Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/717/2020

JTAPI/371/2021 du 12.04.2021 ( DOMPU ) , ADMIS

PARTIELMNT ADMIS par ATA/1088/2021

Descripteurs : DÉCISION;QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;INTÉRÊT ACTUEL;CONCESSION;OCTROI DE LA CONCESSION;ILLICÉITÉ;NULLITÉ;ANNULABILITÉ;DOMAINE PUBLIC;MONOPOLE D'ÉTAT;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT;PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(EN GÉNÉRAL)
Normes : LPR.38; LPR.25.al1; LMI.2.al7; LMI.9
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/717/2020 DOMPU

JTAPI/371/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 avril 2021

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me Guy BRAUN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

VILLE DE B______, représentée par Me Nicolas WISARD, avocat, avec élection de domicile

C______, représentée par Me François MEMBREZ, avocat, avec élection de domicile


EN FAIT

1.             A______ (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce le 1______ 2015, a pour but la commercialisation et l'exploitation de produits d'information, de publicité et de divertissement sur tout support lié aux médias numériques et aux nouvelles technologies de l'information ; opérations et participations s'y rapportant.

2.             La C______ (ci-après : C______), inscrite au registre du commerce de Zurich, dispose d'une succursale dans le canton de Genève, qui est inscrite au registre du commerce genevois depuis le 2______ 1999 et dont le but est l’exploitation de tous genres de publicité.

3.             Par courriel du 26 avril 2018 à la Ville de B______ (ci-après : la ville), A______ a confirmé sa volonté de poursuivre son développement dans la ville. Elle souhaitait au terme de la concession d’affichage en cours avoir la possibilité de remettre une offre pour l’ensemble des supports d’affichage se trouvant sur le domaine public de la ville. Elle souhaitait dès lors être informée de l’échéance de la concession en cours afin qu’elle puisse organiser une présentation à l’exécutif communal.

4.             Le 18 mai 2018, A______ a informé la ville qu’elle souhaitait se présenter dans le but de se positionner quant à une éventuelle mise au concours de l’affichage sur son domaine public et privé.

5.             Par courriel du 29 octobre 2019, A______ a interpelé la ville au sujet d’une concession de longue durée (10 ans) concernant l’affichage sur le domaine public et privé qui aurait été récemment octroyée à C______. Elle souhaitait savoir si une procédure d’appel d’offre avait été organisée.

6.             N’ayant pas reçu de réponse, A______ a adressé un nouveau courrier à la ville le 7 janvier 2020.

7.             La ville a répondu le 27 janvier 2020, informant A______ qu’en date du 11 juin 2019 elle avait conclu une convention avec C______, concédant à celle-ci le droit exclusif de placer des affiches ou autres formes de publicité extérieure et d’installer les supports publicitaires nécessaires sur le territoire communal, pendant la période allant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2029. Cette convention, à l’instar de ce qui se pratiquait dans d’autres communes, n’avait pas fait l’objet d’une concurrence préalable mais avait été négociée directement entre la collectivité publique et la société d’affichage. Le contrat était désormais entré en vigueur et C______ avait commencé de délivrer ses prestations sur le territoire communal.

8.             Par courrier du 7 février 2020, sous la plume de son conseil, A______ a fait savoir à la ville qu’au vu de la nature essentielle de normes violées – réglementation sur les appels d’offre – et s’agissant d’un vice manifeste et connu tant de son autorité que de C______, elle requérait que la ville constatât la nullité ex tunc de la décision d’octroi de la concession du 11 juin 2019 et l’organisation dans un délai raisonnable d’un appel d’offre conforme aux exigences légales en la matière.

Afin de préserver ses droits, elle priait la ville de se déterminer d’ici au lundi 17 février 2020. Elle se voyait par ailleurs contrainte de réserver son droit de recourir contre la décision de la ville reçue le 28 janvier 2020 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) ainsi que de saisir toute autre autorité ou juridiction dont la mise en œuvre serait justifiée.

9.             La ville a répondu à A______ le 13 février 2020 qu’elle ne pouvait pas donner une suite favorable à sa requête. En effet, la décision de conclure le contrat directement avec C______ n’était pas nulle et le contrat qui avait effectivement été conclu avec cette dernière dans la foulée était d’ores et déjà entré en vigueur le 1er janvier 2020.

10.         Par acte du 26 février 2020, A______ a recouru auprès du tribunal contre « la décision d’attribution d’une concession exclusive d’exploitation des procédés de réclame sur le domaine public et privé de la Ville de B______ du 11 juin 2019 », concluant préalablement à ce que tous les contrats concédant la transmission de l’exploitation de l’affichage communal de B______, en particulier le contrat conclu avec C______ en date du 11 juin 2019, soient produits, principalement à la constatation de la nullité de la décision d’attribution de la concession de droit exclusif d’employer des procédés de réclame sur la domaine public et privé de la ville prise le 11 juin 2019 par la ville en faveur de C______ et du rapport de concession, subsidiairement à l’annulation de ladite décision et, cela fait, à ce qu’il soit ordonné à la ville d’organiser un appel d’offres en vue de l’attribution de la concession de droit exclusif d’employeur des procédés de réclame sur le domaine public et privé de la ville, le tout sous suite de frais et dépens.

L’attribution d’une concession était une décision administrative qui pouvait faire l’objet d’un recours au sens de l’art. 38 de la loi sur les procédés de réclame du 9 juin 2000 (LPR - F 3 20). Elle avait la qualité pour recourir et son recours était notamment formé pour violation des principes de transparence, de non-discrimination et d’égalité de traitement que la ville aurait dû respecter en vertu de l’art. 2 al. 7 de la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02). N’ayant eu formellement connaissance de la décision attaquée que le 28 janvier 2019 [recte 2020], date à laquelle elle avait reçu le courrier de la ville du 27 janvier 2019 [recte 2020] l’informant de l’attribution de la concession et ce, malgré ses nombreuses demandes et interpellations à ce sujet.

Sur le fond, en décidant d’octroyer la concession exclusive portant sur l’affichage communal à C______, la ville avait agi au mépris des normes légales, en s’étant affranchie de l’organisation d’un appel d’offres, pourtant obligatoire et piétiné les normes constitutionnelles fondamentales ainsi que les principes de transparence et de non-discrimination garantis par l’art. 2 al. 7 LMI. Dès lors, la nullité de la décision d’attribution de la concession du 11 juin 2019 devait être constatée et la ville devait être invitée à organiser un appel d’offres conforme aux exigences légales applicables.

11.         La ville, sous la plume de son conseil, a répondu au recours le 13 mai 2020, concluant à son rejet, sous suite de frais et dépens.

Elle reconnaissait qu’elle aurait dû organiser un appel d’offre avant de choisir son cocontractant, en application de l’art. 2 al. 7 LMI. Le choix du cocontractant n’avait pas non plus été formalisé par une décision administrative.

Sous le couvert d’un recours dirigé contre le contrat qu’elle avait conclu avec C______ en vertu des art. 25 et 38 LPR, A______ se plaignait exclusivement d’une violation de l’art. 2 al. 7 LMI : sa qualité pour recourir devait ainsi être examinée à la lumière de la LMI et, force était de constater qu’elle n’avait ni allégué ni démontré qu’elle aurait eu des chances de se voir attribuer la concession d’affichage.

Selon la théorie de l’acte détachable, ou des deux niveaux, il fallait distinguer la décision unilatérale de contracter avec une personne déterminée (première phase, acte détachable régi par le droit public) de la conclusion du contrat (deuxième phase, acte bilatéral de droit public ou privé). Ainsi, la décision de contracter avec une personne déterminée prise à l’issue d’une procédure d’appel d’offres LMI était sujette à recours ; il en allait de même de celle adoptée par une autorité qui n’avait pas organisé l’appel d’offres prescrit par l’art. 2 al. 7 LMI. En revanche, la conclusion effective du contrat entre le pouvoir adjudicataire et le tiers retenu constituait, sous l’angle du droit public, un (simple) acte matériel d’exécution, qui échappait au contentieux administratif : la conclusion proprement dite et le sort du contrat lui-même étaient indépendants de celui de l’acte détachable, et relevaient exclusivement du droit contractuel.

L’irrégularité d’un acte détachable d’un contrat ne se répercutait pas ipso iure sur le contrat lui-même, qui demeurait valablement conclu et liait la collectivité publique et le tiers – c’était la décision et non le contrat qui était sujet à recours. Lorsque le contrat était déjà conclu entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire, l’autorité de recours voyait son pouvoir de décision limité, en ce sens qu’elle ne pouvait plus annuler la décision d’adjudication mais seulement constater son illicéité. Ainsi, en cas de violation de l’art. 2 al. 7 LMI par une autorité lors de l’attribution de concession, le contrat d’ores et déjà signé entre la collectivité publique et le tiers restait valable et ne pouvait plus être remis en cause.

Le tribunal n’était compétent que pour contrôler la validité de la décision d’attribution d’une concession d’affichage public ; il n’était pas compétent pour trancher les litiges afférents à des contrats de droit privé ni pour connaitre du contentieux lié aux contrats de droit public. Or, les concessions domaniales étaient en principe assimilées à des contrats de droit public puisqu’elles avaient, en partie du moins, un caractère bilatéral ; les litiges les concernant devaient donc être portés par la voie d’action de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

La jurisprudence rendue dans le domaine des marchés publics, qui devait être transportable dans le domaine de la LMI, admettait cependant que l’autorité administrative de recours puisse enjoindre le pouvoir adjudicateur à organiser un nouvel appel d’offres dans un délai raisonnable et à résilier pour la prochaine échéance contractuelle ou légalement prévue un contrat conclu en violation des règles de passation.

Ainsi, la ville s’en rapportait à justice sur la question de savoir si l’attribution à C______ de la concession pouvait avoir été effectuée par la ville tel qu’elle le fit ou si elle aurait dû effectuer un appel d’offres. En revanche, les conclusions de A______ visant à faire constater la nullité du contrat conclu entre elle et C______ le 11 juin 2019 ou à prononcer son annulation étaient irrecevables.

Elle a produit une copie de la convention d’affichage conclue avec C______ le 11 juin 2019. En particulier, l’art. 1 de la convention fixe le principe d’attribution de la concession par la ville à C______ et l’art. 8. 1 la durée de la convention, soit dix ans, du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2029, renouvelable pour une durée de cinq ans, dite convention remplaçant la convention signée entre les mêmes parties le 2 décembre 2004.

12.         Par décision du 16 juin 2020, le tribunal a appelé en cause C______ (DITAI/216/2020).

Cette décision a fait l’objet d’un recours de la part de C______ auprès de la chambre administrative, laquelle l’a déclaré irrecevable par arrêt du 18 août 2020 (ATA/772/2020).

13.         C______ a transmis ses observations le 23 novembre 2020, concluant principalement à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet et à dire que le tribunal n’était pas compétent pour se prononcer sur l’annulation de la convention d’affichage, sous suite de frais et dépens.

A______ ne démontrait en rien qu’elle disposait d’un intérêt digne de protection à ce que la décision soit annulée, ne prouvant pas qu’elle aurait eu des chances raisonnables de se voir octroyer la concession d’affichage. La décision ne lui causait ainsi pas de préjudice et le recours devait être déclaré irrecevable.

Le tribunal ne pouvait par ailleurs pas se prononcer sur la validité de la convention d’affichage conclue et A______ n’avait pas pris de conclusions en constat de l’illicéité de la décision d’octroi de la concession. Par ailleurs, la jurisprudence ne lui permettait pas de demander la nullité de la décision d’octroi et de la convention, ni leur annulation. Dès lors, les conclusions de A______ étaient irrecevables.

La procédure d’appel d’offres (art. 2 al. 7 LMI) ne devait pas être aussi formaliste qu’en cas de marché public et la question de la nullité de la convention d’affichage ne se posait pas.

La ville avait décidé, le 11 juin 2019, d’octroyer à C______ la concession d’affichage sur son domaine public : il s’agissait de la décision contre laquelle A______ avait interjeté recours. Elle avait conclu avec C______ une convention d’affichage : puisqu’il s’agissait d’une convention entre deux parties, la procédure ne pouvait que concerner l’éventuel caractère illicite de l’acte unilatéral détachable, à l’exclusion de ladite convention. De plus, le recours de A______ ne permettrait que de faire éventuellement constater l’illicéité de la décision par laquelle la ville avait octroyé la concession mais en aucun cas de remettre en cause la validité de la convention qui liait les parties : il aurait néanmoins fallu que la recourante prît des conclusions recevables, ce qui n’était pas le cas puisque A______ n’avait pas conclu au constat d’illicéité de la décision d’octroi de la concession.

Enfin, selon l’art. 38 al. 1 LPR, le tribunal était uniquement compétent pour se prononcer sur la validité de la décision d’octroi d’une concession d’affichage public de la ville prise à l’égard de C______ en vertu de l’art. 25 LPR.

14.         A______ a répliqué le 16 décembre 2020, maintenant ses conclusions, toutefois en demandant que l’organisation d’un nouvel appel d’offres se fasse dans un « délai de trois mois suivant l’annulation de la décision d’attribution de la concession ».

Elle disposait à l’évidence de la qualité pour recourir contre la décision attaquée puisque, en tant qu’entreprise en mesure de participer à l’appel d’offres qui aurait dû être organisé en vue de transmettre l’exploitation de l’affichage sur le territoire communal, elle était touchée de plein fouet. Elle s’était en outre régulièrement annoncée candidate auprès de la ville pour concourir audit appel d’offres et avait formellement demandé d’y participer. À cela s’ajoutait que la ville et C______ avaient reconnu qu’aucun appel d’offres avait été organisé, en violation du droit fédéral, et que cette pratique était établie et généralisée au sein des communes genevoises. Dès lors, il était patent que les violations à la LMI étaient susceptibles de se reproduire en tout temps, ce qui attestait de l’existence d’un intérêt public suffisamment important. Son intérêt à recourir était donc largement actuel.

La durée de la concession était de 10 ans et la précédente concession accordée à C______ s’était étendue de 2004 à 2019 : dès lors, C______ bénéficiait d’un droit exclusif d’affichage de 26 ans. L’entérinement de la concession litigieuse aurait pour effet de consacrer un dévoiement institutionnel des normes légales applicables tout en actant une privation inacceptable du domaine public. Au vu de la gravité de la violation de normes légales claires et indiscutable, la nullité de la convention devait être prononcée.

La théorie des deux niveaux n’était clairement pas applicable en l’espèce car elle n’était pas uniformément applicable dans la pratique administrative, le cas d’espèce ne relevait pas des marchés public et cette théorie supposait l’existence d’une décision d’attribution – préalable à la signature d’une convention avec le candidat retenu – qui faisait défaut en l’espèce – la convention du 22 [recte 11] juin 2019 intégrant ainsi directement en son sein, par un seul acte, la décision d’octroi du droit exclusif d’afficher. De plus, la ratio legis de l’acte détachable était d’offrir à l’administration la possibilité de pouvoir attaquer la décision préalable détachable, protection voulue qui ne lui avait pas été garantie. Enfin, en se contentant de constater une éventuelle illicéité de la convention litigeuse sans remise en question de l’attribution de la concession, cela légitimerait, voir inciterait les communes à ignorer les principes légaux applicables et les conforterait à continuer une pratique manifestement illégale. Ainsi, la décision d’attribution de la concession était incorporée dans la convention du 22 juin 2019 - fixée explicitement à l’art. 1, la théorie des deux niveaux ne trouvait pas application en l’espèce et le tribunal était compétent pour juger de la présente cause.

15.         La ville a dupliqué le 14 janvier 2021, persistant intégralement dans ses conclusions.

16.         C______ a également dupliqué à cette date et persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est l'autorité inférieure de recours dans les domaines relevant du droit public, pour lesquels la loi le prévoit (art. 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

Il connaît notamment des recours dirigés contre les décisions communales prises en application de la LPR (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 38 LPR ; art. 143 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

2.             En vertu de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1 LPA, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a) ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). Lorsqu'une autorité mise en demeure refuse sans droit de statuer ou tarde à se prononcer, son silence est assimilé à une décision (art. 4 al. 4 LPA).

3.             À teneur de l'art. 4A LPA, intitulé « Droit à un acte attaquable », toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations (al. 1) : s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque (let. a) ; élimine les conséquences d'actes illicites (let. b) ; constate le caractère illicite de tels actes (let. c). L'autorité statue par décision (art. 4A al. 2 LPA). Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (art. 4A al. 3 LPA).

4.             En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (ATA/1656/2019 du 12 novembre 2019 consid. 2b ; ATA/385/2018 du 24 avril 2018 consid. 4b et les références citées). Il ne suffit pas que l'acte querellé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base de et conformément à la loi (ATA/1656/2019 précité consid. 2c ; ATA/385/2018 précité consid. 4c). La décision a pour objet de régler une situation juridique, c'est-à-dire de déterminer les droits et obligations de sujets de droit en tant que tels. Ce critère permet d'écarter un certain nombre d'actes qui ne constituent pas des décisions, comme les actes matériels, les renseignements, les recommandations ou les actes internes de l'administration (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 339 ss).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en droit public, la notion de « décision » au sens large vise habituellement toute résolution que prend une autorité et qui est destinée à produire un certain effet juridique ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation ; au sens étroit, c'est un acte qui, tout en répondant à cette définition, intervient dans un cas individuel et concret (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; 106 Ia 65 consid. 3 ; 99 Ia 518 consid. 3a). La notion de décision implique un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2).

5.             À teneur de l’art. 25 al.1 LPR, les communes peuvent octroyer, par le biais d’une concession, un droit exclusif d’employer des procédés de réclame sur le domaine public à un ou plusieurs sociétés.

6.             L’attribution d’une concession est une décision administrative (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, N 1051).

7.             Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, a qualité pour recourir, notamment, toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié.

Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2).

Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à l'admission du recours (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; 138 II 42 consid. 1). La condition de l'intérêt actuel fait défaut en particulier lorsque, notamment, la décision attaquée a été exécutée et a sorti tous ses effets (ATF 125 I 394 consid. 4 ; ATA/201/2017 du 16 février 2017 consid. 2 et les arrêts cités).

Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 142 I 143 consid. 1.3.1 ; 137 I 23 consid. 1.3.1 ; 136 II 101 consid. 1.1 ; 135 I 79 consid. 1.1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_126/2016 du 8 juin 2016 consid. 1.1 ; 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/1278/2019 du 27 août 2019 consid. 2a ; ATA/201/2017 du 16 février 2017 consid. 2 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d).

8.             En l’espèce, aucune décision formelle n’a été rendue par l’autorité intimée concernant l’attribution de la concession exclusive d’affichage sur son territoire communal pour la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2029 (cf. art. 25 LPR). L’intéressée n’a eu formellement connaissance de l’octroi de dite concession que le 28 janvier 2020, date à laquelle elle a reçu le courrier de l’autorité intimée du 27 janvier 2020 l’informant de l’attribution de la concession précitée à l’appelée en cause. Ce courrier doit être qualifié de décision, en tant qu’il constate l’inexistence d’un droit et affecte concrètement et individuellement la recourante. En tant qu’entreprise en mesure de participer à la procédure d’appel d’offres - si celle-ci avait été mise en place - pour l’attribution de la concession litigieuse, la recourante dispose en effet d’un intérêt digne de protection à l’admission de son recours. La question de savoir si elle avait une réelle chance d’obtenir la concession d’affichage n’est à cet égard pas pertinente, dès lors qu’il est justement reproché à l’autorité intimée de ne pas avoir publié d’appel d’offres, privant ainsi les personnes intéressées de la possibilité de présenter un dossier de candidature. Par ailleurs, s’il est vrai que la jurisprudence en matière de marchés publics part du principe qu’il n’y a plus d’intérêt actuel au recours lorsque le contrat litigieux a déjà été conclu, la recourante conserve en l’occurrence un intérêt digne de protection à agir dans la mesure où, d’une part, cette situation est susceptible de se reproduire et, d’autre part, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution du litige s’agissant d’une pratique qui aurait long cours au sein de certaines communes genevoises. Dans ces conditions, soustraire la décision attaquée à tout contrôle pour le seul motif que le contrat a déjà été conclu serait abusif et en contradiction avec la garantie d'accès au juge conférée par l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

9.             Remplissant les autres conditions posées par les art. 62 à 65 LPA, le recours est ainsi recevable.

10.         Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), en soi non réalisée dans le cas d'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., N 515).

11.         Les arguments formulés par les parties à l’appui de leur conclusions respectives, ainsi que les pièces qu’elles ont produites, seront repris et discutés en tant que de besoin, étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

12.         La recourante se plaint du fait que l’autorité intimée ait attribué la concession d’affichage sans avoir organisé un appel d’offres conformément à l’art. 2 al. 7 LMI, ce qui devrait conduire au constat de la nullité de la décision d’attribution de ladite concession d’une part et de la convention du 22 juin 2019 d’autre part, subsidiairement à l’annulation des actes précités.

Pour sa part, l’autorité intimée admet que le contrat litigieux n’a pas fait l’objet d’une mise en concurrence préalable et qu’elle aurait probablement dû organiser un appel d’offres avant de choisir son cocontractant. Se prévalant de la théorie de l’acte détachable, elle estime cependant que le non-respect des prescriptions de l’art. 2 al. 7 LMI ne permet que de faire constater l’illicéité de la décision d’attribution, le contrat - d’ores et déjà conclu - ne pouvant plus être remis en cause, le tribunal n’ayant au demeurant aucune compétence en ce domaine.

13.         Il n’est pas contesté que la transmission d’une concession de monopole d’affichage sur le domaine public telle que celle du cas d’espèce ne relève pas des marchés publics (cf. ATF 143 II 120 consid. 2.2.1), mais tombe en revanche dans le champ d’application de l’art. 2 al. 7 LMI (cf. ATF 143 II 120 consid. 5 ss ; Denis ESSEIVA, Mise en concurrence de l’octroi de concessions cantonales et communales selon l’article 2 al. 7 LMI, in DC 2006, p. 203).

14.         En Suisse, la LMI garantit à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse l'accès libre et non discriminatoire au marché afin qu'elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le territoire suisse (art. 1 al. 1 LMI).

15.         Énoncé sous le titre « Principes de la liberté d’accès au marché », l’art. 2 al. 7 LMI prévoit que la transmission de l'exploitation d'un monopole cantonal ou communal à des entreprises privées doit faire l'objet d'un appel d'offres et ne peut discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse.

Cette disposition, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, impose deux exigences (découlant du droit des marchés publics) : un appel d'offres et l'interdiction de discriminer des personnes ayant leur établissement ou leur siège en Suisse. La mise en place d'un appel d'offres implique certaines obligations procédurales. La collectivité publique doit non seulement organiser une procédure permettant aux personnes (physiques ou morales) privées intéressées par l'exploitation dudit monopole de déposer une offre, mais aussi attribuer la concession par le biais d'une décision contre laquelle des voies de droit doivent être ouvertes (cf. art. 9 al. 1 et 2 LMI; ATF 143 II 598 consid. 4.1.2 ; 143 II 120 consid. 6.4.1 ; 135 II 49 consid. 4.1 ; arrêts 2C_82/2019 du 18 septembre 2019 consid. 4.2 ; 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 6.4.1). Quant à l'interdiction de discriminer, elle s'applique non seulement à la procédure d'appel d'offres stricto sensu, mais aussi à la détermination des critères de sélection et au choix du concessionnaire; elle impose aussi le respect du principe de transparence, qui est son corollaire (ATF 143 II 120 consid. 6.4.1 ; arrêts 2C_82/2019 du 18 septembre 2019 consid. 4.2 ; 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 6.4.1).

16.         Pour définir la portée de l’art. 2 al. 7 LMI, il convient de ne pas perdre de vue la position intrinsèquement différente de l’autorité lors de la passation d’un marché public par rapport à celle exercée lors du transfert d’un monopole. Contrairement au marché public dans lequel la collectivité publique, endossant le rôle de « consommateur », acquiert auprès d'une entreprise privée, en contrepartie du paiement d'un prix, une prestation dont elle a besoin pour exécuter ses tâches publiques, l'attribution d'une concession de monopole cantonal ou communal implique que l'autorité concédante se trouve dans un rôle « d'offreur » ou de « vendeur », puisqu'elle cède, moyennant une redevance et diverses prestations annexes, le droit d'utiliser le domaine public à des fins commerciales (ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 ; 135 II 49 consid. 4.2 ; 125 I 209 consid. 6b ; arrêts 2C_82/2019 du 18 septembre 2019 consid. 4.3 ; 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 6.4.1). Il n'y a pas de droit à l'obtention d'une concession de monopole, car la collectivité publique reste libre d'exercer elle-même l'activité en cause (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 ; 142 I 99 consid. 2.2.1 ; 128 I 3 consid. 3b ; arrêts 2C_82/2019 du 18 septembre 2019 consid. 4.3 ; 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 6.4.1). Ces différences justifient de laisser à la collectivité publique une plus grande liberté dans le choix des critères à remplir par le concessionnaire et des conditions qu'elle peut lui imposer dans l'exercice du monopole qu'en matière de marchés publics (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.3.3 ; 142 I 99 consid. 2.2.1 ; 128 I 3 consid. 3b).

17.         Pour déterminer si concrètement une collectivité publique s'est conformée aux exigences de l'art. 2 al. 7 LMI lors du transfert d'une concession de monopole cantonal ou communal, il convient de tenir compte de ces spécificités (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.4.2 p. 130). Il faut toutefois dans tous les cas que les choix opérés par la collectivité publique respectent les principes de non-discrimination et de transparence, ce qui signifie que toutes les entreprises concernées doivent pouvoir déposer une offre avec les mêmes chances et voir évaluer celle-ci en toute transparence et impartialité (cf. ATF 143 II 120 consid. 6.4.2). En effet, par le biais de l'art. 2 al. 7 LMI, le législateur a cherché à créer une concurrence et une transparence en matière de transferts des concessions de monopole cantonal ou communal, sans pour autant durcir leurs conditions de mise en œuvre ; en d’autres termes, en introduisant l’obligation de recourir à un appel d’offres, le législateur avait voulu faciliter, voire garantir un accès au marché non discriminatoire et transparent, tout en respectant la compétence constitutionnelle des cantons et de communes en matière d’activités économiques à caractère monopolistique (cf. ATF 143 II 598 consid. 4.1.2 ; 143 II 120 consid. 6.3.1).

18.         En l’occurrence, dès lors qu’il y a eu transfert d’un monopole communal au sens de la LMI, l’autorité intimée se devait d’observer les exigences précitées, notamment procédurales.

En particulier, il lui incombait d’organiser une procédure d’appel d’offres, respectant les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence (cf. François BELLANGER, Marché publics et concessions ?, in Marchés publics, 2012, p. 198-201 ; Denis ESSEIVA, op. cit., p.203-206), et de formaliser, à l’issue de celle-ci, le choix du concessionnaire par une décision administrative sujette à recours afin de permettre un contrôle des principes susmentionnés.

Dans la mesure où, en l’espèce, ces exigences n’ont pas été respectées - ce qui n’est du reste pas contesté -, le grief tiré de la violation de l’art. 2 al. 7 LMI doit être admis.

19.         Reste à déterminer les conséquences du non-respect de la procédure d’appel d’offres sur la décision d’attribution de la concession, respectivement sur le contrat de concession lui-même.

20.         La jurisprudence considère que la concession - acte par lequel une collectivité publique accorde le droit à une personne privée d’exercer tout ou partie des droits qu’elle détient en vertu d’un monopole de droit ou de fait - est un acte de nature mixte, en partie unilatéral, en partie bilatéral (ATF 143 II 598 consid. 4.1.1 ; 132 II 485 consid. 9.5 ; 130 II 18 consid. 3.1 ; 113 Ia 357, 361; 80 I 239, 246).

Seront considérées comme unilatérales (ou réglementaire), outre l’octroi même de la concession, les clauses de la concession qui découlent de la loi et qui fixent les devoirs du concessionnaire, notamment en ce qui concerne l’exécution même du service public : horaires, tarifs, surveillance de l’autorité concédante, etc. (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 1048 et 1051).

Les clauses bilatérales, de nature contractuelle, constituent quant à elles un contrat de droit public (ATF 109 II 76, 77). Elles confèrent au bénéficiaire de la concession des droits acquis 8ATF 142 I 99, 113 ; 132 II 485, 513 ; 113 Ia 357, 361). La jurisprudence a précisé que constituaient des droits acquis, dans le cadre d’une concession, les droits résultant de la libre convention des parties et devant être considérés comme des éléments essentiels de la concession, déterminants pour celui qui sollicite celle-ci (ATF 127 II 69, 75) (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 1050).

21.         Dans le contexte de la conclusion d'un contrat par une collectivité publique, la doctrine a élaboré une théorie appelée « théorie des deux niveaux » ou « théorie des actes détachables ». Cette théorie considère que l'on doit distinguer des phases distinctes, la première étant la décision de l'administration (unilatérale et fondée sur le droit public) de conclure le contrat et la deuxième étant le contrat lui-même, en principe rattaché au droit privé (Jean-Philippe DUNAND/Pascal MAHON/Héloïse ROSELLO, Les influences du droit privé du travail sur le droit de la fonction publique, 2016, p. 160). La formalisation d’une décision d’adjudication est une application de la théorie de l’acte détachable, qui permet de distinguer de la conclusion du contrat (acte bilatéral de droit public ou privé), un acte unilatéral régi par le droit public et portant sur la décision de contracter avec une personne déterminée (Thierry TANQUEREL, op cit., N 228 et 1003 ss).

L’avantage de cette théorie est de permettre à l’administré avec lequel l’administration n’a pas voulu contracter d’attaquer la décision préalable « détachable » de ne pas conclure ou de permettre aux tiers touchés par la conclusion d’un contrat d’attaquer la décision de conclure le contrat. Encore faudra-t-il, pour que ce mécanisme soit efficace, qu’il existe une voie de recours, que les administrés en question aient la qualité pour agir et que les pouvoirs d’examen et de décision de l’autorité de recours leur fournissent un remède effectif (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 1003).

22.         La théorie de l’acte détachable présuppose que l’on se trouve en présence d’une résolution ou d’une prise de position émanant de l’administration pour la conclusion ou non d’un contrat, par laquelle une règle de droit public, formelle ou matérielle, a été appliquée, ou n’a pas été appliquée alors qu’elle aurait dû l’être (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 1004).

En matière de marchés publics, la législation a expressément admis l’existence d’une décision administrative précédant la conclusion d’un contrat (cf. art. 15 al. 1 AIMP, 29 let. a LMP). Il en va de même de la LMI (cf. art. 2 al. 7 et 9 al. 1 LMI).

23.         Selon l’art. 9 al. 3 LMI, si, en matière de marchés publics, le recours s’avère fondé et qu’un contrat a déjà été passé avec le soumissionnaire, l’instance de recours se borne à constater dans quelle mesure la décision contestée viole le droit déterminant (cf. ATF 131 I 153 consid. 6 ; cf. également art. 18 al. 2 AIMP et 32 LMP).

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a appliqué par analogie le principe susmentionné à la situation d’une concession attribuée par la Ville de D______ sans appel d’offres LMI préalable. Il a ainsi retenu que, dès lors que les contrats avaient déjà été conclus, la procédure ne pouvait désormais concerner que l’éventuel caractère illicite de la décision d’attribution (arrêt du Tribunal fédéral 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 7).

24.         En l’espèce, comme vu précédemment, l’autorité intimée aurait dû attribuer la concession litigieuse à l’issue d’une procédure d’appel d’offres LMI. En l’absence d’une telle procédure, la décision d’attribution – soit l’acte « détachable » - est contraire au droit, et donc illégale.

À cet égard, il sied de rappeler que selon la théorie de l’acte détachable, constitue une décision administrative sujette à recours la résolution ou la prise de position émanant de l’administration au sujet de la conclusion (ou non) d’un contrat. Il en va ainsi de la décision de contracter avec une personne déterminée à l’issue d’une procédure d’appel d’offres LMI ; il en va de même de celle adoptée par une autorité qui n’a pas organisé l’appel d’offres prescrit par l’art. 2 al. 7 LMI. Aussi, le fait que l’autorité intimée n’ait pas dans le cas d’espèce formalisé le choix de son cocontractant n’est pas déterminant, puisque la décision d’octroyer la concession à l’appelée en cause - plutôt qu’à la recourante qui s’était formellement annoncée candidate auprès de l’autorité intimée en 2018 déjà - a bien été prise préalablement à la conclusion du contrat de concession du 11 juin 2019, lequel ne constitue qu’un acte d’exécution de la décision d’attribution.

En revanche, dès lors que le contrat litigieux a déjà été conclu, le tribunal ne peut en principe plus annuler la décision querellée, mais seulement constater son illicéité, conformément à la jurisprudence susmentionnée, sous réserve d’un cas de nullité absolue.

25.         Selon la jurisprudence, la nullité absolue ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou particulièrement reconnaissables, et pour autant que la constatation de la nullité ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Hormis les cas de nullité expressément prévus par la loi, la nullité ne doit être admise qu'exceptionnellement, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions près la nullité d'une décision ; en revanche, de graves vices de procédure, ainsi que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité (ATF 143 III 495 consid. 2.2 ; 139 II 243 consid. 11.2 ; 138 II 501 consid. 3.1 et les références). Des vices de procédure qui tiennent à des violations du droit d'être entendu sont en soi guérissables et ne conduisent en règle générale qu'à l'annulabilité de la décision entachée du vice. S'il s'agit cependant d'un manquement particulièrement grave aux droits essentiels des parties, les violations du droit d'être entendu entraînent aussi la nullité. C'est en particulier le cas quand la personne concernée par une décision, à défaut d'avoir été citée, ignore tout de la procédure ouverte à son encontre et, partant n'a pas eu l'occasion d'y prendre part (ATF 129 I 361 consid. 2.1 et les arrêts cités). A aussi été considérée comme nulle une modification d’un plan d’affectation qui n’avait fait l’objet d’aucune publication, et par conséquent d’aucune possibilité de recours, contrairement aux dispositions impératives du droit fédéral (ATF 114 1b 180, 183-184).

26.         Il résulte ainsi en particulier de ce qui précède que l'illégalité d'une décision ne constitue pas par principe un motif de nullité (ATF 130 II 249 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_538/2013, 6B_563/2013 du 14 octobre 2013 consid. 5.3).

Dans cette mesure, en règle générale, un acte administratif illégal est simplement annulable dès lors que la plupart des décisions viciées le sont par leur contenu. Reconnaître la nullité autrement que dans des cas tout à fait exceptionnels conduirait à une trop grande insécurité ; par ailleurs, le développement de la juridiction administrative offrant aux administrés suffisamment de possibilités de contrôle sur le contenu des décisions, on peut attendre d'eux qu'ils fassent preuve de diligence et réagissent en temps utile (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_1/2013 du 11 janvier 2013 consid. 4 ; 9C_333/2007 du 24 juillet 2008 consid. 2.1).

27.         Une décision nulle est censée ne jamais avoir existé, de sorte que la nullité ne se décide pas, mais se constate (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 919).

La nullité d'une décision peut être invoquée en tout temps, devant toute autorité et doit être constatée d'office (cf. ATF 139 II 243, 260 ; 138 II 501, 503 ; 137 I 273, 275 ; 129 I 361, 363 ; 122 I 97, 98 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 281).

28.         La non-publication d'un appel d'offres ou l'utilisation injustifiée de la procédure de gré à gré constitue un cas patent de décision absolument nulle, qui devrait être sanctionnée par la nullité du contrat lorsque celui-ci est déjà conclu. Cette sanction est même la seule efficace (Évelyne CLERC, Le sort du contrat conclu en violation des règles sur les marchés publics, in Pratique juridique actuelle, 1997, pp. 804-814).

29.         En l’occurrence, l’irrégularité en cause est particulièrement grave, dans la mesure où, en s’affranchissant de l’obligation d’organiser un appel d’offres, l’autorité intimée a non seulement violé les principes de transparence et de non-discrimination garantis par l’art. 2 al. 7 LMI, mais elle a également violé les principes constitutionnels fondamentaux que doit respecter toute collectivité publique en matière de passation de marchés, notamment les principes de la neutralité concurrentielle de l’activité étatique et de l’égalité de traitement entre concurrents ancrés à l’art. 27 al. 1 Cst. (Thierry TANQUEREL, op. cit., N 80 ss). Cette violation a pour conséquence de priver la recourante, empêchée à tort de participer à la procédure d’appel d’offres, de la possibilité de pouvoir attaquer la décision d’attribution avant que le contrat ne soit conclu, la plaçant ainsi devant le fait accompli. Cette violation apparaît d’autant plus grave que la recourante s’était, dès 2017 déjà, régulièrement annoncée candidate auprès de l’autorité intimée pour participer à la prochaine mise au concours de la concession d’affichage sur son domaine public, soit bien avant la conclusion de la convention litigieuse en juin 2019. Elle l’est également eu égard à la durée de la concession octroyée à l’appelée en cause, la concession actuelle, d’une durée de dix ans renouvelable pour une durée de cinq ans, constituant le renouvellement d’une précédente concession, également octroyée à l’appelée en cause, depuis 2004. À cela s’ajoute que, de l’aveu même de l’autorité intimée, cette pratique – consistant à renoncer à une mise en concurrence – serait courante dans certaines communes genevoises.

Considérant ce qui précède, il y a lieu de constater que la décision prise par l’autorité intimée de contracter avec l’appelée en cause, sans passer par un appel d’offres, est entachée d’un vice grave et manifeste et doit par conséquent être considérée comme nulle.

Cette sanction est par ailleurs proportionnée par rapport à la gravité de la violation. Comme le relève la doctrine, « il serait choquant que puisse être sanctionnés, par le biais de l’annulation de la décision, des violations plus bénignes commises dans le cadre d’une procédure de passation de marché avec mise en concurrence et que reste de facto impunie la renonciation pure et simple à une telle mise en concurrence » (Évelyne CLERC, op. cit., p. 811). Et de conclure que « cela équivaudrait à encourager les pouvoirs adjudicateurs à faire usage d’une telle pratique ».

L’intérêt à une correcte application du droit doit donc dans le cas d’espèce l’emporter sur celui de la sécurité du droit, respectivement de la protection de la confiance, étant relevé que l’appelée en cause ne pouvait ignorer l’irrégularité de la décision d’attribution, ayant elle-même participé à des appels d’offres pour l’octroi de concessions d’affichage sur le domaine public d’autres communes genevoises (cf. not. ATA/1271/2018 du 27 novembre 2018, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_82/2019 du 18 septembre 2019).

30.         En conséquence, la nullité de la décision d’attribution de la concession d’affichage prise par l’autorité intimée en faveur de l’appelée en cause sera constatée.

La cause sera renvoyée à l’autorité intimée afin qu’elle procède dans un délai raisonnable, mais n’excédant pas quatre mois, à un appel d’offres conforme aux exigences légales applicables (cf. arrêts 2C_569/2018 du 27 mai 2019 consid. 7 ; 2C_446/2011 du 10 octobre 2011 consid. 1.2 et les références ; jugements tessinois 52.2018.305, C-216/17, C-216/17 commenté par BEYELER, in DC 2019 p. 235 s ; CDAP VD GE.2007.0013 du 6 novembre 2009, consid. 5c).

Il appartiendra cas échéant à la recourante de saisir les juridictions compétentes pour remettre en cause le contrat de concession conclu le 11 juin 2019, le tribunal de céans n’étant pas compétent en la matière (art. 116 et 132 al. 1 LOJ). Les conclusions de la recourante prises dans ce sens sont par conséquent irrecevables.

31.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les parties intimées, prises conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnées au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’200.-.

32.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2’500.-, à la charge de des parties intimées, prises conjointement et solidairement, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


 

 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             admet, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 26 février 2020 par A______ contre la décision de la Ville de B______ du 27 janvier 2020 ;

2.             constate que la décision d’attribution de la concession de droit exclusif d’employer des procédés de réclame sur le domaine public et privé de la Ville de B______ prise le 11 juin 2019 par la Ville de B______ en faveur de C______, pour la période allant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2029, est nulle ;

3.             renvoie la cause à la Ville de B______ afin d’elle procède, dans un délai n’excédant pas quatre mois, à un appel d’offres en vue de l’attribution de la concession de droit exclusif d’employer des procédés de réclame sur son domaine public et privé ;

4.             met à la charge de la Ville de B______ et de C______, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’200.- ;

5.             ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 700.- ;

6.             condamne la Ville de B______ et C______, prises conjointement et solidairement, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 2’500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

 

 

 

 

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Julien PACOT et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière