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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/448/2021

ATAS/595/2022 du 09.06.2022 ( AVS ) , PARTIELMNT ADMIS

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Normes : LAVS.29bis; LAVS.33bis; LAVS.33ter; RAVS.45.al2; RAVS.50; RAVS.52; RAVS.52b; RAVS.52c; RAVS.123.al1; RAVS.123.al2; LAI.36.al2; RAI.44; RAI.45.al2; LOGA.48
Résumé : La Cour de céans a estimé que la question de savoir si la Caisse cantonale genevoise de compensation est compétente, à raison du lieu, pour statuer sur le droit de l’assuré à sa rente de vieillesse AVS, peut rester ouverte dès lors que le recourant n’a pas soulevé ce grief et que la cause peut être tranchée au fond. Elle a rappelé qu’en cas de transformation d’une rente d’invalidité en rente de vieillesse sous l’empire du droit international social européen, le principe de totalisation des rentes prévu par l’ancienne Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et la République française du 3 juillet 1975, dont l’assuré a bénéficié lors de la fixation de sa rente d’invalidité, ne trouve plus d’application conformément à la jurisprudence ATF 131 V 371, et précisé que cette jurisprudence reste valable sous l'empire des Règlements européens n°883/2004 et n°987/2009.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/448/2021 ATAS/595/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 9 juin 2022

 

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié en Valais

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

intimée

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né en 1955 à Grenoble. Depuis le mois de juin 1996, il est marié avec Madame B______, née en 1955. Ils sont parents de Monsieur C______, né en 1996.

b. L’assuré a été employé par D______ jusqu’en février 2002. Depuis le 1er janvier 2020, il réside avec son épouse dans la commune valaisanne de E______. Il résidait auparavant dans la commune de F______(Haute-Savoie) en France.

c. L’assuré a perçu une rente d’invalidité maximale pour une invalidité de 100 % versée par l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après : l'OAIE) avec effet au 1er janvier 1999. Il ressort des décisions de cet office que la rente a été calculée en tenant compte de périodes d’assurance réalisées en France, à savoir vingt-trois mois (neuf mois durant l’année 1979, sept mois durant l’année 1980, un mois durant l’année 1982, deux mois durant l’année 1983 et trois mois durant l’année 1984), tandis qu’une période d’assurance de deux-cent-quarante-et-un mois a été réalisée en Suisse. L’assuré a ainsi bénéficié de la prise en compte de vingt-deux années entières d’assurance, et s’est en conséquence vu octroyer une rente entière.

d. En janvier 2020, le dossier de l’assuré a été transmis par l’OAIE à l’office cantonal des assurances sociales genevois (dans sa fonction de caisse cantonale genevoise de compensation) (ci-après : la caisse ou l’intimée).

e. Au 1er février 2020, le montant de la rente d'invalidité AI de l’assuré s’élevait à CHF 1'845.- par mois.

B. a. Par décision du 26 mars 2020, la caisse a transformé la rente d’invalidité AI de l’assuré en rente de vieillesse AVS avec effet au 1er avril 2020. Elle a fixé le montant de cette rente à CHF 1'638.- par mois. Il ressort de cette décision et des explications ultérieures de la caisse que la réduction du montant mensuel perçu par l’assuré en comparaison avec le montant perçu jusqu’alors en tant que rente d’invalidité est dû à l’absence de prise en compte des périodes de cotisation réalisées en France, ce qui mène à l’application d’une échelle de rente 40 (rente partielle) au lieu de 44 (rente complète pour la classe d’âge de l’assuré).

b. Par courriel du 28 mars 2020, complété par une signature le 21 avril 2020, l’assuré a fait opposition à la décision du 26 mars 2020 en contestant la baisse de sa rente.

c. Par courrier du 3 octobre 2020, l’assuré a relancé la caisse dès lors que les autorités françaises l’avaient informé qu’elles étaient en attente d’une transmission par la caisse des formulaires de liaison nécessaires pour statuer sur son droit à une rente de vieillesse française.

d. Par décision sur opposition du 5 février 2021, la caisse a maintenu sa position tout en détaillant le calcul ayant mené à la fixation d’une rente de CHF 1'638.- par mois. Elle a notamment précisé que, contrairement à ce qui ressortait de la motivation de sa décision initiale du 26 mars 2020, les périodes de cotisation dites « de jeunesse » de l’assuré, soit celles réalisées en Suisse au cours des années 1974 et 1975, avaient bien été prises en compte dans son calcul.

C. a. Par courrier du 20 février 2021, complété en date du 26 février de la même année, l’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 5 février 2021 par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Il ressort de ce courrier que le recourant conteste, d’une part, le calcul réalisé par la caisse, et, d’autre part, qu’il invoque une protection de sa bonne foi, sur la base des renseignements qui lui auraient été fournis au guichet de la caisse.

b. La caisse s’est déterminée sur le recours par courrier du 25 mars 2021 en concluant au rejet de celui-ci, et en précisant encore les calculs de la rente de l’assuré déjà détaillés dans sa décision sur opposition.

c. Le recourant a répliqué par courrier du 16 avril 2021. L’intimée a dupliqué par courrier du 5 mai 2021.

d. Par courrier du 17 mai 2021, le recourant s’est déterminé sur la duplique de l’autorité, et a, à cette occasion, conclu à ce que sa rente soit fixée à un montant mensuel de CHF 1'845.-, à ce que la rente mensuelle de son épouse soit augmentée de CHF 3.- par mois, et à ce que la caisse soit condamnée aux dépens de l’instance.

e. Sur question de la chambre de céans, en date du 18 novembre 2021, la caisse a encore précisé, par courrier du 29 novembre 2021, que la rente de l’épouse de l’assuré était bien de CHF 1'304.- et non de CHF 1'307.- comme évoqué dans des déterminations antérieures.

f. Sur requête de la chambre de céans, l’office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) s’est déterminé en date du 12 avril 2022 sur l’application de la clause de délégation de l’art. 123 al. 2 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) en lien avec l’art. 48 de la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration du 21 mars 1997 (LOGA – RS 172.010).

De l’avis de l’OFAS, l’art. 123 al. 2 RAVS, qui prévoit une compétence normative en faveur de cet office, est fondé sur le pouvoir de surveillance octroyé par la loi au Conseil fédéral. Cette délégation est donc valable au regard de l’art. 48 al. 2 LOGA. Ladite délégation a été mise en œuvre par l’OFAS par le biais des chiffres 2030 à 2034 de sa directive concernant les rentes de l’assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale.

g. Par courrier du 16 mai 2022, la chambre de céans a encore requis de l’assuré qu’il produise la décision concernant la fixation de la rente de vieillesse de son épouse.

h. Par courrier du 24 mai 2022, le recourant a produit à la procédure une attestation de la Caisse suisse de compensation concernant la rente de vieillesse de son épouse datée du 16 avril 2018.

i. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

j. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Selon l’art. 84 LAVS, les décisions sur opposition prises par les caisses cantonales de compensation peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal des assurances du canton où la caisse de compensation a son siège, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA.

La compétence de la chambre de céans est ainsi établie.

2.             Le recourant conteste le calcul de sa rente de vieillesse AVS par l’intimée. À cet égard, il n’est pas contestable qu’il ait qualité pour recourir selon l’art. 59 LPGA.

Interjeté dans les forme (cf. art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]) et délai (cf. art. 60 LPGA) prévus par la loi, son recours est sur ce point recevable.

En revanche, s’agissant de la recevabilité de sa conclusion visant à une hausse de CHF 3.- du montant de la rente de son épouse, elle n’a été mentionnée pour la première fois que dans le courrier du recourant du 17 mai 2021.

Malgré la requête de la chambre de céans visant à la production de la décision de fixation de rente par le recourant, celui-ci n’a produit qu’une attestation de la Caisse suisse de compensation établissant que son épouse percevait une rente ordinaire de vieillesse en date du 16 avril 2018 déjà. Cette attestation permet toutefois d’établir que la décision originale de fixation de cette rente est, en tout cas, antérieure à cette date ; de surcroît, le recourant ne fait valoir aucun motif justifié de restitution du délai.

Dès lors, la chambre de céans ne peut que constater que le délai de recours est très largement échu et que la conclusion du recourant visant à obtenir une majoration mensuelle de CHF 3.-, pour la rente de son épouse, est tardive et donc irrecevable.

3.             L’assuré étant domicilié en Valais et n’ayant jamais résidé à Genève, la compétence d’une autorité genevoise pour connaître du cas d’espèce n’est pas manifeste. La question de la compétence de l’intimée pour statuer sur le droit de l’assuré à sa rente de vieillesse AVS, à raison du lieu, doit donc faire l’objet d’un examen par la chambre de céans, même en l’absence de grief du recourant sur ce point. En effet, en matière sociale, l’examen de la compétence de l’autorité inférieure pour statuer doit être réalisé d’office par l’autorité de recours (ATF 142 V 67 consid. 2.1 ; ATF 142 V 2 consid. 1 ; ATF 140 V 22 consid. 4 ; ATF 136 V 7 consid. 2 ; ATF 132 V 93 consid. 1.2).

3.1 Selon l’art. 45 al. 2 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201), si une rente de l’assurance-invalidité est remplacée par une rente de l’assurance-vieillesse et survivants, la compétence pour fixer les prestations et notifier les décisions passe de l’office AI à la caisse de compensation qui était déjà compétente pour verser la rente.

S’agissant des rentes de l’assurance-invalidité, l’art. 44 RAI prévoit que les art. 122 à 125bis RAVS sont applicables par analogie afin de déterminer la caisse de compensation compétente pour calculer et verser les rentes, notamment en cas de changement de caisse.

L’art. 123 al. 1 RAVS prévoit que les ayants droit qui habitent à l’étranger reçoivent leurs rentes de la Caisse suisse de compensation.

3.2 En cas de transfert du domicile en Suisse depuis l’étranger postérieurement à la réalisation du risque assuré, l’art. 123 al. 2 RAVS prévoit une règle spéciale en ces termes :

« L’OFAS réglera la question de la compétence pour servir les rentes aux ayants droit qui reviennent en Suisse postérieurement à la réalisation du risque assuré. »

Les chiffres 2030 à 2033 de la Directive OFAS concernant les rentes de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité fédérale (version 14, valable au 1er janvier 2020) ont la teneur suivante :

« lorsqu’une personne bénéficiaire de rente revient en Suisse, la caisse compétente sera

– celle qui avait alloué la rente avant le départ ;

– celle qui en dernier lieu était compétente, en Suisse, pour la perception des cotisations, si le droit à une rente ordinaire a pris naissance à l’étranger ;

– celle du canton dans lequel la personne ayant droit à la rente élit domicile, si les cotisations ont été payées au seul titre de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité facultative (OAF) ».

3.3 Une directive administrative ne constitue toutefois qu’un acte interne à l’administration représentant l’opinion de l’autorité qui l’adopte sur l’interprétation d’une ou plusieurs normes dans un but d’égalité dans l’application du droit et les directives administratives ne sont pas contraignantes pour le tribunal bien que celui-ci ne s’en écarte pas sans de justes motifs (ATF 147 V 342 consid. 5.5.2.2 ; ATF 147 V 79 consid. 7.3.2 ; ATF 146 I 105 consid. 4.1 ; ATF 145 V 84 consid. 6.1.1 ; ATF 144 V 195 consid. 4.3). Un tel acte interne à l’administration ne peut en aucun cas remplacer une norme de droit publiée au Recueil officiel et inscrite au Recueil systématique. En effet, selon l’art. 8 de la loi fédérale sur les recueils du droit fédéral et la Feuille fédérale du 18 juin 2004 (LPubl - RS 170.512), un acte normatif de la Confédération doit être publié au Recueil officiel des lois fédérales pour constituer une norme de droit, respectivement pour déployer un effet juridique liant les administrés et les autorités judiciaires. En outre, l’art. 123 al. 2 RAVS a été adopté par le Conseil fédéral en date du 20 avril 1951, or, l’art. 48 LOGA, adopté dans l’intervalle, précise clairement que si le Conseil fédéral peut déléguer aux départements fédéraux la compétence d’édicter des règles de droit, il ne peut en revanche procéder à une telle délégation en faveur d’un office fédéral que si une loi fédérale (ou un ancien arrêté fédéral de portée générale) le permet.

Cependant, bien que la compétence de la caisse genevoise de compensation qui se fonde uniquement sur une directive administrative elle-même fondée sur l’art. 123 al. 2 RAVS dont la légalité est sujette à caution, cette question peut rester ouverte dans le cas d’espèce. En effet, le Tribunal fédéral précise qu’il renonce à une cassation avec renvoi lorsqu'un tribunal inférieur s'est prononcé alors qu'il était géographiquement incompétent, lorsqu'il dispose des éléments pour trancher la cause au fond (1) et que le recourant ne fait pas spécifiquement grief de cette incompétence dans son recours au Tribunal fédéral (2) (ATF 142 V 67 consid. 2.1 ; ATF 139 II 384 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_891/2010 du 31 décembre 2010 consid. 2.2). Or, le recourant n’a pas soulevé le grief d’incompétence de l’autorité genevoise dans la présente procédure et, comme on le verra plus bas, la cause peut être tranchée au fond par la chambre de céans.

3.4 Au vu de ce qui précède, le recours doit ainsi être examiné sur le fond indépendamment de savoir si l’autorité de première instance était bien compétente dans le cas d’espèce.

4.             L’objet du litige revient à contrôler si le montant mensuel retenu pour le recourant à titre de rente de vieillesse, à savoir CHF 1'638.-, est conforme au droit, ce que le recourant conteste en critiquant en particulier le nombre d’années de cotisations retenues et la réduction de sa rente, pour tenir compte du fait que son épouse perçoit également une rente de vieillesse AVS.

4.1 Selon l’art. 33bis LAVS, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit.

Selon l’art. 36 al. 2 LAI, les dispositions de la LAVS sont applicables par analogie au calcul des rentes ordinaires. Le Conseil fédéral peut édicter des dispositions complémentaires.

Selon l’art. 29bis LAVS, le calcul de la rente est déterminé par les années de cotisations, les revenus provenant d’une activité lucrative ainsi que les bonifications pour tâches éducatives ou pour tâches d’assistance entre le 1er janvier qui suit la date où l’ayant droit a eu 20 ans révolus et le 31 décembre qui précède la réalisation du risque assuré, soit ici l’obtention de l’âge légal de la retraite. Selon l’art. 50 RAVS, une année de cotisations est considérée comme entière lorsqu’une personne a cotisé pendant plus de onze mois au total.

Selon l’art. 52b RAVS, lorsque la durée de cotisations est incomplète, les périodes de cotisations accomplies avant le 1er janvier suivant l’accomplissement des 20 ans révolus doivent être prises en compte aux fins de combler les lacunes de cotisations apparues depuis cette date. Selon l’art. 52c RAVS, les périodes de cotisations réalisées entre le 31 décembre précédant la réalisation du cas d’assurance et la naissance du droit à la rente peuvent également être prises en compte pour combler des lacunes de cotisations.

Le tableau permettant de déterminer quelle échelle des rentes est applicable, selon le nombre d’années de cotisations de l’assuré en comparaison avec celles de sa classe d’âge, se trouve à l’art. 52 RAVS.

Selon l’art. 33ter LAVS, les rentes de vieillesse ordinaires sont régulièrement indexées sur l’indice des rentes par le Conseil fédéral. En l’espèce, la décision sur opposition date de l’année 2021, il faut donc se baser sur les chiffres 2020 jusqu’au 31 décembre 2020, et sur chiffres 2021 pour la période postérieure à ce moment.

4.2 S’agissant spécifiquement de la prise en compte des années de travail réalisées en France, la situation juridique est la suivant.

Dans un arrêt de principe sur la question de l’absence du maintien du privilège de la totalisation des périodes en cas de transformation d’une rente d’invalidité en rente de vieillesse sous l’empire du droit international social européen, le Tribunal fédéral a considéré que ni l’art. 33bis al. 1 LAVS (ATF 131 V 371 consid. 3.2), ni le droit européen (ATF 131 V 371 consid. 8.1) n’imposaient de poursuivre une prise en compte des périodes de cotisations réalisées à l’étranger (totalisation), prise en compte effectuée sur la base des règles d’une ancienne convention bilatérale. Il a en outre précisé que cette absence de totalisation résultait directement du système de coordination des rentes mis en place par le droit international social européen applicable (ATF 131 V 371 consid. 8.2). La chambre de céans est arrivée à une conclusion identique dans un cas franco-suisse (ATAS/1393/2007 du 5 décembre 2007).

Certes, les normes applicables au présent litige diffèrent de celles qui étaient applicables dans les cas susmentionnés puisque le Règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et le Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71 ou des règles équivalentes, ont, entretemps, été remplacés par le Règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement 883/2004), et le Règlement n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement 987/2009).

Toutefois, il n’apparaît pas que les motifs ayant fondé le raisonnement du Tribunal fédéral dans l’arrêt ATF 131 V 371 aient perdu leur pertinence (dans le même sens : ATAS/431/2019 du 15 mai 2019 consid. 3). En ce qui concerne les rentes de vieillesse, le Règlement 883/2004 prévoit en effet toujours qu’il n’y a pas d’imputation générale des périodes de cotisations ou d’uniformisation des règles applicables aux rentes de vieillesse, mais un principe de rentes partielles parallèles au prorata (art. 50 § 1 et 52 § 1 Règlement n°883/2004 ; Constanze JANDA, in : Fuchs [éd.] Kommentar zum Europäischen Sozialrecht, 7ème éd. 2018, n. 5 ad. Vorbemerkungen Chapitre 5 Règlement n° 883/2004 ; Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale : in : Meyer [éd.] Sécurité sociale, 3ème éd. 2016, n. 85), sauf potentiellement pour les périodes de cotisations de moins d’une année (cf. art. 57 § 2 Règlement 883/2004).

En outre, le système suisse entre toujours dans le cadre de la clause de calcul simplifié des rentes de l’art. 52 § 4 Règlement n° 883/2004 (anciennement art. 46 § 1 let. b du Règlement n° 1408/71), comme mentionné dans la jurisprudence fédérale (ATF 131 V 371 consid. 6.4), car l’échelle des rentes de l’art. 52 RAVS est conçue pour que la rente obtenue suite à son application ne soit jamais inférieure à celle résultant d’un calcul au pro rata selon l’art. 52 § 1 let. b Règlement n°883/2004 (Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale : in : Meyer [éd.] Sécurité sociale, 3ème éd. 2016, n. 86).

Un éventuel désavantage financier pourrait résulter du système de perception de rentes parallèles du fait que le système d’assurance-vieillesse obligatoire suisse prévoit une rente d’un montant plus élevé que celui d’une rente d’un autre État européen auquel l'assuré a également droit. Il s’agit, toutefois d’un corollaire inévitable de l’absence d’unification des législations sociales européennes, le droit social matériel étant une compétente nationale, et non une compétence de l’Union (Constanze JANDA, in : Maximilian Fuchs [éd.] Kommentar zum Europäischen Sozialrecht, 7ème éd. 2018, n. 7 ad. Vorbemerkungen Chapitre 5 Règlement n°883/2004). Cette conséquence résulte donc d’un choix politique qu’il ne revient pas à un tribunal social de « corriger ». Par ailleurs, le législateur européen a prévu un principe de guichet unique pour l’ensemble des rentes de vieillesse de l’assuré, au sens qu’une demande auprès de l’institution de l’État désigné par le droit européen (« institution de contact ») vaut pour l’ensemble des rentes auxquelles l’assuré a droit (art. 45 § 4, 46 et 47 Règlement n° 987/2009 ; Constanze JANDA, in : Maximilian Fuchs [éd.] Kommentar zum Europäischen Sozialrecht, 7ème éd. 2018, n. 6 et 7 ad. art. 50 Règlement n° 883/2004 ; Bettina KAHIL-WOLFF, La coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale : in : Meyer [éd.] Sécurité sociale, 3ème éd. 2016, n. 85) ; cela afin de simplifier l’exercice de ses droits parallèles à différentes rentes nationales par l’assuré.

5.             En l’espèce, au moment de fixer la rente de vieillesse du recourant, l’intimée s’est fondée sur le calcul de sa rente d’invalidité car celui-ci est manifestement plus favorable à l’assuré qu’un calcul fondé sur la base de ses seuls mois de cotisations réalisés avant qu’il ne devienne entièrement invalide.

Dans le cadre de cette conversion, l’intimée n’a toutefois plus pris en compte les vingt-trois mois d’assurance réalisés en France, contrairement à ce qui avait été le cas au moment de la fixation de la rente d’invalidité du recourant. Elle s’est fondée uniquement sur les deux-cent-quarante-et-un mois de cotisations réalisés en Suisse, ce qui comprend tant les vingt-deux mois accomplis en tant qu’« années de jeunesse » selon l’art. 52b RAVS, que les huit mois accomplis en 1998, année de naissance du droit à la rente d’invalidité, selon l’art. 53c RAVS. Cela à juste titre dès lors que le principe de totalisation des rentes prévu par l’art. 13 de l’ancienne Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et la République française du 3 juillet 1975, dont l’assuré a bénéficié lors de la fixation de sa rente d’invalidité (cf. pièce 1B intimée, p. 1), ne trouve plus application en cas de transformation de cette rente en une rente de vieillesse, comme il a été établi plus haut.

Au jour où son droit à une rente d’invalidité a été établi, à savoir en 1998, le recourant bénéficiait donc de vingt années de cotisations (241 {mois}/12, arrondi à 20 selon l’art. 50 RAVS).

Le maximum d’années de cotisations de sa classe d’âge (1995) était alors de vingt-trois années (cf. https://sozialversicherungen.admin.ch/de/d/6850/download; consulté pour la dernière fois le 12 mai 2022). En ne tenant pas compte de la période où il a travaillé en France, l’assuré avait donc accompli (20 x 100 / 23) 86,956 % de la cotisation maximale de sa classe d’âge. Selon le tableau de l’art. 52 LAVS, une cotisation de 86,956 % d’une classe d’âge mène à l’applicabilité de l’échelle de rente numéro 40.

C’est donc à juste titre que l’échelle de rente numéro 40 a été retenue par l’intimée pour fixer la rente de vieillesse AVS du recourant.

Le recourant ne conteste pas son revenu annuel moyen déterminant retenu par l’intimée et qui s’élève à CHF 72'522.-. Selon l’échelle de rente numéro 40, sa rente ordinaire de vieillesse (non plafonnée) se monte donc à CHF 1'999.- (revenu déterminant supérieur à CHF 71'700.- mais inférieur à CHF 73'134.-).

6.             Selon l’art. 35 al. 1 let. a LAVS, la somme des deux rentes pour un couple s’élève au plus à 150 % du montant maximal de la rente de vieillesse si les deux conjoints ont droit à une rente de vieillesse. Ce plafonnement global doit être appliqué à la rente individuelle de chaque époux. Selon l’art. 35 al. 3 LAVS, les rentes de vieillesse des deux époux doivent ainsi être réduites en proportion de leur quote-part à la somme des rentes non réduites.

Selon l’art. 53bis RAVS, si l’un des deux conjoints ne présente pas une durée de cotisations complète, le montant maximum des deux rentes correspond alors à un pourcentage du montant maximum en cas de rente complète (art. 35, al. 1, LAVS). Ce montant est déterminé en additionnant le pourcentage correspondant à l’échelle de rentes la plus basse et le double du pourcentage correspondant à l’échelle de rentes la plus élevée (art. 52). Ce total doit être divisé par trois.

6.1 En application de ce qui précède, il convient de calculer l’échelle de rente pondérée commune du recourant et de son épouse afin de déterminer le plafond maximal que peuvent atteindre leurs rentes lorsqu’elles sont additionnées, puis de procéder à un plafonnement de la rente de vieillesse individuelle du recourant.

Le recourant se voyant appliquer l’échelle de rente numéro 40, et son épouse l’échelle de rente numéro 36, le calcul de leur échelle de rente pondérée selon l’art. 53bis RAVS est donc le suivant :

([40 x 2] + 36) / 3 = 39 (38.67 arrondi à 39)

Le montant maximal à ne pas dépasser est donc celui de la rente maximale de l’échelle de rente numéro 39 multiplié par 1,5 (150 %). Cela correspond à une somme de CHF 3'177.-.

Ce montant ne correspond pas au montant de CHF 3'151.- retenu par l’intimée. Il semble en effet que celle-ci se soit basée sur un tableau antérieur à la table des rentes 2021 applicable dans le cas d’espèce, puisque le plafonnement pour deux rentes complètes (échelle de rente 44) mentionné sur ce tableau se monte à CHF 3'555.-, soit le montant applicable uniquement jusqu’au 31 décembre 2020, et non le montant en vigueur depuis 2021, qui s’élève à CHF 3'585.-. Pour la période postérieure au 1er janvier 2021, il convient donc de corriger le calcul de plafonnement réalisé par l’intimée en se basant sur un montant maximum des rentes de vieillesse du recourant et de son épouse de CHF 3'177.- en lieu et place de CHF 3'151.50, montant qui est applicable jusqu’au 31 décembre 2020.

Le montant obtenu en additionnant les rentes de vieillesse ordinaires non plafonnées des deux époux est de CHF 3'845.- (1'999 {rente recourant} + 1'846 {rente de l’épouse du recourant}) ce qui est supérieur tant à 3'177.- qu’à 3'151.50 (rentes maximales de l’échelle de rente numéro 39 multipliées par 1,5). Les rentes des époux doivent donc être réduites proportionnellement en vertu de l’art. 35 al. 3 LAVS.

6.2 En ce qui concerne le recourant, sa rente de vieillesse non plafonnée se monte à CHF 1'999.-. Le calcul de plafonnement est donc le suivant :

(3'177 / 3'845) x 1’999 = 1’651.71 (arrondi à 1'651.70)

À partir du 1er janvier 2021, la rente de vieillesse AVS plafonnée du recourant s’élève à CHF 1651.70.

En revanche, pour l’année 2020, la rente de vieillesse AVS plafonnée du recourant s’élève à CHF 1'638.20 ([3'151 / 3'845]) x 1'999).

La décision de l’intimée doit donc être réformée en ce sens.

7.             Dans un dernier grief, le recourant invoque la protection de sa bonne foi. Selon lui, l’information qui lui aurait été communiquée au guichet de la caisse intimée est qu’il aurait, en tous les cas, droit à une rente d’un même montant que celle qu’il percevait à titre de rente d’invalidité, à savoir CHF 1'865.-. Le recourant en conclut qu’il aurait ainsi droit à une rente minimale d’un tel montant.

7.1 Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que a) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, b) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et c) que l'administré n'ait pas pu aisément se rendre compte de l'inexactitude du renseignement obtenu ; il faut encore qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, et e) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; ATF 143 V 341 consid. 5.2.1 ; ATF 141 V 530 consid. 6.2). En principe, il n'existe pas de renseignement de nature à engendrer une protection de la confiance de l'administré en cas de simple renseignement oral non protocolé par écrit (ATF 143 V 341 consid. 5.3.1).

7.2 En l’espèce, le recourant allègue exclusivement des informations générales qui lui auraient été données, par oral, au guichet de la caisse. Ce genre d’information n’est qu’exceptionnellement de nature à fonder un droit de l’administré à une protection de sa confiance lui permettant de bénéficier d’une prestation non prévue par la loi. En effet, un administré raisonnable ne doit pas s’attendre à ce qu’un simple renseignement oral donné à un guichet généraliste soit indubitablement valable dans son cas particulier, comme le fait valoir à juste titre l’intimée.

Dans ces circonstances, le fardeau de la preuve de l’existence d’un renseignement oral de caractère exceptionnel repose sur le recourant qui entend en tirer un droit particulier. Or, rien dans les éléments disponibles à l’issue de l’instruction de la procédure ne permet de considérer qu’un tel renseignement a été donné à celui-ci dans le cas d’espèce.

Par ailleurs, le préjudice dont se prévaut le recourant, soit une rente de vieillesse plus faible que sa rente d’invalidité, résulte directement de l’application de règles de droit qui ne dépendent pas du comportement du recourant. Partant, la condition d’existence d’un préjudice causé par le renseignement incorrect de l’autorité n’est en tous les cas pas remplie dans le cas d’espèce.

Il s’ensuit que le recourant ne peut pas invoquer le principe de protection de sa bonne foi qui justifierait l’octroi d’une rente de vieillesse d’un montant de CHF 1'865.- ; le grief de l’assuré doit être rejeté.

8.             Il résulte de ce qui précède que le recours doit être partiellement admis en ce sens que la rente de vieillesse du recourant s’élève à CHF 1'638.20 jusqu’au 31 décembre 2020 et à CHF 1651.70 à partir du 1er janvier 2021. La décision sur opposition de l’intimée du 5 février 2021 doit être réformée en ce sens.

9.             Bien qu'il obtienne partiellement gain de cause, le recourant, non représenté et n'ayant pas fait valoir de frais engendrés par la procédure dans le délai de recours, n'a pas droit à des dépens, suivant la pratique constante de la chambre de céans (ATAS/1320/2021 du 16 décembre 2021 consid. 9 ; ATAS/234/2021 du 15 mars 2021 consid. 13 ; ATAS/177/2021 du 4 mars 2021 consid. 11).

10.         Pour le surplus, en l’absence de loi spéciale prévoyant des frais judiciaires, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA en lien avec l’art. 1 LAVS).

 

 

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable dans la mesure où il porte sur la rente ordinaire de vieillesse du recourant.

2.        Le déclare irrecevable pour le surplus.

Au fond :

3.        L’admet partiellement.

4.        Annule la décision de l’intimée du 5 février 2021.

5.        Dit que le recourant a droit à une rente de vieillesse mensuelle d’un montant de CHF 1'638.20 jusqu’au 31 décembre 2020 et de CHF 1651.70 à partir du 1er janvier 2021.

6.        Dit qu’il n’est pas accordé de dépens.

7.        Dit que la procédure est gratuite.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le