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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/546/2022

JTAPI/434/2022 du 28.04.2022 ( OCPM ) , REJETE

REJETE par ATA/876/2022

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;CAS DE RIGUEUR;USAGE DE FAUX(DROIT PÉNAL)
Normes : LEI.30.al1.letb; OASA.31
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/546/2022

JTAPI/434/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 avril 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Ressortissant kosovar né le ______ 1971, Monsieur A______ est arrivé en Suisse, selon ses propres déclarations, dans le courant de l’année 2006.

Il est marié et père de trois enfants, nés respectivement en 2001, 2003 et 2005.

2.             Le 10 novembre 2017, B______ a déposé en faveur de M. A______ une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), souhaitant l’embaucher en tant que manœuvre.

3.             Par décision du 21 décembre 2017, en force, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT), à qui le dossier avait été transmis pour raison de compétence, a rejeté cette requête, pour le motif que l’admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative ne servait pas les intérêts économiques suisses et que l’ordre de priorité n’avait pas été respecté.

4.             Le 8 mars 2018, M. A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative dans le cadre de l’opération « Papyrus ». 

Depuis 2006, il travaillait à Genève dans le domaine du bâtiment. Il disposait d’une très longue expérience dans le domaine de la construction, secteur qui connaissait une pénurie de main-d’œuvre suisse et européenne. Il se trouvait dans une situation d’extrême gravité. En effet, il vivait en Suisse depuis douze ans, était indépendant financièrement et prenait part à la vie économique. Par ailleurs, il avait construit toute sa vie à Genève, où il avait transféré le centre de ses intérêts. Rien, ni personne ne le retenait dans son pays d’origine. Il n’avait jamais été condamné pénalement, avait toujours respecté les valeurs fondamentales de la Suisse, s’exprimait parfaitement en français et n’avait jamais bénéficié de l’aide sociale.

Sa situation personnelle primait l’intérêt public à une application restrictive de la politique migratoire. Un retour au Kosovo l’exposerait à une grande détresse sur les plans personnel et professionnel, car il n’avait conservé aucun lien avec son pays d’origine.

À l’appui de sa demande, il a produit un chargé de pièces, dont des fiches de salaire pour les mois de septembre 2007 et décembre 2008 (G______), juin 2009 (E______), mai 2012 et octobre 2013 (H______), avril 2015 (C______), ainsi que septembre 2017 (B______).

5.             Par ordonnance pénale du 18 juin 2018, en force, M. A______ a été condamné par le Ministère public de l’arrondissement de Lausanne à une peine pécuniaire de cent quatre-vingts jours-amende avec sursis pour séjour illégal et activité lucrative sans autorisation.

6.             Le 1er janvier 2019, l’OCPM a adressé une demande de renseignements à M. A______, lui demandant de remplir la formule relative à l’opération « Papyrus » et de transmettre divers documents dont des attestations de non-poursuites et de non-assistance par l’Hospice général, ainsi qu’un certificat de connaissances de la langue française de niveau A2.

7.             Le 13 février 2019, M. A______ a informé l’OCPM de son changement d’adresse. Il résidait désormais à l’avenue du I______ n° 1______, à J______.

8.             L’intéressé a répondu à l’OCPM le 12 juin 2019. Dans la formule de demande d’autorisation de séjour en lien avec l’opération « Papyrus », il a indiqué qu’il avait immigré en 2006. Il a par ailleurs produit une attestation de connaissances de la langue française, niveau A2.  

9.             Le 9 juillet 2019, l’OCPM a invité M. A______ à lui faire parvenir des justificatifs de sa présence en Suisse durant les années 2009 à 2016.

10.         Le 26 juillet 2019, le précité a remis à l’OCPM des fiches de salaire pour les mois d’août 2010 et d’août 2011 établies par D______ et l’une émise par E______ pour le mois de juillet 2014.

11.         Par pli du 13 novembre 2019 adressé au Ministère public, l’OCPM a fait part de ses doutes quant à l’authenticité des fiches de salaire que lui avait remises le précité. Les adresses et numéros AVS semblaient avoir été falsifiés. En outre, l’une d’elle avait été établie par une société dissoute.

12.         Prévenu notamment de séjour illégal, d’activité lucrative sans autorisation, de comportement frauduleux envers les autorités et de faux dans les titres, M. A______ a été entendu par la police le 10 février 2021.

Il a déclaré que trois de ses sœurs vivaient au Kosovo et l’une en Suisse. Deux de ses frères résidaient en Suisse et l’un en Allemagne. Ses parents, sa femme et deux de ses enfants résidaient au Kosovo. L’aîné séjournait illégalement en Suisse.

Il avait essayé de remplir seul le formulaire à destination de l’OCPM, mais ce document lui avait été retourné, car des documents manquaient. En échange d’un versement de CHF 300.-, Monsieur F______ avait rédigé une lettre à l’attention de l’OCPM, qu’il n’avait pas vue. Ayant échoué au test de langue française, il avait payé un compatriote qui lui avait promis de passer l’examen à sa place. L’attestation de connaissances remise à l’OCPM était donc un faux.

Il a admis que les fiches de salaire relatives aux années antérieures à 2015 étaient fausses. Il en allait ainsi de celles émises par G______ en 2007 et 2008 (il n’avait jamais travaillé à cette époque pour cette société), de celles des mois de juin 2009 et de juillet 2014 au nom d’E______, ainsi que de celles établies par D______, H______ et B______. Ces documents avaient sans doute été confectionnés par M. F______.

13.         Le 21 septembre 2021, l’OCPM a fait part à M. A______ de son intention de rejeter sa demande et lui a accordé un délai pour faire valoir son droit d’être entendu.

14.         Par courriel du 23 novembre 2021, M. A______ a persisté dans sa demande d’autorisation de séjour. L’OCPM ne pouvait, sauf à violer le principe de la présomption d’innocence, se fonder sur la procédure pénale pour retenir qu’il contrevenait à l’ordre public suisse, étant donné que ledit prononcé n’était pas encore entré en force. Il convenait dès lors de suspendre la procédure administrative jusqu’à droit jugé au pénal.

15.         Par décision du 12 janvier 2022, l’OCPM a refusé de transmettre le dossier de M. A______ au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) avec un préavis favorable, afin que cette autorité lui délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Il a également prononcé son renvoi de Suisse.

Lors de son audition par la police, il avait reconnu que son attestation de connaissances de la langue française, tout comme ses contrats et certificats de travail servant à justifier son séjour avant 2015, étaient des faux. Sa situation ne répondait ainsi pas aux critères de l’opération « Papyrus », notamment à l’égard d’un séjour prouvé et continu de dix ans minimum à Genève pour une personne célibataire et sans enfants.  

Par ailleurs, il ne remplissait pas les critères relatifs à un cas individuel d’extrême gravité. En effet, ses aveux exprimés lors de son audition précitée démontraient un comportement frauduleux envers les autorités dans le but d’obtenir une autorisation de séjour, lequel n’était pas celui que l’on pouvait attendre de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour.

En outre, n’ayant pas été en mesure de justifier son séjour avant 2015, il ne comptabilisait que six années de présence sur le sol helvétique. Sa réintégration ne saurait entraîner de graves conséquences sur sa situation personnelle, étant rappelé qu’il s’était rendu à plusieurs reprises dans son pays d’origine pour rendre visite à sa famille, dont ses parents, ses sœurs, son épouse et ses enfants.

Enfin, il ne ressortait pas du dossier que l’exécution de son renvoi se révélerait impossible, illicite ou inexigible.

16.         Par acte du 14 février 2022, M. A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision en concluant à son annulation et à ce que l’OCPM préavise favorablement son dossier auprès du SEM.

À son arrivée en Suisse, il avait immédiatement trouvé un poste dans le domaine du ferraillage et travaillé pour différents employeurs. Résidant en Suisse depuis dix ans, il avait déposé une demande d’autorisation de séjour et, dans ce cadre, il avait sollicité l’aide de M. F______. Toutefois, il ignorait que celui-ci avait transmis de faux documents à l’OCPM. Il regrettait d’avoir fourni une fausse attestation de connaissances de la langue française, mais avait agi de la sorte par désespoir : il était certain de disposer du niveau A2. Il avait toujours travaillé, n’avait jamais été condamné pénalement, hormis pour des infractions liées à son séjour. Il ne faisait pas l’objet de poursuite pour dettes, était indépendant financièrement et n’avait jamais fait appel à l’aide sociale.

Enfin, il manquait de travailleurs suisses et européens permettant d’offrir suffisamment de main-d’œuvre aux entreprises genevoises. Sa présence en Suisse se révélait dès lors nécessaire à l’essor de l’économie régionale.

17.         Dans ses observations du 12 avril 2022, l’OCPM a proposé le rejet du recours, considérant que les arguments invoqués n’étaient pas de nature à modifier sa position.

18.         Le recourant n’a pas produit d’écriture de réplique.

19.         Il ressort de l’instruction de la cause que le recourant a sollicité dix visas de retour afin d’aller rendre visite à sa famille, à savoir les 14 décembre 2017, 26 avril, 11 juillet, 20 août et 30 novembre 2018, 18 juillet et 26 novembre 2019, ainsi que les 6 février, 21 mai et l6 juin 2021.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).

5.             Le recourant conclut à ce que l’OCPM transmette son dossier au SEM avec un préavis favorable, afin que cette autorité lui délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur, cas échéant en application des dispositions de l’opération « Papyrus ». 

6.             Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), qui a alors été renommée loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l’art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées avant le 1er janvier 2019 sont régies par l'ancien droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

En l'espèce, le recourant a déposé sa demande d'autorisation de séjour avant le 1er janvier 2019. Il s'ensuit que c'est l'ancien droit qui s'applique, soit la LEI et l'OASA dans leur teneur avant le 1er janvier 2019, étant néanmoins précisé que même si les nouvelles dispositions devaient s'appliquer, lesquelles sont restées pour la plupart identiques, cela ne modifierait rien à l'issue du litige compte tenu de ce qui suit.

La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 al. 1 LEI), ce qui est le cas en l’espèce.

7.             Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'extrême gravité.

8.             L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) et des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

9.             Les critères de l’art. 58 LEI, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3), d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (ATA/1669/2019 du 12 novembre 2019 consid. 7b).

10.         Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4).

11.         L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée. Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 et 5).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêt du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1).

12.         La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3).

13.         Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3).

14.         Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3). La durée du séjour (légal ou non) est ainsi un critère nécessaire, mais pas suffisant, à lui seul, pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-7330/2010 du 19 mars 2012). Le caractère continu ou non du séjour peut avoir une influence (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5048/2010 du 7 mai 2012). Le Tribunal fédéral a considéré que l'on ne saurait inclure dans la notion de séjour légal les périodes où la présence de l'intéressé est seulement tolérée en Suisse et qu'après la révocation de l'autorisation de séjour, la procédure de recours engagée n'emporte pas non plus une telle conséquence sur le séjour (arrêt 2C_926/2010 du 21 juillet 2011).

15.         S’agissant de l’intégration professionnelle, elle doit revêtir un caractère exceptionnel au point de justifier, à elle seule, l'octroi d'une autorisation de séjour en dérogation aux conditions d'admission. Le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou doit avoir réalisé une ascension professionnelle remarquable, circonstances susceptibles de justifier à certaines conditions l'octroi d'un permis humanitaire (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.4 et les références citées).

16.         Lorsqu'une personne a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, il y reste encore attaché dans une large mesure. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Il convient de tenir compte de l'âge du recourant lors de son arrivée en Suisse, et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, de la situation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter ses connaissances professionnelles dans le pays d'origine (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-646/2015 du 20 décembre 2016 consid. 5.3).

17.         Il est parfaitement normal qu'une personne, ayant effectué un séjour prolongé dans un pays tiers, s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Aussi, les relations d'amitié ou de voisinage, de même que les relations de travail que l'étranger a nouées durant son séjour sur le territoire helvétique, si elles sont certes prises en considération, ne sauraient constituer des éléments déterminants pour la reconnaissance d'une situation d'extrême gravité (ATF 130 II 39 consid. 3).

18.         L'opération « Papyrus » a consisté en un processus de régularisation des personnes séjournant à Genève sans titre de séjour, élaboré par le département de la sécurité et de l'économie, devenu département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (DSES), « dans le strict respect du cadre légal en vigueur (art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA [soit du cas de rigueur exposé ci-dessus] » ; cf. communiqué de presse du 21 février 2017 : https://demain.ge.ch/actualite/operation-papyrus-presentee-aux-medias-21-02-2017). Le DSES a ainsi précisé - en tenant compte de la marge d'appréciation possible (cf. brochure officielle publiée en février 2017 : https://demain.ge.ch/document/brochure-papyrus).

Les critères objectifs et cumulatifs permettant aux personnes concernées de demander la légalisation de leur séjour selon ce programme étaient les suivants : une intégration réussie (niveau A2 de français du cadre européen commun de référence pour les langues et scolarisation des enfants notamment) ; une absence de condamnation pénale ; une indépendance financière complète ; un séjour continu de cinq ans (pour les familles avec enfants scolarisés) ou de dix ans pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires. Ces conditions devaient être remplies au moment du dépôt de la demande d’autorisation de séjour (ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 8b).

Le séjour, en toute hypothèse, doit être continu (ATA/61/2022 du 25 janvier 2022 consid. 3h). Si une ou deux courtes interruptions annuelles, correspondant par exemple à la durée usuelle de quatre semaines de vacances, sont admissibles, la continuité du séjour en Suisse n'est par contre pas compatible avec des absences répétées ou des allers-retours avec le pays d'origine, notamment lorsqu'aucun emploi ne peut être trouvé en Suisse, ou encore avec des séjours répétés dans d'autres pays pour des motifs familiaux ou professionnels. Dans ces cas, en effet, même lorsque la personne vit la majeure partie du temps en Suisse, cela dénote un mode de vie fondé sur des déplacements selon les opportunités et, quand bien même elle parvient à établir un réseau social en Suisse, on ne peut considérer qu'elle y a vraiment installé son centre de vie et que son départ au bout de plusieurs années constituerait pour elle un véritable déracinement (JTAPI/984/2021 du 27 septembre 2021 consid. 18, confirmé par ATA/191/2022 du 22 février 2022).

L’opération « Papyrus » a pris fin le 31 décembre 2018 (ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 8a).

19.         Le Conseil fédéral a précisé que, dans le cadre de ce projet pilote, le SEM avait procédé à une concrétisation des critères légaux en vigueur pour l'examen des cas individuels d'extrême gravité dans le strict respect des dispositions légales et de ses directives internes. Il ne s'agissait donc pas d'un nouveau droit de séjour en Suisse, ni d'une nouvelle pratique. Une personne sans droit de séjour ne se voyait pas délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur simplement parce qu'elle séjournait et travaillait illégalement en Suisse, mais bien parce que sa situation était constitutive d'un cas de rigueur, en raison notamment de la durée importante de son séjour en Suisse, de son intégration professionnelle ou encore de l'âge de scolarisation de ses enfants (ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 7a).

Dès lors que l'opération « Papyrus » se contente de concrétiser les critères légaux fixés par la loi pour les cas de rigueur, le tribunal précise à ce stade que l'examen des critères de ladite opération se confond avec l'examen de la situation du recourant sous l'angle du cas de rigueur.

20.         Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

21.         En l’espèce, après un examen circonstancié du dossier et des pièces versées à la procédure, on doit constater que l'OCPM n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation en considérant que le recourant ne satisfaisait pas aux conditions strictes requises pour la reconnaissance d'un cas de rigueur, y compris sous l'angle particulier de l'opération « Papyrus ».

Pour bénéficier de ce programme, l’intéressé doit pouvoir démontrer, au jour du dépôt de sa requête – à savoir le 8 mars 2018 – un séjour continu d’une durée de dix ans au minimum, étant donné qu’il n’est pas père d’enfant(s) mineur(s) scolarisé(s) en Suisse. En l’occurrence, cette condition n’est pas remplie. En effet, le recourant affirme certes avoir immigré en Suisse depuis 2006 et y résider ainsi depuis seize ans. Sur demande de l’OCPM, il a justifié sa présence en Suisse au moyen de fiches de salaire. Toutefois, lors de son audition par la police le 10 février 2021, il a reconnu que toutes celles établies pour les périodes antérieures à 2015 étaient fausses. Il n’a par ailleurs produit aucun autre document propre à attester sa présence en Suisse antérieurement au 10 novembre 2017, date à laquelle il a déposé sa première demande d’autorisation de séjour.

En outre, bien qu’il prétende parler parfaitement le français, il ne prouve pas que ses connaissances linguistiques à l’oral atteignent le niveau A2, étant précisé qu’il a admis que l’attestation qu’il a transmise à l’OCPM, le 12 juin 2019, étaient un faux.

Puisque le recourant ne remplit pas deux conditions cumulatives de l’opération « Papyrus », il ne peut bénéficier de ce programme.  

22.         Il convient d’examiner si le recourant peut se voir délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur au sens de l’art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA.

Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, quoiqu’il affirme avoir immigré dans notre pays en 2006, il n’est pas en mesure de justifier sa présence antérieurement à novembre 2017. Il y séjourne ainsi depuis moins de cinq ans, sans par ailleurs jamais avoir obtenu aucun titre de séjour. Actuellement, il profite de l’effet suspensif dont son recours est assorti.

Il doit être reconnu que l’intéressé a, depuis son arrivée en Suisse, toujours subvenu à ses besoins par ses propres moyens, de sorte à ne pas dépendre de l’aide sociale. Il ne fait par ailleurs pas l’objet de poursuites pour dettes, ni d’actes de défaut de biens.

Cela étant, ses connaissances de la langue française qu’il prétend bonnes (niveau A2), ne sont pas démontrées. En outre, il ne prouve aucunement qu’il a acquis en Suisse des compétences à ce point spécifiques qu’il ne puisse les mettre en pratique dans son pays d’origine. Tel n’est pas le cas des postes qu’il a occupés jusqu’à présent, puisqu’il a toujours occupé des emplois non qualifiés (manœuvre, ferrailleur). Il n’a pas non plus fait état d’une intégration socioculturelle, par exemple en produisant des lettres de soutien, ou des justificatifs démontrant qu’il participe à des associations locales ou s’engage bénévolement.

Il ne peut pas non plus se prévaloir d’un respect de l’ordre juridique et des valeurs de la Constitution fédérale, étant donné qu’il a remis à l’OCPM plusieurs documents falsifiés, soit une fausse attestation de connaissances de la langue française, ainsi que des fiches de salaire contrefaites, dont certaines établies au nom de sociétés pour lesquelles il n’a jamais travaillé. Lors de son audition par la police, il a admis l’inauthenticité de ces pièces. Il importe peu qu’il n’ait pas confectionné lui-même ces documents, ni qu’il n’ait pas été condamné pénalement pour ces actes. Seul compte le fait qu’il ait tenté d’induire l’OCPM en erreur en vue d’obtenir une autorisation de séjour, ce que le tribunal ne saurait tolérer.

Par ailleurs, étant arrivé en Suisse en 2017, soit à l’âge de quarante-six ans, il a vécu dans son pays non seulement son enfance et le début de sa vie d’adulte, mais surtout son adolescence, période cruciale pour la formation de la personnalité. Le même constat s’imposerait si l’on retenait qu’il avait immigré en 2006, comme il le soutient, c’est-à-dire à l’âge de trente-cinq ans. Dès lors, il maîtrise la langue et les codes culturels afférents à son pays d’origine. Il est vrai que le recourant y disposera de moins de perspectives professionnelles. Toutefois, il ne démontre pas que ses difficultés seraient plus graves pour lui que pour n'importe lequel de ses concitoyens qui se retrouverait dans une situation similaire. En outre, il ne faut pas perdre de vue que celui qui place l'autorité devant le fait accompli doit s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (ATF 123 II 248 consid. 4a). Ainsi, il ne pouvait ignorer, au vu de son statut illicite en Suisse, qu'il pourrait à tout moment être amené à devoir renoncer, en cas de refus de la régularisation de ses conditions de séjour, à tout ce qu’il avait mis en place en Suisse, à savoir quitter son emploi et son logement à Genève. De surcroît, il a maintenu des liens très intenses avec sa famille nucléaire, qui vit au Kosovo – à l’exception de son fils aîné qui, selon les dires du recourant, séjourne illégalement en Suisse – puisqu’entre le 14 décembre 2017 et le 16 juin 2021, il a sollicité et obtenu dix visas de retour pour aller lui rendre visite. Y résident également trois de ses sœurs et ses parents. Il ne saurait ainsi prétendre qu’il n’a conservé aucune attache avec son pays d’origine. Enfin, il ne se prévaut d’aucun problème de santé. En conséquence, quitter la Suisse et retourner dans sa patrie ne représenterait pas pour lui un profond déracinement.

23.         Au vu de l'ensemble de ces circonstances, l'appréciation que l'autorité intimée a faite de la situation du recourant sous l'angle des art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA demeure parfaitement défendable et, partant, admissible. Dans ces conditions, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à l'OCPM, ne saurait en corriger le résultat en fonction d'une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA).

24.         Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, les autorités compétentes rendent une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l'autorisation, bien que requise, est révoquée ou n'est pas prolongée après un séjour autorisé.

25.         Le renvoi constitue la conséquence logique et inéluctable du rejet d'une demande tendant à la délivrance ou la prolongation d'une autorisation de séjour, l'autorité ne disposant à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation (ATA/1118/2020 du 10 novembre 2020 consid. 11a).

26.         Le recourant n'obtenant pas d'autorisation de séjour, c'est à bon droit que l'autorité intimée a prononcé son renvoi de Suisse. Il n'apparaît en outre pas que l'exécution de cette mesure ne serait pas possible, serait illicite ou qu'elle ne pourrait être raisonnablement exigée (art. 83 LEI). D’ailleurs, l’intéressé ne se prévaut d’aucun obstacle à son renvoi.

27.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

28.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

29.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 14 février 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 12 janvier 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière