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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/636/2022

JTAPI/303/2023 du 16.03.2023 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;INTERDICTION DE CIRCULER;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE;PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ
Normes : LCI.3.al7.letc; LCI.7.al8; LCI.3.al3; LCI.14.al1; cst
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/636/2022 LCI

JTAPI/303/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 mars 2023

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Romain JORDAN, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DES CONSTRUCTIONS ET DE LA MOBILITÉ

 


EN FAIT

1.             Le 7 février 2020, le département des infrastructures (ci-après : DI) a rendu un arrêté, publié le jour même dans la feuille d'avis officielle (FAO), réglementant, à l’essai pour une durée d’un an, le trafic dans les rues B______, C______, D______, E______, F______, G______ et à la place H______.

2.             Le 7 juin 2021, le DI a rendu un arrêté, publié le jour même dans la FAO, réglementant, à l’essai pour une durée d’un an, le trafic dans les rues B______, C______, D______, E______, F______, de G______, de I______, de J______, K______, L______ et la place H______.

Cet arrêté est entré en force à l’échéance du délai de recours.

3.             Le 22 septembre 2021, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a sollicité une autorisation de construire en procédure accélérée portant sur l’installation d’une barrière au niveau du parking situé au 3, place H______, sur les parcelles nos 1______ et 2______ de la commune de M______, dont elle était propriétaire.

Cette installation était en lien avec l’arrêté du 7 juin 2021 introduisant une restriction de circulation dans le quartier de N______. Afin de garantir le respect de cette interdiction de circulation, il était prévu d’accompagner la mesure par une barrière physique sur l’espace public ne permettant l’accès qu’aux ayants droit. Il s’agissait d’une installation provisoire liée à l’arrêté à l’essai, étant précisé qu’une demande définitive serait déposée en 2022 afin de pérenniser ces mesures de circulation et tous les aménagements liés.

4.             Dans le cadre de l'instruction de cette requête, les autorités suivantes ont été consultées s'agissant du projet de construction dans ses versions des 22 septembre 2021 et 24 janvier 2022 :

-          La direction de l’information du territoire et l’office de l’urbanisme ont émis un préavis favorable, respectivement les 28 septembre et 13 octobre 2021 ;

-          L’office cantonal de l’agriculture et de la nature et l’office cantonale des transports (ci-après. OCT) ont émis un préavis favorable, sous conditions, respectivement, les 28 septembre et 12 octobre 2021 ;

-          Le 11 novembre 2021, après avoir sollicité des pièces complémentaires, la direction des autorisations de construire a émis un préavis favorable ;

-          Le 11 janvier 2022, après avoir émis un préavis défavorable le 29 septembre 2021, puis sollicité des pièces complémentaires le 17 novembre 2021, la police du feu a émis un préavis positif, sous conditions.

5.             Par décision APA/3______ du 24 janvier 2022 (ci-après : l’APA), publiée le même jour dans la FAO, le département du territoire (ci-après : DT ou le département), a délivré l’autorisation requise pour une durée provisoire d’un an, sa validité étant de deux ans à dater de la publication, sous réserve de l’art. 4 al. 5 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

6.             Par acte du 21 février 2022, A______ SA (ci-après : la recourante), O______ SA, P______ et Q______ SA ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), se plaignant du fait que le projet ne tenait pas compte des besoins des commerces s’agissant de la livraison de leurs marchandises, dont le volume pouvait atteindre six palettes. Les livraisons avaient lieu jusqu’à cinq fois par jour, tous les jours de la semaine, y compris entre 02h00 et 04h00. En leur qualité d’ayant droit, ils souhaitaient conserver l’accès à la rue et à la place H______. Dans le cas contraire, ils s’opposeraient au projet. Concernant la restriction de la circulation dans la rue De-Grenus, ils s’interrogeaient sur la possibilité de prévoir un accès « public » au parking de R______ (ci-après : le centre commercial).

Ce recours a été enregistré sous le numéro de cause A/3______/2022.

7.             Par décision RTAPI/4______/2022 du 14 mars 2022, le tribunal a pris acte du retrait du recours de Q______ SA.

8.             Par décision DITAI/5______/2022 du 21 mars 2022, le tribunal a disjoint la procédure A/3______/2022 sous les numéros de cause A/3______/2022 et A/6______/2022, l’instruction du recours formé par la recourante étant traitée sous le numéro de cause A/3______/2022.

9.             Par jugement JTAPI/7______/2022, le tribunal a déclaré irrecevable le recours A/851/2022 interjeté le 21 février 2022 par O______ SA et P_____ qui n’avaient pas produit, dans le délai imparti du 15 mars 2022, un exemplaire de leur recours muni d’une signature reconnue selon le registre du commerce.

10.         Par courrier du 12 avril 2022, la ville a fait savoir au tribunal que les parties avaient entamé des discussions afin de tenter de trouver une solution à l’amiable, de sorte qu’elle sollicitait une prolongation de délai à fin mai 2022 pour présenter ses observations.

11.         Le 14 avril 2022, le département des infrastructures (ci-après : DI) a rendu un nouvel arrêté, publié dans la FAO du 20 avril 2022, lequel reprenait sur le fond l’arrêté du 7 juin 2021, et prévoyait une réglementation temporaire du trafic du 18 juillet 2022 au 31 décembre 2023.

Selon le chiffre 23 de cet arrêté, sur la place H______, au niveau de l'entrée du parking de R______, les véhicules ont l'interdiction de s'engager sur la place H______, en direction de la rue E______, excepté pour le parking R______, les taxis, le transport des personnes à mobilité réduite et les ayants droit (let. a). Une signalisation interdisant la circulation aux voitures automobiles et aux motocycles, munie d'une plaque complémentaire « Parking R______, taxis, transports handicapés et ayants droit exceptés », indique cette prescription (let. b). Les ayants droit sont : les services communaux et la logistique S______ (let. c).

12.         Non contesté, cet arrêté est entré en force.

13.         Dans un courrier du 26 avril 2022 adressé à la ville, dont copie a été transmise au tribunal, la recourante a notamment récapitulé les propositions faites par la ville, précisant qu’elles ne répondaient que partiellement à ses expectatives. La recourante peinait également à comprendre quel intérêt public la mesure envisagée protégeait. S’il ne s’agissait que de préserver la quiétude du voisinage, tel que cela avait été évoqué, la mesure violait clairement le principe de la proportionnalité au vu des nuisances dont elle avait déjà fait état.

14.         Par courrier reçu le 24 mai 2022 par le tribunal, la ville a sollicité une prolongation de délai d’un mois pour présenter ses observations, précisant que les discussions avec la recourante n’avaient pas abouties.

15.         Dans ses observations du 30 juin 2022, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, sous suite de frais.

Elle avait décidé de limiter et de réguler le trafic de transit excessif dans le quartier de N______ et plus particulièrement à la place H______, afin notamment d'améliorer la sécurité et la qualité de vie des habitants et des usagers. Deux arrêtés de circulation avaient été pris par le DI les 7 février 2020 et 7 juin 2021 qui visaient à réduire le trafic de transit entre la rue K______ et la rue J_____. Malgré la présence d’agents de sécurité, cette interdiction de circulation n’était pas respectée, raison pour laquelle la ville avait sollicité l’APA litigieuse. Il apparaissait en effet indispensable d'accompagner la mesure de circulation par une barrière physique sur l'espace public, ne permettant l'accès au secteur concerné qu'aux ayants droit. Le 12 octobre 2021, l’OCT avait rendu un préavis favorable, sous conditions, à teneur duquel l’ouverture de la barrière devait être possible en tout temps pour les usagers figurant dans l’arrêté, soit les transports professionnels de personnes, les services publics, la logistique S______ et les livraisons du centre commercial.

Les discussions avec la recourante n’avaient pas abouties, étant précisé que les propositions de la ville avaient été faites à bien plaire et qu’elles avaient pour but de trouver une issue transactionnelle au recours interjeté, sans toutefois reconnaître son bien-fondé. Ces propositions ne portaient évidemment pas sur la suppression de la barrière litigieuse, mais sur des mesures d'accompagnement complémentaires, en particulier sur l'augmentation des possibilités de stationnement pour les livraisons dans le secteur concerné.

En tout état, au vu des conclusions prises par la recourante qui souhaitait conserver l’accès à la place H______, force était de constater qu’elle contestait en réalité les arrêtés de circulation des 7 juin 2021 et 14 avril 2022 (ci-après : les arrêtés), qui étaient entrés en force. Or, ces derniers interdisaient d’ores et déjà de transiter par la place H______ et l’APA ne se limitait qu’à matérialiser cette interdiction. Dans cette mesure, le recours était irrecevable.

Si par impossible le tribunal déclarait le recours recevable, il devrait alors le rejeter. En effet, sous réserve des ayants droit et de l’accès au parking du centre commercial, l’interdiction d’accéder à la place H______ figurait dans un arrêté entré en force et le fait de contester la mesure matérielle visant à faire respecter cette réglementation n'aurait en tout cas pas pour conséquence d’autoriser l’accès à la place H______ pour les livraisons. Au demeurant, ces dernières pouvaient se faire par la rue D______ où des places de livraisons étaient disponibles, à moins de 50 mètres du commerce de la recourante.

Au surplus, cette interdiction de circulation avait fait l’objet d’une analyse par les services compétents, tant cantonales que communales, et c’était précisément l’intérêt public de cette mesure qui avait amené le DI à prendre les arrêtés.

16.         Dans ses observations du 30 juin 2022, le DT a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, sous suite de dépens.

Après avoir rappelé l’historique du dossier, il a conclu à l’irrecevabilité du recours, au motif que les griefs soulevés par la recourante visaient en réalité l’arrêté de réglementation du trafic en vigueur et non pas l’APA qui se bornait à concrétiser, par des éléments physiques, les arrêtés successifs.

Si par impossible le tribunal entrait en matière sur le recours, il convenait alors de relever que dans la mesure où les véhicules des SIS parvenaient à circuler, malgré la mise en place de la barrière et des aménagements projetés, les véhicules de livraison pourraient en faire de même, à condition de disposer de la qualité d’ayants droit au sens de l'arrêté.

S'agissant de la question des places de livraison, elle dépassait l'objet du litige qui ne portait que sur la limitation du trafic aux ayants droit concernés. Il en allait de même des questions liées au parking du centre commercial.

17.         Le 29 août 2022, la recourante a répliqué, sous la plume de son conseil.

Elle ne contestait pas l'interdiction de circulation sur la place H______ imposée par les arrêtés, mais leur concrétisation matérielle et leurs modalités prévues par l’APA, à savoir, l'installation d'une barrière et la mise en place d'aménagements routiers pour une durée d'un an. Ces aménagements routiers, soit notamment l'indication des ayants droit pour lesquels le passage serait accordé, ne ressortaient pas uniquement des arrêtés précités, mais également de l’APA. Son recours était dirigé à juste titre contre cette autorisation et devait être déclaré recevable.

L’APA, qui avait pour but de mettre en œuvre les modalités des arrêtés de circulation, ne tenait pas compte des besoins en approvisionnement des commerces avoisinants. Si l’intérêt public à la préservation de la quiétude du voisinage et au maintien de la sécurité routière était certes justifié, il n’en demeurait pas moins que l’APA était excessivement contraignante. Il était en effet difficile de saisir en quoi le fait d’autoriser des fournisseurs à approvisionner ponctuellement la recourante, cas échéant sur présentation d'un laissez-passer, porterait une quelconque atteinte à l'intérêt public visé. Au contraire, compte tenu de la haute fréquentation des seules places de parc du quartier situées dans la rue Rousseau, un tel blocage provoquerait des difficultés logistiques insurmontables pour les riverains et les commerces avoisinants. L’APA n’était ainsi pas proportionnée au but visé et violait la liberté économique de la recourante garantie par l’art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), de même que celle d’autres commerces dans la même situation.

De plus, l’OCT n’avait pas consulté la recourante au sujet de la liste des ayants droit qui figurait dans son préavis, ce qui était d’autant plus choquant qu’elle faisait partie des premiers commerces établis à la place H______. Il convenait également de relever que la ville avait accordé un passe-droit à un commerçant de la rue des E______ et qu’elle avait rendu l’accès possible aux livraisons destinées à la rue T______ qui débouchait sur la rue D______, de même qu’à la U______.

Par ailleurs, en sus des difficultés organisationnelles et logistiques liées à l'interdiction imposée aux fournisseurs de livrer directement la recourante, les obligeant à se déplacer sur plus de 50 mètres avec des palettes, elle risquait de ne plus être approvisionnée, dans l'hypothèse plus que vraisemblable où toutes les places de parc seraient occupées. En outre, les mesures d'essai prises par la ville afin de limiter la circulation dans cette zone, en postant notamment des agents ou en installant des poteaux ou des barrières, avaient été la source de tensions et d'incivilités relatées à plusieurs reprises dans la presse. Compte tenu des inconvénients graves engendrés, l’APA violait l’art. 14 al. 1 let. a, c et e de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Concernant les observations de la ville et du DT, ces derniers admettaient implicitement que l’APA ne portait pas uniquement sur la construction d'une barrière, mais également sur la « mise en place d'aménagements routiers ».

L’autorité intimée avait également fait preuve de mauvaise foi en affirmant que les livraisons demeuraient possibles par la rue D______ où des places de livraison étaient marquées. Or, elle ne se prononçait ni sur la question de la fréquentation de ces places de parc - qui étaient les seules à disposition des fournisseurs - ni sur la problématique des livraisons nocturnes, étant précisé que certaines places étaient inaccessibles dès 20h00.

Enfin, l'autorité intimée avait retenu à tort que la recourante souhaitait uniquement conserver l'accès à la place H______, dès lors que d'autres solutions avaient été discutées. La ville n’y avait toutefois jamais donné suite.

18.         La ville a dupliqué le 22 septembre 2022.

La question des livraisons des commerces concernés avait été examinée non seulement dans le cadre de l’APA mais également des arrêtés. Or, il était apparu que les livraisons demeuraient aisément possibles, notamment par la rue D______. La recourante n'indiquait d'ailleurs pas ce qui les empêcherait.

En outre, dans un communiqué de presse du 1er septembre 2022, le canton avait annoncé sa volonté de renforcer les mesures de contrôle du stationnement sur les places de livraison. Constatant que l'utilisation abusive des cases de stationnement réservées aux livraisons péjorait l'activité des professionnels, le Dl avait mené une action de sensibilisation dès le début du mois de décembre, par le biais du service du stationnement de la Fondation des Parkings, mesure qui serait suivie d'une intensification des contrôles.

Dès lors que les livraisons demeuraient possibles sans difficultés particulières, la recourante alléguait à tort que l’APA limitait sa liberté économique. Il convenait de relever que l'ensemble des mesures prises, à savoir l’APA et les arrêtés de circulation en force, visaient à réguler le trafic de transit excessif dans le secteur concerné. C'était au regard de cet intérêt public et après analyse par les services concernés que le DI avait pris les arrêtés. Le Conseil municipal de la ville s’était d'ailleurs inquiété de la dangerosité du trafic dans le quartier et avait déposé une question écrite le 9 mars 2022, intitulée « Dangerosité pour les piétons et les habitants à N______ : Pourquoi la Ville n'applique-t-elle pas son propre plan d'apaisement du trafic ? ». Elle y exposait les mesures de circulation prises suite à une forte mobilisation des habitants du quartier, constatait que les mesures non contraignantes prévues dans l'arrêté du 7 juin 2021 étaient très largement ignorées par les véhicules motorisés et demandait à ce que la barrière, objet de l'APA, soit installée.

Ainsi, même à admettre que l’APA portait atteinte à la liberté économique de la recourante, ce qui était contesté, cette atteinte serait justifiée par un intérêt public prépondérant, soit l'amélioration de la qualité de vie et de la sécurité des habitants du quartier. De plus, l’APA respectait le principe de la proportionnalité, dans la mesure où elle était dans un rapport raisonnable avec l'atteinte alléguée.

Dans ces circonstances la ville n’avait violé ni l’art. 27 Cst ni l’art. 14 LCI.

Quant aux autres solutions évoquées par la recourante, la ville n’était pas entrée en matière lors des discussions qui avaient été menées.

Enfin, les ayants droit autorisés étaient expressément énumérés dans l’arrêté du 14 avril 2022 et la ville n’avait accordé aucun passe-droit à un quelconque commerçant.

19.         Le DT a également dupliqué le 22 septembre 2022.

La recourante reconnaissait que l’APA ne faisait que concrétiser physiquement l'interdiction de circuler. L’installation d’une barrière se limitait à empêcher que l'arrêt de circulation ne soit violé.

Par ailleurs, la recourante admettait que plusieurs intérêts publics, soit notamment la préservation de la quiétude du voisinage et le maintien de la sécurité routière, justifiaient les mesures projetées, mais elle considérait qu'elles étaient excessivement contraignantes. Or, ce grief concernait non pas l’APA mais l'arrêté de circulation, qui déterminait la liste les ayants droits.

Comme elle l’admettait implicitement, dans la mesure où les travaux projetés étaient nécessaires pour garantir le respect de l'arrêt de circulation, ils s'avéraient parfaitement proportionnés à la décision en force qu'ils visaient à faire respecter. La recourante ne proposait d'ailleurs aucune mesure moins contraignante permettant de garantir le respect de la mesure.

Pour le surplus, la problématique liée aux incivilités et futures violations de l'arrêt de circulation ne découlaient pas de l’APA. Cette question qui relevait d'un problème comportemental et non de la police des constructions dépassait d’ailleurs l'objet du litige.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Il convient de rappeler à titre liminaire que le DI a pris trois arrêtés successifs, entrés en force, réglementant temporairement le trafic, notamment à la rue B______ et à la place H______. Les deux premiers, rendus respectivement les 7 février 2020 et 7 juin 2021, étaient valables une année. Le troisième, qui a été rendu le 14 avril 2022, pour la période du 18 juillet 2022 au 31 décembre 2023, reprend, sur le fond, l’arrêté du 7 juin 2021.

Selon le chiffre 23 de l’arrêté du 14 avril 2022, sur la place De-Grenus, au niveau de l'entrée du parking de R______, les véhicules ont l'interdiction de s'engager sur la place H______, en direction de la rue des E______, excepté pour le parking R______, les taxis, le transport des personnes à mobilité réduite et les ayants droit (let. a). Une signalisation interdisant la circulation aux voitures automobiles et aux motocycles, munie d'une plaque complémentaire « Parking R______, taxis, transports handicapés et ayants droit exceptés », indique cette prescription (let. b). Les ayants droit sont : les services communaux et la logistique S______ (let. c).

Cet arrêté, à l’instar des deux précédents, est entré en force, si bien que l’interdiction de circuler dans la zone précitée et la liste des ayants droit ont acquis la force de la chose décidée et ne peuvent être remises en cause dans le cadre du présent recours. Dans cette mesure, seule la question de la conformité de la barrière au droit des constructions sera examinée.

4.             La recourante soutient que l’installation de la barrière litigieuse serait source d’inconvénients majeurs.

5.             Selon l'art. 1 al. 1 let. a LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail.

Dès que les conditions légales sont réunies, le département est tenu de délivrer l'autorisation de construire (art. 1 al. 6 LCI).

6.             À teneur de l'art. 3 al. 7 let. c LCI, le département peut traiter par une procédure accélérée les demandes d'autorisation relatives à des travaux soumis à l'art. 1 pour des constructions nouvelles de peu d'importance ou provisoires.

7.             En matière de procédure accélérée, sauf exception, les préavis des commissions officielles sont exprimés, sur délégation, par les services spécialisés concernés. Si nécessaire, les exceptions sont définies par lesdites commissions (art. 7 al. 8 LCI).

8.             Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). La délivrance des autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du DT, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence. Les préavis n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; le DT reste ainsi libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (cf. not. ATA/155/2021 du 9 février 2021 consid. 10e ; ATA/1311/2020 du 15 décembre 2020 consid. 7b ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4b ; ATA/259/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b). Il lui appartient d'apprécier globalement les motifs des préavis rendus avant de rendre sa décision (cf. not. ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3b et 3f ; ATA/498/2020 du 19 mai 2020 consid. 4b).

9.             Selon une jurisprudence bien établie, la juridiction de recours observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Elles se limite à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/278/2022 du 15 mars 2022 consid. 2d ; ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4d ; ATA/155/2021 du 9 février 2021 consid. 7c et 10e).

10.         L’art. 14 al. 1 LCI prévoit que le département peut refuser les autorisations prévues à l’art. 1 lorsqu’une construction ou installation peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public (let. a) ; ne remplit pas les conditions de sécurité et de salubrité qu’exige son exploitation ou son utilisation (let. b) ; ne remplit pas des conditions de sécurité et de salubrité suffisantes à l’égard des voisins ou du public (let. c) ; offre des dangers particuliers (notamment incendie, émanations nocives ou explosions), si la surface de la parcelle sur laquelle elle est établie est insuffisante pour constituer une zone de protection (let. d) ; peut créer, par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne durable pour la circulation (let. e).

11.         Cette disposition appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d'une zone déterminée (ATA/1529/2019 du 15 octobre 2019 consid. 8 et les références citées). Elle n'a toutefois pas pour but d'empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins (arrêt du Tribunal fédéral 1C_55/2016 du 3 mars 2016 consid. 3.5).

12.         La notion d'inconvénients graves est une notion juridique indéterminée qui laisse à l'autorité une liberté d'appréciation et n'est limitée que par l'excès ou l'abus de pouvoir. La chambre de céans peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle des limites précitées, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable, et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi d'une autorisation. Les autorités de recours se limitent ainsi à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/874/2018 du 28 août 2018 consid. 7a ; ATA/165/2018 du 20 février 2018 consid. 4b).

13.         En l’espèce, avant de délivrer l’APA, le département a consulté plusieurs services spécialisés, dont l’office de l’urbanisme, l’OCT et la police du feu, qui ont tous préavisé favorablement le projet, parfois sous conditions.

Il convient également de rappeler que, compte tenu de l’interdiction de circuler en force et qui déploie donc déjà ses effets, seuls les ayants droit stipulés dans l’arrêté du 14 avril 2022 sont autorisés à circuler à la rue B______ et place H______. Les livreurs qui approvisionnent la recourante n’ont pas cette qualité, de sorte qu’ils ont d’ores et déjà l’interdiction d’effectuer leurs livraisons en stationnant devant son commerce. L’installation de la barrière litigieuse n’aura ainsi pour fonction que de matérialiser une interdiction de circuler qui est déjà en vigueur (mais qui - en l’état - n’est aucunement respectée par les usagers motorisés) et qui s'adresse notamment aux personnes que la recourante, hors de propos dans la présente procédure, souhaiterait soustraire à cette interdiction.

Dans cette mesure, les inconvénients graves dont se plaint la recourante ne peuvent être considérés comme tels, puisqu'ils représentent au contraire le moyen de faire respecter le droit en vigueur (c'est-à-dire l'arrêté de circulation du 14 avril 2022). Lesdits inconvénients (ou du moins considérés comme tels par la recourante) relèvent en réalité de cet arrêté, et non pas des moyens matériels déployés par l'autorité afin de faire respecter ce dernier. Le tribunal relèvera à toutes fins utiles que le département a suivi les avis des autorités consultés pour rendre l’APA litigieuse (notamment le préavis de l'OCT et qu'il n'existe pas d'éléments permettant de les mettre en cause.

Il apparaît ainsi qu’aucun élément ne permet de retenir que le projet serait source d'inconvénients graves au sens de l'art. 14 LCI.

Ce grief sera dès lors rejeté.

Au surplus, la question des tensions et des incivilités engendrées par l’interdiction de circuler déjà en vigueur est sans lien avec l’APA litigieuse. Il en va de même des éventuels abus sur les places de livraisons qui relèvent des règles applicables en matière de stationnement.

14.         La recourante se plaint également d’une atteinte à sa liberté économique.

15.         Telle qu'elle est garantie par l'art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 128 I 19 consid. 4c.aa ; Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, in FF 1997 I 1 ss, p. 176). Le libre exercice d'une profession implique de pouvoir choisir le moment, le lieu, les moyens de production, la forme juridique, les partenaires, les clients, les conditions de travail, les prix, les coûts, soit tous les éléments qui organisent et structurent le processus social conduisant à la production d'un gain (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3ème éd., 2013, n. 952). Tant les personnes physiques que les personnes morales sont titulaires de la liberté économique ainsi définie (ATF 131 I 223 consid. 4.1 ; Message précité, FF 1997 I 1 ss, p. 179).

16.         Comme tout droit fondamental, la liberté économique peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. (ATF 131 I 223 consid. 4.1 et 4.3 ; ATA/1338/2021 du 7 décembre 2021 consid. 5a).

Selon cette disposition, toute restriction d'un droit fondamental doit reposer sur une base légale qui doit être de rang législatif en cas de restriction grave (al. 1); elle doit en outre être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3), sans violer l'essence du droit en question (al. 4). Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), la restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé (règle de l'aptitude), lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; cf. ATF 146 I 157 consid. 5.4; 146 I 70 consid. 6.4; 143 I 403 consid. 5.6.3) (arrêt du Tribunal fédéral 1C_474/2018 du 11 mai 2021 consid. 7.1.2).

17.         Dans un arrêt du 11 mai 2021 (1C_474/2018), le Tribunal fédéral a examiné le recours déposé par le propriétaire de deux parcelles sises au débouché d’une rue menant sur une place centrale. Sur l’une des parcelles se trouvait un immeuble dans lequel le recourant exploitait une pharmacie. Invoquant notamment les art. 26 et 27 Cst., ce dernier s’opposait à la création d'une zone piétonne notamment dans la rue concernée. Considérant les circonstances du cas d'espèce - notamment le fait que la rue en question n'offrait aucune possibilité de se parquer, que diverses places de stationnement se trouvaient à proximité immédiate et que les livraisons à la pharmacie pouvaient très bien s'opérer depuis d'autres accès (distante d'environ 15 mètres) - le Tribunal fédéral a retenu que l’accès par la rue en question n’apparaissait pas indispensable. À cela s’ajoutait que la mesure reposait sur divers intérêts publics (notamment permettre à des rez-de-chaussée de se développer (échoppes, cafés, etc.), de valoriser le milieu bâti au centre-ville, d'augmenter l'attractivité du logement dans ce lieu et à proximité des transports, de préserver les riverains et limiter les nuisances dues à la circulation) qui devaient prévaloir sur les intérêts privés allégués par le recourant.

18.         En l’espèce, dans la mesure où il conviendrait de rapprocher la présente espèce de l'arrêt susmentionné du Tribunal fédéral, il s'agirait en tous les cas de garder à l'esprit, comme déjà dit, que la question de la restriction à la liberté économique découle ici de l'arrêté de circulation du 14 avril 2022, puisque c'est cet acte qui interdit originellement aux véhicules de livraison d'accéder à la place H______, tandis que la barrière litigieuse et autres aménagements routiers prévus par l'autorisation querellée ne font qu'empêcher matériellement la possibilité d'enfreindre ledite arrêté. Il faut donc bien admettre, sauf à soutenir l'hypothèse selon laquelle la recourante serait au-dessus de la loi, que la restriction dont elle se plaint existe indépendamment de l'autorisation de construire litigieuse. Il convient également de relever que l’installation de la barrière litigieuse apparaît comme une ultima ratio, les mesures prises précédemment pour faire respecter l’interdiction de circuler, comme la présence d’agents régulant le trafic, n’ayant pas permis d’atteindre le but visé.

Le grief de violation de l'art. 27 Cst. sera également rejeté.

19.         Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision contestée sera confirmée.

20.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 février 2022 par A______ SA contre la décision du département du territoire du 24 janvier 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Patrick BLASER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière