détenus de conserver des liens sociaux et des contacts avec leur pays d’origine, ne saurait en aucun cas garantir leur droit à la liberté d’opinion et d’information, tel que voulu par le Tribunal fédéral.

Dans ces conditions, il sera retenu que les conditions et modalités d’exécution de la détention administrative de M. A______ à Favra ne sont aujourd’hui plus conformes à l'art. 81 LEI, au CEDA et à l’art. 3 CEDH et qu’elles imposent le transfert de ce dernier dans un autre établissement de détention administrative, celui de Frambois devant être privilégié.

Conscient des difficultés logistiques d’un tel transfert, au vu du nombre restreint de places de détention attribuées au canton de Genève, le tribunal fixera le délai pour ce faire au mardi 25 avril 2023 14h. À défaut d’un tel transfert, l’intéressé devra être libéré au plus tard à cette date.

26.        Au vu de ce qui précède, la demande de mise en liberté sera admise dans le sens des considérants.

27.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande de mise en liberté formée le 11 avril 2023 par Monsieur A______ ;

2.             l’admet dans le sens des considérants ;

3.             confirme l’ordre de mise en détention jusqu'au 2 juillet 2023 inclus, à condition que les conditions de détention de Monsieur A______ soient adaptées conformément aux considérants et ce, au plus tard le mardi 25 avril 2023 à 14h ;

4.             dit que si cette condition n’est pas respectée, Monsieur A______ doit être libéré au plus tard à cette date et heure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocate, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le 20 avril 2023

 

La greffière