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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2665/2021

ATAS/60/2023 du 01.02.2023 ( LAMAL ) , ADMIS/RENVOI

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : SUBVENTION;PRIME D'ASSURANCE;RÉDUCTION DES PRIMES(AM);TARIF DES PRIMES;SITUATION FINANCIÈRE;PARENTS
Normes : Cst.5.al1; Cst.8.al1; LAMal.65.al1; LaLAMal.19.al1; LaLAMal.20.al1.leta; LaLAMal.20.al3.leta; LaLAMal.20.al4; LaLAMal.20.al5; RaLAMal.10.al4; RaLAMal.10.al5; RaLAMal.10.al6
Résumé : Le fait que le législateur genevois ait considéré que, sous un certain montant du RDU, l’examen particulier de la situation économique des assurés âgés de 25 ans et plus, ne bénéficiant pas de prestations d’aide sociale, s’impose pour justifier l’octroi de subsides (cf. art. 20 al. 3 let. a LaLAMAL), n’apparaît pas contraire à l’art. 8 al. 1 Cst. Procédant ensuite à l’interprétation de l’art. 10 al. 6 RaLAMal, la Cour de céans a estimé que cette disposition ne constitue pas une base légale matérielle suffisante permettant la prise en compte systématique du RDU de l’ascendant d’un assuré âgé de 25 ans et plus et faisant ménage commun, pour déterminer la situation économique de l’intéressé et, partant, si ce dernier a droit un subside. Par conséquent, la directive établie par le SAM intitulée « Procédure d’attribution du subside pour les personnes ayant un RDU inférieur au « plancher » fixé par le Règlement qui se base sur l’art. 10 al. 6 RaLAMal » et qui prévoit notamment le rejet d’une requête de subside lorsque le requérant vit chez ses parents, enfants ou grands-parents et que ceux-ci disposent d’un RDU supérieur à CHF 150'000.- (pour une personne seule) ou à CHF 200'000.- (pour un couple), doit être écartée et la décision litigieuse, fondée sur ces seuls critères, annulée. Dans la mesure où le recourant n’a pas eu l’opportunité de démontrer de manière détaillée que sa situation économique justifiait l’octroi de subsides, il appartient à l’intimé de compléter l’instruction en établissant les moyens d’existence et la situation économique effective de l’intéressé, étant précisé que les RDU de l’intéressé et de son père ne sauraient suffire à établir de façon détaillée sa situation économique ; d’autres éléments étant susceptibles d’être pris en compte, tels que par exemple la fortune du recourant, la situation financière précise du père, le versement d’une éventuelle contribution d’entretien en faveur du recourant, la prise en compte du revenu du groupe familial, etc.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2665/2021 ATAS/60/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 1er février 2023

 

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié rue D______, GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maîtres Pierre GABUS et Lucile BONAZ

recourant

 

contre

SERVICE DE L'ASSURANCE-MALADIE, sis route de Frontenex 62, GENÈVE

 

 

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né en ______ 1992, célibataire et sans enfant, réside dans le canton de Genève depuis le ______ 1992.

b. Depuis le 1er février 2009 et jusqu’à la date de la décision faisant l’objet de la présente procédure, il vivait à la rue D______ à Genève avec sa sœur cadette, Madame B______ et son père, Monsieur C______. Durant cette période, il exposait être à la charge de celui-ci.

c. Du 24 août 2009 au 23 août 2013, l’assuré a accompli un apprentissage à la suite duquel il a obtenu un certificat fédéral de capacité d’installateur-électricien. Il a exercé cette profession jusqu’au 31 janvier 2018.

d. L’assuré ne s’est ensuite pas inscrit au chômage car il effectué des stages (modestement rémunérés) dans l’objectif de pouvoir s’inscrire à la Haute école de travail social, institution rattachée à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale. Il y a été admis par décision du 17 juin 2019 et a débuté ses études en septembre 2019.

e. Le revenu déterminant unifié 2018 (ci-après : RDU) de l’assuré s’est élevé à CHF 56'281.- en se fondant sur sa situation économique en 2016.

f. Le RDU 2019 de l’assuré s’est élevé à CHF 52'833.- en se fondant sur sa situation économique en 2017.

g. Le RDU 2020 de l’assuré, fondé sur l’année de référence 2018, s’est élevé à CHF 12'212.-. Le RDU « socle » était de CHF 11'132.-, auquel s’ajoutaient CHF 1'080.- au titre des subsides versés en 2018 par le service de l’assurance-maladie (ci-après : le SAM ou l’intimé).

h. Le RDU 2020 du père de l’assuré, également fondé sur l’année de référence 2018, s’est élevé quant à lui à CHF 219'067.-.

B. a. Par décision datée du 25 juillet 2019, le SAM a octroyé à l’assuré un subside mensuel de CHF 90.- pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie de base, pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2018.

b. Par décision datée du 10 septembre 2019, le SAM a octroyé à l’assuré un subside mensuel de CHF 90.- pour le paiement de ses primes d’assurance-maladie de base, pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2019.

C. a. Par courrier daté du 6 août 2020, le SAM a informé l’assuré qu’il se trouvait dans une situation où la loi présumait l’absence de subside, dès lors que son RDU 2020 était inférieur à CHF 15'000.-. L’intéressé conservait cependant la possibilité de démontrer qu’il y avait droit, à l’aune de ses moyens d’existence concrets.

b. Par courrier daté du 18 août 2020, l’assuré a requis du SAM le versement de subsides pour l’année 2020 au moyen du formulaire idoine.

c. Par décision datée du 21 août 2020, le SAM a refusé d’octroyer à l’assuré des subsides d’assurance-maladie pour l’année 2020, dès lors qu’il faisait ménage commun avec son père et que celui-ci vivait dans l’aisance.

d. En date du 21 septembre 2020, l’assuré s’est opposé à cette décision. De son opinion, il n’était pas conforme au cadre légal de considérer que son père et lui-même formaient une unité économique de référence commune.

e. Par décision sur opposition datée du 21 juin 2021, le SAM a maintenu sa position initiale tout en précisant que la situation économique de l’assuré n’était pas suffisamment précaire pour justifier l’octroi d’un subside, dès lors que son père avait envers lui un devoir de soutien fondé sur l’art. 328 CC et que le RDU 2020 de ce dernier était supérieur à CHF 150'000.-.

D. a. Par mémoire du 16 août 2021, l’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 21 juin 2021 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) en concluant, principalement, à ce qu’un subside d’assurance-maladie d’un montant mensuel de CHF 300.- lui soit octroyé pour l’année 2020. Il a, en outre, requis la production par le SAM de sa directive interne relative à l’attribution d’un subside pour les assurés ayant un RDU inférieur au plancher de CHF 15'000.-.

b. Par mémoire de réponse du 13 septembre 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours et a produit un exemplaire de sa directive interne susmentionnée.

c. Par courrier du 12 octobre 2021, le recourant a répliqué. Par courrier du 15 novembre 2021, l’intimé a dupliqué. Les deux parties ont maintenu leurs positions respectives.

d. En date du 24 novembre 2021, le recourant s’est déterminé sur la duplique de l’intimé par un bref courrier.

e. Par acte d’instruction du 25 mars 2022, la chambre de céans a requis la production par le recourant de ses décisions de taxation pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019, ainsi que ses derniers certificats de salaire. À la même date, elle a demandé à l’intimé des informations complémentaires s’agissant de sa pratique relative à l’art. 10 al. 4 et 5 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 15 décembre 1997 (RaLAMal - J 3 05.01).

f. L’intimé s’est déterminé par courrier du 7 avril 2022 et a, en particulier, précisé que sa pratique de prise en compte des moyens financiers des parents ne trouvait application qu’aux personnes ayant un RDU inférieur au « plancher » de CHF 15'000.- fixé par le RaLAMal au motif que dans ce cas, la prise en compte de la situation des parents se justifiait dans la mesure où ces personnes étaient à leur charge. Quant au recourant, il a produit les documents demandés en date du 12 avril 2022.

g. En date du 4 novembre 2022, Maîtres Pierre GABUS et Lucile BONAZ se sont constitués à la défense des intérêts du recourant.

h. Une audience avec comparution personnelle des parties s’est tenue le 24 novembre 2022. Elle a notamment permis de préciser certains points dans le parcours professionnel et scolaire du recourant. Les parties ont débattu des modalités d’application de la directive ; les représentants du SAM ont notamment expliqué que la solution retenue dans cette dernière s’était inspirée de l’art. 328 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et de l’art. 38 du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), appliqué par analogie et que si le recourant n’avait pas habité chez son père, il aurait eu droit aux subsides.

i. Suite à cette audience, le recourant s’est encore brièvement déterminé par courrier du 1er décembre 2022 en maintenant ses conclusions. L’intimé a également déposé des observations complémentaires à la même date. Il a de plus produit des pièces complémentaires qui avaient été requises par la chambre de céans lors de l’audience.

j. Le conseil du recourant a réagi aux observations de l’intimé en demandant de les écarter, par courrier du 12 décembre 2022, au motif qu’il avait été convenu que l’intimé ne devait produire que les documents demandés par la chambre de céans et non pas des observations complémentaires.

k. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties avaient été informées par courrier du 2 décembre 2022.

l. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10). La LPGA ne trouve cependant pas application en matière de réduction de primes, respectivement de subsides d’assurances-maladies (art. 1 al. 2 let. c LAMal).

S’agissant de prétentions fondées sur le droit cantonal comme les subsides, l’art. 36 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05) prévoit que les décisions sur opposition, et celles contre lesquelles la voie de l’opposition n’est pas ouverte, peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice dans un délai de trente jours à partir de leur notification.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Selon l’art. 36 al. 2 LaLAMal, la procédure devant la chambre de céans est réglée par les art. 89A à 89I de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Interjeté dans les formes prévues par la loi (cf. art. 89B LPA) et dans le délai de recours de trente jours suspendu du 15 juillet au 15 août inclus (cf. art. 63 al. 1 let. b LPA par renvoi de l’art. 89A LPA), le recours est recevable.

3.             L’objet du litige est l’existence d’un droit du recourant à un subside mensuel visant à la réduction de sa prime d’assurance-maladie obligatoire et singulièrement la détermination des ressources économiques qui doivent, dans cette optique, lui être imputées.

3.1 Selon le recourant, la décision sur opposition viole l’art. 65 al. 1 LAMal qui prévoit que les cantons doivent réduire les primes d’assurance des assurés de condition économique modeste. Elle viole, en outre, le principe de la séparation des pouvoirs. En effet, la prise en compte du RDU du père du recourant pour lui refuser l’accès à un subside mensuel ne trouve aucun fondement dans la LaLAMal ou le règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 15 décembre 1997 (RaLAMal - J 3 05.01). Enfin, l’intéressé est d’avis que le refus de l’intimé est contraire au principe de l’égalité de traitement dès lors que le SAM ne prend en compte les revenus d’un ascendant d’un assuré âgé de plus de 25 ans, que si ce dernier fait ménage commun avec celui-ci et lorsque le RDU de l’assuré est inférieur à CHF 15'000.-.

3.2 Selon l’intimé, sa pratique, bien que reposant sur une directive interne faute de base légale expresse dans la loi ou dans le règlement, est conforme à la volonté du législateur cantonal, lequel a jugé que lorsqu’un assuré dispose d’un RDU inférieur à CHF 15'000.-, il convient d’analyser plus finement sa situation économique pour statuer sur son droit à un subside. Ce système est conforme à l’art. 65 al. 1 LAMal. S’agissant du principe d’égalité de traitement, l’intimé est d’avis qu’il ne s’oppose pas à la fixation d’un montant pivot, en l’espèce CHF 15'000.-, lequel implique par essence qu’une différence minime puisse avoir un impact sur le droit à une prestation. La fixation d’un tel montant sur le plan normatif est nécessaire afin de respecter les principes de la légalité et de l’égalité dans l’application du droit. En outre, les personnes vivant avec leurs ascendants ont moins de charges que celles vivant seules, ce qui justifie une différence de traitement fondée sur ce critère.

4.             Selon l’art. 19 al. 1 LaLAMal, l’État de Genève accorde aux assurés de condition économique modeste des subsides destinés à la couverture totale ou partielle des primes de l’assurance-maladie, conformément aux art. 65 et suivants LAMal. Selon l’art. 20 al. 1 let. a LaLAMal, sous réserve des exceptions prévues par l’art. 27, les subsides sont, en particulier, destinés aux assurés de condition économique modeste.

Selon l’art. 20 al. 3 LaLAMal, les personnes suivantes sont présumées ne pas être de condition économique modeste, mais peuvent prouver que leur situation financière justifie l'octroi de subsides :

« a) les assurés majeurs dont le revenu déterminant n'atteint pas la limite fixée par le Conseil d'Etat, mais qui ne sont pas au bénéfice de prestations d'aide sociale ;

b) les assurés ayant atteint leur majorité avant le 1er janvier de l'année civile et jusqu'à 25 ans révolus ».

Selon l’art. 20 al. 4 LaLAMal, le Conseil d'État détermine les conditions d'application des al. 2 et 3. S’agissant des assurés majeurs, âgés de 25 ans et plus, auxquels il est fait référence à l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal, les règles déterminantes sont prévues par l’art. 10 al. 4, 5 et 6 RaLAMal. Elles sont formulées comme suit :

« Assurés dont le revenu déterminant est inférieur à la limite fixée

4 Sont visés par l'article 20, alinéa 3, lettre a, de la loi les assurés qui ne sont pas au bénéfice de prestations d'aide sociale et dont le revenu déterminant est inférieur aux montants suivants :

Assuré seul, sans charge légale 15 000 francs

Couple, sans charge légale 20 000 francs

5 Ces montants sont majorés de 3 000 francs par charge légale.

6 Les assurés dont le revenu déterminant est inférieur aux limites visées aux alinéas 4 et 5 du présent article peuvent obtenir un subside en application de l'article 23, alinéa 5, de la loi. Leur revenu déterminant unifié est établi sur la base de leur situation économique et personnelle 2 ans avant l’année d’ouverture du droit à la prestation. Ils doivent démontrer leurs moyens d’existence et prouver que leur situation justifie l’octroi de subsides. Les limites de revenus fixées à l'article 21 de la loi s'appliquent ».

Selon l’art. 23 al. 5 LaLAMal, s’agissant des assurés visés par l’art. 20 al. 3 LaLAMal, ils peuvent présenter à l’intimé une demande dûment motivée, accompagnée des pièces justificatives ; le SAM leur octroiera des subsides lorsque leur situation économique le justifie.

5.             Il convient d’examiner en premier lieu le grief du recourant relatif à la violation de l’art. 65 al. 1 LAMal.

5.1 En ce qui concerne les réductions de primes fondées sur l’art. 65 al. 1 LAMal, les cantons disposent d’une large marge de manœuvre, et notamment lorsqu’il s’agit de définir ce qui constitue une « condition économique modeste » (ATF 145 I 26 consid. 3.2 ; ATF 136 I 220 consid. 4.1 ; ATF 134 I 313 consid. 3 ; ATAS/472/2022 du 23 mai 2022 consid. 4.1 ; ATAS/459/2018 [arrêt de principe], du 31 mai 2018 consid. 2d ; Rolf FRICK, Basler Kommentar KVG/KVAG, 2020, n. 12 ad. art. 65 LAMal). L’art. 65 al. 1 LAMal doit être compris comme un mandat au législateur cantonal (ATF 145 I 26 consid. 3.3 ; ATF 136 I 220 consid. 4.1), ce qui a pour conséquence que cette norme n’est pas directement applicable aux administrés, mais nécessite d’être mise en œuvre par le droit cantonal (ATAS/472/2022 du 23 mai 2022 consid. 4.1 ; en ce sens également : ATF 147 I 478 consid. 3.6).

Les administrés peuvent toutefois faire valoir que le droit cantonal ne respecte pas le sens de l’art. 65 al. 1 LAMal en se fondant sur le principe de primauté du droit fédéral garanti par l’art. 49 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATF 145 I 26 consid. 3.3 ; Rolf FRICK, Basler Kommentar KVG/KVAG, 2020, n. 17 ad. art. 65 LAMal ; Gebhard EUGSTER, Krankenversicherung, in : Soziale Sicherheit/Sécurité sociale, MEYER éd. 3ème éd. 2016, n. 1392 p. 818 s.). Le principe de la force dérogatoire du droit fédéral peut en effet, être invoqué à titre de droit constitutionnel individuel par un recourant (ATF 147 I 354 consid. 4.2 ; ATF 144 I 281 consid. 4.2 ; ATF 144 I 113 consid. 6.2). Vu la large marge de manœuvre dévolue aux cantons par le droit fédéral, cette limite correspond surtout au respect du principe de l’égalité devant la loi (ATF 122 I 343 consid. 4b), au contraire de ce qui est le cas pour l’art. 65 al. 1bis LAMal (cf. ATF 145 I 26 consid. 8.3.1, 8.3.2, 8.3.3 et 8.3.4).

5.2 En tant que telle, la présomption réfragable posée par l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal, complété par l’art. 10 al. 4, 5 et 6 RaLAMal, n’apparaît pas aller à l’encontre de l’esprit de l’art. 65 al. 1 LAMal (dans le même sens : ATAS/472/2022 du 23 mai 2022 consid. 5), dès lors qu’elle implique uniquement qu’un assuré, effectivement de condition modeste, doit motiver sa demande de subside au lieu de bénéficier d’une attribution automatique.

Néanmoins, si le bien-fondé du système de présomption, réfragable sur requête motivée de l’assuré, au sens de l’art. 23 al. 5 LaLAMal, peut être débattu, il s’agit là d’un choix politique qui ne relève pas de la compétence d’un organe judiciaire tel que la chambre de céans (dans le même sens ; ATAS/472/2022 du 23 mai 2022 consid. 5.3 ; voir également : ATF 146 V 378 consid. 4.5 ; ATAS/974/2022 du 10 novembre 2022 consid. 8.1 ; ATAS/595/2022 [arrêt de principe] du 9 juin 2022 consid. 4.2). Ce grief doit donc être écarté.

6.             Il convient ensuite d’examiner le grief du recourant portant sur la violation du principe de séparation des pouvoirs.

À la lecture des positions respectives des parties, il apparaît que c’est avant tout la question spécifique de l’existence d’une base légale justifiant la prise en compte du RDU du père du recourant par l’intimé qui doit être examinée, en ce sens qu’il s’agit d’un aspect cardinal du principe de la séparation des pouvoirs (en ce sens : ATF 147 I 478 consid. 3.1.1 ; ATF 142 I 26 consid. 3.3 ; ATF 141 V 688 consid. 4.2.1 ; ATF 134 I 322 consid. 2.2), le principe de la base légale protégeant notamment les pouvoirs du corps électoral (ATF 148 III 172 consid. 3.2.2).

6.1 Selon l’art. 5 al. 1 Cst., le droit constitue la base et la limite de l’activité de l’État.

6.1.1 La loi doit être formulée de manière telle qu'elle permette au citoyen de s'y conformer et de prévoir les conséquences d'un comportement déterminé avec un certain degré de certitude, dépendant des circonstances (principe de la base légale au sens matériel) ; l'exigence de précision de la base légale ne doit cependant pas être comprise d'une manière absolue, respectivement le degré de précision requis ne peut pas être déterminé de manière abstraite ; il dépend, entre autres, de la multiplicité des situations à régler, de la complexité ou de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas particulier, du destinataire de la norme, ou de la gravité de l'atteinte aux droits constitutionnels, mais également de l'appréciation que l'on peut faire, objectivement, lorsque se présente un cas concret d'application (ATF 148 IV 234 consid. 3.5 ; ATF 146 I 70 consid. 6.2.2 ; ATF 143 I 310 consid. 3.3.1 ; voir également : ATF 147 I 393 consid. 5.1.1).

6.1.2 Lorsqu’elle se fonde sur une clause de délégation contenue dans une loi au sens formel, une autorité étatique ne peut s’écarter du cadre ainsi fixé (ATF 141 V 688 consid. 4.2.1 ; ATF 134 I 322 consid. 2.4). Cela vaut en particulier pour les règlements du Conseil d’État. En revanche, lorsqu’une norme règlementaire respecte le cadre qui lui est fixé par une norme de délégation adoptée par le Grand Conseil, elle engage tant les particuliers et les autorités, que la chambre de céans.

Contrairement à un règlement du Conseil d’État, une directive administrative ne constitue qu’un acte interne à l’administration, représentant l’opinion de l’autorité qui l’adopte, sur l’interprétation d’un acte normatif, dans un but d’égalité dans l’application du droit ; une autorité judiciaire ne l’appliquera, que dans la mesure où elle constitue une concrétisation convaincante de la norme en cause (ATF 147 V 441 consid. 4.2 ; ATF 147 V 342 consid. 5.5.2.2 ; ATF 147 V 79 consid. 7.3.2 ; ATF 146 II 321 consid. 4.3 ; ATF 146 I 105 consid. 4.1).

6.2  

6.2.1 En l’occurrence, les al. 4 et 5 de l’art. 10 RaLAMal entrent dans le cadre de la clause de délégation de l’art. 20 al. 4 LaLAMal en lien avec l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal en ce qui concerne les montants limites fixés par le Conseil d’État. Le fait que ceux-ci apparaissent particulièrement bas peut certes prêter à discussion, mais on ne peut retenir que celui-ci ait outrepassé la large marge de manœuvre qui lui a été octroyée par le Grand Conseil.

6.2.2 S’agissant des éléments à prendre en compte pour établir si les assurés dont le revenu est inférieur aux montants fixés par les al. 4 et 5 de l’art. 10 RaLAMal peuvent néanmoins bénéficier d’un subside, l’al. 6 de l’art. 10 RaLAMal se contente de prévoir qu’il faut examiner « leurs moyens d’existence ». Quant à l’art. 23 al. 5 LaLAMal, il fait référence à la « situation économique » desdits assurés.

6.2.3 Contrairement à ce qui est le cas pour les assurés âgés de 18 à 24 ans, visés par l’art. 20 al. 3 let. b LaLAMal (cf. art. 10 al. 7 let. a RaLAMal), aucune base légale ne prévoit clairement la prise en compte des revenus de l’ascendant d’un assuré, avec lequel celui-ci ferait domicile commun, pour déterminer si cet assuré a droit à un subside. L’intimé ne le conteste d’ailleurs pas. Lors de l’audience de comparution personnelle, les représentants de l’intimé ont confirmé que ce sont uniquement les directives internes du SAM qui permettent de calculer et d’établir la quotité des « moyens d’existence » donnant droit à un subside.

En l’occurence, les règles prévues en p. 7 de la directive administrative du SAM dénommée « Procédure d’attribution du subside pour les personnes ayant un RDU inférieur au « plancher » fixé par le Règlement qui se base sur l’art. 10 al. 6 RaLAMal » (directive 6.5 dans sa version numéro 10, ci-après : la Directive) prévoient notamment le rejet d’une requête de subside lorsque le requérant vit chez ses parents, enfants ou grands-parents (1) et que ceux-ci disposent d’un RDU supérieur à CHF 150'000.- [pour une personne seule] ou (2) CHF 200'000.- pour un couple.

La question de savoir si l’art. 10 al. 6 RaLAMal constitue à cet égard une base légale matérielle suffisante n’a jamais fait l’objet d’un examen par la chambre de céans (voir cependant l’ATAS/514/2014 du 16 avril 2014 qui a laissé la question ouverte, la chambre de céans ayant considéré que le recourant n’était pas parvenu à établir que sa situation économique justifiait l’octroi d’un subside). La résolution de cette question étant déterminante pour le résultat du cas d’espèce, il convient de l’analyser en détail.

7.              

7.1 Une norme de droit suisse doit être interprétée, en premier lieu, sur la base de sa lettre (interprétation littérale). Si celle-ci n’est pas absolument claire, soit si plusieurs interprétations de son texte sont possibles ou lorsque l'application d'autres méthodes d'interprétations font apparaître des éléments significatifs qui laissent penser que le vrai sens de la norme en cause diffère de celui de sa lettre claire, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté de son auteur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 148 V 311 consid. 6.1 ; ATF 148 V 234 consid. 5.1 ; ATF 148 II 203 consid. 4.1 ; ATF 148 V 28 consid. 6.1). Si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 148 II 218 consid. 5.2 ; ATF 146 V 271 consid. 4.5.1 ; ATF 147 V 79 consid. 7.3.1 ; ATF 145 III 56 consid. 5.3.1).

7.1.1 Les lettres des art. 20 al. 3 let. a LaLAMal et 10 al. 6 RaLAMal permettent de comprendre que le législateur cantonal désirait qu’un examen spécifique de la situation économique d’un assuré ait lieu lorsque le RDU de celui-ci est inférieur à CHF 15'000.- (contrairement à la situation usuelle qui voit un subside être octroyé automatiquement sur la base des données fiscales d’un assuré [art. 23 al. 1 et 3 LaLAMal]). La lettre des deux normes susmentionnées ne prévoit donc pas de prise en compte du revenu d’un parent au titre de la situation économique d’un requérant mais elle ne l’exclut pas non plus. On ne se trouve donc pas dans un cas de lettre claire.

En ce qui concerne la systématique légale, il faut souligner que pour les assurés étant devenus majeurs avant le 1er janvier d’une année civile et jusqu'à 25 ans révolus, visés par l’art. 20 al. 3 let. b LaLAMal, une limitation du droit au subside comparable à celle ressortant de la directive examinée est clairement prévue par l’art. 10 al. 7 let. a RaLAMal. Quant à l’art. 10 al. 9 RaLAMAl, il précise expressément que lorsque le revenu calculé selon l'al. 7, soit le revenu tenant le cas échéant compte des ressources des parents d’un assuré, est inférieur à la limite fixée par les al. 4 et 5, le subside est calculé en application de l'al. 6, ce qui laisse entendre que le législateur ne comprenait pas ce dernier alinéa comme visant, entre autres, le RDU des parents d’un assuré, ce dernier faisant l’objet des dispositions spécifiques de l’al. 7. Par ailleurs, les art. 13A al. 2 RaLAMaL (nouveaux assurés), 13B al. 4 RaLAMal (aggravation de la situation) et 13C al. 2 RaLAMal (enfant mineur supplémentaire à charge), qui se rapportent à des situations spéciales, où le principe de l’attribution automatique d’un subside ne peut s’appliquer, font référence au « revenu déterminant du groupe familial ». Selon les précisions de l’intimé à l’audience, ce « groupe familial » inclut les conjoints et l’enfant majeur jusqu’à 25 ans révolus uniquement (cf. procès-verbal de l’audience du 24 novembre 2022, p. 2), mais pas le majeur âgé de 25 ans révolus ; dans ce dernier cas, il n’est pas fait référence au « groupe familial ».

Or, l’art. 13D al. 2 let. b RaLAMal prévoit qu’en cas d’aggravation de la situation des assurés visés par l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal, le droit au subside est établi en application du calcul figurant à l'art. 13B al. 4 RaLAMal. Cela signifie donc que le revenu des parents d’un assuré âgé de 25 ans révolus n’est alors pas pris en considération, contrairement à ce qui est le cas lors d’une requête fondée sur l’art. 10 al. 6 RaLAMal. En résumé, la prise en compte du RDU des parents d’un assuré n’est en principe pas prévue dans les situations où le droit prévoit un examen individuel de la situation économique d’un requérant, sauf dans le cas d’un majeur âgé de 18 à 25 ans révolus où il existe une base légale explicite en ce sens.

Au vu de ce qui précède, l’interprétation systématique ne permet pas de retenir la prise en compte systématique du revenu des parents, lors de la détermination de la situation économique d’un assuré.

7.1.2 Le projet de loi (ci-après : PL) PL 9370, qui a introduit l’art. 20 al. 3 let. b LaLAMal (à l’époque l’art. 20 al. 3 LaLAMal), précise expressément que l’introduction de cette norme avait pour but de « mettre fin à la situation insatisfaisante qui permet à des assurés, âgés de 19 à 25 ans révolus, de toucher un subside de façon automatique, notamment à ceux qui vivent encore chez leurs parents ayant des situations aisées » (Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] 2003-2004/XII A 6940). L’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal a quant a lui été introduit quelques années plus tard sur la base du PL 10122. Cette révision visait à élargir le principe posé par l’art. 20 al. 3 let. b LaLAMal à tous les assurés dont le RDU était inférieur à un niveau donné, dans un but d’équité et d’utilisation plus efficiente des deniers publics (MGC 2006-2007/XII A – 11500). Cette révision, qui a conduit à la version de l’art. 20 al. 3 LaLAMal telle qu’applicable dans le présent cas d’espèce, a été adoptée au vote sur l’ensemble par 30 oui, 0 non et 9 abstentions (MGC 2007-2008/IV D/20 – 1648).

Au vu de ce qui précède, l’interprétation historique de l’art. 10 al. 6 RaLAMal en lien avec l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal plaide en faveur d’une prise en compte du RDU de l’ascendant d’un requérant lorsque ceux-ci font ménage commun et que le premier est dans une situation aisée, à la manière de ce qui est prévu par l’art. 10 al. 7 RaLAMal.

7.1.3 Comme le souligne le SAM en p. 2 de sa Directive, le but du revenu plancher consacré par l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal est de forcer à un examen individuel des conditions économiques de potentiels bénéficiaires disposant d’un RDU considéré comme faible et ceci afin d’écarter du bénéfice de prestations sociales destinées aux assurés de condition modeste, des personnes qui disposent d’une situation économique favorable, contrairement à ce que laisserait penser le montant de leur RDU (cf. également : ATAS/514/2014 du 16 avril 2014 consid. 15). Dans cette optique, la référence faite par le SAM à l’art. 328 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) apparaît à première vue sensée, et les seuils de respectivement CHF 150'000.- (ascendant seul), respectivement CHF 200'000.- (couple d’ascendants) cohérents avec la jurisprudence fédérale relative à cet article (cf. ATF 136 III 1 consid. 4).

7.1.4 Cependant, il faut noter que le RDU d’une personne n’est pas calculé sur l’année en cours (N), mais sur ses ressources économiques de l’avant-dernière année (N-2) et que la corrélation entre la situation économique effective d’un assuré au moment N et l’absence d’attribution automatique d’un subside en vertu de l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal n’est donc pas parfaite.

7.1.5 De plus, l’obligation d’entretien de l’art. 328 CC, qui justifie la prise en compte des revenus des ascendants, n’est pas liée à l’existence d’un domicile commun.

7.1.6 Enfin, les montants de respectivement CHF 150'000.- et CHF 200'000.- créent un important effet de seuil, contrairement à la situation choisie par le Conseil d’État avec l’art. 10 al. 7 let. a RaLAMal, alors même que le législateur poursuivait avec l’art. 20 al. 3 let. a LaLAMal un but d’équité.

Au vu de ce qui précède, l’interprétation téléologique de l’art. 10 al. 6 RaLAMal plaiderait pour la prise en compte du RDU des parents d’un assuré majeur ayant 25 ans révolus, mais contre la méthode retenue, pour ce faire, par l’intimé dans sa Directive.

7.2 Dans ces circonstances, la chambre de céans considère qu’il faut privilégier l’interprétation qui apparaît la plus conforme au principe de la légalité à savoir que l’art. 10 al. 6 RaLAMal n’est pas suffisamment précis pour permettre la prise en compte systématique du RDU de l’ascendant d’un assuré âgé de plus de 25 ans et faisant ménage commun avec lui. En effet, il ressort de l’instruction de la cause que les critères permettant à un administré de savoir si la situation économique de ses parents sera prise en compte ou non ne ressortent pas d’un acte normatif adopté par le Grand Conseil ou le Conseil d’État mais uniquement de la Directive interne de l’intimé (cf. procès-verbal de l’audience du 24 novembre 2022, p. 3 ; voir également l’art. 13 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 [LIASI - J 4 04]).

C’est l’intimé qui a fixé le critère de la cohabitation ; c’est également lui qui a fixé la limite des revenus parentaux à CHF 150'000.- pour une personne seule et à CHF 200'000.- pour un couple. Même si la prise en compte de ces critères n’apparaît pas insoutenable, en tant que telle, ces principes devraient, à tout le moins, figurer dans une base légale matérielle, soit un règlement du Conseil d’État, comme c’est le cas pour les dispositions concernant les majeurs âgés de 18 à 24 ans.

Dans un cas analogue portant sur la prise en compte du revenu du concubin selon l’art. 18 RLVLAMal/VD, le Tribunal fédéral a jugé qu’une telle règle pouvait ne pas figurer dans la loi, mais uniquement dans un règlement d’application (cf. ATF 134 I 313 consid. 5.6.2) et qu’il était défendable de retenir que cette norme d’exécution respectait le cadre posé par le Grand Conseil Vaudois (cf. ATF 134 I 313 consid. 5.6.4).

Or, dans le cas d’espèce, le principe du calcul opéré par l’intimé ne se trouve ni dans la loi, ni dans le RaLAMal, mais uniquement dans sa Directive.

8.             L’interprétation de l’art. 10 al. 6 RaLAMal retenue supra apparaît, de surcroît, comme la seule conforme au principe constitutionnel d’égalité, selon l’art. 8 al. 1 Cst.

8.1 L'art. 8 al. 1 Cst. prohibe les distinctions réalisées sur la base d'un critère inapproprié et, à l'inverse, l'absence de distinction lorsque celle-ci s'impose (ATF 147 I 73 consid. 6.1 ; ATF 147 V 312 consid. 6.3.2 ; ATF 147 I 1 consid. 5.2 ; ATF 141 I 153 consid 5.1). Cependant, ce principe ne se rapporte, d’une part qu’à des situations de faits importantes (ATF 146 II 56 consid. 9.1 ; ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; ATF 137 I 167 consid. 3.5), ce qui est le cas lorsqu’elles se rapportent à l’octroi d’un privilège ou d’une prestation étatique (ATF 140 I 201 consid. 6.5.1). D’autre part, les autorités étatiques doivent se voir reconnaître une large marge de manœuvre (ATF 147 V 312 consid. 6.3.2 ; ATF 145 I 259 consid. 6.1 ; ATF 145 I 73 consid. 5.1 ; ATF 144 I 113 consid. 5.1.1). Autrement dit, le principe d’égalité ne doit être utilisé que pour écarter les distinctions qui apparaissent ne faire aucun sens, notamment au vu du but poursuivi par le législateur, mais il ne doit pas servir à modifier un choix politique uniquement parce qu’une autorité judiciaire jugerait une autre solution préférable (ATAS/544/2022 du 16 juin 2022 consid. 9.1).

8.2 En l’espèce, le fait que le législateur ait considéré que, sous un certain montant de RDU, l’examen particulier de la situation économique d’un assuré s’imposait, avant de verser un subside sur la base de la LaLAMal, n’apparaît pas contraire à l’art. 8 al. 1 Cst.

Il en va de même du seuil de CHF 14'999.99, critiqué par le recourant. S’il semble, en effet, peu élevé au vu du coût de la vie dans le canton de Genève, la fixation d’un seuil dans un but d’égalité de traitement et de prévisibilité comporte toujours une part de schématisme et la fixation d’un montant de CHF 15'000.- n’est pas absurde au point qu’il requerrait l’intervention de la chambre de céans dans ce qui relève, en principe, du choix et du pouvoir d’appréciation dévolu aux autorités politiques.

En revanche, il apparaît que l’interprétation de l’art. 10 al. 6 RaLAMal faite par l’intimé conduit à rejeter automatiquement un droit au subside lorsque (1) le parent d’un requérant âgé de plus de 25 ans dispose d’un RDU supérieur à CHF 150'000.- (ou CHF 200'000.- s’il s’agit d’un couple de parents) (2) le requérant dispose d’un RDU inférieur à CHF 15'000.- et (3) ne se trouve pas à l’aide sociale et (4) s’il fait ménage commun avec l’ascendant en question.

Il serait loisible au Grand Conseil de prévoir la prise en compte du revenu des parents aisés d’un requérant, faisant ménage commun avec ceux-ci, tout en abolissant la différence entre les requérants de plus et de moins de 25 ans prévue par l’art. 20 al. 3 let. b LaLAMal ; mais il n’appartient pas à la chambre de céans de préjuger de la volonté des autorités politiques genevoises et d’opérer un tel choix.

Partant, il convient d’écarter la Directive du SAM pour les raisons exposées supra.

 

 

9.              

9.1 Selon la décision d’imposition de l’administration fiscale cantonale, au cours de l’année 2018, le revenu fiscal brut du recourant s’élevait à CHF 13'662.- et son revenu fiscal net à CHF 3'676.-. Son RDU (socle) 2020, calculé sur cette base, s’élevait à CHF 11'132.- (cf. pièce 4 intimé). En application de l’art. 10 al. 6 RaLAMal, il s’agit là d’une situation économique donnant, sur requête, droit à un subside (sous réserve de l’existence d’une cohabitation stable avec un concubin selon l’art. 9 RaLAMal, condition non remplie en l’espèce).

9.2 Selon une jurisprudence bien établie de la chambre de céans, le juge cantonal qui estime que les faits ne sont pas suffisamment élucidés doit en principe soit procéder lui-même à une telle instruction complémentaire, soit renvoyer la cause à l’autorité sociale intimée pour qu’elle procède à une instruction complémentaire (ATAS/1109/2021 du 4 novembre 2021 consid. 11b ; ATAS/707/2021 du 30 juin 2021 consid. 9b ; ATAS/662/2021 du 23 juin 2021 consid. 9 ; ATAS/404/2021 du 29 avril 2021 consid. 9b ; ATAS/810/2020 du 28 septembre 2020 consid. 8 ; ATAS/283/2020 du 14 avril 2020 consid. 8d ; ATAS/1102/2019 du 27 novembre 2019 consid. 8). Vu la maxime inquisitoire de l’art. 61 let. c LPGA, la chambre de céans tente, dans la mesure du raisonnable, de procéder directement aux éclaircissements nécessaires dans un but de célérité et d’économie procédurale (en ce sens pour la mise en œuvre d’expertises : ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.4).

Cependant, un renvoi à l’administration apparaît en général approprié si celle-ci s’est soustraite à son devoir d’instruire, respectivement si celle-ci a constaté les faits de façon sommaire, dans l’idée que le tribunal les éclaircirait en cas de recours (ATAS/707/2021 du 30 juin 2021 consid. 9b ; ATAS/662/2021 du 23 juin 2021 consid. 9 ; ATAS/404/2021 du 29 avril 2021 consid. 9b ; ATAS/833/2020 du 6 octobre 2020 consid. 10 ; ATAS/463/2020 du 4 juin 2020 consid. 10 ; ATAS/56/2020 du 30 janvier 2020 consid. 13b ; ATAS/960/2019 du 22 octobre 2019 consid. 9c ; ATAS/497/2019 du 4 juin 2019 consid. 7c ; ATAS/83/2019 du 1er février 2019 consid. 8c).

Dans le cas d’espèce, on constate que le SAM ne s’est pas livré à une instruction détaillée de la situation économique du requérant, se contentant d’examiner son RDU, inférieur à CHF 15'000.- ainsi que le RDU de son père, supérieur à CHF 150'000.-, pour en conclure que la situation économique du requérant n’était pas précaire.

De son côté, le requérant s’est contenté, comme demandé par le SAM, de fournir les informations requises par l’autorité, à savoir le montant de son propre RDU et celui de son père.

Ces deux seuls critères ne sauraient suffire à établir de façon détaillée la situation économique du recourant ; d’autres éléments sont susceptibles d’être pris en compte, tels que par exemple (sans que cela soit exhaustif) la fortune du recourant, la situation financière précise de son père, le versement d’une éventuelle contribution d’entretien de la part du père et/ou de la mère du recourant à ce dernier ou la prise en compte du revenu du groupe familial etc. Dans l’état actuel du dossier, les informations rassemblées ne suffisent pas pour déterminer de manière suffisamment précise et personnalisée la situation économique du recourant.

Il est vrai que l’art. 20 al. 3 LaLAMal pose la présomption que le recourant, qui n’émarge pas à l’aide sociale et vit chez son père, est présumé ne pas être de condition économique modeste, et devoir prouver que sa situation financière justifie l'octroi de subsides.

Néanmoins, il convient de rappeler que le justiciable a le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment et celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 9C_361/2015 du 17 juillet 2015 consid. 5.1). En effet, le droit d'être entendu doit être reconnu et respecté lorsqu'une autorité envisage de fonder sa décision sur une norme ou un motif juridique non évoqué dans la procédure antérieure et dont aucune des parties en présence ne s'est prévalue et ne pouvait supputer la pertinence dans le cas d’espèce (ATF 128 V 272 consid. 5b/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_277/2013 du 28 août 2013 consid. 3.2).

En l’occurrence, le recourant n’a pas eu l’opportunité de pouvoir démontrer sa situation économique de manière détaillée dès lors que son examen a été d’emblée limité par les critères de la Directive du SAM.

Il appartient donc à l’intimé, à la lumière des considérants du présent arrêt, de reprendre l’instruction de la cause et - conformément au droit d’être entendu - de fixer un délai au recourant afin que ce dernier puisse faire la preuve de sa situation économique, sans être limité par les critères de la Directive.

Il ne revient en effet pas à la chambre de céans de procéder à une instruction détaillée en lieu et place du SAM (en ce sens : ATF 146 V 240 consid. 8.3.2), d’autant que cela aurait pour conséquence de priver le recourant d’un degré de juridiction (comparer pour le Tribunal fédéral : ATF 147 I 89 consid. 1.2.5) et d’affaiblir le devoir constitutionnel de motivation sérieuse de l’autorité (en ce sens : ATF 146 V 240 consid. 8.3.2).

10.         En conclusion, le recours doit être partiellement admis et la cause renvoyée à l’intimé afin qu’il complète l’instruction en établissant les moyens d’existence et la situation économique effective du recourant, puis se détermine sur son éventuel droit à un subside pour l’année 2020.

11.         Selon l’art. 89H al. 3 LPA, une indemnité est allouée au recourant qui obtient gain de cause.

Le recourant obtenant partiellement gain de cause et étant assisté d’un avocat depuis le 4 novembre 2022, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera accordée, à titre de participation à ses frais et dépens (art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986).

12.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement et annule la décision du 21 juin 2021.

3.        Renvoie la cause à l’intimé, afin qu’il statue sur les moyens d’existence et la situation économique du recourant au sens des considérants.

4.        Alloue au recourant, une indemnité de CHF 1'000.-, à la charge de l’intimé.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le