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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1072/2021

JTAPI/1160/2021 du 18.11.2021 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : CHANGEMENT D'AFFECTATION;ZONE AGRICOLE;BÂTIMENT D'HABITATION(EXPLOITATION AGRICOLE);REMISE EN L'ÉTAT
Normes : LCI.1; LCI.129; LAT.24
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1072/2021 LCI

JTAPI/1160/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 novembre 2021

 

dans la cause

 

Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______, représentés par Me Claude BRETTON-CHEVALLIER, avocate, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC


EN FAIT

1.             La parcelle n° 1______ de la commune de F______ fait partie de la succession de feu Monsieur D______, décédé en 2016. Un bâtiment cadastré sous n° 2______ y est élevé, composé d'un garage et d'une extension, laquelle est érigée sur la partie de cette parcelle située en zone agricole et dont la construction a été autorisée en 1985 (DD 1______) en qualité de remise agricole.

2.             La succession de feu M. D______ est constituée de Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______ (ci-après : les consorts E______).

3.             Le 15 avril 2020, par le biais de leur notaire, ils ont déposé une demande de non-assujettissement d'une partie de la parcelle située en zone agricole.

4.             À la suite du procès-verbal établi par la Commission foncière agricole (ci-après: CFA) lors d'un transport sur place du 8 juin 2020, le département du territoire (ci-après: le département) a constaté, sur la base dudit procès-verbal et des photographies aériennes historiques du système d'information du territoire genevois (ci-après: SITG), que diverses constructions, installations et changement d'affectation semblaient avoir été réalisés sans autorisation.

5.             Par courrier du 18 décembre 2020, le département a interpellé le propriétaire inscrit au registre foncier, soit feu M. D______, quant au changement d'affectation du garage cadastré sous le n° 2______, la construction d'un cabanon/dépôt, l'aménagement d'un chemin reliant le cabanon au garage, l'aménagement d'une zone de parking au nord de la parcelle et l'installation d'une clôture. Un délai de dix jours lui a été octroyé pour se déterminer.

6.             Par courrier du 12 janvier 2021, sous la plume de leur conseil, les consorts E______ ont fourni des explications sur les éléments constatés. La partie du bâtiment n° 2______ dont la construction avait été autorisée en 1985, avait été affectée à l'habitation dès 1986 au plus tard. La terrasse et le chemin d'accès le long de la façade avaient été aménagés en même temps que le bâtiment lui-même. Le "cabanon" était en réalité un poulailler construit par le père des recourants pour son épouse en même temps que l'extension autorisée du bâtiment n° 2______, et le chemin d'accès au poulailler avait naturellement été organisé en même temps. S'agissant de la zone de parking, le département se basait sur une photo très ancienne, mais des photos aériennes récentes attestaient qu'il n'y avait aucune zone de parking à cet endroit. Concernant enfin la clôture, il ne s'agissait que d'une clôture électrique délimitant le parc pour les vaches et régulièrement déplacée.

7.             Par courriel du 25 janvier 2021, après avoir accusé réception des observations des consorts E______, le département a relevé qu'aucun des documents transmis ne démontrait de manière univoque la transformation et l'utilisation de la remise agricole n° 2______ en tant que logement d'ouvrier agricole depuis 1986. Un nouveau délai de dix jours leur était octroyé pour ce faire ainsi que pour requérir la qualité professionnelle de l'occupant actuel de la remise.

8.             Par décision du 19 février 2021, le département, soit pour lui l'office des autorisations de construire, a notifié aux consorts E______ une décision ordonnant la démolition du poulailler et la suppression du chemin, avec remise en état du terrain naturel et faisant interdiction d'habiter le bâtiment n° 2______, considéré par le département comme une remise agricole en l'absence d'éléments prouvant de manière univoque et précisément datée son changement d'affectation en logement, le tout dans un délai de soixante jours. Par ailleurs, le bâtiment n° 2______ devait être réaffecté en tant que remise agricole. L'interdiction d'habiter était déclarée exécutoire nonobstant recours.

Le département renonçait en revanche à la suppression de la terrasse et de la clôture.

Le courrier précisait qu'une demande d'autorisation de construire pour tenter de légaliser l'une ou l'autre des installations contestées pouvait être déposée.

9.             Par acte du 23 mars 2021, les consorts E______ (ci-après: les recourants) ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation. Préalablement, ils requéraient la restitution de l'effet suspensif du recours s'agissant de l'interdiction d'habiter la remise.

S'agissant de la suppression du poulailler et de son chemin d'accès, ils reprochaient au département d'avoir procéder à une constatation inexacte et incomplète des faits pertinents. La photographie aérienne du SITG datant de 1991 sur laquelle il basait son raisonnement était inexploitable, en tant qu'il était à peine possible de distinguer les bâtiments principaux eux-mêmes, l'intégralité de la zone concernée constituant un rectangle noirci et flou. Dans de telles circonstances, le raisonnement du département n'était pas acceptable, car l'on devait s'attendre à ce qu'il examine avec sérieux les autres éléments portés à sa connaissance, notamment les déclarations et différents témoignages ainsi que la photographie de 1996.

La décision était en outre contradictoire, dans la mesure où le département jugeait, d'une part, que la terrasse et la clôture, qui ne pouvaient être datées, devaient être considérées comme étant au bénéfice d'une prescription trentenaire et, d'autre part, que les installations du poulailler et de son chemin d'accès, ne pouvant également être datées, ne sauraient pas être mises en bénéfice de la même prescription trentenaire.

S'agissant de l'ordre de remise en état de la remise agricole, le département fondait sa décision sur une autorisation en force délivrée le 13 mai 1985 (DD 1______) pour une remise agricole. Sa décision était justifiée par le fait que les éléments qui lui avait été transmis ne permettaient pas d'attester de manière univoque, ni de dater avec précision, le changement d'affectation de la remise agricole en logement de fonction. Cependant, les recourants étaient parvenus à démontrer par différents témoignages et documents, tant sous l'angle de la vraisemblance que de la certitude, que la remise avait été aménagée en logement dès l'année 1986 et qu'elle avait été affectée au logement depuis lors sans discontinuer. Le département ne pouvait ainsi pas considérer, de bonne foi, que le changement d'affectation ne pouvait ni être attesté de manière univoque, ni daté de manière précise. Le département ne motivait également pas en quoi cette situation exigeait la remise en état du bâtiment n° 2______, dont la construction avait été dûment autorisée.

S'agissant de l'interdiction d'habiter avec effet immédiat, le département ne motivait pas, même de manière succincte, sur quelle base légale il se fondait pour prononcer une telle mesure.

Il fallait enfin relever que la CFA venait de reconnaitre, en procédant à la division parcellaire et au désassujettissement de la sous-parcelle, que celle-ci ne présentait plus d'intérêt pour l'agriculture. Ainsi, la remise agricole litigieuse n'allait plus jamais être affectée à l'agriculture.

10.         Par décision DITAI/1______ du ______ 2021, le tribunal a restitué l'effet suspensif au recours.

11.         Par courrier du 21 mai 2021, le département a répondu au recours. S'en rapportant à justice quant à sa recevabilité, il concluait à son rejet.

S'agissant de l'ordre de mise en conformité au droit, seule la condition de la prescription trentenaire était contestée par les recourants. Les installations/constructions dont la suppression ou la remise en conformité était demandée ne bénéficiaient d'aucune autorisation de construire permettant leur édification ou leur changement d'affectation.

S'agissant du poulailler et de son chemin d'accès, les recourants ne parvenaient pas à démontrer leur présence depuis trente ans. La photographie aérienne de 1996 ne leur était à cet effet d'aucun secours. La photographie aérienne de 1991 ne démontrait quant à elle pas la présence du poulailler et du chemin.

S'agissant de la remise agricole, non seulement le changement d'affectation, il y a plus de trente ans, n'avait pas été démontré de manière irréfutable, ni précisément daté, mais en outre les attestations transmises faisaient état d'un logement de fonction, soit pour un ouvrier agricole, ce qui correspondait à une affectation qui pouvait être conforme à la zone, contrairement à l'affectation actuelle sans lien avec l'agriculture, raison pour laquelle les éléments constatés en infraction ne pouvaient bénéficier de la garantie de la situation acquise.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral précisait que la prescription trentenaire ne s'appliquait pas hors de la zone à bâtir.

Par ailleurs, malgré la possibilité qui leur avait été laissée pour tenter de régulariser l'un ou l'autre des éléments en infraction, les recourants n'en avaient pas usé.

En conséquence, conformément à la jurisprudence, les éléments illicites sis en dehors de la zone à bâtir devaient être enlevés.

S'agissant enfin de la procédure de non assujettissement et de la décision de la CFA, ladite procédure avait pour but uniquement de désassujettir une partie de la parcelle de la LDFR et non de modifier l'affectation de la zone. Si les conditions fixées par la LDFR n'étaient plus applicables après ladite décision, il n'en demeurait pas moins que la partie de la parcelle en question était toujours située en zone agricole et les dispositions y relatives devaient être respectées.

12.         Par courrier du 31 août 2021, sous la plume de leur conseil, les recourants ont répliqué.

S'agissant de la suppression du poulailler et du chemin litigieux, ceux-ci n'étant plus guère utilisés par l'exploitation agricole, ils renonçaient à les contester.

Ils persistaient en revanche à contester l'interdiction d'habiter la remise agricole et l'ordre de remise en conformité au droit, malgré le récent arrêt du Tribunal fédéral. La partie Est du bâtiment cadastré sous n° 2______ avait été érigée licitement, sur la base d'une autorisation de construire. Seule son affectation, à l'origine agricole, avait été modifiée puisqu'après des transformations intérieures légères qui avaient permis l'habitation de ce bâtiment par un ouvrier agricole, une des recourantes, qui ne travaillait pas dans l'agriculture, y avait emménagé. Puisque par le passé le logement avait servi au logement d'un employé agricole, il n'était pas exclu qu'à l'avenir cela soit de nouveau le cas.

Exiger la remise en état pour rétablir l'affectation agricole d'un bâtiment érigé légalement allait s'avérer disproportionné. Une remise en état du bâtiment par la déconstruction du studio avait été devisée à CHF 35'000.- par un bureau d'architecte. En outre, le bâtiment litigieux, qui constituait la partie Est de la construction cadastrée sous n° 2______, était accolé à une maison d'habitation qui n'était pas affectée à l'agriculture. La CFA avait autorisé un morcellement et prononcé le désassujettissement de la sous-parcelle comportant les constructions. Ainsi l'ordre de réaffectation du bâtiment à l'agriculture ne poursuivait aucun réel intérêt public mais lésait en revanche fortement les intérêts des recourants qui allaient devoir assumer non seulement le coût des travaux d'enlèvement des aménagements destinés à l'habitation, mais également ceux de transformation de la partie Ouest du bâtiment n° 2______ (devisés à un peu plus de CHF 166'000.-), où habitait la mère âgée de la recourante, afin que cette dernière puisse continuer à en prendre soin, ce qui imposait de résider à proximité immédiate.

À titre subsidiaire, ils demandaient à ce qu'un délai suffisant de quatre ans leur soit octroyé pour l'exécution des travaux d'aménagement dans la partie Ouest du bâtiment n° 2______, puis, après déménagement de la recourante, pour la remise en état de la partie Est de ce bâtiment, en raisonnant par analogie avec le droit du bail (art. 272 ss CO).

13.         Par courrier du 4 octobre 2021, le département a dupliqué.

Il prenait bonne note du fait que la démolition et l'évacuation du poulailler et du chemin en dalles n'étaient plus contestées et restait dans l'attente du reportage photographique l'attestant.

S'agissant de la remise agricole, l'arrêt du Tribunal fédéral était clair et indiquait que la prescription trentenaire ne s'appliquait pas en zone agricole. Quoiqu'il en soit, les recourants n'avaient pas apporté la preuve de l'affectation du bâtiment en question en tant que logement non agricole depuis plus de trente ans. Au contraire, les pièces versées à la procédure semblaient démontrer que le bâtiment Est était auparavant affecté de manière conforme à la zone.

De plus, un logement non agricole en zone agricole n'était pas conforme à la zone. La remise agricole étant actuellement affectée de manière illégale au logement de la recourante, laquelle n'était pas agricultrice, la décision du département de demander qu'une situation conforme au droit soit rétablie, soit une remise en état conformément à la seule autorisation en force, était parfaitement fondée et justifiée.

Par ailleurs, la décision querellée poursuivait bel et bien un but d'intérêt public au respect de la zone non à bâtir.

À suivre le raisonnement des recourants, toute construction en zone agricole qui était déjà érigée légalement pouvait être utilisée et affectée selon le bon vouloir de son propriétaire, sans que cela n'ait aucun impact sur la zone agricole. Or une telle affirmation démontrait une méconnaissance de la part des recourants de la zone en question et de son importance.

S'agissant des intérêts privés invoqués par les recourants, comme ils le démontraient, ils disposaient d'autres possibilités pour que la recourante demeure à proximité de leur mère, soit notamment l'aménagement de la partie Ouest du bâtiment.

S'agissant de l'octroi d'un délai supplémentaire raisonnable pour la remise en état du bâtiment agricole, le temps que la partie Ouest du bâtiment soit aménagée, le département s'en rapportait à l'appréciation du tribunal.

14.         La cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             À titre préliminaire, il convient de délimiter l'objet du litige en fonction des échanges d'écritures. En effet, s'agissant du grief relatif à la démolition et l'évacuation du poulailler et de son chemin d'accès en dalles, le recours, sur ce point, est devenu sans objet, puisque les recourants ne contestent plus cette partie de la décision.

Le litige porte donc désormais uniquement sur la question de la conformité au droit de l'ordre de remise en conformité de l'affectation agricole de la remise, sise en zone agricole, actuellement utilisée comme logement non agricole. À cet égard, les recourants se prévalent en substance du délai de péremption de trente ans, empêchant l'Etat d'exiger la remise en état de construction ou installation érigées de manière illégale et, subsidiairement, requièrent un délai d'exécution de la décision portée à quatre ans.

4.             Les zones agricoles servent à garantir la base d'approvisionnement du pays à long terme, à sauvegarder le paysage et les espaces de délassement et à assurer l'équilibre écologique ; elles doivent être maintenues autant que possible libres de toute construction en raison des différentes fonctions de la zone agricole ; elles comprennent, d'une part, les terrains qui se prêtent à l'exploitation agricole ou à l'horticulture productrice et sont nécessaires à l'accomplissement des différentes tâches dévolues à l'agriculture et, d'autre part, les terrains qui, dans l'intérêt général, doivent être exploités par l'agriculture (cf. art. 16 al. 1 LAT).

5.             La zone agricole est en principe inconstructible. Aussi, le fait qu'une construction soit reconnue conforme à l'affectation de la zone ne signifie pas encore que le permis doit être délivré (ATF 129 II 413 consid. 3.2 ; 125 II 278 consid. 3a ; 123 II 499 consid. 3b/cc ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_58/2017 du 18 octobre 2018 consid. 5). En effet, l'appréciation doit à titre général se faire à l'aune des buts et principes énoncés aux art. 1 et 3 LAT, notamment la préservation des terres cultivables (art. 3 al. 2 let. a LAT), l'intégration des constructions dans le paysage (art. 3 al. 2 let. b LAT), la protection des rives, des sites naturels et des forêts, mais également des autres prescriptions du droit fédéral, figurant notamment dans la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01). En d'autres termes, l'admissibilité du projet doit être évaluée à la lumière d'une pesée complète des intérêts en présence (cf. ATF 134 II 97 consid. 3.1 ; 129 II 63 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_58/2017 du 18 octobre 2018 consid. 5 ; 1C_318/2017 du 11 juillet 2018 consid. 4.1 ; 1C_221/2016 du 10 juillet 2017 consid. 5.2.1 ; 1C_496/2015 du 23 septembre 2016 consid. 3.1.1).

6.             Que l'on se situe dans une zone à bâtir ou dans une zone impropre à la construction, telle qu'une zone agricole, l'art. 22 al. 1 LAT exige qu'une autorisation de construire soit délivrée par l'autorité compétente pour la création ou la transformation de toute construction ou installation (Frédéric BERNARD/Florian EGGER, Changement d'affectation d'un bâtiment et autorisation administrative, AJP/PJA 1/2021, p. 52). Il y a notamment transformation au sens de l'art. 22 LAT même lorsque sans modifier son aspect extérieur, on procède au changement d'affectation d'une construction ou d'une installation (ATF 139 II 134 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C:150/2016 du 20 septembre 2016 consid. 9.1).

7.             L'art. 24 LAT prévoit qu'en dérogation à l'art. 22 al. 2 let. a, des autorisations peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d’affectation si:

8.             a. l’implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination;

9.             b. aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose.

10.         Les art. 24a à 24e LAT réglementent différentes situations en lien avec l'art. 24 LAT. L'art. 24d prévoit spécifiquement les conditions auxquelles l'utilisation de bâtiments d'habitation agricoles conservés dans leur substance peut être autorisée à des fins d'habitation sans rapport avec l'agriculture, ce qui est le cas lorsque (parmi d'autres conditions cumulatives) ces bâtiments ont été placés sous protection par l'autorité compétente (al. 2 let. a).

11.         Selon l'art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a); modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b) ; modifier la configuration du terrain (let. d) ; aménager des voies de circulation, des places de parcage ou une issue sur la voir publique (let. e).

12.         Aucun travail ne doit être entrepris avant que l'autorisation n'ait été délivrée (art. 1 al. 7 1ère phrase LCI).

13.         Conformément à l'art. 129 let. e LCI, le département peut ordonner, à l'égard des constructions, des installations ou d'autres choses, la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition. Ces mesures peuvent être ordonnées lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescriptions de la LCI, des règlements qu'elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI).

14.         En général, un changement d'affectation est soumis à l'exigence d'autorisation de construire dès qu'il entraine un impact significatif sur le territoire, soit en créant une charge supplémentaire pour les réseaux d'équipement, soit en portant atteinte à l'environnement, par exemple en raison d'une augmentation significative des immissions (ATF 139 II 134 consid. 5.2). La question de la soumission à autorisation de construire d'un changement d'affectation doit être examinée de manière concrète par l'autorité décisionnaire, en tenant compte des effets concrets du changement d'affectation : si celui-ci entraîne, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, des conséquences spatiales si importantes qu'il existe un intérêt pour le public ou les voisins à une inspection préalable, une autorisation de construire est nécessaire (Alain GRIFFEL, Raumplanungs- und Baurecht, 3ème éd., Zurich 2017, p. 204 ; BERNARD/EGGER, op. cit., p. 55).

15.         En l'espèce, les recourants ne contestent pas la soumission à autorisation de construire du changement d'affectation, mais contestent uniquement l'ordre de mise en conformité au droit. L'assujettissement à autorisation d'un tel changement d'affectation n'a dès lors pas à être examiné par le tribunal de céans. Au demeurant, le changement d'affectation d'une remise agricole, sis en zone agricole, en logement sans rapport avec l'agriculture, ne saurait manifestement constituer un changement d'affectation mineur pouvant être dispensé de l'exigence d'autorisation de construire, dès lors qu'il est contraire à l'affectation de la zone. En tout état, quand bien même l'affectation de la remise agricole en tant que bâtiment affecté à l'habitation agricole aurait été dûment autorisée, voire simplement tolérée, les conditions d'un changement d'affectation en tant que bâtiment d'habitation non agricole au sens de l'art. 24d LAT ne seraient pas réunies, la construction litigieuse n'étant notamment pas protégée.

16.         De jurisprudence constante, pour être valable, un ordre de mise en conformité doit respecter cinq conditions. Premièrement, l'ordre doit être dirigé contre le perturbateur. Les installations en cause ne doivent ensuite pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation. Un délai de plus de trente ans ne doit par ailleurs pas s'être écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux. L'autorité ne doit en outre pas avoir créé chez l'administré concerné, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu'elle serait liée par la bonne foi. Finalement, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit doit l'emporter sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien des installations litigieuses (ATA/19/2016 du 12 janvier 2016 consid. 5 ; ATA/824/2015 du 11 août 2015 consid. 6b et les références citées).

17.         Les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application de ces deux dispositions (art. 131 LCI).

18.         Un ordre de démolir une construction ou un ouvrage édifié sans permis de construire et pour lequel une autorisation ne pouvait être accordée, n'est pas contraire au principe de la proportionnalité.

19.         La proportionnalité au sens étroit implique une pesée des intérêts. C'est à ce titre que l'autorité renonce à ordonner la remise en conformité si les dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire, ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l'intervalle (...). Le postulat selon lequel le respect du principe de la proportionnalité s'impose même envers un administré de mauvaise foi est relativisé, voire annihilé, par l'idée que le constructeur qui place l'autorité devant le fait accompli doit s'attendre à ce que cette dernière se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui en découlent pour le constructeur ((ATF 108 Ia 216 consid. 4 p. 218 ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 consid. 24d et les arrêts cités); Nicolas WISARD/Samuel BRÜCKNER/Milena PIREK, Les constructions « illicites » en droit public – notions, mesures administratives, sanctions, Journées suisses du droit de la construction, Fribourg 2019, p. 218).

20.         De manière générale dans l'examen de la proportionnalité, les intérêts des propriétaires sont, à juste titre, mis en retrait par rapport à l'importance de préserver la zone agricole d'installations qui n'y ont pas leur place. Le Tribunal fédéral a déjà énoncé concernant le canton de Genève, que "s'agissant de constructions édifiées dans la zone agricole dans un canton déjà fortement urbanisé où les problèmes relatifs à l'aménagement du territoire revêtent une importance particulière, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit l'emporte sur celui, privé, du recourant à l'exploitation de son entreprise sur le site litigieux" (arrêt du Tribunal fédéral 1C_446/2010 du 18 avril 2011, consid. 5.1.1 et les références citées ; ATA/1370/2018 du 18 décembre 2018 consid. 10 ; ATA/303/2016 du 12 avril 2016 consid. 9).

21.         Lorsque des constructions ou des installations illicites sont réalisées en dehors de la zone à bâtir, le droit fédéral exige en principe que soit rétabli un état conforme au droit. Le principe de la séparation de l'espace bâti et non bâti, qui préserve différents intérêts publics, est de rang constitutionnel; il fait partie intégrante de la notion d'utilisation mesurée du sol de l'art. 75 al. 1 Cst. (cf. Message du Conseil fédéral du 20 janvier 2010 relatif à une révision partielle de la LAT, FF 2010 964 ch. 1.2.1 et 973 ch. 2.1; arrêt 1C_76/2019 du 28 février 2020 consid. 7.1 et les références citées). Cette séparation doit par conséquent, en dehors des exceptions prévues par la loi, demeurer d'application stricte (ATF 132 II 21 consid. 6.4 p. 40; arrêt 1A.301/2000 du 28 mai 2001 consid. 6c publié in ZBl 2002 p. 364). Si des constructions illégales, contraires au droit de l'aménagement du territoire, sont indéfiniment tolérées en dehors de la zone constructible, le principe de la séparation du bâti et du non-bâti est remis en question et un comportement contraire au droit s'en trouve récompensé (arrêt 1C_76/2019 du 28 février 2020 consid. 7.1). S'ajoute à cela que la remise en état poursuit encore d'autres intérêts publics, à savoir la limitation du nombre et des dimensions des constructions en zone agricole (cf. ATF 132 II 21 consid. 6.4 p. 40; 111 Ib 213 consid. 6b p. 225; arrêt 1A.301/2000 du 28 mai 2001 consid. 6c in ZBl 2002 p. 364) ainsi que le respect du principe de l'égalité devant la loi (arrêt 1C_276/2016 du 2 juin 2017 consid. 3.3).

22.         Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a précisé qu'à l'inverse de ce qui prévaut pour les zones à bâtir, l'obligation de rétablir un état conforme au droit ne s'éteignait pas après trente ans s'agissant de bâtiments et installations érigés illégalement en dehors de la zone à bâtir (cf. arrêt 1C_469/2019 du 28 avril 2021 consid. 4 et 5, destinés à la publication). En particulier, s'il peut certes être tenu compte de situations exceptionnelles par le biais de solutions spécifiques, notamment par la fixation d'un délai de remise en état plus long, une utilisation illégale, qui contrevient au principe fondamental en matière d'aménagement du territoire de la séparation des zones à bâtir des zones non constructibles, ne doit pas se poursuivre indéfiniment sur la base du simple écoulement du temps (cf. arrêts 1C_60/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.2.1 ; 1C_469/2019 précité consid. 5.5 et 5.6).

23.         En l'espèce, la décision est dirigée individuellement contre les membres de l'hoirie de l'ancien propriétaire. La première condition de conformité d'un ordre de remise en état au droit est donc remplie.

Ensuite, à teneur des éléments du dossier, le bâtiment litigieux a été autorisé en 1985, en tant que remise agricole. Il a ensuite été utilisé dès 1986 en tant que logement agricole pour un ouvrier agricole, puis, depuis 1988, en tant que logement d'une des personnes recourantes, sans aucun rapport avec l'agriculture. Or, bien que la construction du bâtiment ait été autorisée, cette situation initiale n'est pas propre à dispenser les différents changements d'affectation subséquents de l'exigence d'autorisation de construire, et encore moins à les rendre, de fait, conformes à l'affectation de la zone. Au demeurant, si une affectation au logement en zone agricole peut être reconnue comme conforme à la zone, notamment s'il s'agit du logement de l'exploitant agricole, d'ouvriers agricoles ou encore de celui de la génération qui prend sa retraite, l'affectation au logement sans rapport avec l'agriculture – notamment d'une personne qui, comme en l'espèce, n'exerce ou n'a démontré avoir exercé une activité dans l'exploitation agricole – ne peut en revanche pas être reconnue comme conforme à la zone agricole, ainsi que cela été expliqué plus haut. Ainsi, puisque que les changements d'affectation litigieux n'ont jamais été autorisés par le département, la seconde condition est donc également remplie.

S'agissant de la prescription trentenaire, en zone agricole, en appliquant par analogie le raisonnement du Tribunal fédéral opéré dans l'arrêt 1C_469/2019 du 28 avril 2019, devenu la nouvelle pratique (cf. arrêt 1C_60/2021 précité), un changement d'affectation illégal d'une construction ou d'une installation sise en zone agricole ne saurait se voir appliquer le délai de péremption de trente ans à l'échéance duquel l'Etat ne peut plus exiger le rétablissement de la situation conforme au droit. Il en va du respect du principe cardinal de stricte séparation entre la zone à bâtir et non à bâtir. Dans ces conditions, les développements des recourants en lien avec l'ancienneté de l'affectation de la construction litigieuse sont pour l'essentiel dénués de pertinence, dès lors que la remise est située sur la partie de la parcelle sise en zone agricole et que le changement d'affectation a été réalisé de manière illégale. À cet égard, le fait que la sous-parcelle ne soit plus assujettie à la LDFR, suite à la décision de la CFA du 1er février 2021, n'y change rien car en l'absence de modification de la planification, la sous-parcelle reste située en zone agricole. En conséquence, les recourants ne sauraient ainsi se prévaloir du délai de péremption de trente ans, anciennement admis par la jurisprudence. La troisième condition est donc également remplie.

En outre, aucun élément du dossier ne laisse apparaitre que l'autorité aurait d'une quelconque manière créé chez les recourants, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des conditions telles qu'elle serait liée par le principe de la bonne foi. La quatrième condition est donc également remplie.

Enfin, s'agissant de la proportionnalité de l'ordre de remise en état de la situation conforme au droit, d'après les éléments du dossier, il n'apparait pas que la décision du département soit contraire au droit. Les arguments invoqués par les recourants en rapport avec l'aide nécessaire à apporter dans la vie quotidienne de leur mère, aussi louables soient-ils, ne sont pas propres à eux seuls à invalider la décision du département. En effet, l'intérêt au maintien de l'affectation d'un bâtiment agricole, surtout à Genève, prime par principe celui des particuliers, ce d'autant plus qu'en l'espèce, la villa principale (bâtiment n° 3______) sort de terre sur deux étages. S'il est vraisemblable que la mère des recourants, vu son âge, doit pouvoir être rapidement et quotidiennement aidée, notamment par sa fille, l'aménagement d'une partie de cette maison en tant que logement pour cette dernière est possible, ainsi que cela résulte des propres explications des recourants. Les coûts que cela impliquerait, pour autant que l'on s'en tienne au montant allégué par les recourants, n'apparaissent pas exorbitants, étant souligné qu'il s'agit de dépenses d'investissement apportant une plus-value à l'immeuble. Par ailleurs, en ce qui concerne les coûts de la remise en état, qui pourraient selon les recourants atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs, il sied de relever que les différents frais afférents aux travaux litigieux ont été engagés alors que les recourants ne pouvaient pas ignorer la nécessité d'obtenir une autorisation de construire pour ceux-ci, de sorte qu'ils ne sauraient en tirer grief. Ils ont par ailleurs bénéficié pendant de nombreuses années des installations non autorisées, alors que celles-ci n'auraient jamais dû être réalisées à cet endroit (cf. arrêt 1C_60/2020 précité consid. 3.4.2). L'intérêt privé des recourants, ainsi purement économique et de confort, ne saurait l'emporter sur l'intérêt public au maintien de la séparation entre zone à bâtir et non à bâtir. L'ordre de remise en état apparaît ainsi constituer une mesure adéquate et apte à atteindre le but visé et est ainsi conforme au principe de la proportionnalité. La cinquième et dernière condition est donc également remplie.

24.         Il ressort donc des développements qui précèdent que l'ordre de remise en état de l'affectation agricole de la remise doit être confirmé.

25.         Par ailleurs, une prolongation du délai de remise en conformité ne peut en l'espèce pas être admise, car cette exception n'est applicable, à teneur du récent arrêt du Tribunal fédéral cité plus haut, que si l’intéressé a agi de bonne foi, ce qui en l’espèce n’est pas le cas. En effet, ils admettent dans leurs différentes écritures que des changements d'affectation de la remise ont été effectués sans requérir la moindre autorisation du département. En outre, ils ont pu profiter de la réaffectation illégale de la remise durant plus de trente ans, alors qu'ils savaient – ou auraient pu savoir – que la remise avait été autorisée uniquement à des fins agricoles. De surcroit, le fait qu'ils aient requis le désassujettissement de la partie de la parcelle de la zone agricole vient le confirmer.

26.         Entièrement mal fondé, le recours est rejeté et la décision confirmée.

27.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui succombent, sont condamnés, pris solidairement, au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 23 mars 2021 par Madame A______, Madame B______ et Monsieur C______ contre la décision du département du territoire du 19 février 2021 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris solidairement, un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Bénédicte MONTANT et Julien PACOT, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière