Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/18751/2020

ACJC/1470/2022 du 14.11.2022 sur JTBL/89/2022 ( OBL ) , MODIFIE

Recours TF déposé le 16.12.2022, rendu le 08.03.2023, IRRECEVABLE, 4A_571/2022
Normes : CO.271; CO.271a; CO.272
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18751/2020 ACJC/1470/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 14 NOVEMBRE 2022

 

Entre

A______ SA, p.a. B______ SA, rue ______, Genève, appelante et intimée d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 février 2022, comparant par Me Tano BARTH, avocat, route des Jeunes 9, 1227 Les Acacias, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______, domicilié ______[GE],

appelant et intimé du susdit jugement, comparant par Me Aleksandra PETROVSKA, avocate, rue Sautter 29, 1205 Genève, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/89/2022 du 8 février 2022, communiqué aux parties par pli du 9 février 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré valable le congé notifié le 28 août 2020 pour le 31 mars 2021 à C______ et D______ concernant l'arcade d'environ 112 m2 sise 1______ aux H______[QUARTIER-GE] (ch. 1 du dispositif), a accordé à C______ et D______ une unique prolongation de bail de trois ans, échéant le 31 mars 2024 (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 9 mars 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ SA (ci-après également : la bailleresse) forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation du chiffre 2 de son dispositif.

b. Par acte déposé le 14 mars 2022 au greffe de la Cour de justice, C______ et D______ (ci-après également : les locataires) forment également appel contre ce jugement, dont ils sollicitent l'annulation.

Ils concluent, principalement, à l'annulation du congé qui leur a été notifié le 28 août 2020 et, subsidiairement, à l'octroi d'une première prolongation de bail de six ans.

c. Dans sa réponse du 7 avril 2022, A______ SA conclut au rejet de l'appel des locataires.

d. Dans leur réponse du 11 avril 2022, C______ et D______ concluent au rejet de l'appel de la bailleresse.

e. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

f. Les parties ont été avisées le 2 juin 2022 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il résulte du dossier les faits pertinents suivants :

a. A______ SA est une société anonyme ayant pour but l'acquisition, la possession, l'exploitation et la vente d'immeubles dans le canton de Genève.

E______ et F______ en sont les administrateurs.

b. Le 1er avril 2011, A______ SA, bailleresse, et C______ et « D______ », qui n'est pas inscrite au Registre du commerce, locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une arcade d'environ 112 m2 sise 1______ aux H______[QUARTIER-GE].

Les locaux étaient destinés à l'usage d'exploitation d'un magasin de vente de produits asiatiques.

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, du 1er avril 2011 au 31 mars 2016, renouvelable tacitement de cinq ans et cinq ans, le préavis de résiliation étant de six mois.

Le loyer annuel, réputé indexé à l'Indice suisse des prix à la consommation, a été fixé par le contrat à 27'480 fr., charges non comprises à hauteur de 2'040 fr. par an.

c. C______ est marié et père de deux enfants et est le seul membre de la famille à travailler.

Il est également locataire d'une arcade sise 2______, dans laquelle il exploite un commerce d'alimentation asiatique à l'enseigne D______.

d. Une autre arcade, également sise 1______ et voisine de celle louée par C______, est exploitée par E______ et F______ par le biais de la société I______, F______ et G______ (SNC), dont ils sont associés.

Cette société a pour but la vente d'habits, de chaussures et accessoires de sécurité et de loisir, d'outillage, de serrurerie et de matériel de nettoyage.

e. Par courrier du 24 juin 2015, la bailleresse, ayant constaté que l'arcade louée par les locataires au 1______, était constamment fermée - des cartons étant par ailleurs collés sur la vitrine, nuisant à l'esthétique de l'immeuble et laissant croire que les locaux étaient à remettre - a mis en demeure ceux-ci de respecter la destination des locaux indiquée dans le bail, à savoir l'exploitation d'un magasin de produits asiatiques, l'affectation de ceux-ci ayant été modifiée.

f. Par courrier du 29 juillet 2015, la bailleresse a informé les locataires avoir constaté qu'ils n'occupaient plus l'arcade et que cette dernière était sous-louée sans autorisation. Ils étaient mis en demeure de mettre un terme à cette sous-location, les personnes occupant les locaux étant par ailleurs à l'origine de nuisances sonores importantes et de nombreux va-et-vient dérangeant les autres résidents de l'immeuble.

g. Par courrier du 18 février 2016, la bailleresse a indiqué aux locataires avoir constaté une nouvelle fois que l'arcade était fermée, qu'aucune clientèle n'y accédait alors qu'elle était destinée à la vente de produits asiatiques et que la vitrine était obstruée par des paquets de toutes tailles et des boîtes. Elle les a mis en demeure de respecter la destination des locaux.

h. Par avis du 28 août 2020, la bailleresse a résilié le bail pour le 31 mars 2021.

i. Par requête en contestation de congé du 23 septembre 2020, déclarée non conciliée à l'audience du 24 novembre 2020 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, puis portée devant le Tribunal le 25 novembre 2020, les locataires ont conclu, principalement, à l'annulation du congé et, subsidiairement, à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans.

j. Dans sa réponse du 26 janvier 2021, la bailleresse a conclu au rejet de la requête des locataires, au refus de toute prolongation de bail et à la constatation du fait que le bail prendrait fin le 31 mars 2021.

Reconventionnellement, elle a conclu à la libération de l'arcade, à la remise des clés au plus tard le 1er avril 2021 sous la menace de la peine d'amende prévue à l'article 292 CP, à l'exécution directe de la décision, au paiement du loyer du 1er avril 2021 jusqu'à la libération des locaux et à la libération en sa faveur de la garantie de loyer à due concurrence.

A l'appui de ses conclusions, la bailleresse a motivé le congé par le fait que les locataires n'utilisaient plus l'arcade conformément à sa destination, mais comme dépôt et par le fait qu'elle avait elle-même besoin de l'arcade pour développer sa propre activité. Elle a allégué avoir proposé aux locataires, à titre de locaux de remplacement, un dépôt d'environ 200 m2 sis 3______ aux H______[QUARTIER-GE], pour un loyer de 3'000 fr. par mois. Elle a notamment produit des photographies de l'arcade litigieuse, sur la porte de laquelle figure une flèche indiquant l'entrée à 20 mètres.

k. Dans leur réponse à la demande reconventionnelle du 15 mars 2021, les locataires ont conclu au rejet de cette dernière et ont persisté dans leurs précédentes conclusions.

Ils ont contesté avoir modifié l'affectation de l'arcade ou l'avoir sous-louée.

l. Le 17 juin 2021, la bailleresse s'est déterminée sur les allégués des locataires figurant dans leur réponse à la demande reconventionnelle.

m. Lors de l'audience du 18 juin 2021, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

Les locataires ont conclu à l'irrecevabilité des déterminations de la bailleresse du 17 juin 2021.

E______ a expliqué la résiliation du bail par deux motifs. D'une part, elle avait besoin d'agrandir sa propre arcade voisine et de disposer d'une vitrine pour exposer de la marchandise. Elle avait de nouveaux produits, mais pas de place pour les exposer, de sorte qu'elle ne pouvait les vendre que sur le site internet du magasin, lui faisant ainsi perdre des clients. Sa société serait convertie en Sàrl le 1er juillet 2021 et elle avait engagé une personne supplémentaire à cette date. Elle espérait engager une quatrième personne dès le mois de septembre 2021.

D'autre part, l'arcade était mal exploitée. Selon E______, il était faux de prétendre que le magasin situé au n° 1______ était toujours ouvert. Il n'y avait que les employés qui avaient la clé et faisaient des allers et retours pour y chercher de la marchandise et la porte était toujours fermée.

C______ a expliqué que les deux magasins étaient exploités, les petits produits étant vendus au n° 2______ et les produits plus volumineux, notamment pour les restaurants, au n° 1______. Les deux magasins étaient ouverts toute la journée. Quatre personnes travaillaient pour lui, lesquelles étaient réparties entre les deux magasins. La caisse enregistreuse se situait au n° 2______, mais il y avait un seul compte pour les deux magasins. C______ envisageait de déménager quand il trouverait un local plus grand pour réunir les deux arcades. Un déménagement lui coûterait cher et il risquerait de perdre sa clientèle. Ce serait financièrement catastrophique pour lui. Il n'avait pas besoin d'un dépôt, raison pour laquelle il avait refusé les locaux proposés par la bailleresse.

n. Le 24 juin 2021, la bailleresse a informé le Tribunal de ce que les locataires avaient enlevé de la porte d'entrée de l'arcade au n° 1______, la flèche indiquant « magasin à 20 mètres ». Ils craignaient que les locataires entreprennent encore diverses autres démarches en vue de la future inspection locale pour donner au « dépôt » l'apparence d'un magasin.

o. Le Tribunal a procédé à une inspection locale des locaux le 30 septembre 2021.

Dans l'arcade située au 1______, il a constaté la présence de rayonnage, avec des palettes de nourriture et des prix affichés sous chaque marchandise.

Selon C______, l'arcade était exploitée pour la vente et ne servait pas à stocker de la marchandise. Il a précisé qu'elle était utilisée pour la vente en gros pour les restaurants et les gros clients, ces derniers venant choisir la marchandise dans ce local avant de se déplacer au n° 2______ pour payer. S'agissant de la flèche sur la porte, l'inscription était partie avec le soleil.

Le Tribunal s'est ensuite rendu dans le local situé à proximité (30 secondes à pied), proposé aux locataires en remplacement de l'arcade pour stocker la marchandise. Un accès en camionnette était possible. Selon la bailleresse, il s'agissait d'une surface d'environ 130 m2, alors que le commerce en question faisait 115 m2.

Le Tribunal s'est enfin rendu dans l'arcade des administrateurs de la bailleresse, lesquels ont indiqué ne pouvoir exposer qu'une petite partie de leur stock, l'arcade mesurant environ 70 m2.

p. Par écritures des 3 novembre 2021, la bailleresse a conclu à ce qu'il soit ordonné aux locataires de lui remettre les clés de l'arcade située au n° 9 au plus tard 30 jours pour la fin d'un mois dès l'entrée en force du jugement, sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP, et à l'exécution directe de la décision dans les 60 jours dès l'entrée en force de celle-ci. Pour le surplus, elle a persisté dans ses conclusions.

q. Par écritures du 15 novembre 2021, les locataires ont persisté dans leurs conclusions.

r. Les demandeurs ont répliqué le 1er décembre 2021 et la cause a ensuite été gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse s'élève à 88'560 fr. ((27'480 fr. + 2'040 fr.)
x 3 ans). Elle est donc supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 Selon l'art. 311 al. 1 et 2 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision, laquelle doit être jointe au dossier.

Les deux appels ont été interjetés dans les délais et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC). Ils sont ainsi recevables sous réserve du chiffre 1.4 ci-après.

1.4 La capacité d'être partie au procès est subordonnée soit à la jouissance des droits civils, soit à la qualité de partie en vertu du droit fédéral (art. 66 CPC).

Les personnes morales acquièrent la personnalité en se faisant inscrire au Registre du commerce (art. 52 al. 1 CC). Dès qu'elle acquiert la personnalité, la personne morale jouit des droits civils (art. 53 CC) et se voit attribuer la capacité d'être partie au procès. La capacité d'être partie constitue une condition de recevabilité de la demande (art. 59 al. 2 let. c CPC) et, à ce titre, est examinée d'office par le juge (art. 60 CPC). La non réalisation de cette condition aboutira, le cas échéant, à un jugement d'irrecevabilité dépourvu d'autorité de chose jugée (JEANDIN, CR-CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 66 CPC).

En l'espèce, bien que « D______ » figure formellement sur le contrat de bail à loyer entre les parties en qualité de locataire aux côtés de C______, elle n'a pas la capacité d'être partie à la procédure, faute d'être inscrite au Registre du commerce et donc de personnalité juridique. La qualité des parties à la procédure sera dès lors rectifiée en ce sens que seul C______ est partie, à l'exclusion de D______.

1.5 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 2314 et 2416; Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

2. C______ (ci-après également : le locataire) fait griefs au Tribunal d'avoir violé les art. 271 et 271a CO, faisant valoir que les motifs avancés pour justifier la résiliation ne sont que des prétextes, de sorte que l'avis de résiliation doit être considéré comme chicanier. De plus, la bailleresse a indiqué ces motifs seulement devant le Tribunal.

Il soutient également qu'il utilise l'arcade conformément à son affectation initiale, soit pour l'exploitation d'un magasin de produits asiatiques et non comme un espace de stockage.

Enfin, l'espace sis au 3______, ne peut pas convenir en tant que local de remplacement du fait qu'il s'agit d'un espace de stockage.

2.1 Chaque partie est en principe libre de résilier un bail de durée indéterminée pour la prochaine échéance convenue en respectant le délai de congé prévu. La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l'existence d'un motif de résiliation particulier (cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1). En principe, le bailleur est donc libre de résilier le bail, notamment, dans le but d'adapter la manière d'exploiter son bien selon ce qu'il juge le plus conforme à ses intérêts (ATF 136 III 190 consid. 3), pour effectuer des travaux de transformation, de rénovation ou d'assainissement (ATF 142 III 91 consid. 3.2.2 et 3.2.3; 140 III 496 consid. 4.1), pour des motifs économiques (arrêts du Tribunal fédéral 4A_19/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2; 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.1 et 4.3) ou encore pour utiliser les locaux lui-même ou pour ses proches parents ou alliés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.3 et 4.5; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.3 et 4).

Au regard de l'art. 271 al. 1 CO, le bailleur - personne physique ou personne morale - peut légitimement avancer l'intention d'attribuer les locaux loués à un tiers, tel qu'un ami, une relation d'affaires ou un employé, car toute espèce de motif est en principe admissible, et, a priori, il n'y a pas d'abus à résilier le contrat pour le terme légal ou convenu. La loi ne fait pas référence, ici, à un besoin personnel du bailleur ou de ses proches parents ou alliés. Une société anonyme peut donc vouloir attribuer les locaux à son actionnaire, ou à une autre personne liée à celui-ci, aussi bien qu'à d'autres tiers (arrêt du Tribunal fédéral 4A_128/2019 du 3 juillet 2019 consid. 3.1 et les références citées).

Lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, la seule limite à la liberté contractuelle des parties réside dans les règles de la bonne foi: le congé qui y contrevient est alors annulable (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO). La protection assurée par les art. 271 et 271a CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). De manière générale, un congé est contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier ou consacrant une disproportion crasse entre l'intérêt du preneur au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).

Le but de la règlementation des art. 271 et ss. CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives. Un congé n'est pas contraire aux règles de la bonne foi du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1) ou que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin (arrêts du Tribunal fédéral 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.2; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.2). Il faut en effet une disproportion crasse entre l'intérêt du preneur au maintien du contrat et l'intérêt du bailleur à y mettre fin (ACJC/257/2018 du 5 mars 2018 consid. 2.1; ACJC/247/2020 du 10 février 2020 consid. 5.2).

En vertu de l'art. 271 al. 2 CO, le congé ne doit être motivé que si l'autre partie le demande. La motivation du congé revêt toutefois une importance décisive lorsqu'il s'agit de décider si le congé est contraire aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO). La motivation peut en principe encore être indiquée devant le Tribunal de première instance, la maxime inquisitoire simple étant applicable (art. 229 al. 3, 247 al. 2 let. a en relation avec l'art. 243 al. 2 let. c CPC; ATF 138 III 59 consid. 2.3). La détermination du sens et de la portée du motif s'effectue conformément aux principes généraux en matière d'interprétation des manifestations de volonté (ATF 127 III 444 consid. 1a p. 445). Il ne faut donc pas s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont le bailleur a pu se servir (art. 18 al. 1 CO).

2.2 En l'espèce, les premiers juges ont considéré que le motif allégué par la bailleresse, à savoir que celle-ci souhaitait récupérer les locaux concernés pour y développer l'activité exercée par ses administrateurs par le biais d'une autre société dans l'arcade adjacente, était digne de protection et justifiait le congé.

A l'instar du Tribunal, la Cour retiendra que les administrateurs ont confirmé la réalité de ce motif, qui paraît crédible. De son côté, le locataire a échoué à démontrer que ceux-ci pouvaient continuer à développer leur commerce dans la configuration actuelle.

S'agissant du moment de la motivation du congé, celle-ci n'était pas tardive conformément à la jurisprudence précitée, ayant été donnée par la bailleresse à tout le moins dans son mémoire de réponse devant le Tribunal.

Par surabondance et s'agissant du deuxième motif de la résiliation du bail, à savoir que le locataire n'utilise plus l'arcade conformément à sa destination initiale de magasin mais comme un dépôt, la Cour retiendra à l'instar du Tribunal que la procédure a établi que celui-ci ne fait pas un usage de l'arcade louée conforme à la destination des locaux.

Les vitrines ne sont pas exploitées comme telles. L'ouverture principale du magasin et l'encaissement se font par la seconde arcade sise au n° 2______, l'arcade en question ayant pour principale fonction la vente en gros à des clients commerciaux.

Cela étant, la question de savoir si cet usage est un motif digne de protection pour justifier le congé, peut rester ouverte, étant précisé que ce motif n'est pas chicanier, comme le prétend à tort le locataire.

Enfin, le fait de savoir si l'espace proposé par la bailleresse sis au 3______, constitue des locaux de remplacement équivalents, n'a pas à être examiné au stade de l'analyse de la validité du congé, mais le sera ci-après dans le cadre de la prolongation.

Le locataire a donc échoué à démontrer que les motifs avancés par la bailleresse sont des prétextes.

En l'absence de disproportion manifeste des intérêts en présence, une pesée des intérêts n'a pas lieu d'être dans le cadre de l'analyse de la validité de la résiliation, contrairement à ce que soutient le locataire.

Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

3. Le locataire fait griefs au Tribunal d'avoir violé l'art. 272 al. 1 CO, ne lui ayant pas octroyé une première prolongation de 6 ans en raison de la disproportion manifeste des intérêts en présence.

L'arcade en question est, selon lui, toujours ouverte, elle est utilisée comme magasin d'alimentation et il a un besoin vital de pouvoir la conserver, un déménagement signifiant l'arrêt de son activité commerciale du fait de la configuration de ses deux arcades. Quant à la bailleresse, elle n'a pas, selon le locataire, démontré avoir besoin de l'arcade concernée pour agrandir son magasin actuel. Enfin, les locaux de remplacement proposés par la bailleresse ne sont pas conformes à ses besoins et une prolongation au 31 mars 2024 ne lui permettra pas de trouver des nouveaux locaux.

La bailleresse fait quant à elle grief aux premiers juges d'avoir violé les art. 272 et 272a al. 1 let. b et 2 CO en n'ayant pas refusé toute prolongation.

Elle soutient qu'aucune conséquence pénible n'est supportée par le locataire, le magasin n'étant pas exploité comme tel, mais comme un dépôt. De plus, ce dernier a gravement violé son devoir de diligence, en exploitant l'arcade contrairement au contrat de bail et en ayant réalisé des travaux qu'elle n'avait pas autorisés. Enfin, elle lui a proposé des locaux de remplacement équivalents.

3.1 Selon l'art. 272 al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation du bail lorsque la fin du contrat aurait pour lui ou sa famille des conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur ne le justifient. Pour trancher la question, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en prenant en considération notamment les critères énumérés à l'al. 2 de cette disposition. Lorsqu'il s'agit de locaux commerciaux, la durée maximale de la prolongation est de six ans; dans cette limite, le juge peut accorder une ou deux prolongations (art. 272b al. 1 CO).

Selon la jurisprudence, la prolongation du bail n'a de sens que si le report du congé permet d'espérer une atténuation des conséquences pénibles qu'entraînerait ce congé et laisse prévoir qu'un déménagement ultérieur présenterait moins d'inconvénients pour le locataire, lequel ne saurait, en revanche, invoquer les conséquences nécessairement liées à la résiliation du bail en tant que telle. Il s'agit d'accorder au locataire plus de temps que ne lui en donne le délai de résiliation ordinaire pour chercher de nouveaux locaux, et non pas de lui donner l'occasion de profiter le plus longtemps possible de locaux au loyer avantageux (ATF 116 II 446 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_639/2018 du 21 novembre 2019 consid. 6.1; 4A_556/2015 du 3 mai 2016 consid. 4.2).

Lorsqu'il doit se prononcer sur une prolongation du bail, le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but de la prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4b) ou à tout le moins pour adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat (ATF 116 II 446 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4C.139/2000 du 10 juillet 2000 consid. 2a). Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, tels que la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, de même que la situation sur le marché locatif local (ATF 136 III 190 consid. 6 et les arrêts cités; 125 III 226 consid. 4b). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, comme de la durée de la procédure judiciaire qui prolonge en fait le bail (arrêts du Tribunal fédéral 4A_639/2018 précité consid. 6.1; 4A_545/2013 du 28 novembre 2013 consid. 3.1), ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (cf. ATF 125 III 226 consid. 4c; arrêt du Tribunal fédéral 4C.425/2004 du 9 mars 2005 consid. 3.4).

Le choix entre une ou deux prolongations doit permettre au juge de retenir la solution la plus adaptée aux circonstances (arrêts du Tribunal fédéral 4A_386/2014 du 11 novembre 2014 consid. 4.3.1; 4A_105/2009 du 5 juin 2009 consid. 3.1 et la référence au Message du Conseil fédéral); il peut donc, dans la pesée des intérêts des deux parties, décider d'accorder une première prolongation du bail ou une prolongation définitive et, cas échéant, en fixer la durée. Il n'y a pas de priorité de l'une de ces solutions par rapport à l'autre (arrêts du Tribunal fédéral 4A_386/2014 précité consid. 4.3.1; 4A_105/2009 précité consid. 3.2).

Selon l'art. 272a al. 2 CO, en règle générale, aucune prolongation n'est accordée lorsque le bailleur offre au locataire des locaux d'habitation ou des locaux commerciaux équivalents.

A teneur de l'art. 272a al. 1 let. b CO, aucune prolongation n'est accordée lorsqu'un congé est donné pour violation grave par le locataire de son devoir de diligence ou pour de graves manques d'égards envers les voisins (art. 257f al. 3 et 4 CO).

3.2 En l'espèce, les premiers juges ont procédé à une pesée des intérêts en présence pour fixer une unique prolongation de bail de trois ans.

Concernant le locataire, ils ont retenu à juste titre la durée de dix ans du bail, le fait qu'il n'a pas allégué avoir entrepris des démarches pour trouver une arcade de remplacement et qu'il a un intérêt à trouver un local de remplacement dans le même quartier en raison de l'autre arcade qu'il loue, rendant ses démarches compliquées même si le canton de Genève ne connaît pas de pénurie en matière de locaux commerciaux.

S'agissant des intérêts de la bailleresse, les premiers juges ont à raison considéré son besoin légitime de récupérer les locaux pour un de ses administrateurs, lequel ne présente pas d'urgence particulière.

La pesée des intérêts du Tribunal ne prête pas le flanc à la critique. Au vu de ce qui précède, il n'y a pas de disproportion manifeste des intérêts en présence, contrairement à ce que soutient le locataire.

En outre, la bailleresse n'a pas établi que le locataire avait gravement violé son devoir de diligence au sens de l'art. 272a al. 1 let. b CO.

A l'instar du Tribunal, la Cour retiendra que les locaux de remplacement proposés par la bailleresse ne peuvent pas être considérés comme équivalents à ceux en question, les premiers ayant pour but le stockage, alors que les deuxièmes sont à considérer comme un magasin.

Partant, au vu de ce qui précède, la prolongation de bail de trois ans sera confirmée en faveur du locataire, à l'exclusion de D______, faute pour elle d'avoir de personnalité juridique (cf. supra ch. 1.4). Le jugement entrepris sera modifié en ce sens.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

Préalablement :

Rectifie la qualité de partie de C______ et D______ par C______ seul.

A la forme :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 14 mars 2022 par D______ et déclare recevables les appels interjetés le 9 mars 2022 par A______ SA et le 14 mars 2022 par C______ contre le jugement JTBL/89/2022 rendu le 8 février 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18751/2020.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif de ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Accorde à C______ une unique prolongation de bail de trois ans, échéant le 31 mars 2024.

Confirme ce jugement pour le surplus.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER et Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 


 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.